Eglises d'Asie

SORTIR DE L’IMPASSE Evolutions du système éducatif japonais

Publié le 18/03/2010




Le passage à l’an 2000 ne signale pas une soudaine prise de conscience de l’impasse où s’est engagé le système scolaire japonais. Il ne signale pas non plus l’entrée dans une période où une éducation réformée donnerait le jour au Japonais du XXIe siècle. Cependant il a donné un regain d’actualité à la réflexion sur les dysfonctionnements de l’école et sur les réformes qui s’imposent. Cette réflexion a commencé il y a une vingtaine d’années déjà, lorsque les premières lézardes sont apparues sur les murs d’une institution qui, jusqu’alors, avait donné toute satisfaction.

A l’occasion d’un symposium sur l’éducation tenu au mois de janvier, Hirofumi Nakasone, le ministre actuel de l’Education nationale, déclarait que face aux nombreux problèmes qui assaillent l’école, la population se sentait profondément concernée et lui, très inquiet. Il annonçait la création prochaine par le Premier ministre, d’un Comité national chargé de réfléchir en profondeur aux différents chapitres de la réforme à mettre en ouvre. Ses paroles faisaient écho au discours prononcé par l’ancien Premier ministre Ryûtara Hashimoto devant l’Assemblée nationale en février 1998. Celui-ci déplorait que l’éducation, dont le rôle est de donner aux enfants savoir, bon sens et sagesse, soit devenue un simple instrument pour entrer dans une bonne école puis dans une bonne entreprise, gage de sécurité et d’abondance matérielles. Déjà en 1996, la puissante Fédération patronale pour l’organisation économique (Keïdanren), sous le titre : “En marche vers une éducation de personnalités originales et créatrices”, publiait un document tentant de dresser un bilan de l’éducation depuis la fin de la guerre. Elle se félicitait des performances économiques réalisées, mais admettait que le système engendrait des séquelles graves, de plus en plus nombreuses, et qu’à moins d’une réforme radicale, le Japon du XXIe siècle ne serait ni riche ni heureux. L’heure était venue de donner le jour à une nouvelle société où chaque individu pourrait cultiver ses dons au maximum. En préconisant une éducation nouvelle, la Fédération pensait évidemment, à une économie nouvelle. Pendant plus de 50 ans, le mot d’ordre a été “rattraper, dépasser !” (la puissance économique occidentale). L’éducation était soumise à la production. Le but est jugé atteint. Une économie d’avant-garde réclame maintenant une éducation d’un type nouveau, où le mot “inventer”, passe au premier plan. On n’en est pas encore là. Après vingt ans de malaises, de réflexions et de réformes partielles, la situation, hélas, ne s’est pas améliorée.

Brimades, violence, chantage

Le premier phénomène, apparu au début des années 1980, est celui des brimades, surtout dans les collèges (cycle moyen : 13-15 ans). Il ne s’agit pas de simples taquineries ni de querelles passagères, monnaie courante dans toutes les écoles du monde. Ces brimades peuvent meurtrières et mettre en danger la vie des victimes. Une petite bande de quatre ou cinq enfants prend à parti un camarade, le brutalise et même le torture d’une manière systématique et continue. Les causes de ce phénomène ne sont pas évidentes. Les pédagogues prétendent qu’aucun enfant ne peut se croire à l’abri. Fréquents sont les drames. Un jeune adolescent a été retrouvé mort asphyxié, enroulé dans un tapis de sol au coin d’un gymnase. Désespérés, des enfants se pendent dans leur chambre ou le petit bois voisin. La plupart supportent en silence, dissimulant les traces de coups. Ils n’osent pas en parler aux maîtres de peur d’être encore plus maltraités comme “rapporteurs”. Même informés, beaucoup de maîtres ne savent quel parti prendre. L’enfant brimé fait facilement un complexe de culpabilité qui l’empêche de parler à ses parents. Reste une dernière échappatoire : le refus d’aller à l’école. Solution difficile à adopter, et en fait, seulement 10 % des refus d’école seraient dus aux brimades. Depuis quelques années, un nouveau règlement donne la possibilité de changer d’école, mais cette elle est peu utilisée. Ajoutons que ce sont des lettres d’explications ou d’excuses écrites par les enfants avant de se suicider qui ont fait prendre conscience de la gravité de ce problème. Les brimades s’accompagnent souvent de chantage pour extorquer de l’argent de la victime. En voici un exemple : entre le mois de juin 1998 et le mois de janvier 1999, deux lycéens de deuxième année sont parvenus à soutirer d’un gamin de première année la coquette somme de 10 millions de yen. En plus des coups, les deux agresseurs menaçaient leur victime de tuer ses parents ou de mettre le feu à l’entreprise familiale. Terro-risé, l’adolescent n’osait pas en parler à ses parents, mais s’est confié à sa grand-mère. Celle-ci lui remit, en sommes successives, tout l’argent de ses économies. Une fois tarie la source, la victime dévoila l’affaire à un ami qui l’ébruita. Ainsi cessa le scandale. Les deux coupables, qui menaient grand train de vie, ont été placés sous surveillance spéciale.

