Eglises d'Asie

QUELLE MISSION AU TROISIÈME MILLÉNAIRE ?

Publié le 18/03/2010




Un tout petit groupe de 44 chrétiens actifs, comprenant des théologiens, des sociologues et des laïcs engagés, s’est réuni à Pune, en Inde, à l’invitation de Ishvani Kendra, pour un séminaire de recherche intitulé “Quelle mission au troisième millénaire ?”. Le groupe a passé quatre jours à l’Institut national de missiologie, du 9 au 12 mars 2000, quatre jours passés à réfléchir aux différents aspects de la mission chrétienne. L’objet de cette rencontre était de proposer une vision de la mission qui soit adaptée aux défis que posent les réalités contemporaines de la vie dans notre pays. Cette vision s’est faite jour peu à peu, aux différents moments de ce séminaire, au gré des interventions, des orateurs, des interactions entre l’auditeur du moment et son audience, des discussions en petits comités et finalement des échanges entre tous. Le texte ci-dessous voudrait rendre l’essence des délibérations de l’assemblée et, par conséquent, présenter les principaux éléments d’une vision de la mission pour l’ère qui naît.

Préambule

Ces dernières années, le thème de la mission a été au centre d’une réflexion intense et de débats animés aussi bien à l’intérieur de l’Eglise que dans les médias et les cercles politiques de notre pays. Sans surprise, les prises de position de ces derniers à propos de la mission sont liées aux expériences douloureuses associées à la période coloniale, avec le pillage des cultures, le viol de lieux sacrés et, dans certains cas, l’usage de la puissance militaire et économique pour assurer la croissance numérique de la communauté chrétienne. Tout ceci constitue une mémoire douloureuse du passé que nous regrettons aujourd’hui et pour laquelle nous tous, chrétiens, devrions être ouverts à la repentance et nous montrer prêts à demander pardon.

D’un autre côté, l’enseignement officiel de l’Eglise continue d’être exprimé dans un langage et sur un ton qui sont perçus par beaucoup de nos concitoyens comme porteurs de relents d’impérialisme et comme offensifs étant donné le nouveau contexte démocratique et une compréhension de soi mise en valeur de la plupart des religions. Nous nous sentons abattus quand nous réalisons que notre langage catéchétique heurte les sentiments de beaucoup de nos frères et sours qui ne sont pas seulement nos concitoyens mais aussi nos amis.

En tant que membres d’une communauté nationale, nous, chrétiens, ne nourrissons aucun dessein agressif envers les adeptes des autres traditions religieuses. Au contraire, nous cherchons à être enrichis par les valeurs culturelles et religieuses des communautés avec lesquelles nous sommes en contact. Nous faisons aussi l’expérience de l’appel de Dieu à poursuivre la tâche que Jésus nous a confiée et nous dédier à travailler pour améliorer la vie en nous-mêmes et chez les autres. Notre propos, à travers ce séminaire de recherche, a été de chercher de nouvelles voies afin de comprendre la mission dans le contexte particulier qui est celui de notre pays et de formuler plus explicitement ce qu’une grande partie de l’Eglise en Inde vit et pratique aujourd’hui. Nous ne prétendons pas donner une définition nouvelle et exhaustive de tous les aspects de la mission mais nous voulons trouver un langage neuf et un style nouveau pour parler de notre mission, un langage et un style qui nous paraissent plus respectueux des sensibilités et des expériences religieuses de nos concitoyens, tout en étant fidèle à l’exemple que nous a donné Jésus.

I. Le défi posé par le contexte indien

Nous avons commencé nos recherches en partant de notre contexte. De notre terre, avec ses traditions d’harmonie, de spiritualité, de démocratie, parviennent des contre-signaux de division, de fondamentalisme et de communautarisme. Cela nous fait prendre conscience que notre pays est en proie à de nombreux conflits gênants. Depuis des temps reculés, la légitimation du système des castes a transformé l’Inde en une terre des inégaux. La contradiction que nous constatons entre une égalité politique fondée sur le droit de vote universel d’une part, et l’inégalité sociale et économi-que qui est le lot de plus de 80 % de la population indienne d’autre part, est une des causes de notre malaise actuel.

