Eglises d'Asie

LA RÉBELLION MUSULMANE À MINDANAO Le point sur la situation

Publié le 18/03/2010




Les habitants de Mindanao ont été les témoins de toute une série d’événements sanglants le 25 février dernier, veille de l’arrivée du président Joseph Ejercito Estrada, en visite pour six jours dans cette partie méridionale de l’archipel philippin. A Ozamiz, des bombes placées dans deux bus chargés à bord d’un ferry ont provoqué la mort de 45 personnes et fait une vingtaine de blessés. A Rizal, l’explosion d’une autre bombe, également placée dans un bus, a blessé dix personnes. A Cagayan de Oro, les artificiers ont pu désamorcer une autre bombe placée à bord d’un quatrième bus. Enfin, deux jours auparavant, sept personnes avaient été blessées lors du plasticage d’une radio locale à Cotabato.

Tous ces attentats ont été imputés au FMIL (Front moro islamique de libération), un groupe de lutte armée qui se bat depuis deux décennies pour la création d’un Etat indépendant et musulman à Mindanao. Le responsable adjoint pour les affaires militaires du FMIL, Al Murad, a démenti ces accusations. Nous démentons toute participation dans ces attentats », a-t-il déclaré. Si nous les avions commis, nous les aurions revendiqués étant donné qu’ils se seraient inscrits dans une stratégie politique» Il a ajouté : Tout ceci fait partie d’un plan conçu par les militaires et qui vise à dépeindre le FMIL comme une organisation terroriste. Le but de la manouvre est de créer une situation telle qu’Estrada soit amené à autoriser l’armée à attaquer les camps du FMIL. Ils [les militaires] veulent créer une situation de guerre totale à Mindanao» Et quand les choses auront vraiment échappé à tout contrôle, les militaires auront atteint leur objectif : montrer qu’Estrada n’est pas en mesure de gouverner et le remplacer à la tête du pays ».

Pratiquement personne n’a prêté attention à la thèse – un peu farfelue – du complot, avancée par Murad, mais ces attentats ont effectivement rappelé aux Philippins que le problème de Mindanao est loin d’être résolu quatre ans après qu’un accord de paix a été signé avec le FMLN (Front moro de libération nationale), la principale faction musulmane séparatiste. Par cet accord de paix, Nur Misuari, chef du FMLN, est devenu gouverneur de l’ARMM (Région autonome pour les musulmans de Mindanao), région qui regroupe les quatre provinces qui ont opté pour l’autonomie lors du référendum de 1989 (les neuf autres provinces de Mindanao choisissant de ne pas rejoindre cette nouvelle région et préférant conserver leur ancien statut). Depuis, nombreux sont ceux qui reprochent à Misuari de ne pas avoir fait grand chose en quatre ans. Misuari a perdu toute crédibilité », affirme Nabil Tan, ancien vice-gouverneur de l’ARMM et aujourd’hui conseiller du président Estrada.

Entre temps, le FMIL, qui est né d’une scission du FMLN en 1978 et qui a rejeté l’accord de paix de 1996 (1), a poursuivi la lutte armée. Hashim Salamat, qui a fait une partie de sa formation au Caire et qui est l’ancien vice-président du FMLN, dirige le FMIL avec, dit-on, le soutien financier d’Osama bin Laden, le terroriste millionnaire d’origine saoudienne. Selon Alexander Aguirre, du Conseil national de sécurité, ce groupe dissident peut aujourd’hui aligner 15 400 hommes (Murad revendique lui 120 000 guérilleros) et Manille craint que le FMIL ne se prépare en ce moment à déclencher une guerre tous azimuts. Le sénateur Juan Ponce Enrile, ancien ministre de la Défense, qui a croisé le fer avec les séparatistes musulmans durant quatorze ans, met en garde : Le FMIL ne se prépare plus pour des opérations de guérilla mais pour la guerre, la vraie. Ils sont bien armés, bien équipés et bien entraînés, avec des fonds et des facilités en provenance de pays tels que l’Afghanistan ».