Proche du phénomène des brimades s’est développé celui de la violence. La violence à l’intérieur de l’école est en augmentation rapide, (35 % d’augmentation en 1998). Elle peut prendre la forme du vandalisme. Par exemple, au cours de la nuit, une bande d’élèves s’introduit dans l’école, brise les vitres, détruit les appareils destinés aux expériences de physique-chimie, met le feu aux poubelles à papier, etc. Elle peut aussi s’exercer à l’encontre des maîtres. Il y a deux ans, un professeur d’anglais succombait sous les coups de couteau d’un garçon de 15 ans. Dernièrement, un professeur de “caractères” chinois qui avait gardé un élève après les cours pour l’aider à combler un retard, se brise les os en chutant dans un escalier. Mécontent d’avoir été retenu, l’élève l’attendait dissimulé et l’a poussé dans le dos du haut des marches. Les maîtres “passés à tabac” sont loin d’être des cas isolés. La violence peut aussi s’exercer contre un camarade. Dernier en date de ces drames : pendant la récréation de midi, un collégien appelle un de ses copains pour aller avec lui aux toilettes. Là, il le tue à coups de couteaux. Motif avoué : ce copain aurait ri de lui devant les autres. Notons que cet événement a eu lieu le dernier jour des tests trimestriels, période où les enfants sont particulièrement tendus.

Quelques réformes

Devant ces premiers symptômes de dégradation, le minis-tère de l’Education nationale n’est pas resté les bras croisés. Stimulé par le syndicat national des enseignants (d’obédien-ce socialiste-communiste), conseillé par l’influente Com-mission centrale chargée des problèmes scolaires, il a mis en route une série de réformes. Citons les plus importantes. En 1989, mise à jour du programme des études pour le cycle obligatoire (élémentaire : 6 ans et moyen : 3 ans). Réforme des lycées : diversification et multiplication des matières à option, création de filières, possibilité de changer de filières, système des crédits, examens d’entrée moins difficiles, accompagnés – du moins officiellement – d’une diminution de l’importance donnée à la “cote”. Cette “cote” attribuée à chaque collégien par les instituts para-scolaires, sur la base des tests passés par les candidats au lycée, était et reste à l’origine de nombreux dysfonctionne-ments éducationnels. Révision du règlement des écoles désuet et oppressif. Réforme du directoire concernant la rédaction et l’utilisation des dossiers et livrets scolaires.

L’innovation la plus spectaculaire est l’introduction progressive de la semaine scolaire de 5 jours. Commencée en 1992 avec le 2ème samedi du mois devenu jour de congé, poursuivie en 1994 avec le 4ème samedi, elle s’étendra en 2002 aux deux autres samedis. Bien reçue par les élèves, cette réforme ne satisfait pas tous les enseignants obligés d’enseigner en 5 jours les matières autrefois réparties sur six jours. Ils réclament à cor et à cri un allégement très substantiel des programmes. Cet allégement est toujours promis mais remis à plus tard. Sait-on qu’un élève japonais en 12 ans doit emmagasiner autant de choses qu’un élève américain en 16 ans ?

Toutes ces réformes avaient deux objectifs. Le premier : faire baisser le niveau de tension psychologique des élèves supposé être à l’origine des brimades, violences… Le second : supprimer le bourrage de crâne et donner aux élèves le temps d’assimiler, d’approfondir et de se faire une opinion personnelle. Un slogan résume cet objectif : “Se donner la force de vivre”.