L’émergence de mouvements subalternes, des dalits, des aborigènes, des femmes et des autres basses castes menace la stabilité des structures socio-économiques indiennes. L’inégalité que celles-ci imposent aux pauvres et aux marginalisés, si elle reste tel quel, peut faire imploser le cadre même de notre vie politique démocratique. Le problème particulier des groupes subalternes en Inde est que leur rang dans la société est déterminé par la naissance, ce qui rend presque impossible toute amélioration de leur statut social, éducatif, culturel, religieux, psychologique, politique et économique.

Le bourbier politique dans lequel nous nous trouvons est proprement déprimant. Certains subtils changements prennent place sur la scène nationale et peuvent être résumés de la façon suivante : a) un glissement idéologique du centre vers la droite ; b) un glissement du pouvoir du Centre vers les régions ; et c) un glissement en direction des groupes subalternes. Avec le temps, ces changements vont s’accentuer et vont finir par exercer une influence considérable sur les lignes de force qui façonnent la vie politique en Inde. Le rôle des régions et des groupes subalternes va devenir de plus en plus crucial.

La marche sans frein vers la mondialisation élargit le fossé entre les riches et les pauvres à un rythme inconnu jusqu’alors et, par l’accélération qu’elle entraîne de l’exploitation aveugle des ressources limitées de la planète, elle est la cause de profonds dommages infligés au fragile écosystème de notre globe. L’impact des moyens de communications et des médias sur la vie de tous les jours et le dictat croissant des technologies de l’information sur la société entraînent des changements rapides dans nos systèmes de valeurs, des valeurs qui étaient pensées hier encore comme immuables.

Le pluralisme religieux et la tolérance religieuse, tellement caractéristiques de notre nation dans le passé, sont ainsi en danger. Aujourd’hui c’est à une situation de ‘religions en conflit’ que nous sommes confrontés. Ces conflits ne proviennent pas seulement de facteurs théologiques mais de facteurs socio-politiques, avec quatre importantes racines : a) la religion en tant que source d’identité se trouve très liée à la culture et peut se retrouver renforcée par l’identité ethnique ; b) le fondamentalisme défensif dans la tradition de toutes les croyances qui conduisent à l’exclusif ; c) le collectivisme qui utilise la religion comme un outil politique montre sa face hideuse dans la plupart des groupes religieux, conduisant à stigmatiser l’autre comme un ennemi ; et (d) les souvenirs blessant d’un passé amer, associé à la domination et parfois même à la persécution, qui continuent de brûler dans les cours des groupes religieux. L’amalgame de ces facteurs conduit fréquemment les gens à établir des “systèmes d’émeute institutionnalisés” comme on peut en trouver en Gujarat, Orissa, Uttar Pradesh, et ailleurs.

La vie chrétienne, née de l’Esprit, commence dans de petites communautés qui portent témoignage de la vie et de la mission de Jésus-Christ. L’Eglise est devenue de nos jours une énorme institution et aussi, dans un certain sens – dommageable -, un obstacle à sa mission essentielle. Deux causes majeures ont été responsables de ce déclin de la vie chrétienne : l’institutionnalisation excessive de la commu-nauté des croyants et son identification au monde occidental.

