Eglises d'Asie

EDUCATION ET FORMATION PROFESSIONNELLE AU VIETNAM

Publié le 18/03/2010




INTRODUCTION

I.  SITUATION ACTUELLE DE L’ENSEIGNEMENT GENERAL, UNI-VERSITAIRE ET DE LA FORMATION PROFESSIONNELLE

1 – Le primaire et le secondaire

A – La désertion des écoles par un grand nombre d’élèves

B – Des frais scolaires devenus exorbitants pour la population

2 – Des études universitaires et professionnelles de plus en plus chères

A – Des études hors de prix

B – Des étudiants appartenant à la classe aisée et en nombre encore insuffisant

C – Une certaine reconfiguration de l’enseignement et des formations

a – Introduction de nouvelles disciplines

b – Les disciplines classiques délaissées

c – Une ostensible désaffection pour la profession d’enseignant

d – Les efforts de l’Etat pour la promotion de l’enseignant se révèlent inefficaces

e – Un enseignement professionnel encore peu adapté au marché du travail

II. PROBLEMES ET PERSPECTIVES

1 – Budget et infrastructures

2 – Inadaptation des programmes à l’évolution de la société

3 – Pénurie aiguë d’enseignants

4 – Excédent de cadres et pénurie d’ouvriers spécialisés

CONCLUSION

Le système éducatif, mis en place au Nord-Vietnam selon le modèle soviétique et chinois, d’abord clandestinement au maquis durant la résistance anti-française dans les années 1950, puis officiellement après l’établissement de la République démocratique en 1954, fut étendu au Sud-Vietnam lors de la réunification du pays en juillet 1976. Il s’est assez rapidement, au bout de quelques années, révélé désuet. Cependant, ce n’est qu’assez tard, vers la fin des années 1980, sous l’effet d’autres changements et bouleversements, que la crise de l’éducation et de la formation professionnelle s’est manifestée ouvertement. A cette époque, en effet, après l’échec de deux plans quinquennaux consécutifs (1976-1985), l’économie vietnamienne s’est trouvée au bord du gouffre, avec un taux d’inflation annuel record, évalué officiellement à 700 % dans les années 1987-1988. Par ailleurs, l’effondrement soudain du bloc communiste de l’Europe de l’Est (1989-1990) et de l’URSS (1991) forçait les dirigeants vietnamiens à accélérer les réformes. L’économie de marché s’est substituée alors à l’économie socialiste, seule issue permettant au Vietnam de sortir de son isolement. Ce changement d’orientation économique accompagné d’une ouverture aux pays non socialistes (à l’issue du VIè Congrès du Parti communiste vietnamien (PCV) tenu à la mi-décembre 1986) et suivi, quelques années plus tard, de l’adhésion du pays à l’ASEAN (juillet 1995) a obligé le gouvernement vietnamien à réviser sa politique d’éducation et de formation professionnelle pour s’adapter aux nouvelles conjonctures politiques et socio-économiques. Où en est-on aujourd’hui ? Quelle est la situation actuelle du système éducatif et ses perspectives d’avenir en fonction du changement d’orientation et de l’évolution irréversible de l’économie vietnamienne ? Telles sont les questions que voudrait éclairer ce dossier.

I. LA SITUATION ACTUELLE DE L’ENSEIGNEMENT GENERAL, UNIVERSITAIRE ET DE LA FORMATION PROFESSIONNELLE

Une des caractéristiques de l’enseignement socialiste était jusqu’en 1987 la gratuité totale des études que ce soit dans le primaire, dans le secondaire, à l’université ou encore dans les établissements de formation professionnelle. L’absence de frais de scolarité a même été longtemps considérée comme un acquis définitif de l’Education socialiste dont l’objectif prioritaire ne pouvait être que l’élévation du niveau d’instruction de la classe des travailleurs. Dans les principes, elle n’aurait jamais dû être remise en question. Mais, depuis la rentrée scolaire 1988-1989, en raison de la détérioration socio-économique, une révision radicale s’est imposée aux autorités dans le domaine éducatif. C’est, en effet, à cette date que l’enseignement public est devenu payant (1). Ce revirement a été lourd de conséquences pour l’ensemble de la société et le système de l’éducation nationale en particulier.

1 – Le primaire et le secondaire

A – La désertion des écoles par un grand nombre d’élèves pauvres

– La suppression de la gratuité scolaire s’est traduite en un premier temps par l’abandon massif des classes primaires et secondaires par les élèves.

– En trois ans (1987-1990), la progression des effectifs scolaires a été pratiquement enrayée ou du moins considérablement ralentie. En effet, durant cette période, le nombre d’élèves du primaire n’a augmenté que de 200 000 selon les statistiques officielles, alors que le taux annuel de croissance démographique restait élevé, se situant autour de 2,2 à 2,3 %, ce qui supposait la présence dans la population du pays d’environ 1,3 à 1,4 millions de jeunes en âge scolaire, qui auraient dû fréquenter l’école chaque année.

– C’est surtout dans le secondaire que les effets du changement de politique éducative se sont avérés catastrophiques. Parmi 1 326 000 élèves (2) ayant abandonné leurs études dans les années 1987-1990, près d’un million (à savoir 72 % du total) appartenaient au secondaire : 60 % d’entre eux étaient des élèves du premier cycle (jusqu’en troisième), soit 600 000, et 40 % du 2e cycle, soit près de 400 000.

La désertion scolaire massive touche non seulement les provinces montagneuses du Nord, des hauts plateaux, habitées par des minorités ethniques traditionnellement peu scolarisées, mais aussi les plaines côtières du Centre et de la région orientale du Sud-Vietnam (où la majorité des familles ont un revenu qui les situe en dessous du seuil de la pauvreté). En outre, elle affecte également les provinces riches du delta du Mékong. Celles de Dông Thap (plaine des joncs), Minh Hai et Kiên Giang (péninsule de Cà Mau) ont un pourcentage élevé d’élèves ayant abandonné leurs études (30 % pendant le primaire, 39 % dans le premier cycle du secondaire et 38 % dans le 2e cycle à Minh Hai par exemple) (16). Plusieurs districts de ces mêmes provinces ont des taux d’analphabétisme alarmants, variant de 15 à 40 % de la population. Dans l’ensemble du delta du Mékong, 39,17 % des enfants d’âge de scolarité n’ont jamais pu aller à l’école.

Même à Hô Chi Minh-Ville, un des deux plus grands centres économiques, universitaires et culturels du Vietnam, près de 400 000 jeunes n’ont pas terminé leurs études primaires obligatoires, et 200 000 autres sont analphabètes (17). Au Nord-Vietnam, on relève des taux équivalents (de 30 à 40 %) dans bon nombre de provinces telles que Cao Bang, Hà Bac, voire dans celles du delta du Fleuve Rouge (18).

Une enquête (19), effectuée en septembre 1998 par le quotidien Tuôi Tre (Jeunesse), révèle que :

– 66 % des enfants de 10 à 14 ans des familles pauvres font encore des études (contre 96 % des enfants des familles aisées appartenant à la même tranche d’âge) ;

– 48 % des enfants des familles pauvres ont terminé leurs études primaires (contre 97 % des enfants des familles aisées, c’est à dire plus du double).

– 3 % seulement des jeunes des familles pauvres ont obtenu le diplôme du baccalauréat, alors que 58 % des enfants des familles aisées sont bacheliers. Autrement dit, les jeunes, issus des familles riches ou aisées, ont plus de chances de réussir dans leurs études que ceux des familles pauvres. Les raisons strictement financières sont ici primordiales.

Pourtant, selon les sources officielles, l’effectif global des élèves de l’enseignement général serait en nette progression ces dernières années. Il aurait battu un “record avec 20 438 000 inscrits à la rentrée scolaire 1998-1999, chiffre probablement gonflé en vue de propagande, qui n’exprime pas la réalité dramatique de la situation éducative actuelle au Vietnam. En effet, comparé à l’année scolaire 1990-1991 (avec 12 664 000 élèves inscrits), il a progressé de 7 774 000 en 8 ans, soit une croissance moyenne annuelle de 971 000 élèves, ce qui équivaut à plus du double du nombre officiel d’élèves en augmentation à la rentrée scolaire 1998-1999 (471 313 élèves) (20).