L’an dernier, Manille a tenté de négocier un accord de paix avec le FMIL. Le 21 janvier, les deux parties se sont assises à la table des négociations pendant trois jours. Les rebelles présentaient trois revendications : premièrement, des garanties de sécurité et d’immunité pour leurs hommes ; deuxièmement, que des sanctions soient prises à l’encontre des militaires coupables d’atteinte aux droits de l’homme ; et enfin, troisième-ment – le point le plus important -, que soit établie une République Moro Bangsa distincte pour les quatre millions de musulmans que comptent les Philippines.

Ce dernier point est inacceptable pour le gouvernement et, face à l’accroissement des capacités militaires du FMIL, Estrada a récemment décidé d’opter pour une politique plus dure. Il a remplacé le négociateur en chef du gouvernement, le général à la retraite Orlando Soriano, plutôt discret, par un autre officier supérieur à la retraite, Edgardo Batenga. Originaire de la province des Sulu à Mindanao, Batenga a pris des mesures contre Abu Sayyaf, un groupuscule lui aussi dissident du FMLN. Selon Robert Aventajado, conseiller à la présidence, le général Batenga est un négociateur plus énergique et a un meilleur contact avec l’armée ». Enfin, Estrada a relevé le lieutenant-général Edgardo Espinosa, commandant en chef de la province militaire de Mindanao-Sud pour n’avoir pas su empêcher la rapide montée en force du FMIL.

Ce n’est pas tout. Le 15 février, l’armée a lancé une offensive générale contre le quatrième plus important camp du FMIL, le camp Omar-Al-Farouk (2). Cela a été le plus important et le plus sanglant engagement des forces gouvernementales contre les hommes du FMIL depuis l’arrivée d’Estrada aux affaires en 1998. Selon Angelo Reyes, chef d’état-major, après 10 jours de combats, 300 rebelles ont été tués. Nous avons démantelé leurs postes de contrôle », a-t-il déclaré. (Murad reconnaît seulement avoir perdu onze hommes.) Toujours selon Reyes, l’armée lancera une offensive contre la principale base du FMIL, le camp Abubakar, dès qu’Estrada donnera son feu vert. Une quasi-ville disséminée sur près de 3 000 hectares, Abubakar, dans la province de Maguindanao, abrite le chef du FMIL, Salamat.

L’usage de la force est l’une des faces de la stratégie adoptée par le gouvernement ; l’autre face de cette stratégie consiste à allouer des fonds importants à Mindanao de façon à y développer l’agriculture et les infrastructures. L’objectif est de re-dynamiser économiquement ce sud qui est depuis longtemps le grenier du pays. Les opérations militaires sont là pour empêcher les rebelles de ruiner ce processus. Parmi les projets en cour, on trouve un terminal portuaire pour conteneurs de 118 millions de dollars, un pont pour 110 millions de dollars. L’agrandissement de l’aéroport de Davao, la plus importante ville de Mindanao, est prévu afin de promouvoir le développement du tourisme dans la région.

Dans un tel contexte, la tournée d’Estrada à Mindanao se veut le signe de l’engagement du président dans cette région. Au cours de sa visite, il s’est entretenu avec les gouverneurs provinciaux et les maires des principales villes, leur promettant plus d’argent et les appelant à faire de Mindanao le gardemanger du pays ». Le 28 février, il s’est envolé pour Jolo, capitale de la province des Sulu, afin d’y inaugurer les Olympiades de l’ARMM. Après le déjeuner offert en son honneur, le président a rencontré les athlètes de la région autonome. Trois religieux – un musulman, un catholique et un protestant – ont chacun, l’un après l’autre, dit une prière de bienvenue (3). Lorsque cela a été au tour d’Estrada de prendre la parole, il a commenté la longueur de chacune de ces prières, en concluant par ces mots : Peu importe que les prières soient longues ou courtes. L’important est que Dieu nous écoute ; ainsi, nous pourrons enfin être tous unis et apporter la paix à Mindanao ». La plupart des Philippins souscrivent très probablement à ce souhait – mais, pour l’heure, ils ne jureraient très certainement de rien.