Eglises d'Asie

LE P. CHÂN TIN MIS EN ACCUSATION DEVANT UN TRIBUNAL POPULAIRE

Publié le 18/03/2010




Saigon, le 13 mars 2000

Le 13 mars 2000, une séance de tribunal populaire appelée pour la circonstance Réunion du Peuple » (cuôc hop nhân dân) a été organisée de 7 h 30 à 10 h. Y participaient une cinquantaine de personnes choisies très soigneusement parmi lesquelles un certain nombre de fidèles A l’exception des divers responsables administratifs (la présidente du 9e quartier du 3e arrondissement, le secrétaire de la section du district, etc.), tous les autres participants avaient été invités.

Etait aussi présent Ba Phuong, de la Sécurité urbaine, chargé des religions.

Au début de cette séance de tribunal populaire, Mme Nguyên Thi Liêm, présidente du 9e quartier, a lu l’acte d’accusation de la Sécurité urbaine. Celui-ci attribuait au P. Chân Tin les quatre crimes suivants :

1 – Le P. Chân Tin a abusé de la bonne foi d’un représentant du caodaïsme, personne très âgée à la vue déficiente, et l’a trompé en lui faisant signer l’appel des religions sur la liberté religieuse au Vietnam (1). Le texte présenté à ce représentant par Chân Tin qui lui demandait de le signer, avait rapport à la restitution de terrains et n’avait pas de contenu politique.

2 – Le P. Chân Tin est accusé d’activité réactionnaire (l’expression réactionnaire au plus haut point » est employée de nombreuses fois dans l’acte d’accusation). En effet, Chân Tin a exigé que soit retiré de la Constitution de la République socialiste du Vietnam son article 4, c’est-à-dire que soit abandonné le rôle dirigeant du Parti communiste vietnamien à l’égard du pays. Ainsi, Chân Tin a refusé de reconnaître les immenses mérites que le Parti s’est acquis à l’égard du pays et du peuple du Vietnam.

3 – Il est accusé d’avoir créé la division entre l’Etat et les religions. Chân Tin a montré sa connivence avec les éléments réactionnaires des milieux religieux ; il a accompli des activités illégales, en imprimant et en diffusant des documents sous diverses formes, particulièrement en diffusant des documents concernant diverses religions sur le réseau internet, sans l’accord des religions intéressées.

4 – Il est accusé de désobéissance à l’égard des évêques du Vietnam En signant l’appel des religions, il a considéré qu’il avait le pouvoir de représenter les évêques du Vietnam. Il a agi en désaccord avec ce que la lettre commune de la Conférence épiscopale de 1980 a décidé, à savoir que les catholiques doivent vivre au sein du peuple 

Après la lecture de l’acte d’accusation de la Sécurité par la présidente, un certain nombre de participants ont donné leur avis. Quatorze se sont exprimés. Le premier d’entre eux a été le président du Front patriotique du 9e quartier du 3e arrondissement. Il s’appelle M. Tay. La plupart d’entre eux ont considéré l’acte d’accusation comme une décision judiciaire chargeant le P. Chân Tin des fautes citées ci-dessus. Ils ont proposé :

– ou bien d’entamer une instruction en responsa-bilité pénale ;

– ou bien de soumettre l’intéressé à une rééducation sur place pendant une période donnée pour qu’il prenne conscience de ses crimes ;

– de mettre en valeur le caractère raisonnable conforme à la raison et au sentiment du comportement du pouvoir : il n’a pas voulu faire preuve de sévérité à l’égard du P. Chân Tin.

Une personne, qui s’appelle Thân (?), a commencé ainsi son témoignage : Je suis très étonné en entendant mentionner les crimes au plus haut point réactionnaires de Chân Tin à travers l’acte d’accusation Mais, tout de suite après, il a sorti de sa poche les trois pages d’un texte rédigé à l’avance. Ainsi, ce n’est pas au tribunal qu’il avait pris connaissance des crimes de Chân Tin. Ceux-ci n’avaient pas été une surprise pour lui. Il y eut aussi l’intervention d’un fidèle » nommé Toi, invité, lui aussi, à s’exprimer. Il s’est contenté de répéter l’acte d’accusation en le diluant quelque peu.

Dans un certain nombre d’interventions, on a souligné que si le P. Chân Tin ne s’était pas présenté à cette réunion du peuple, c’est par peur. Il n’avait pas osé venir à cause de ses crimes.

Le supérieur religieux du P. Chân Tin, le P. Pham Huy Lam, avait aussi été invité à s’exprimer. Voici le texte de son intervention, la dixième ou la onzième :

Madame la présidente, mesdames, messieurs,

Certains ont affirmé que c’est par crainte et par couardise que le P. Chân Tin ne s’est pas présenté à cette réunion. C’est pourquoi, Mme la présidente, je me permets de vous demander : Avezvous invité le P. Chân Tin à venir à cette réunion ?J’ai interrogé le P. Chân Tin à ce sujet et il m’a répondu qu’il n’avait reçu aucune invitation (quelque temps plus tard, la présidente a confirmé qu’elle ne l’avait pas invité). S’il n’était pas invité, il était tout naturel qu’il ne vienne pas.

Je propose que le P. Chân Tin soit traduit devant le tribunal pour y être jugé des inculpations que l’on vient de mentionner dans la notification envoyée aux autorités. Celleci servira de base au procureur. Le P. Chân Tin a le droit d’être défendu par un avocat. Mais tant qu’il n’y a pas de décision du tribunal, les suspects ne peuvent être considérés comme coupables de crime (et nous n’avons pas le droit de les condamner à ceci ou à cela). Je me suis entretenu avec le P. Chân Tin qui m’a dit ceci : Je ne suis l’esclave d’aucun régime. Je ne lutte que pour la justice et les droits de l’homme. Sous l’ancien régime, je me suis battu contre l’injustice et j’ai été condamné à cinq ans de détention. Sous le régime actuel, lorsque je constate une violation des droits de l’homme, je m’y oppose’.

Certains ont proposé que la congrégation des rédemptoristes prenne des mesures contre le P. Chân Tin. Je me permets d’apporter la précision suivante : sur le plan des opinions politiques, sous n’importe quel régime, nous nous sommes toujours ainsi comportés : notre congrégation considère ses membres comme des adultes, responsables des actions menées par eux et des paroles qu’ils prononcent. Si l’Etat pense que tel ou tel individu a violé la loi, qu’il le juge en fonction de la loi»

En conclusion de ce jugement populaire, la présidente a résumé les débats et proposé deux façons de régler le problème :

1 – poursuivre l’intéressé en justice ;

2 – entreprendre sa rééducation sur place, les autorités civiles locales se chargeant de le surveiller et la congrégation des rédemptoristes étant respon-sable de son éducation.

La majorité des participants était favorable à la seconde solution. Seul le père supérieur de la communauté rédemptoriste s’y est catégoriquement opposé. A ceux qui disaient que cette dernière solution était conforme au bon sens, il a répliqué qu’il s’agissait là d’un bon sens dévoyé.

La session du tribunal populaire s’est achevée à 10 heures. Le P. Pham Huy Lam a continué sa conversation avec la présidente et avec le secrétaire de section dans la cour du Comité populaire. Il a soutenu devant eux qu’il fallait traduire le P. Chân Tin devant le tribunal qui devait statuer d’abord, avant qu’une décision soit prise contre lui sur le plan pénal, administratif ou religieux. Les propos du religieux ont fait branler la tête du secrétaire et cligner des yeux la présidente, mais ne leur ont pas arraché de réponse. Ils avaient déjà, au cours de la réunion, récité la leçon apprise par cour au préalable.