B – Des frais scolaires devenus exorbitants pour une population encore très pauvre

L’abandon massif des études par les élèves s’explique, comme l’ont confirmé nos enquêtes auprès des réfugiés vietnamiens (arrivés en France dans les années 1988-1991), par les frais de scolarité exorbitants en comparaison avec la modicité des ressources des familles dont beaucoup sont encore en deçà du seuil de pauvreté.

Certes, depuis le changement d’orientation économique, le niveau de vie de la population vietnamienne s’améliore progressivement. Cependant, le Vietnam reste encore parmi les 10 pays les plus pauvres du monde. Son revenu per capita était de 240 dollars en 1996 (320 dollars en 1998). Il est nettement inférieur à celui des autres Etats membres de l’ASEAN (12 980 US dollars à Singapour, 2 490 dollars en Malaisie, 1 580 dollars en Thaïlande, etc.). Par ailleurs, les inégalités de revenus tendent à s’accentuer entre villes et campagnes. La population de Hô Chi Minh-Ville par exemple bénéficie d’un meilleur niveau de vie, avec un revenu moyen de 700 dollars par tête d’habitant en 1996 (chiffre officiel), presque le triple de la moyenne nationale. Par contre, ce même revenu est de 204 dollars par paysan du delta du Mékong (légèrement plus élevé que celui du delta du Fleuve rouge : 194 dollars par paysan). Dans les régions reculées, il dispose d’un revenu mensuel inférieur à 10 dollars (12). Toujours selon les sources officielles, plus de 55 % des paysans du delta du Mékong vivent encore dans la pauvreté, voire dans la misère (13). Il en est de même pour les masses déshéritées des grandes villes. D’après les autorités de Hô Chi Minh-Ville, “10 % des Saigonais ont une vie décente, et 90 % vivent à la limite ou sous le seuil de la pauvreté Les cadres supérieurs (comme les professeurs titulaires de l’université par exemple) ne touchent pas plus de 800 000 dôngs par mois, les cadres moyens, autour de 350 000 à 450 000 dôngs, et les cadres de base, de 200 000 à 350 000 dôngs (1 dollar = 14 000 dôngs, fin octobre 1999) (14).

Quoiqu’en baisse depuis la fin de la guerre, le taux de fécondité du Vietnam reste encore élevé (6 enfants par femme en 1965-1975, 5 enfants en 1983-1985, 4 enfants en 1990 et 3,1 enfants en 1996) (15). Une moyenne de 4 à 5 enfants par famille rurale ou de 3 à 4 enfants par famille urbaine est chose courante. La famille nombreuse et le coût élevé des études (hors des possibilités financières de leurs parents) obligent bon nombre d’élèves à mettre un terme à leur cursus scolaire (primaire ou secondaire du 1er cycle, entre 12 et 15 ans).

Pour beaucoup de catégories de la population vietnamienne, l’éducation des enfants est devenue une source de dépenses quelquefois insupportables. Les barèmes des frais scolaires publiés par les autorités témoignent de leur progression continue. Pour freiner cette augmentation abusive, le ministère de l’Education et de la Formation professionnelle, à chaque rentrée scolaire, donne des directives sur les tarifs à appliquer dans les établissements publics et semi-publics. Ainsi, par exemple, en vertu de la décision ministérielle du 4 avril 1993 (3), les frais de scolarité pour les établissements publics en 1993-1994 avaient été fixés comme suit :

Désignation Zones urbaines Autres zones

Enseignement secondaire du 1er cycle

Classe de 6e 3 000 dôngs par mois 2 000 dôngs par mois

Classe de 7e 4 000 « « «3 000 « « «

Classe de 8e 5 000 « « «4 000 « « «

Classe de 9e6 000 « « «5 000 « « «

Enseignement secondaire du 2e cycle.

Classe de 10e7 000 « « «5 000 « « «

Classe de 11e8 000 « « «6 000 « « «

Classe de 12e9 000 « « «7 000 « « «

Il faut noter que ce barème fixait seulement les frais de scolarité des élèves appartenant à la “filière A”, c’est à dire de ceux qui sont relativement doués. Les autres élèves, estimés moins capables, suivent la “filière B” et se voient obligés de payer des tarifs deux fois plus élevés. Une dispense de frais de scolarité est accordée à certaines catégories d’élèves (dont le père, la mère sont morts pour la patrie ou sont grands blessés de guerre).

Pour la même année scolaire 1993-1994, le Comité populaire (5) de Hô Chi Minh-Ville déterminait les frais de scolarité pour les écoles semi-publiques et les écoles “complémentaires” (6) comme suit :

Désignation Frais d’études 1er cycle Frais d’études 2e cycle

Ecoles semi-publiques15 000 dôngs par mois 35 000 dôngs par mois

Ecoles “complémentaires”10 000 « « « 15 000 « « «

Outre les frais scolaires, les parents d’élèves devaient aussi s’acquitter, comme dans le primaire, des charges destinées à financer le maintien de la propreté et l’entretien de l’école : pour l’année scolaire 1993-1994, elles étaient fixées à 12 000 dôngs par an.

Les frais d’études variaient non seulement en fonction de l’emplacement des écoles, en ville, en banlieue, dans les zones rurales ou dans des régions plus reculées, mais aussi à l’intérieur d’une même ville. A Hô Chi Minh-Ville par exemple, les frais scolaires de la filière “A” réclamés pour le 1er et le 2e cycle (année scolaire 1991-1992) se situaient entre 90 000 et 110 000 dôngs par an (y compris la “contribution” aux charges de l’école) dans les quartiers populaires du 4e et du 8e arrondissement. Dans certains quartiers assez aisés comme les 1er, 3e et 5e arrondissements, ils pouvaient s’élever jusqu’à 150 000 ou 160 000 dôngs par an (au Lycée Trân van On, rue Dinh Tiên Hoàng, 1er arrondissement), voire même à plus de 200 000 (au Lycée Lê Hông Phong, ex-Lycée Truong Vinh Ky, dans le 5e arrondissement). Certaines écoles bien cotées du 1er arrondissement comme Kêt Doàn (rue Bui Chu) ou encore Hoà Binh, école située à côté de la cathédrale (rue de la commune de Paris dans le 1er arrondissement), exigeaient de leurs élèves de fortes sommes, pouvant atteindre 160 000 dôngs par trimestre (soit plus d’un demi million de dôngs par an). Bien plus, les parents d’élèves devaient aussi fournir une “contribution volontaire” aux charges de l’école, ce qui leur permettait d’inscrire leur nom dans un “livre d’or”. Les sommes ainsi offertes atteignaient des montants tout à fait considérables (500 000 dôngs, voire 1 million).

Malgré les plaintes et les contestations des parents d’élèves, les nombreux articles de dénonciations dans certains journaux comme Tuôi Tre (Jeunesse), Lao dông (Travail), Công Giao và Dân Tôc (Catholicisme et nation) etc., les frais d’études de l’enseignement général n’ont cessé d’augmenter. Ainsi, à la rentrée scolaire 1997-1998 par exemple (8), le vice-ministre des Finances faisait savoir que “le gouvernement allait adopter une nouvelle politique concernant les frais d’études du secondaire Dorénavant, une année scolaire durerait 9 mois dans l’éducation nationale et 10 mois dans la formation professionnelle. Les frais d’études des établissements publics varieraient suivant les régions ainsi réparties désormais : la zone 1 comprenant les Hauts-Plateaux, les régions montagneuses, les régions les plus reculées, la zone 2 dans laquelle sont classées les régions rurales et enfin la zone 3 composée essentiellement des villes. Leur montant a été fixé comme suit pour la filière “A” :

Zone 1 Zone 2 Zone 3

Secondaire du 1er cycle135 000 dôngs/an225 000 dôngs/an360 000 dôngs/an

Secondaire du 2e cycle225 000 dôngs/an360 000 dôngs/an450 000 dôngs/an

Les frais d’études secondaires du 1er et du 2e cycle des écoles publiques ont presque octuplé en quatre ans (1994-1998), dans la zone 2 (campagnes) et la zone 3 (villes).