L’institutionnalisation rapporte dans son rêve de gouverner efficacement une discipline enviable, des doctrines bien claires, et un système liturgique impeccable. Mais alors, le résultat est que l’orthodoxie devient plus importante que la vie chrétienne authentique et vitale pour l’identité collective de la communauté. Les chrétiens pratiquants sont ‘sacramentalisés’ mais pas toujours évangélisés. Les structures administratives de l’Eglise, avec leur insistance croissante pour la centralisation, ne laissent guère de place à l’Eglise locale pour les prises de décisions et aux chrétiens pour l’exercice de leurs charismes donnés par Dieu. Le fléau de l’institutionnalisation et le caractère exclusivement masculin de la prêtrise ont conduit à un fossé grandissant entre le clergé et les laïcs, et la mise à l’écart des femmes dans la vie de l’Eglise, entraînant leur sous-estimation.

L’image de l’Eglise en Inde est toujours très occidentale. Son association avec la conquête coloniale, la domination, l’exploitation ainsi que son échec pour s’insérer dans la culture et la tradition du pays, freinent nos efforts pour entamer un dialogue crédible avec les gens de notre terre, avec leurs identités culturelles et religieuses.

Tous ces facteurs énoncés ci-dessus appellent à un nouveau paradigme pour la mission.

II. Vers une mutation du paradigme

La plupart du temps nous avons étudié la missiologie vue d’une perspective de l’histoire des missions ou de cette “mission universelle” qu’on peut trouver dans la version de Matthieu (Mt 28,18-22) avec une interprétation étroite, comme un appel à baptiser tout le monde. Dans le passé, la mission était dans son ensemble concernée par le ‘salut des âmes’. Aujourd’hui, nous réalisons que le bienfait de toute la création est l’objet de la mission chrétienne. Ce n’est pas un projet pour la construction de l’arche de Noé afin de sauver les chrétiens du reste des damnés. Au contraire, l’Eglise est comme le levain fait pour faciliter la transformation du monde.

En lisant les signes des temps, nous observons la mission, le monde, les autres religions et le reste de l’humanité avec un nouveau regard. L’expérience de notre monde moderne et complexe ainsi qu’une nouvelle compréhension de la révélation et du salut, nous amènent en fait à un nouveau paradigme. Cela signifie que l’expérience de l’action de l’Esprit dans le monde non seulement fixe l’agenda dans la mission de l’Eglise, mais nous rend aussi capables de comprendre la mission elle-même d’une nouvelle manière.

En fonction de ce nouveau paradigme, la création elle-même devient une communication venant de Dieu, qui par sa Parole et par l’Esprit s’adresse au monde entier par divers moyens, en divers moments et à travers les différentes religions. Cette permanente rencontre entre le divin et l’humain est salvatrice. Cependant, le dessein de Dieu ne s’arrête pas à sauver les âmes individuelles, mais veut rassembler toute chose sur la terre et au ciel. Dieu réalise ce dessein à travers diverses étapes du temps et divers prophètes. Jésus, le Verbe incarné, a un rôle spécifique dans cette histoire du salut ; et la mission de Jésus est au service de la mission de Dieu. Elle ne la remplace pas. Elle collabore aux autres manifestations divines dans d’autres religions vu que la mission de Dieu avance vers son accomplissement eschatologique. En tant que disciples de Jésus, nous devons être les témoins du Abba et de son royaume de fraternité et de liberté, d’amour et de justice. Le cadre ‘préparation-accomplissement’ qui lie le judaïsme à la chrétienté ne peut pas être projeté aux autres religions.

Par exemple pour nous en Inde, une des principales tâches de la mission est d’être les agents d’une permanente réconciliation universelle. L’Eglise n’est pas seule au monde et peut trouver des alliés dans ce but plutôt que des ennemis, dans les croyants d’autres traditions religieuses et auprès des personnes de bonne volonté.

Tant que Dieu reste actif dans ce monde, notre mission ne consiste pas à donner uniquement mais aussi à découvrir et reconnaître la présence de Dieu chez les autres et à recevoir sa révélation diversifiée.