Bilan provisoire

Ces objectifs ont-ils été atteints ? Les dernières statistiques du ministère, portant sur l’exercice 1997-1998 et publiées au mois d’août dernier, n’incitent pas à l’optimisme. Elles font apparaître une baisse de 15 % des brimades par rapport à l’année précédente, mais les spécialistes contestent la valeur de ces chiffres. Les élèves seraient assez habiles pour se cacher des surveillants et exercer les brimades hors de l’école. D’autre part, directeurs et maîtres dissimuleraient la réalité pour ne pas nuire à la réputation de leur établissement. Question d’honneur, mais aussi de recrutement. Quand la baisse de la population enfantine condamne déjà beaucoup d’écoles à fermer, reconnaître l’existence de brimades porterait un coup dangereux au recrutement des élèves. Les statistiques ne font donc apparaître qu’une partie de l’iceberg. Environ 35 000 cas de brimades : 20 000 pour les collèges, 13 000 pour l’école primaire et 2 500 pour les lycées. Ce sont des chiffres suffisamment éloquents. Quant aux violences, elles sont en augmentation de 24 %. Compte tenu de la baisse du nombre des élèves, proportionnellement, le nombre d’élèves commettant des actes de violence est bien supérieur. Il n’est donc pas possible de dire que le premier objectif des réformes ait été atteint.

Les chahuts

Un autre phénomène vient corroborer ce jugement. Les premiers symptômes en sont apparus dans la région d’Osaka depuis déjà 5 ou 6 ans mais n’ont été divulgués que depuis guère plus d’un an. Il s’agit du chahut en classe pendant les cours. Ce n’est pas le simple fait de deux ou trois élèves qui font un peu de tapage au fond de la classe, ni d’un brusque accès de folie qui secoue parfois toute une classe à l’occasion de quelque bévue d’un maître ou d’un élève. Le mal est beaucoup plus grave. La classe tout entiè-re chahute pendant les 45 minutes de cours, et cela peut durer des semaines, sinon des mois, voire même une année entière. Complètement débordé, le maître ne peut évidem-ment pas enseigner. En japonais, on appelle cela : “effon-drement” ou “désintégration de la classe”. Les élèves se déplacent, parlent fort, renversent les bureaux, montent sur les chaises, font voler des avions en papier, se lancent des gommes, des cahiers, répondent avec insolence au maître, l’injurient et parfois même le frappent. Il est facile d’imaginer le désarroi des maîtres. Les deux syndicats d’enseignants ont donné l’alarme au cours de leurs journées d’études de janvier 1999. Le ministère s’en est montré réti-cent devant le mot de “désintégration” ; il préfère parler pudiquement d’une situation de “mauvais fonctionnement des classes”, mais la réalité reste la même. Une commis-sion a été chargée d’enquêter sur l’ampleur et l’origine de ce nouveau phénomène. Un premier rapport tentant d’analyser le cas de 102 écoles choisies sur l’ensemble du pays a été publié au mois de septembre dernier.

Il permet de faire quelques constatations. La première rejoint la remarque déjà faite au sujet des brimades : les écoles s’efforcent de taire ce qui risque de leur nuire.

Deuxième constatation, le mal part du bas et non du haut, à l’inverse des précédents. Alors que la première vague de dégradation des années 1980 (brimades, violences, rejet de scolarité) était partie des deux dernières années du cycle moyen, cette vague commence avec les premières années de l’école primaire. Son origine ne réside donc pas dans la tension psychologique précédant l’entrée au lycée. Elle se situe en amont de l’école, c’est-à-dire au niveau de la famille. Le professeur Oki, directeur de “niji” (arc-en-ciel), un institut privé de recherches sur les malaises scolaires, le pressentait. Dès 1998, il fait une enquête auprès des maîtresses d’écoles maternelles. Elles sont unanimes : depuis quelques années, les petits enfants ont beaucoup changé : ils se couchent très tard, ne savent pas ranger leurs affaires, ne pensent qu’à eux, ne s’entendent pas entre eux, répandent impoliment… Leur verdict est clair : les parents ne savent pas élever leurs enfants. En outre, la baisse de la population enfantine prive les enfants de l’expérience du jeu et de la vie en groupe. La “désintégration” des classes de l’école primaire, disent-elles, était prévisible et naturelle.