Quant aux écoles semi-publiques et privées ou aux établissements “fondés par le peuple” (9), la dépense exigée des parents pour le jardin d’enfants, la maternelle ou le primaire était fixée à un niveau excessivement élevé (10). Les frais d’études, dans le secondaire (1er et 2e cycle) des écoles privées représentaient le double de ceux qui étaient demandés dans les établissements publics (filière “A”) :

Frais d’études par année scolaire

Jardin d’enfants630 000 dôngs (11)

Maternelle234 000 «

Primaire450 000 «

Secondaire du 1er cycle585 000 «

Secondaire du 2e cycle810 000 «

Dans les écoles publiques, aux frais de scolarité, tous les élèves des deux filières A et B devaient ajouter les charges de l’école et autres dépenses (uniforme, équipement sportif, etc.) sans compter celles afférentes à diverses rubriques telles que l’assurance personnelle, l’insigne de l’école, les livres, les cahiers, etc. En fin de compte, les dépenses moyennes annuelles pour un élève du secondaire (1er et 2e cycle) ont été estimées de 400 000 à 600 000 dôngs (filière A) dans les zones 1 et 2, de 600 000 à 800 000 dôngs dans la zone 3. Les élèves de la filière B devaient débourser le double, soit un total de 1 200 000 à 1 600 000 dôngs dans les grandes villes (Hanoi, Huê, Hô Chi Minh-Ville, etc.). Ainsi, le coût des études secondaires est élevé non seulement pour les enfants des masses populaires, mais aussi pour ceux des familles de revenu moyen et aisé.

2 – Des études universitaires et professionnelles de plus en plus chères et inaccessibles aux pauvres

Comme dans l’enseignement secondaire, les frais d’études professionnelles et universitaires représentent pour la plupart des familles de revenu moyen ou même aisé un poids insupportable.

A – Des études hors de prix

Pour l’année universitaire 1997-1998, le barème des frais d’études professionnelles et universitaires des établissements publics établi par le Conseil des ministres était le suivant :

Zone 1 Zone 2 Zone 3

Ecoles professionnelles (21) 400 000 d./an 600 000 d./an1 000 000 d./an

Universités et Ecoles sup. 800 000 « 1 000 000 «1 800 000 «

Etudes post-universitaires 2,3 à 9 millions2,3 à 9 millions2,3 à 9 millions

Les frais d’études des universités et des écoles supérieures privées, généralement installées dans la zone 3 (c’est à dire en ville), sont beaucoup plus élevés encore :

Ecoles professionnelles privées4 000 000 dôngs. par an

Collèges techniques privés4 500 000 « « «

Universités et Ecoles supérieures privées6 000 000 « « «

Ces données statistiques nous suggèrent les observations suivantes :

– Les frais d’études professionnelles et universitaires des établissements d’Etat sont devenus de plus en plus chers et inaccessibles aux familles peu fortunées.

– En quatre ans, de 1994 à 1998, l’apport financier demandé aux étudiants a doublé, quintuplé, voire décuplé (suivant les zones, et en fonction des formations suivies). De 200 000 dôngs en moyenne par année universitaire en 1994, il est passé à 800 000 voire à un million, plus encore, à 1 800 000 en 1998 dans la zone 3, des sommes qui ne comportent pas les charges dues à l’établissement et les autres dépenses (livres, déplacement, logement, nourriture, etc. pour les étudiants originaires des provinces).

– Les frais d’études professionnelles et universitaires (secteur public) représentent l’équivalent d’une année de salaire d’un cadre de moyen.

– Les formations post-universitaires monopolisées par les universités d’Etat battent tous les records en matière de frais d’études. Ceux-ci varient de 2,3 à 9 millions de dôngs par an. Les étudiants admis au 3e cycle de l’enseignement supérieur sont recrutés selon le principe “plutôt rouge qu’expert”. Ils sont issus en majorité des familles de la nomenklatura ou sont de “souche révolutionnaire” (le père ou la mère a sacrifié sa vie pour la cause de la Révolution), des “capitalistes rouges des cadres supérieurs du PCV, etc. Ce sont eux qui bénéficient en priorité des bourses d’études post-universitaires (dans le pays ou à l’étranger).

– Les frais d’études des écoles professionnelles et des universités “fondées par le peuple” sont plus qu’excessifs (3 à 4 fois plus élevés que dans le secteur public). Pour l’année universitaire 1997-1998 par exemple, le prix plafond fixé par l’Etat, a été de 4 millions de dôngs pour les écoles professionnelles, 4,5 millions pour les collèges techniques (destinées à la formation des ouvriers spécialisés), et 6 millions pour les universités (formation des cadres, des experts, etc.) et les écoles supérieures (celle des techniciens).

B – Des étudiants appartenant à la classe aisée, en nombre encore insuffisant

Lors de la visite du secrétaire général du PCV à l’université d’Etat de Cân Tho, en septembre 1996, le recteur a, dans son discours, tiré la sonnette d’alarme en soulignant que “cette université est plutôt destinée à servir la classe aisée ; 60 % de ses étudiants en sont originaires Toujours selon lui, “les élèves pauvres, en majorité résidants de la campagne, ont beaucoup de difficultés à y accéder, compte tenu des frais d’études excessifs : 3 millions de dôngs par an, bien supérieurs au revenu moyen de la quasi-totalité des familles paysannes du delta du Mékong”.

Une enquête par sondage, effectuée par le quotidien Tuôi Tre (Jeunesse), donne une image analogue (22) des exigences financières de la vie étudiante à Hô Chi Minh-Ville, où chaque étudiant de l’université d’Etat doit dépenser en moyenne entre 3 et 3,2 millions de dôngs au moins par an (dont les deux tiers sont constitués par les frais scolaires et le logement dans une cité universitaire).

En raison du coût élevé des études dépassant les possibilités financières de leurs parents, les étudiants, qui fréquentent l’enseignement supérieur, sont en nombre limité. Par ailleurs, les universités d’Etat sont saturées. Faute d’enseignants et de moyens financiers disponibles pour créer de nouveaux établissements, Hanoi a autorisé, depuis 1994, le développement des universités et des écoles supérieures “fondées par le peuple” (23). On comptait huit universités privées (24) en 1996. Elles étaient une quinzaine en 1999 (six universités et une école supérieure sont installées à Hô Chi Minh-Ville). Cependant, depuis la création des universités privées, le nombre d’étudiants admis à l’enseignement supérieur par voie de concours n’a guère augmenté, et se maintient au même niveau qu’avant 1994, à savoir autour de 130 000 étudiants par an (y compris les élèves des écoles professionnelles). Pour l’année universitaire 1998-1999, les effectifs ont connu une légère hausse (26) : 144 000 étudiants (effectif modeste pour une population de 79,5 millions d’habitants), dont le tiers (près de 40 000) a été recruté par les universités d’Etat (27), et les deux tiers (plus de 100 000), par les écoles professionnelles, les écoles supérieures publiques et semi-publiques ainsi que par les universités privées, ces dernières ayant accueilli à elles seules 65 400 étudiants (28).