Pour nous chrétiens, être la lumière du monde doit prendre la forme d’une vraie communauté, avec le dépassement des dissensions internes, la résolution des conflits résultant des considérations trop étroites des rites, des castes et des statuts entre majorité/minorité. Nous devons redéfinir nos frontières ecclésiales et reconnaître les divers chemins pour devenir chrétiens dans le monde.

III. Les caractéristiques de la mission

Cette nouvelle vision de la mission est ainsi marquée par la mutation de ce paradigme signalée ci-dessus. Dans le bref exposé qui suit, nous présentons quelques caractéristiques saillantes de cette nouvelle compréhension sans avoir la prétention néanmoins d’en donner une liste complète.

Le dialogue doit être une façon de vivre pour un chrétien dans toutes ses activités et ses relations. Les autres croyants ne sont pas adversaires mais partenaires dans la mission. Cette mission chrétienne s’effectue dans la solidarité et non dans l’isolement. Le dialogue est sa méthode et la méthode elle-même est le message. Ce dialogue a besoin d’être accompagné par une action commune, ce qui est la meilleure façon de créer une nouvelle mentalité. C’est seulement à travers un engagement partagé à la cause de la justice que nous nous découvrirons comme des frères et sours. Dans la mesure où nous sommes engagés dans une telle responsabilité commune, dans la même mesure notre mission sera effective.

Nécessairement la mission a un coté prophétique. Mais ce coté prophétique ne se montre pas dans une confrontation avec d’autres religions ou avec leurs adeptes mais en lien avec les forces du mal personnelles et structurelles qui empêchent la croissance et font échouer l’accomplissement du dessein divin pour tous. De telles forces négatives que nous devons combattre tous unis, sont toutes les formes d’individualisme et d’égoïsme qui se manifestent, complètement insensibles au bien commun et au bien de l’autre, dans les approches façonnées par le désir aveugle pour le profit de quelques uns plutôt que par le souci d’une distribution équitable des biens de la terre. La force de la mission sera proportionnée à la force du défi prophétique que nous sommes capables de poser aux autres et aux structures de Satan et Mammon. Nous ne pouvons pas sous-estimer le combat engagé dans le service de la loi de Dieu. Si la mission est une tâche prophétique et si elle doit s’exercer en collaboration avec les autres, cela veut dire que l’appel à cette tâche s’adresse à tous ceux qui participent à la mission divine.

La croissance de toute la famille humaine demande un engagement particulier envers les sections les plus faibles et opprimées de la société. La résistance prophétique doit inclure comme premier objectif d’aménager un juste espace dans la communauté nationale pour les femmes, les dalits, les aborigènes, et les autres groupes désavantagés. C’est par cette option que se caractérise la mission.

Nous sommes conscients qu’aujourd’hui les femmes forment le groupe le plus défavorisé parmi les sections les plus désavantagées de la société et de l’Eglise. Une attention plus prévoyante portée sur la face féminine du divin et un accent pour souligner le sens d’appartenance à la Terre Mère, sont des moyens pour lutter contre la marginalisation des femmes. Ceci devrait aider le processus de restauration de la dignité des femmes et ouvrir la voie pour les habiliter à devenir des partenaires égaux avec les hommes dans la recherche d’un monde renouvelé.

Cela veut dire que nous nous opposons à toutes les tendances d’un nationalisme culturel et de l’intolérance au pluralisme, à la riche variété de notre pays que les protagonistes d’un inadmissible monoculturalisme cherchent à effacer. En même temps nous devons résister à la tentation de former des blocs quasi politiques avec les minorités pour faire face aux menaces des tendances hégémoniques. Alors que nous nous engageons au service de tous les groupes désavantagés, nous affirmons que notre mission n’est pas directement contre une communauté particulière dans notre pays, mais qu’elle tend vers l’établissement d’une société juste et égale pour tous.