Troisième constatation : le comportement des enfants, lié à celui des parents, est d’abord un problème de société. A l’absence du père, due, en autres raisons, à de longues heures de travail, s’ajoute maintenant l’absence de la mère. Dès que l’enfant est en âge d’entrer à la maternelle, la mère reprend le travail. Son salaire n’est peut-être pas très élevé, mais il lui donne un sentiment d’indépendance. Il permet aussi de faire face à des fins de mois difficiles ou de payer des achats faits à crédit. Les menaces que la restructuration économique fait peser sur l’emploi du père déstabilisent la famille. L’individualisme du “chacun pour soi”, la recherche de l’argent et d’une vie facile se répercutent sur la mentalité des enfants. Une baisse spectaculaire de la moralité dans tous les secteurs – se passe-t-il une semaine sans que n’éclate quelque scandale copieusement relayé par les médias ? – a un effet délétère indéniable sur l’enfance.

Ce phénomène de “désintégration” est-il très répandu ? En l’absence de statistiques précises, les spécialistes en sont réduits à des conjectures : en moyenne, une classe par école primaire serait affectée. A court terme, est-il prévisible ? La réponse est négative : il peut surgir soudainement dans la classe d’un maître même chevronné ou d’un débutant inexpérimenté. Au départ, il suffit qu’un ou deux élèves donnent le la pour que toute la classe emboîte le pas.

En définitive, faut-il accuser la famille ou l’école ? Jusqu’à maintenant, on accusait l’école. L’enquête partielle du ministère déjà citée va dans le même sens : 10 % des personnes interrogées reprochent aux maîtres ou au directeur le manque de fermeté et d’autorité. Par contre, le comité national de l’Association des parents d’élèves a publié au début de l’année le résultat d’une enquête menée auprès de 971 présidents d’association et de 1 070 directeurs d’écoles (primaires et moyennes). 59 % des présidents et 96 % des directeurs mettent la famille en cause et seulement 10 % le manque d’autorité des maîtres. Peut-être est-il exact de dire que les maîtres n’ont pas été préparés à affronter ces problèmes ni à maîtriser une ruine de la discipline due largement aux déficiences de l’éducation familiale. D’autre part, un autre fléau, celui des sévices subits par les enfants de la part de leurs parents, phénomène en constante augmentation, incline à insister sur la responsabilité des parents. Ceci dit, les études et la formation des maîtres doivent être remises en cause. Sont-elles adaptées à la société moderne ? Quelle est la valeur de l’examen que passent les maîtres pour être titulariser ? Des bruits inquiétants courent sur l’impartialité qui préside à cet examen. En attendant, nombreux sont les maîtres qui tombent malades psychologiquement ou qui voudraient démissionner, découragés. On peut constater que la crise scolaire a des conséquences et des ramifications complexes.

Rejet de scolarité

Allusion a déjà été faite à ce mal qui sévit depuis les années 1980, mal qui à notre avis, est le plus grave. Comment le dénommer ? “Refus d’aller à l’école” ? “Absentéisme scolaire” ? “Rejet de scolarité” ? Toujours délicate, la langue japonaise s’est fixée sur l’expression bénigne de “non fréquentation scolaire”. Elle exprime, en fait, un mal profond qui ronge une institution dont la solidité et l’efficacité semblaient être à toute épreuve.

Les chiffres donnés par la même enquête du ministère sont impressionnants. Les élèves qui refusent de fréquenter l’école ne cessent d’augmenter. En 1998, 127 694 enfants (101 680 du cycle moyen, 26 014 du cycle élémentaire) ne veulent plus aller à l’école (1 refus = 30 jours consécutifs d’absence). Ces élèves disent détester l’école ou avoir quelque chose de plus intéressant à faire.