C – Une certaine reconfiguration de l’enseignement et des formations dispensés

L’ouverture économique du Vietnam aux pays non socialistes a créé dans le pays une situation nouvelle à laquelle l’université publique et privée a essayé de répondre. Cette première période de libéralisation économique a coïncidé en effet, avec la “ruée” des investisseurs asiatiques (Taïwan, Hongkong, Singapour, Corée du Sud, Japon) et occidentaux (France, Allemagne, Royaume-Uni, etc.) au Vietnam (29). Par ailleurs, l’implantation des zones industrielles et des zones économiques spéciales, qui sont en quelque sorte des zones franches, calquées sur le modèle chinois de Shenzhen (aux portes de Hongkong), situées à proximité des grosses agglomérations (Hanoi, Hai Phong dans le Nord, Huê, Dà Nang dans les plaines côtières du Centre, Hô Chi Minh-Ville, Cân Tho dans le Sud-Vietnam, etc.) a soudainement élargi les débouchés d’emploi. Les industries de sous-traitance telles que le textile, la confection, les chaussures, l’électronique, les chaînes de montage (automobiles, motos, vélomoteurs, téléviseurs, etc.) occupant beaucoup de main-d’ouvre, les bureaux de représentation des firmes étrangères, les conseils juridiques, et les autres activités de service qui leur sont liées (banques, finances, assurances, import-export, transports et communications, tourisme, etc.), ont créé ainsi de nouveaux emplois divers et variés.

a – Introduction de nouvelles disciplines au service de l’économie de marché

Cette restructuration du marché du travail a encouragé les pouvoirs publics à créer et à développer certains départements scientifiques dans les universités d’Etat liés à l’économie de marché. Des disciplines nouvelles comme la gestion des entreprises, l’informatique, les finances, la comptabilité, les banques, le commerce extérieur, le marketing, le tourisme, les langues étrangères (en particulier l’anglais), le droit, etc., ont remporté un grand succès auprès des étudiants. Les jeunes, diplômés des facultés de sciences économiques, ont été très sollicités sur le marché du travail dans les années 1990-1996. Devenues à la mode, ces facultés ainsi que celles de droit ont attiré beaucoup d’étudiants. L’afflux vers ces nouvelles disciplines s’est traduit par la saturation rapide des universités d’Etat, amenant le ministère de l’Education et de la Formation professionnelle à favoriser la création d’universités (bac 4) et d’écoles supérieures (bac 2) privées.

Avec l’économie, le droit et la technologie ont été les disciplines les plus cotées et les plus appréciées par les étudiants. Ainsi, pour l’année universitaire 1998-1999 par exemple (30), les facultés de sciences économiques (publiques et privées) à Hô Chi Minh-Ville ont recruté 5 000 étudiants (sur 57 000 candidats inscrits aux concours), celles de droit, 1 500 étudiants (sur 34 000 candidats), celles de technologie, 2 000 (sur 34 000 candidats). Cependant, comparé à l’année universitaire précédente, il y a eu une légère baisse d’effectifs des étudiants recrutés dans ces trois disciplines : 6 500 étudiants en sciences économiques ( 1 500 recrutés) sur 49 400 candidats inscrits aux concours d’entrée (année universitaire 1997-1998), 1 500 étudiants en droit (le même quota recruté) sur 22 600 candidats, et 2 500 étudiants en technologie ( 500 recrutés) sur 30 500 candidats.

Cette diminution des effectifs étudiants est due à la chute des investissements étrangers au Vietnam depuis 1996, et surtout à la crise économique et financière asiatique de 1997. La conjonction de ces deux facteurs s’est traduite par la fermeture de bon nombre d’entreprises d’Etat et privées (joint-ventures et entreprises à capitaux 100 % étrangers) (31), accompagnée de licenciements massifs des travailleurs. Le marché du travail s’est rétréci, obligeant dès lors les responsables universitaires à réduire le nombre d’étudiants recrutés dans ces trois disciplines. La tendance croissante des jeunes à adopter ce type d’études peut s’expliquer par les besoins pressants et grandissants sur le marché du travail, qui ont caractérisé la période 1990-1996. Les cadres, les experts et les techniciens, spécialisés dans ces domaines avaient plus de chance de trouver un emploi approprié et de percevoir un salaire élevé.

b – Les disciplines classiques délaissées par les étudiants

Par contre, d’autres disciplines comme la médecine, la pharmacie, l’agriculture, l’enseignement, etc., ont été en perte de vitesse. Pourtant, le Vietnam souffre d’une pénurie aiguë de personnel dans ces secteurs. Le nombre de candidats inscrits aux concours d’entrée aux facultés de médecine, de pharmacie, etc. dans le Sud-Vietnam a été en baisse constante. Il est passé de 12 600 en 1992 à 7 500 en 1996. Il faut noter toutefois que, pour les années 1997 et 1998, leurs effectifs ont connu une légère reprise à la hausse. Ces années-là, les deux facultés ont respectivement accueilli 9 400 et 10 000 candidats à leur concours d’entrée, alors que le nombre de recrutés pour chacune d’entre elles est de 660.

Un cursus universitaire de médecine trop long, des frais d’études excessivement élevés et certaines autres conditions requises ont découragé les étudiants. En particulier, les futurs médecins doivent obligatoirement consacrer cinq ans de stage et de travail aux hôpitaux publics, pour un traitement dérisoire (32). De surcroît, les places pour ce stage sont limitées et la liste d’attente longue (33). Les étudiants, issus du “dân” (peuple) et ne bénéficiant d’aucun soutien de personnes haut placées, ont beaucoup de difficultés à trouver un poste. Bien plus, ils sont souvent affectés dans les régions reculées. Ainsi, la majorité d’entre eux ont dû renoncer à leurs études en médecine. Quant aux enfants des familles de militaires et de fonctionnaires civils de l’ancien régime sud-vietnamien, ils n’ont eu aucune chance d’obtenir un stage à cause de leur “mauvais” curriculum vitae, et ont été réduits au chômage. En 1993, il y avait 400 jeunes médecins à Hô Chi Minh-Ville (33), et autant à l’heure actuelle, a affirmé un haut fonctionnaire de Hanoi en mission à Paris. La loi exige que les jeunes docteurs en médecine aient cinq ans d’expérience dans leur profession, avant de créer des cabinets de consultation médicale. Certains seraient prêts à travailler à titre gratuit. Aussi doivent-ils exercer toutes sortes de métiers pour survivre (34).

c – Une ostensible désaffection pour la profession d’enseignant

La situation est la même sinon pire pour ce qui concerne la formation des enseignants, aussi bien dans le primaire que dans le secondaire. Les jeunes gens répugnent à entamer une formation à l’issue de laquelle, après avoir suivi un cursus universitaire assez long et supporté des frais d’études coûteux, ils se retrouvent, à leur sortie de l’université, avec un salaire insuffisant et des conditions de travail laissant beaucoup à désirer. Les jeunes instituteurs sont en général affectés dans des régions “situées au bout du monde” (sic), éloignées des centres urbains, des axes de transports et de communications. Les écoles sont délabrées (ni portes, ni fenêtres), les équipements scolaires quasi inexistants, les classes surchargées de 50-55 élèves, voire davantage, etc. Las de travailler dans de telles conditions et pour un salaire de misère, beaucoup d’entre eux ont fini par se décourager et donner leur démission. Ils regagnent alors les villes et les grosses agglomérations, où les débouchés d’emplois divers et variés, et la nouvelle économie de marché leur offrent l’opportunité de trouver un bon emploi.

Les démissions massives des enseignants signalées par toute la presse depuis plus d’une dizaine d’années se sont encore aggravées au cours de ces dernières années. Le manque d’enseignants au plan national n’a cessé d’empirer aux cours des dernières années. Il se chiffrait à :

70 000 instituteurs (35), pour l’année scolaire 1993-1994 ;

93 000 enseignants (dont 50 000 instituteurs, 28 000 professeurs secondaires du 1er cycle, et 15 000 professeurs du 2e cycle) pour l’année scolaire 1996-1997 (36) ;

116 000 (dont 60 000 instituteurs, 50 000 professeurs du 1er cycle, et 6 000 professeurs du 2e cycle) pour l’année scolaire 1997-1998 (37).