La tâche d’être les messagers de paix nous est confiée par Jésus (Mt 5,9). Une des priorités de notre engagement missionnaire sera d’acquérir le savoir-faire nécessaire pour résoudre les conflits, spécialement dans les zones sujettes à la violence religieuse ou ethnique. Nous devons analyser les causes réelles des conflits, garder un intérêt soutenu dans la restauration de la justice partout où elle est bafouée, créer les rites appropriés pour la réconciliation et la guérison des anciennes cicatrices, et d’établir partout où c’est nécessaire des cellules de paix multi-culturelles et multi-ethniques, là où des conflits ont des chances d’éclater.

Notre mission s’exerce à l’intérieur des limites de l’histoire et s’exprime dans un cadre géographique concret. Cependant elle demeure toujours ouverte au règne eschatologique de Dieu, à la plénitude de vie à laquelle tout individu est invité. La mission aujourd’hui doit infuser l’espoir dans chacun de nous non seulement pour un niveau matériel de prospérité plus élevé, mais aussi pour des relations plus enrichissantes entre les personnes et les communautés. Cela doit avant tout engendrer une réponse vraiment humaine à l’expérience de l’Ultime offerte librement ; les écritures hindouistes en parlent comme d’une connaissance de la félicité du Brahman par laquelle toute créature vit et que la tradition chrétienne a toujours reconnue comme la semence de la gloire, un certain commencement de vie éternelle. Ce désir donné par Dieu d’une union mystique avec l’Absolu, imparfaitement ressenti ou exprimé de façons diverses, et l’éveil ultime de chaque être humain à la plénitude de cette félicité, sont les aspirations premières et le pouvoir nourrissant de toute authentique mission.

Dans notre engagement à la mission de Dieu en tant que chrétiens, nous portons en nous le souvenir vivant de Jésus. Il nous inspire et nous sommes heureux de partager son souvenir avec les autres partout où se crée une occasion. Ce souvenir est pour beaucoup une source d’inspiration pour un engagement au bien des autres dans un esprit d’humilité, suivant l’exemple du Serviteur Souffrant, et la pratique d’un amour plus fort que la mort. En même temps nous ne voulons pas imposer aux autres notre façon de suivre Jésus. Nous sommes conscients qu’il y a plusieurs façons d’être disciples et que Dieu invite chacun à répondre à son appel selon les circonstances concrètes et les possibilités de sa vie. Nous acceptons que d’autres, inspirés par Jésus et appelés à le suivre, le fassent d’une façon différente de la notre ; en même temps, nous accueillons ceux qui veulent se joindre à la communauté de ses disciples, à savoir l’Eglise.

IV. Quelques conseils

Etant donné que chaque religion propose des chemins et des moyens pour atteindre la libération matérielle et aussi spirituelle, accessible dans une certaine mesure dans ce monde et promise à la plénitude dans l’autre vie, le christianisme doit collaborer avec les autres religions à promouvoir une libération cosmique et véritablement humaine. Dans ce programme, le point central est que Dieu est présent dans chaque religion et qu’il a infusé dans le cour de chacun une lueur de son amour.

A l’intérieur du dialogue interreligieux, nous pensons que le but du partage des expériences religieuses pourrait être d’élaborer un consensus sur les valeurs fondamentales de vérité et de justice, suivant l’exemple des réunions de prière organisées par le Mahatma Gandhi. Ces réunions inter-religieuses pourraient aussi se développer en forum commun pour discuter des problèmes socio-économiques et politiques ayant un rapport avec les communautés locales et nationales. De tels forums exprimeraient des résolutions partagées pour aborder les problèmes de vérité et de justice et pour les appliquer ensemble ; cela augmenterait l’harmonie commune.

En ce qui concerne le dialogue avec les organisateurs d’autres idéologies telle que celle des groupes écologiques, nous accompagnons avec notre propre expérience de Jésus qui nous pousse à joindre nos forces à celles de nos frères et sours en Inde pour une protection si nécessaire de notre environnement en péril. Nous pouvons penser que cela aidera à la promotion d’une campagne pour assurer un meilleur environnement pour la vie de tous les citoyens de l’Inde, particulièrement pour les pauvres et les opprimés. A cette fin, notre mission nous demande de collaborer sans réserve avec ceux qui bataillent pour sauvegarder notre planète contre toutes les formes d’exploitation et contre la destruction sauvage d’un écosystème fragile.