Compte tenu d’une diminution importante du nombre des élèves par rapport à 1999 (300 000), le taux de refus s’est élevé de 20 %. 80 % des collèges sont affectés. Quelles sont les causes de ces refus ? Les brimades sont parfois citées, mais, dans la majorité des cas, d’autres causes sont mises en avant : cours sans intérêt, manque de communication avec les camarades, anonymat, appréhension des examens d’entrée au lycée, instabilité affective… Ces causes peuvent d’ailleurs se conjuguer. Certains élèves disent qu’ils veulent bien aller au collège, mais que, dès qu’ils franchissent le seuil de la maison, ils sont pris de maux de tête ou d’estomac : véritable crise d’allergie. Coups de téléphone des maîtres, visites à domicile, lettres, collaboration des camarades, sont de peu d’effet, sinon de culpabiliser encore un peu plus le “refuseur”.

Nouvelles orientations

Que faire alors ! Deux orientations se dessinent. La première consiste en une réforme fondamentale du système éducatif actuel fondé sur une loi adoptée en 1947. Cette loi n’est plus adaptée à l’éducation nouvelle qui se cherche. Le nouveau Premier ministre Yoshiaki Mori, ancien ministre de l’Education nationale, fait de la révision de cette loi une des priorités de son gouvernement. La seconde, plus modeste et urgente, vise, à court et moyen terme, une amélioration du système actuel. Cette amélioration porte sur le cycle obligatoire. Le lycée, non obligatoire, même si plus de 96 % des collégiens le fréquentent, a déjà bénéficié de plusieurs réformes qui s’avèrent positives. Il faut cependant noter que les abandons d’études en cours de lycée ne cessent d’augmenter. L’amélioration dont il s’agit doit jouer sur plusieurs tableaux. Dans l’immédiat, le règlement des établissements devrait être encore assoupli afin de rendre l’atmosphère plus respirable. Les maîtres sont invités à être plus proches des élèves, à dialoguer et jouer avec eux. “L’heure de détente” ne doit pas être utilisée à prolonger les cours. Avant tout, les méthodes d’enseignement devront être réformées. Bourrage de crâne, mémorisation, “bachotage” doivent céder le pas aux méthodes actives. Ne pas enseigner le manuel, mais à l’aide du manuel. L’élève doit être formé à étudier, rechercher par lui-même, réfléchir et juger par lui-même de la conduite à suivre… Est-ce l’influence tardive de l’école Montessori ? Ou, plus prosaïquement, celle du bon vieux Montaigne : “Tête bien faite, plutôt que bien pleine” ? Le but est bien de donner aux élèves “la force de vivre” (pourquoi ne pas dire la joie de vivre ?) selon la formule lancée lorsque les suicides d’adolescents, la violence et les refus de scolarité ont pris des propositions alarmantes. Ce passage aux méthodes actives ne fait pas l’unanimité du corps enseignant. Le temps de réfléchir manque. Qu’en sera-t-il en 2002 quand la semaine scolaire de 5 jours sera généralisée ? Réponse du ministère et de la commission centrale pour l’éducation : un nouveau directoire des études, avec des programmes allégés d’environ un tiers des matières actuelles, est en préparation pour 2002. Les maîtres auront alors le loisir d’aider les élèves à assimiler et à réfléchir.

Autre innovation : la formation générale libre

Un “cours” de formation générale doit être mis en route. Cette “formation” se fera sans manuel, ni pour le maître, ni pour l’élève : remarquable originalité dans un pays où rien ne se fait sans manuel. Les centres d’intérêts des élèves serviront de points de départ à ces cours, plutôt à ces “parcours”. Recherches, enquêtes sur le terrain, expériences, travaux pratiques, rapports, contacts et échanges avec des spécialistes, etc., sont les maîtres mots qui jalonnent cette méthode. Avant d’être rendue obligatoire en 2002, elle est déjà très largement expérimentée (70 % à 80 %) au niveau du cycle obligatoire. Quelques grands thèmes émergent : connaissance du monde, découverte de la nature et des questions écologiques, découverte des problèmes sociaux (troisième âge, enfants séparés de leur famille, “sans-domicile fixe”, “sans-emploi”, travailleurs étrangers), réflexion sur l’actualité : l’éventail des thèmes reste largement ouvert. Il est précisé que ce genre d’études “libres” doit acheminer l’élève vers un comportement plus motivé, plus social et généreux. Ce travail peut se prolonger pendant un ou deux ans ; il peut être guidé par un ou plusieurs maîtres (team teaching).