Le manque d’enseignants se fait aussi ressentir à Hô Chi Minh-Ville, comme d’ailleurs à Hanoi et dans les autres grandes villes provinciales. Dans la métropole du Sud, il manquait encore 2 000 instituteurs en 1998 dans les écoles de banlieue ainsi que de certains quartiers populaires du 4e et du 8e arrondissement, etc. où nombre d’établissements scolaires sont en piteux état (murs lézardés, sans laboratoire, ni bibliothèque, ni gymnase, ni cour de récréation, manque de tables et de bancs d’écoliers, etc.). De nombreux articles dénonçant cet état de choses, écrits sur un ton souvent assez virulent dans certains journaux comme Tuôi Tre (38) du 15 au 21 décembre 1996 par exemple, sont restés sans effets. Les infrastructures des établissements scolaires publics mal entretenues se sont détériorées et “ont atteint la cote d’alerte, alors que l’Etat construit d’innombrables palais, immeubles, buildings, restaurants, hôtels de luxe, etc. 

d – Les efforts de l’Etat pour la promotion des enseignants se sont révélées inefficaces

Face à une pénurie aiguë d’enseignants, une série de mesures d’urgence a été prise par le ministère de l’Education et de la Formation professionnelle, pour attirer les étudiants vers les écoles supérieures (pour la formation des instituteurs) et les facultés de pédagogie (pour la formation des professeurs de l’enseignement secondaire) (39) :

– En vertu de la décision n° 779/TTG en 1995 et de la circulaire interministérielle n° 125 en 1996, les salaires des enseignants ont augmenté de 20 %. Les primes accordées à ceux qui sont affectés dans les banlieues, les zones rurales ou d’autres régions reculées ont été révisées à la hausse (40). Les étudiants des écoles supérieures et des facultés de pédagogie bénéficient de la gratuité des frais d’études et ont obtenu une augmentation du montant des bourses mensuelles qui leur sont attribuées : 120 000 dôngs par mois (année universitaire 1997-1998), soit une augmentation de 20 % par rapport à l’année précédente (41).

Grâce à ces mesures incitatrices, le nombre d’étudiants inscrits aux concours d’entrée à l’école supérieure et à la faculté de pédagogie (appartenant à l’université d’Etat de Hô Chi Minh-Ville) par exemple a augmenté (42) : 22 000 candidats inscrits (pour 1 300 recrutés en 1998), contre 18 000 candidats (pour le même quota recruté en 1997). De ce fait, la formation au métier d’enseignant est venue, cette année-là, prendre le 4e rang pour le nombre des candidats après l’économie, le droit et la technologie. Cependant, ces mesures ont été encore insuffisantes pour motiver les étudiants et les orienter vers l’enseignement.

Ce métier reste toujours le plus mal payé du pays. Malgré une augmentation de 20 %, les salaires des enseignants primaires et secondaires sont les plus bas, parmi 18 branches administratives (43), ce qui explique les démissions et les abandons de poste fréquents des enseignants, en particulier des instituteurs et des professeurs secondaires du 1er cycle affectés dans les régions rurales ou reculées, où les populations villageoises et des bourgades sont en majorité pauvres. Outre leurs difficiles conditions de travail, ils sont dans l’impossibilité d’y pratiquer une activité rémunératrice supplémentaire telle que des cours particuliers par exemple.

Ce n’est pas le cas de leurs confrères travaillant dans les villes, où ces derniers peuvent “s’en sortir tant bien que mal”, grâce à un second métier. Comme tous les fonctionnaires vietnamiens, ils se transforment en électriciens, en maçons, en menuisiers, etc., et leur conjoint fait de même (petit commerçant détaillant, marchand ambulant, etc.). Ce sont surtout les cours particuliers qui constituent le véritable gagne-pain pour la plupart d’entre eux. Loin de les leur interdire, les autorités académiques les encouragent. Cependant, la pratique d’un second métier ou de cours particuliers a eu parfois des conséquences néfastes, voire négatives (sur la qualité de l’enseignement tout comme sur la santé et surtout sur le moral des maîtres), souvent dénoncées par la presse vietnamienne. L’absentéisme, le bas niveau de l’enseignement obligent les élèves à prendre, bon gré mal gré, des cours supplémentaires avec eux, sinon ils auront beaucoup de difficultés à passer à la classe supérieure, à la rentrée scolaire suivante.

La corruption des enseignants devient monnaie courante (fuite de sujets d’examens et de concours, vente de faux diplômes, etc.). Les trafiquants organisent de véritables réseaux. Leurs prix varient selon les branches : 2 millions de dôngs pour un baccalauréat, 1 million pour un certificat de langue étrangère (44). Les faux diplômes universitaires se vendent beaucoup plus cher : 3 millions de dôngs pour une licence ès lettres, 10 millions pour une licence de gestion des entreprises, 12 millions pour une licence du commerce extérieur, etc. (45). D’après la police de la province de Quang Nam – Dànang, les acheteurs se servent de faux diplômes dans leur dossier de demande d’emploi.

Le ministère de l’Education et de la Formation professionnelle a reconnu cette situation fâcheuse, et a tenté sans succès d’y remédier. Des enquêtes, menées par les hauts responsables de ce ministère, ainsi que par la commission de l’éducation et de la culture à l’Assemblée nationale et par le comité populaire de Hô Chi Minh-Ville (46), ont suggéré que, pour élever la qualité de l’enseignement dispensé et rétablir l’autorité morale des enseignants, un réajustement de leurs traitements était urgent et nécessaire. D’après le calcul effectué par le comité populaire de Hô Chi Minh-Ville, “les instituteurs toucheraient 677 000 dôngs par mois, et les professeurs secondaires, 933 300 dôngs, si l’Etat lui permettait de consacrer 70 % des recettes perçues sur les frais scolaires fortement augmentés en 1997”, effort que le ministère de l’Education et de la Formation professionnelle n’est pas en mesure de satisfaire. Par ailleurs, ces traitements même réajustés seraient encore bien loin des besoins financiers actuels pour une famille “saigonaise” (composée de 5 membres en moyenne), estimés à 1,4 ou 1,5 millions de dôngs par mois (100 dollars), pour maintenir un niveau de vie décent (47).

e – Un enseignement professionnel encore peu adapté au marché du travail

Les jeunes techniciens diplômés des écoles techniques, ainsi que les ouvriers spécialisés à leur sortie des écoles professionnelles, ont du mal à trouver un emploi pour une raison bien simple : les programmes et les méthodes d’enseignement en usage aussi bien dans les écoles de formation professionnelle que dans les universités ne sont plus adaptés à la société et à l’économie vietnamiennes, aujourd’hui en pleine évolution. Selon les déclarations du ministre de l’Education et de la Formation professionnelle (48), “seulement 2 % des ouvriers fraîchement diplômés possèdent le niveau requis.”, sur les quelque 2 000 techniciens sortis chaque année des écoles techniques de Hô Chi Minh-Ville, pourtant réputées pour le bon niveau de leur enseignement. 60 % d’entre eux seulement trouvent un emploi (49). En 1993, plus de 4 300 jeunes cadres diplômés des universités et des grandes écoles “saigonaises” ont été réduits au chômage (50). Pour leur survie, nombre d’entre eux ont accepté n’importe quel travail. “Ainsi, les médecins se sont transformés en vendeurs de produits chimiques, d’autres, diplômés des universités (bac 4) ont été recrutés comme secrétaires dactylographes, etc.” (51).

Lors d’un colloque tenu en mai 1996 à Hô Chi Minh-Ville sur le thème “Développement des ressources de forces humaines (1996-2000 ) un haut responsable du comité de l’éducation et de la culture à l’Assemblée nationale, a souligné que 10 % seulement des ouvriers travaillant dans les entreprises à Hô Chi Minh-Ville sont diplômés des écoles professionnelles. Le déficit en ouvriers spécialisés concerne aussi bien leur qualité professionnelle que leur nombre ; beaucoup d’entreprises étrangères et locales ont refusé d’examiner d’innombrables demandes d’emploi des jeunes diplômés, ne remplissant pas les conditions requises (52). Le niveau d’étude des écoles professionnelles est inégal. Les étudiants, sortis de la faculté de pédagogie technique ou du collège technique de Cao Thang par exemple, sont recherchés par les entreprises. Par contre, dans les centres d’enseignement professionnel, les connaissances scientifiques des enseignants sont souvent périmées, obsolètes et ne sont plus adaptées aux besoins actuels.