Pour le dialogue avec les laïcs, nous proposons d’organiser des rencontres régulières et officielles entre clergé et groupes laïques au niveau paroissial, diocésain, national qui pourront déboucher sur une participation aux prises de décisions dans l’Eglise et enrichir la collaboration clergé-laïcs dans le ministère.

Alors même que nous affirmons la place centrale de l’acculturation dans tous les engagements évangéliques, nous sentons que cette acculturation n’est pas seulement une affaire de changement dans les rites, les observances extérieures et dans la théologie. La communauté chrétienne a besoin de s’identifier avec les sections combattantes de la société et de partager la souffrance du peuple. Une communauté qui atteint les gens blessés suivant l’exemple de Jésus concerné par les catégories d’exclusion de son temps, deviendra une vraie communauté évangélisatrice.

Des équipes comprenant clergé, religieux et laïcs pourraient être installés dans chaque diocèse et chaque paroisse. Des cellules d’organisation pourraient dessiner les plans pastoraux de la paroisse et contrôler leur mise en ouvre.

On peut constituer des associations de catholiques laïcs et les autoriser à représenter même officiellement les Eglises locales et les corps chrétiens nationaux à des forums de discussion traitant des affaires socio-politiques de la nation.

Il est temps de purger l’Eglise d’un fondamentalisme vis-à-vis de tous les aspects de ses prétentions exclusives. Dépasser les étroites frontières du rituel et encourager l’ouverture d’un développement des rites indigènes pour les Eglises locales doivent faire l’objet de notre engagement à la mission.

La création d’un sentiment d’amitié, la communion, et l’unité entre les diverses communautés de l’Eglise stimulant la réconciliation et la solidarité chrétienne, sont des aspects importants pour le renouveau.

Nécessaires sont les changements structurels pour la mise en ouvre d’une nouvelle vision de la mission. La démocratisation des structures ecclésiales actuelles, le travail en réseau des théologiens et les militants à la base contribueront à l’émergence d’une organisation plus éclairante à tous les niveaux de l’Eglise. Cette démocratisation doit aussi entrer en vigueur dans la liturgie de l’Eglise avec une plus grande insistance et mise en pratique du commun sacerdoce des croyants, en particulier des femmes.

L’accent doit être mis aujourd’hui sur la formation pour l’encadrement de communautés humaines plutôt que sur la préparation pour les ministères cléricaux ritualistes. Des moyens plus indépendants doivent être essayés pour le financement par exemple des projets de formation dans les séminaires et les maisons religieuses. En retour, cette attitude portera témoignage de notre propre engagement dans la politique d’indépendance et d’un développement économique autosuffisant.

Une participation chrétienne dans la politique a besoin d’être de nature holistique. Vu qu’il y a des problèmes humains importants qui demandent un engagement chrétien dans tous les compartiments de la vie, elle doit être à la fois prophétique et messianique. Prophétique, (Is 61,1-3 ; Lc 4,18-19), l’engagement politique chrétien doit viser la protection des pauvres et des faibles, les opprimés et les marginalisés et s’opposer aux agents d’exploitation dans notre système démocratique. Messianique, il doit rappeler aux oppresseurs que le véritable souverain est Dieu, et que l’Etat est le serviteur du peuple en protégeant leurs droits et leur dignité. Justice et vérité doivent être les seuls principes pour guider une action politique chrétienne afin d’atteindre ses objectifs messianiques (Is 11,4-5).