Il est évident que les enseignants se sentent très concernés par ce travail. D’entrée, ils sont favorables, mais l’absence de manuel, la non-directivité du ministère, l’habitude d’un enseignement magistral, le manque de formation adaptée, le manque de temps pour “préparer”, sont autant de sérieux handicaps. Des “cours” sensiblement du même genre sont pratiqués dans les lycées depuis déjà 3 ou 4 ans et ont indubitablement réussi à attirer un nombre grandissant d’élèves. Les artisans de cette réforme ont peut-être trop tendance à surestimer les mérites de cette méthode. N’oublient-ils pas que le temps qui est adjugé ne représente qu’un dixième du temps total des études, soit de 2 à 4 heures par semaine ? Ce ne peut-être pas une panacée aux malaises scolaires.

Comité scolaire local

Une nouvelle décision vient d’être prise par le ministère. Au Japon, toutes les mairies possèdent une commission chargée de gérer les affaires scolaires municipales, commission qui dépend de la commission départementale, elle-même dépendant d’une commission centrale nationale, véritable bras droit du ministre. Cette rigoureuse centralisation, accompagnée de directives minutieuses à tous les niveaux, est de plus en plus considérée comme un frein à l’évolution du système scolaire – et surtout à son adaptation aux réalités locales. Le ministère désire, d’une part, que la population se sente plus concernée et puisse dire sont mot dans la gestion de l’école, de leurs enfants ; d’autre part, que les écoles jouissent de plus d’autonomie par rapport à la commission centrale. Ce projet se concrétise de deux manières. Premièrement, des personnalités locales qualifiées pourront être choisies par le directeur de l’école pour former un comité consultatif. Convoqué par le directeur, ce comité pourra donner son opinion et ses conseils concernant les activités éducatives, les rapports avec la communauté locale et d’autres sujets fixés par le directeur. Deuxièmement, même des personnalités ne possédant pas une licence d’enseignant (donc des non-professionnels) pourront accéder aux postes du directeur ou de sous-directeur. C’est donc la fin d’une centralisation excessive de l’éducation et du monopole des enseignants sur le système. Même si ces deux réformes demeurent facultatives, une brèche vient d’être ouverte, qui devrait vite s’élargir. Certains regrettent l’entrée trop tardive de ce comité sur la scène de l’éducation, et aussi la modestie du rôle qui lui est confié, en comparaison avec d’autres pays avancés. Regrets certes justifiés, mais c’est cependant un pas important vers une plus grande participation de la population à la marche des écoles.

Conseil national pour la réforme de l’éducation

Une autre brèche vient d’être ouverte dans le mur de la forteresse de l’Education nationale. Le Premier ministre s’est donné un Conseil privé chargé de réfléchir, de faire des critiques et des suggestions concernant une éducation adaptée au XXIe siècle. Promis au mois de janvier, ce Conseil appelé “national” a vu le jour le 15 mars. Il est composé de 26 membres choisis dans des milieux divers. Avec une dizaine de professeurs, l’université est abondamment représentée ; le doyen de l’université pour jeunes filles Notre-Dame de Kyôtô n’a pas été oublié. Jardins d’enfants, collèges, lycées, sont représentés, bien qu’assez faiblement. L’association des parents d’élèves, celle des jeunes, le monde du théâtre, l’industrie électronique, la recherche, une puissante compagnie d’assurance, n’ont pas été oubliés. On remarque le choix du doyen d’une université, de nationalité américaine, d’un maître potier de Kagoshima, d’une journaliste connue et d’Ayako Sono, romancière chrétienne qui écrit régulièrement des articles pour le journal Maïnichi. Cinq femmes font partie de ce comité, dont la composition peut être jugée originale et prometteuse.

Ce conseil doit se réunir deux fois par mois et s’exprimer très librement, sans se soucier du «qu’en dira-t-on”. Trois réunions ont déjà eu lieu à ce jour. Le nouveau Premier ministre Yoshiaki Mori a confirmé la composition de ce conseil et a maintenu Hirofumi Nakasone au ministère de l’Education. Il a formulé trois objectifs. Le premier, cher au parti libéral, est de faire remonter le niveau de respect dû aux traditions et à la culture japonaise, objectif qui fait dresser l’oreille du syndicat national des enseignants japonais (de gauche). Le deuxième objectif : redonner au pays confiance en son système éducatif. L’expression est assez vague pour que toute réforme utile puisse s’y référer. Le troisième : donner au pays des individus doués d’une puissante capacité de créer et d’inventer. On reconnaît là le souhait exprimé par la Fédération patronale en … 1996. La révision de la loi fondamentale vieille de 53 ans est, bien sûr, à l’ordre du jour. Rien de très nouveau ni de précis dans ces trois objectifs.