Les difficultés éprouvées par les écoles professionnelles publiques ont poussé les responsables gouvernementaux du système éducatif à y introduire à titre expérimental certaines méthodes d’éducation et de formation professionnelle originaires des pays occidentaux à économie libérale, celles du collège communautaire américain (community college) par exemple. Une faculté de pédagogie technique s’est inspirée du modèle allemand (53). Celle-ci, un centre de formation d’ingénieurs, a coûté à la République fédérale allemande 6 milliards de dôngs (3 millions de dollars) dépensés pour la construction des infrastructures, sans compter les 4 millions de dollars consacrés à payer les biens d’équipement pédagogiques et à subvenir aux autres dépenses pour les matières premières, estimées à 120-130 dollars par étudiant et par an. Ces dépenses onéreuses destinées à former chaque année 64 ingénieurs sont hors de portée financière de l’Etat vietnamien.

II. PROBLEMES ET PERSPECTIVES

L’éducation et la formation professionnelle n’ont pas suivi l’évolution rapide et les besoins de la société qui se sont multipliés depuis que le Vietnam essaye de s’intégrer dans l’économie de marché et de s’ouvrir au monde extérieur. Les travailleurs formés pour d’autres temps ne s’adaptent plus au marché du travail. En conséquence, l’absence de réformes se fait de plus en plus cruellement sentir. Les retarder encore davantage risquerait d’aggraver davantage la crise. Parmi les problèmes que posent l’éducation et la formation professionnelle au gouvernement actuel, certains exigent impérativement des solutions rapides :

1 – Budget et infrastructures

Les objectifs fixés par l’Etat (pour la formation des cadres, des techniciens à tous les niveaux et dans toutes les disciplines) sont fort ambitieux. La mission confiée au ministère de l’Education et de la Formation professionnelle (54) exigeait de lui qu’il forme d’urgence, dans les cinq ans à venir (1996-2000), “des forces de travail susceptibles de répondre aux besoins de la politique d’industrialisation et de modernisation du pays” (sic). Devant les innombrables difficultés, sans cesse grandissantes, rencontrées dans l’accomplissement de sa tâche, le ministre de l’Education et de la Formation professionnelle s’est montré peu optimiste et réservé. En effet, les moyens mis à sa disposition se sont avérés inférieurs aux exigences, incapables d’améliorer les infrastructures délabrées des établissements publics existants (équipements scolaires et universitaires compris), sans parler du manque important d’enseignants, de personnel administratif et de gestion, etc. Le ministre a lui-même reconnu que “le budget consacré à l’éducation et à la formation professionnelle reste encore très limité Son montant représente généralement 6 à 7 % du budget de l’Etat. Exceptionnellement, il s’est élevé à 12 % du budget en 1992-1993 (55), ce qui est encore bien faible en comparaison de ce qui se pratique dans les autres pays membres de l’ASEAN, qui réservent 15 à 20 % de leurs ressources budgétaires à cette tâche (contre 22 à 25 % en France).

En 1996 par exemple (56), le budget de l’Education nationale se montait à 7 120 milliards de dôngs (environ 500 millions de dollars), en augmentation de 6 % par rapport à l’année précédente. Cependant, il faut noter que, dans le même temps, le nombre d’élèves avait progressé de 13 % et le taux d’inflation de 12,7 %. Par ailleurs, pour compenser celui-ci, les traitements des enseignants avaient été révisés à la hausse de 20 %, si bien qu’en fait, le budget, loin d’être en augmentation, s’en est trouvé fortement réduit. De ce point de vue, il n’y a pas eu de progrès sensible en 1997, année durant laquelle le budget consacré à l’éducation et à la formation professionnelle a été porté à 8 000 milliards de dôngs (57).

C’est à cette grave carence d’investissements qu’il faut attribuer la faiblesse des infrastructures des établissements publics et l’insuffisance des travaux d’entretien. Faute de moyens financiers, peu ou pas de travaux importants d’aménagement ont été entrepris (création de gymnases, de bibliothèques, de cours de récréation ou de laboratoires par exemple) pour améliorer les conditions de travail des enseignants ou élever le niveau des élèves. De rares constructions nouvelles ont vu le jour (seulement quelques classes, quelques collèges) (58). En raison du manque d’enseignants et de locaux, les classes sont surchargées d’élèves.

Pour remédier à cette pénurie de locaux, les autorités locales pratiquent le système de classes par roulement : un premier groupe d’élèves suit le cours dans la matinée, un deuxième dans l’après-midi et un troisième dans la soirée, alors que selon les directives du ministère de l’Education, cette pratique aurait dû connaître un terme au plus tard en 1996. Jusqu’à présent, cette situation perdure, et tend à s’aggraver. On compte dans le secondaire 17 000 salles de classe avec trois roulements par jour, un phénomène qui s’étend actuellement dans l’enseignement supérieur, en particulier à Hanoi, où les universités d’Etat, saturées, souffrent du manque d’amphithéâtres.

La pauvreté du budget consacré à l’éducation a des répercussions fâcheuses sur les équipements. Nombre d’écoles, de collèges et de lycées sont dépourvus de bibliothèques, de gymnase, d’infirmerie, etc. Les étudiants ont beaucoup de peine à se procurer les livres, les revues et les publications scientifiques nécessaires à leurs études. La documentation en langue vietnamienne est peu abondante. En langue française ou anglaise, elle est introuvable dans les librairies, et quand elle existe, la consultation est difficile dans les bibliothèques, sous prétexte du “secret d’Etat”. Elle est accessible seulement aux professeurs et aux chercheurs attitrés. Quant aux étudiants, ils devront remplir des formalités administratives interminables. En raison du “repli sur soi”, mené depuis longtemps par Hanoi, et de la pauvreté du budget national, l’Etat vietnamien n’a pas enrichi les bibliothèques et les centres de documentation des universités. Les laboratoires, les salles de travaux pratiques, etc. sont en nombre insuffisant. La plupart des instruments, des appareillages sont démodés, datant souvent de 35 à 40 ans, voire davantage. Ainsi, le directeur de l’école polytechnique de Thu Duc, une des grandes écoles bien connue de la banlieue nord de Hô Chi Minh-Ville, a reconnu que “son établissement est sous-équipé, et que le matériel utilisé actuellement avait été fabriqué en 1958” (59). Le ministère de l’Education et de la Formation professionnelle a consacré 25 milliards de dôngs (soit 1,6 millions de dollars) en 1996, aux équipements scolaires, universitaires et à ceux des écoles professionnelles, 36,5 milliards en 1997, et 45 milliards en 1998, des montants bien modestes, si on considère qu’ils doivent être répartis dans toutes les écoles de formation professionnelle au Vietnam (60).