Le propre modèle messianique de Jésus du Serviteur Souffrant, adopté dans une certaine mesure par le Mahatma Gandhi, qui suivait les idéaux de satyagraha et ahimsa, doit être une source d’inspiration pour le politicien chrétien. Les objectifs politiques de Jésus visaient la formation d’une société bâtie sur une fondation de justice et de droiture. C’est cela qui doit être notre référence dans notre participation aux processus politiques de notre pays. Cela fait parti de notre responsabilité chrétienne et cela doit être partagé avec les autres organismes séculiers pour la construction d’une société juste en Inde.

C’est aussi le devoir de chaque chrétien d’aider le système démocratique qui est aujourd’hui le plus proche de la pensée chrétienne concernant l’être humain et l’ordre politique découlant de la loi divine d’amour telle qu’elle est révélée par Jésus Christ. Cela inclura la pratique de l’égalité dans tous nos engagements chrétiens et l’accélération de l’établissement d’une démocratie sociale ouvrant la voie à une société plus juste. En résumé, l’engagement politique chrétien doit définitivement passer dans le sillon des mouvements du peuple.

Nous avons besoin d’éducation pour construire un nouveau génie démocratique. La démocratie n’est pas un système dans lequel on permet à la volonté majoritaire de prévaloir sans discussion. La volonté de la majorité est contrôlée par les autres valeurs et institutions, processus qui empêche les caprices de la majorité d’être imposés sans retenue sur la minorité. Le nouvel ordre d’une politique démocratique devra respecter la diversité des cultures, des communautés et de leurs revendications d’égalité ; d’où une participation sur une base représentative qui permettra à chaque groupe de contribuer au bien commun.

Les chrétiens en général ont besoin d’une éducation politique systématique qui, à l’heure actuelle, leur fait défaut. Les chrétiens, bien souvent, ne connaissent même pas leurs droits constitutionnels fondamentaux et leurs obligations de citoyens responsables. Les institutions chrétiennes doivent ainsi entreprendre sur une base régulière un programme d’éducation politique au sujet des droits et devoirs pour que les responsables chrétiens, en particulier les laïcs, puissent jouer un rôle significatif dans la vie du pays et prendre part aux programmes conçus et exécutés pour le bien des sections les plus faibles de la société.

Conclusion

La lecture des signes des temps nous impose le devoir de reformuler la signification de la mission en réponse aux exigences d’aujourd’hui. Ce que notre milieu demande est une nette séparation des positions préférées du passé avec son triomphalisme flagrant, ces demandes infondées d’absolutisme, une hiérarchie étouffante, un dualisme malsain et une domination masculine débilitante. Pour la mission chrétienne de demain, les méthodes adoptées seront le message fondamental. Accepter la mission comme l’art de négocier les frontières demande aux évangélisateurs d’être prêts pour converser à travers ces frontières, reconnues comme poreuses et fluides. Allant de l’autre coté des bornes du simple pluralisme sans sélectivité, ils embrassent le concept de l’universalité kénotique, opposée à l’universalité hégémonique, et ainsi deviennent les messagers d’une culture de tolérance, de paix et des porteurs d’espoir. Par son témoignage, la communauté chrétienne est invitée à dépasser la mentalité de ghetto et à s’insérer dans la réalité quotidienne et de travailler inlassablement à la promotion de la justice dans la société. La nouvelle vision de la mission invite les disciples de Jésus à abandonner le langage du triomphalisme qui n’amenait qu’isolation dans le passé, et à adopter volontairement un langage d’humilité. Ce qui est envisagé est un dialogue permanent avec les sociétés civiles et religieuses en général, amenant la création de communautés humaines plus ouvertes qui transcendent les identités locales limitées même si elles y gardent leurs racines. Une telle mission les rendra les riches héritiers de leur maître, le Serviteur Souffrant, dont la plus marquante exhortation fut que ses disciples deviennent des agents efficaces et en même temps totalement humbles pour transformer la société en étant lumière, sel et levain.