Sommet de l’éducation – G 8

Le ministre de l’Education a heureusement des vues sinon des projets plus concrets. Dernièrement, il a eu l’occasion de les énoncer au Sommet de l’éducation G 8 tenu à Tokyô et à Okinawa du 1er au 3 avril. Après avoir signalé les maux dont souffre le système actuel, il a abordé plusieurs thèmes. Citons les principaux. L’enseignement scolaire est à penser dans la perspective d’une formation qui se prolonge toute la vie. Les techniques nouvelles d’informatique et de communication sont à mettre au service de l’enseignement, et cela dans le contexte actuel de la mondialisation. La maîtrise de l’anglais et des techniques de communication (ordinateur, internet, e-mail, etc.) est indispensable. L’étude de l’anglais parlé devrait commencer dès l’école primaire. La connaissance du monde et de ses cultures différentes doit s’accompagner d’une étude plus approfondie de l’histoire et de la culture japonaises. La mondialisation demande un échange accru des professeurs, des chercheurs, des étudiants et du personnel administratif. Le Japon accuse un retard considérable en ce domaine. Les formalités administratives devraient être simplifiées, et des bourses d’études plus généreusement accordées. Telles semblent être les grandes lignes de cette nouvelle éducation entrevue par le ministre. Elles ne sont probablement pas très différentes de celles des autres pays avancés. Reste le problème crucial des pays qui n’en sont qu’au stade de l’alphabétisation, et où la population est encore très loin d’avoir accès aux réseaux de communications internationaux… A Okinawa, Nakasoné a fait allusion à un autre problème, qui est à l’arrière plan du problème scolaire dans ce pays : la diminution du nombre d’enfants.

La diminution de la population enfantine

La baisse spectaculaire de la population scolaire a des répercussions évidentes sur le fonctionnement de l’école. Correspondant au “boom” des naissances de la fin de la guerre, en 1958, 1 300 000 enfants fréquentaient l’école primaire. En 1998, ils ne sont plus que la moitié. En un an (1997-1998), 100 écoles primaires ont dû fermer leurs portes. Le nombre des collèges a très peu diminué (16 seulement ont fermé) mais le nombre de classes a diminué d’environ 130 000. Les salles de classe sont heureusement transformées en salles à manger, salles de jeux ou en laboratoire pour ordinateurs. Le nombre des lycées est en légère baisse, même si plus de 96 % des collégiens entrent maintenant au lycée. Les difficultés pour recruter des élèves ont commencé à se manifester en 1978 au niveau des écoles enfantines (3-6 ans). En 1992, la crise atteint les universités (les cycles courts – deux ans – étant principalement affectés). Les lycéens préfèrent entrer dans une université offrant des cursus de quatre ans, dans l’espoir de trouver ensuite un emploi plus facilement. On dit, vulgairement, que les plats sont devenus trop nombreux et trop grands pour les aliments à y mettre.

Corrélativement à la fermeture des écoles et des classes, la nécessité d’embaucher de nouveaux maîtres se fait moins pressante. Le corps enseignant vieillit et le fossé psychologique entre maîtres et élèves ne cesse de se creuser. Plutôt que de fermer écoles et classes, beaucoup de parents et de maîtres proposent de ramener le nombre d’élèves par classe de 40 à 20, de pratiquer plus largement le team teaching, ou de spécialiser chaque maître dans l’enseignement d’une seule matière. La qualité de l’enseignement y gagnerait sûrement et l’acuité de certains malaises diminuerait très probablement. Mais jusqu’à maintenant, le ministère a fait la sourde oreille prétextant que son budget ne suffirait pas.