2 – Inadaptation des programmes à l’évolution de la société

D’après le ministre de l’Education et de la Formation professionnelle (61), 50,5 % de la population vietnamienne sont d’âge actif. Sur ce pourcentage, 87,6 % n’ont reçu aucune formation professionnelle. Toujours selon lui, les ouvriers qualifiés ont été estimés à 2,78 millions, effectif infime en face des 40 millions de travailleurs recensés en 1998. Une enquête, menée par le ministère du Travail, des Combattants invalides et des Affaires sociales, révèle que les ouvriers, ayant suivi une formation, représentent un faible pourcentage, autour de 8 à 12 %. Presque tous les ouvriers des entreprises d’Etat (62) ont appris leur métier sur le tas, selon le principe “des connaissances empiriques, transmises de père en fils”. Mis à part quelques écoles de formation professionnelle bien connues à Hô Chi Minh-Ville, les centres de formation dans tout le pays n’inspirent pas confiance aux entreprises étrangères, pour des raisons multiples (63) :

– Les programmes enseignés sont dépassés, inadaptés aux besoins du nouveau marché du travail, surtout depuis que le Vietnam s’ouvre aux pays non socialistes. Les joint-ventures et les entreprises à capitaux 100 % étrangers, équipées de machines-outils modernes, ont eu des difficultés à recruter des ouvriers qualifiés. La majorité de ces derniers n’ont pu se faire embaucher, faute d’expérience et de connaissances techniques requises par la tâche. Nombre de métiers intéressants, offerts par les entreprises, n’ont pas été sollicités par les demandeurs d’emploi (ajusteurs, ouvriers spécialisés dans les laminoirs d’acier automatiques, ingénieurs métallurgistes, etc.). Ces derniers, après leur formation, devront se perfectionner à l’étranger en faisant un stage au Japon par exemple, avant d’exercer leur profession dans les entreprises étrangères qui les ont embauchés au Vietnam.

“Outre les programmes de formation et les équipements démodés, et les infrastructures pauvres, les compétences des enseignants techniques laissent à désirer ont affirmé de hauts responsables du ministère de l’Education et de la formation professionnelle (64). Les ouvriers ainsi formés ont en général un bas niveau de connaissances techniques, ne répondant pas aux exigences des entreprises. Celles-ci exigent en outre 3 à 5 ans d’expérience dans le métier. Aussi, les ouvriers spécialisés, fraîchement diplômés, ont-ils peu de chance de trouver un emploi conforme à leur formation. Ils sont souvent réduits au chômage, alors que les zones économiques spéciales, implantées à proximité de grosses agglomérations, ont beaucoup de difficultés à trouver suffisamment d’ouvriers spécialisés et qualifiés. Il en est de même des techniciens, des cadres moyens et supérieurs.

3 – Pénurie aiguë d’enseignants

Les professeurs d’université vietnamiens sont aujourd’hui en nombre insuffisant, une pénurie qui s’est encore accentuée durant la décennie 1990, surtout depuis que l’Etat a autorisé la création des universités et des écoles supérieures “fondées par le peuple”. Parmi celles-ci, Van Lang (à Hô Chi Minh-Ville) et Dông Dô (à Hanoi) ont chacune plus de 10 000 étudiants. Les autres universités privées accueillent par établissement autour de 3 000 à 5 000 élèves. Vingt et une disciplines y sont enseignées. Cependant, trois d’entre elles attirent beaucoup d’étudiants (65) :

– L’informatique,

– Les langues étrangères (surtout l’anglais),

– La gestion des entreprises (sauf l’université Van Lang).

D’après les hauts responsables du ministère de l’Education et de la Formation professionnelle, on compte environ 3 000 enseignants universitaires dans le secteur privé (70 % proviennent des universités d’Etat où ils enseignent aussi tandis que 30 % consacrent leur enseignement au seul secteur privé). Les professeurs de certaines disciplines (économie, finance, droit, gestion, etc.) sont très demandés. Beaucoup d’entre eux, diplômés dans les pays d’Europe à économie libérale (France, Angleterre, Suisse) ou en Amérique du Nord (Etats-Unis, Canada), sont des enseignants de valeur. Certains (66), très sollicités par les universités privées, dispensent près de 1 000 heures de cours par an.

La création des universités privées donne aux enseignants l’opportunité d’améliorer leur niveau de vie. Les cours supplémentaires leur apportent des ressources financières assez appréciables, leur permettant d’arrondir leurs fins de mois. D’après nos enquêtes (68), un professeur titulaire gagne en moyenne 60 000 dôngs par heure de cours d’économie ou de droit dans le secteur privé (4,5 dollars), et un “vice-docteur”, la moitié. A cause de la surcharge du travail nécessitée par la survie de la famille, les enseignants universitaires n’ont plus le temps d’actualiser ou de renouveler leurs cours ou de faire des recherches.

Cependant, selon le ministre de l’Education et de la Formation, de 60 à 70 % des membres du corps enseignant ne jouissent pas du niveau académique requis ; 12,9 % d’entre eux seulement ont obtenu un doctorat ou le titre de “vice-docteur”, délivré par l’ex-URSS (à peu près équivalent du DEA de l’enseignement français). Dans un de ses discours (67), le secrétaire général du PCV formulait le vou que ce pourcentage soit porté à 30 %.

Pour éviter les classes surchargées d’élèves et faire face à une pénurie aiguë d’enseignants primaires et secondaires, le ministère de l’Education et de la Formation professionnelle a pris plusieurs décisions importantes :

– Nouvelle embauche des instituteurs retraités ou démissionnaires sous forme de contrats (avec des primes substantielles), au cas où ils s’engagent à travailler dans les zones rurales ou dans les régions reculées.

– Formation accélérée des instituteurs. Fraîchement diplômés du Brevet d’études du premier cycle (BEPC), les jeunes sont recrutés, et après leur formation accélérée, ils sont aussitôt affectés dans les postes vacants. “Cette solution ne semble pas être la bonne ont reconnu les hauts responsables de l’éducation. Cependant, “faute de mieux, on n’a pu faire autrement” (69). En raison de la pauvreté du budget, l’Etat vietnamien est dans l’impossibilité d’élever le niveau des élèves, et en même temps, de développer et créer de nouveaux établissements scolaires.

D’autres facteurs contribuent également à la baisse généralisée du niveau académique des élèves et étudiants.

– “Critères” pour le recrutement. La référence aux “critères de classe” pour le recrutement (70) dans le secondaire, dans les écoles professionnelles et supérieures, dans les universités, etc., persiste. Cependant, elle se fait de plus en plus discrète et la note, exigée désormais pour l’admission des candidats “privilégiés”, est fixée de 1 à 3 points inférieurs à la note normale (au lieu de 8 points auparavant). Ils garderont “leurs privilèges” tout au long de leur cursus scolaire, à chaque examen ou à chaque contrôle.

– Suppression du concours d’entrée en classe de 10e (équivalente à la classe de seconde de l’enseignement français). Depuis la rentrée scolaire 1998-1999, le concours d’entrée en classe de 10e a été supprimé, en vertu de la décision n° 3480/QDGDDT du 1-11-1997. Cependant, l’examen du BEPC demeure toujours obligatoire, et la note des candidats sera examinée pour le recrutement dans le secondaire du 2e cycle.

– Les cours de marxisme-léninisme sont obligatoires pour toutes les formations. “L’éducation doit être axée sur le marxisme-léninisme et les pensées de Hô Chi Minh”, affirmait encore la résolution du 4e plénum (7e congrès), en janvier 1993. Aujourd’hui, ces cours, dispensés une fois par semaine, ne passionnent guère les élèves et les étudiants. Les professeurs, affectés à cet enseignement, se posent la question du contenu de leurs cours. Ils répugnent à répéter les anciens dogmes, mais ne savent pas par quoi les remplacer. Dans les universités privées (72), leurs cours sont strictement contrôlés et enregistrés sur bandes audio. Les professeurs sont parfois rappelés à l’ordre, voire “remerciés” par le doyen, s’ils se montrent critiques ou s’ils font par excès de zèle des louanges excessives sur les dogmes marxistes-léninistes. Les étudiants, de leur côté, s’intéressent de moins en moins à cette matière. Pour les forcer à suivre les cours, l’épreuve de marxisme-léninisme à la fin de l’année reste aujourd’hui déterminante, avec sa note éliminatoire fixée à quatre sur dix, comme auparavant.

4 – Excédent de cadres, pénurie d’ouvriers spécialisés

Au cours de ces dernières années, les étudiants, diplômés des universités et des écoles supérieures, ont été de 2 à 3 fois plus nombreux que les élèves sortis des écoles professionnelles.