Dans le même sens, beaucoup de réformateurs voudraient faire passer la scolarité obligatoire de 9 à 12 ans. En même temps, ils souhaitent abandonner le découpage actuel : 6 ans d’école primaire et 3 ans de collège pour adopter le système 4 ans de primaire, 4 ans de collège et 4 ans de lycée. Cette réforme exige une révision de la loi fondamentale, l’intervention du gouvernement, un vote au Parlement… Elle n’est donc pas pour demain.

L’onde de choc sur l’université

Pour parer à la diminution des candidats et atteindre le nombre d’étudiants désirable, entre autres possibilités offertes, les universités réforment le régime des examens d’entrée. Les jours et les lieux d’examens sont multipliés. Au lieu d’une session unique, deux sessions, l’une au mois de décembre, l’autre au mois de février sont envisagées. De plus en plus, l’examen est remplacé par une analyse du dossier scolaire, une entrevue avec un professeur et une dissertation qui permet au candidat d’exposer son projet d’études et d’avenir professionnel. Beaucoup d’universités ont réduit le nombre des matières de l’examen. Un professeur de Waseda, une grande université privée de Tôkyô, avouait récemment se trouver affronté à un dilemme : ou un examen facile pour faire entrer le nombre d’étudiants désiré, mais alors le niveau intellectuel de l’université baisse, ou bien un examen difficile pour sélectionner de bons étudiants et maintenir un bon niveau intellectuel, mais alors les étudiants manquent et les revenus baissent.

Prévoyant que dès 2009, tous les lycéens pourront entrer facilement dans une université de leur choix, le ministère invite les universités à se spécialiser et à publier ce qu’on appelle aux Etats-Unis leur “politique d’admission”. C’est une solution sérieuse pour éviter le dilemme.

Les lycéens qui voient que les examens sont moins difficiles se sentent naturellement moins contraints à travailler. Beaucoup n’étudient plus que les matières sujettes à l’examen de l’université qu’ils ont choisie. Le niveau intellectuel des lycées a donc tendance à baisser. Le programme des études universitaires s’en ressent. Déjà certaines universités, au cours de la 1ère année, ont dû organiser des cours de rattrapage pour combler des lacunes qui rendaient impossible la poursuite des études supérieures. Quoi qu’il en soit, la baisse générale du niveau intellectuel est indubitable.

Les responsabilités de cette baisse doivent évidemment, être “ventilées” dans plusieurs directions et affinées. Il est certain, de nombreuses statistiques l’attestent, que l’étudiant japonais actuel est l’un des moins motivés du monde. Une fois entré à l’université, il étudie peu, juste le nécessaire pour ne pas avoir à redoubler, et il s’amuse et voyage beaucoup (autant que son argent de poche lui permet), quitte à faire beaucoup d’heures supplémentaires et de petits boulots pour arrondir son pécule. On dit que, pour lui, l’université est un temps de vacances entre les exigences antérieures du lycée et les futures contraintes de l’entreprise. Simple plaisanterie ? Non. Heureusement, il y a des exceptions, mais sont-elles nombreuses ?

Conclusion : le Phénix

En définitive, sortir de l’impasse est-il possible ? Oui, certes ! Mais le chemin à parcourir sera long et difficile. Des réformes concrètes ont déjà été entreprises, des idées sont lancées. Pour les examiner et les mettre en pratique de nouvelles structures tels que les comités scolaires locaux, le Conseil national pour la réforme de l’éducation, se mettent en route. Des hommes capables ouvrent avec ténacité. Beaucoup d’excellents maîtres se dévouent sans compter et ne sont avares ni de leurs peines ni de leur temps et sont soutenus par un nombre croissant de parents motivés. Mais la population adulte, en général, est-elle suffisamment consciente, se sent-elle partie prenante des enjeux du renouveau ? Il est permis de douter. Car enfin une société n’a que l’école qu’elle mérite. Une société qui part à la dérive ne peut avoir qu’une école en dérive. Le Premier ministre, surtout le ministre de l’Education nationale, Hirofumi Nakasone, ne manquent jamais d’appeler le monde des adultes à un sursaut moral. Sont-ils entendus ? Il est tellement plus facile de faire seulement le procès de l’école et des maîtres. Pourtant on dit au Japon, que les enfants s’éduquent en regardant le dos de leurs parents. Espérons fermement que le phénix, une fois de plus, renaîtra de ses cendres. Le Japon a prouvé maintes fois qu’il en était capable.