– Pour l’année universitaire 1995-1996 par exemple (73), 88 300 cadres et techniciens ont été formés contre 39 100 ouvriers diplômés des écoles et des centres de formation professionnelle. Pour l’année universitaire 1996-1997, ils ont été respectivement 91 200 et 40 400 diplômés.

Pour éviter cette formation excédentaire de cadres et de techniciens et maintenir leur niveau académique, le ministère de l’Education et de la Formation professionnelle a décidé, dès la rentrée universitaire 1999-2000, de réduire le nombre d’étudiants recrutés dans les universités d’Etat et dans certaines universités privées (sections d’économie et de droit).

La pénurie des ouvriers spécialisés s’explique aisément. La plupart des élèves, issus de familles pauvres, doivent mettre fin à leur cursus scolaire très tôt. Cependant, compte tenu des frais d’études excessifs, ils ne peuvent accéder aux écoles professionnelles, avant de faire leur entrée dans la vie active, ce qui explique le faible nombre d’ouvriers spécialisés formés chaque année, ainsi que la forte pénurie d’ouvriers qualifiés des entreprises. Cette situation ira en s’aggravant dans un proche avenir, si l’Etat ne change pas de politique éducative en leur faveur. Des bourses de formation professionnelle devraient leur être accordées, ainsi que la gratuité des frais scolaires, comme cela a déjà été fait pour les étudiants des écoles supérieures de pédagogie et des facultés de pédagogie (74).

Selon l’objectif qui avait été fixé par le 2e plénum du 8e congrès en décembre 1996, consacré à la formation, l’Etat vietnamien devait former d’urgence 4,5 millions d’ouvriers qualifiés dans les trois années à venir (75). Leur pourcentage devait être de 12-13 % en 1998 et s’élever à 22-25 % en 2000. Or, le nombre d’ouvriers diplômés sortant des établissements scolaires n’a pas excédé 50 000 par an. Bien plus, les écoles professionnelles ont eu tendance à réduire leurs activités. Nombre d’entre elles ont été supprimées, en raison de la vétusté des infrastructures, des équipements, et surtout faute d’enseignants compétents, de moyens financiers et d’élèves. Le nombre des écoles professionnelles qui était de 366 au début de la décennie 1990, a été ramené à 139 seulement en 1999. Quinze provinces n’ont aucun centre de formation professionnelle (76). Les jeunes (paysans pour la plupart), qui abandonnent massivement leurs études primaires et secondaires, ne peuvent y accéder pour des raisons pécuniaires. De surcroît, une fois diplômés, la majorité d’entre eux auront peu de chance de trouver un emploi, étant donné que leur formation ne répond pas au profil exigé par les entreprises. L’objectif fixé par le deuxième plenum du huitième congrès, mentionné ci-dessus, plus qu’ambitieux, ne pourrait être réalisé qu’avec l’aide économique et technique des organisations financières internationales (Banque mondiale, FMI, Banque de développement agricole, etc.), seules capables d’investir pour moderniser les infrastructures et les équipements existants, pour les adapter à la conjoncture économique actuelle.

CONCLUSION

La gravité de la crise actuelle de l’éducation tient surtout à la lenteur des réformes. Certaines initiatives et certaines mesures prises pour améliorer l’enseignement secondaire et supérieur, vont dans le bon sens. On peut citer, par exemple, la division du secondaire en trois sections A (sciences naturelles), B (sciences naturelles et techniques), et C (sciences humaines) ou encore la création des écoles et des universités “libres”. En réalité, cette division des études existait déjà au Sud-Vietnam, avant 1975. Il faut cependant faire remarquer que, jusqu’à présent, la première de ces deux réformes n’a été réalisée qu’à titre expérimental, pour mieux guider les élèves et les étudiants dans leurs études, et les orienter dans leur choix professionnel. Elle n’a pu être généralisée à l’ensemble du pays, faute de personnel compétent et de moyens financiers. La rénovation des infrastructures et la modernisation des équipements, supports de cette réforme, exigent de lourds investissements, ainsi que le renouvellement des manuels scolaires.

La création des écoles privées concerne essentiellement les jardins d’enfants (3 à 4 ans), les maternelles (4 à 5 ans), et les écoles professionnelles. Elles s’appliquent à titre expérimental à l’enseignement primaire et secondaire dans certaines grandes villes (comme Hô Chi Minh-Ville). Hanoi se montre réticent, voire défavorable au développement de ce dernier type d’écoles libres, qui risquerait d’échapper à son contrôle, à la différence des écoles semi-publiques bien “encadrées”, puisque, généralement, le directeur et le proviseur sont choisis parmi les enseignants des établissements publics, membres du parti communiste vietnamien. La même politique a été adoptée concernant les écoles professionnelles et les universités “fondées par le peuple”. Le directeur et le président du conseil de gestion universitaire (board en anglais), composé essentiellement de cadres du Parti, sont nommés parmi les enseignants des universités d’Etat.

En réalité, les réformes universitaires dans le secteur privé sont à peine commencées. Elles se sont d’ailleurs limitées à certaines facultés (sciences économiques, droit, gestion, informatique), liées à l’introduction de l’économie de marché. Créées depuis 1994, ces facultés ont pour mission de fournir d’urgence des cadres, des techniciens et des ouvriers spécialisés aux joint-ventures et aux entreprises à capitaux totalement étrangers.

Certaines marques de l’idéologie ancienne ont été assouplies (comme les “critères” pour le recrutement des candidats “privilégiés” par exemple) ou purement supprimées (comme le principe du socialisme sur la gratuité des études par exemple). Cependant, le transfert de ces charges aux parents, accompagné d’une augmentation excessive des frais scolaires, a été une grave erreur. Il s’est traduit par une désertion scolaire sans précédent des élèves et des étudiants originaires des familles paysannes et des masses populaires urbaines.

Mis à part quelques réformes peu importantes, rien n’a été fait de sérieux pour adapter l’éducation et la formation professionnelle à l’évolution de la société actuelle. Malgré la création des écoles professionnelles et des universités “libres”, le nombre d’étudiants reste quasi stationnaire, oscillant autour de 130 000. Pendant ce temps, la population n’a cessé de progresser de 1,4 à 1,5 millions d’habitants par an. Le chômage sévit à la ville comme à la campagne. La pression démographique et l’exode rural se poursuivent, faisant gonfler démesurément les grosses agglomérations (78). Pourtant, les ingénieurs et les ouvriers spécialisés dans les industries de pointe font défaut. Les dirigeants des plus hautes instances du Parti et de l’Etat, prisonniers de leur dogmatisme intransigeant, s’opposent énergiquement à tout changement radical de structures politiques et économiques, touchant à l’idéologie marxiste-léniniste et risquant de déstabiliser le régime et de précipiter ainsi leur chute. Selon le ministre de l’Education, “des mesures de réformes se sont heurtées à l’opposition des forces hostiles au renouveau”.

Ainsi, comme les réformes économiques, celles de l’éducation et de la formation professionnelle ne sont que des “demi-mesures”, l’essentiel du système éducatif du socialisme demeurant préservé. Les dirigeants vietnamiens sont désormais mis au pied du mur : changer ou périr. Ils ne pourraient se dispenser longtemps d’introduire les changements nécessaires dans les écoles et les universités. L’expérience récente a démontré que les “demi-mesures”, appliquées dans les réformes économiques, ont découragé les investisseurs étrangers et se sont soldées par des échecs. Depuis la crise asiatique de 1997, ceux-ci ont réduit leurs activités, rapatrié leurs capitaux et se sont retirés progressivement du Vietnam. Ces progrès économiques ne pourraient être repris que si Hanoi poussait encore plus loin ses réformes. Certains changements politiques fondamentaux sont nécessaires et impératifs. Ils permettront de réformer l’économie, l’éducation et la formation professionnelle. Le décollage économique ne pourra se faire sans spécialistes et techniciens compétents en nombre suffisant.