Eglises d'Asie – Divers Horizons
FERMETURE DÉFINITIVE DES CAMPS DE RÉFUGIÉS VIETNAMIENS À HONGKONG : L’AFFAIRE EST-ELLE CLOSE ?
Publié le 18/03/2010
Un mardi matin du mois d’avril dernier, Lau Cun Sang est entré dans un de ces bâtiments de l’administration publique à Hongkong et est venu chercher cette carte d’identité que tous les résidents à Hongkong possèdent. Cette petite pièce de plastique rectangulaire était l’aboutissement d’une dé-cennie d’attente : depuis 1990, Lau a vécu dans un entre-deux flottant, ballotté de centres de détention en camps de réfugiés. Sans possibilité de départ pour un autre pays, il ne pouvait pas non plus retourner dans son pays natal, le Viet-nam, qui affirmait avoir perdu toute trace de sa citoyenneté. A 37 ans, le plus clair de sa vie (de son mariage à la nais-sance de ces deux enfants), s’est déroulé derrière des gril-les. « Il n’y a pas de place pour moi », dit-il rageusement.
Vingt-cinq années après qu’elle eut commencé, les autorités de Hongkong écrivent le dernier chapitre d’une saga qui a vu plus de 200 000 Vietnamiens passer par le territoire. Le 30 mai, les portes du dernier camp de réfugiés, un assemblage de baraques vieillottes à deux étages, installé dans un lieu dénommé Pillar Point à l’extrême ouest du territoire, seront définitivement fermées. Le gouvernement de Hongkong a offert aux 1 400 Vietnamiens qui s’y trouvaient encore (certains reconnus comme réfugiés, d’autres, comme Lau, classés comme « apatrides ») la possibilité de rester à Hongkong en leur accordant une carte d’identité et un titre de résident permanent.
Bien qu’il mette un terme à une longue période d’incertitude, ce petit carré de plastique constitue une conclusion plutôt amère pour Lau et ses compagnons. Quelques-uns uns sont à Hongkong depuis 1975, la date qui marque le point de départ d’un exode long de 15 ans et qui a vu des centaines de milliers de Vietnamiens fuir la persécution et les difficultés économiques. Après des années d’attente, de querelles politiques, d’émeutes dans les camps, de démarches devant les tribunaux et de faux espoirs, leur voyage touche à sa fin – non pas dans un pays tiers, comme ils l’espéraient, mais dans un territoire qui, à leurs yeux, ne devait pas être plus qu’un lieu de transit sur le chemin de leur exil. Toutes ces années n’ont pas été faciles, des années passées à tuer le temps dans des baraques temporaires bâties à la hâte par le gouvernement dans lesquelles la drogue et la violence étaient quotidiennes.
Maintenant, à en croire le gouvernement et le Haut Commissaire pour les réfugiés des Nations Unies (UNHCR), cette population oubliée a désormais une chance de prospérer. « Avec une carte d’identité de Hongkong, le ciel est leur seule limite », déclare Terence Pike, le représentant local du UNHCR. « Les réfugiés ailleurs dans le monde ne jouissent pas de genre de facilité. »
Mais la trace de ces camps ne sera pas effacée de sitôt. Ceux qui ont reçu la permission de rester ne constituent qu’une fraction des myriades qui sont passées par le territoire entre la fin des années 1980 et les début des années 1990 : 167 000 ont été réinstallés ailleurs, principalement aux Etats-Unis, et 56 000 autres ont été renvoyés au Vietnam. Les raisons qui font que certains sont restées en rade à Hongkong varient, mais des pays de dernier accueil en ont refusé de nombreux du fait de leur casier judiciaire ou bien du fait qu’ils étaient des drogués – les deux à la fois parfois.
Plus d’un sur trois parmi ceux à qui a été offert une carte d’identité ont été condamné pour crime. Et dans la moitié de ces cas, la faute était sérieuse (violence physique ou agression à l’arme blanche). Plus d’un tiers qui ont reçu ce droit à demeurer sur le territoire sont des enfants âgés de moins de huit ans. Leur seul crime a été de grandir dans les mornes allées de Pillar Point où ils jouaient parmi les rats, les seringues usagées et les déchets.
« Très pragmatiquement, ce problème devait être résolu pour le bien de la seconde génération », explique Brenda Ku, de la Caritas, l’ONG qui gère le camp. « Mais il y a un sentiment de désillusionnement et de désespoir progressif. Ils ne peuvent accepter sans rage que c’est la fin de leur odyssée. »
A Hongkong, une ville construite par des personnes qui sont elles-mêmes d’anciens réfugiés et qui ont pour habitude de se prendre en main, les gens ont peu de sympathie pour ces Vietnamiens des camps. « Les gens en ont assez de ce problème », explique Selina Chow, membre du Conseil législatif et qui suit le dossier depuis une vingtaine d’années. « Ou bien vous les maintenez dans des camps ou bien vous les absorbez. Ce n’est pas la solution que nous souhaiterions, ce n’est pas quelque chose que nous pensons être juste pour Hongkong, mais c’est quelque chose que nous devons faire. » Une partie du problème vient du fait que l’UNHCR a cessé de financer les camps en 1998, laissant au gouvernement de Hongkong une note de 150 millions de dollars.
Pillar Point, ces deux dernières années, était un camp ouvert – ses résidents pouvaient en sortir et y entrer à leur guise, les enfants pouvaient suivre les classes des écoles alentour. Mais cette liberté n’a pas changé grand chose à l’atmosphère empoisonnée qui régnait derrière les grilles. Les policiers déclarent qu’il leur était impossible d’empêcher la drogue, principalement de l’héroïne, d’entrer en quantité dans le camp. Il leur était également difficile de poursuivre les fauteurs de troubles à l’intérieur du camp, les résidents ne portant généralement pas plainte.
Lors d’une récente visite dans le camp, par une après-midi au temps lourd, Pillar Point était tranquille, le calme étant seulement perturbé par l’écho de la musique s’échappant des baraques. Un grillage surmonté de fils barbelés sépare la partie habitée par les réfugiés d’origine chinoise d’une autre abritant un autre groupe de réfugiés – une émeute ayant éclaté entre les deux groupes en juin 1999. Une femme entre deux âges – « la monopolisatrice » ainsi que la désigne en riant l’assistante sociale – vend quelques fruits et des légumes sur un étal déglingué. Le magasin le plus proche est à dix minutes en voiture du camp.
Quand le camp fermera, Hoang Phuong, son mari et ses deux enfants devront quitter l’unique pièce qu’ils occupent, une pièce d’à peine 10 m². « Je suis si inquiète », explique-t-elle dans l’anglais hésitant qu’elle a appris dans un autre centre de détention où elle vivait auparavant. « Je ne gagne pas assez pour avoir un logement à l’extérieur. » Hoang vit « à l’intérieur » depuis son arrivée à Hongkong, en 1989 ; elle avait alors quatorze ans. Ses parents ont été ensuite renvoyés au Vietnam après avoir été décrétés, lors de la procédure dite de « screening », migrants économiques et non réfugiés. La procédure de screening, une pratique qui a fait couler beaucoup d’encre, a été mise sur pied en 1988 par les autorités de Hongkong ; elle consistait à interviewer de façon systématique les milliers de Vietnamiens qui arrivaient dans le territoire afin de tenter de découvrir qui, parmi eux, avaient des raisons valables de craindre d’être persécuté au Vietnam.
Hoang a pu rester parce que son mari, avec qui elle s’est mariée à l’âge de 21 ans, possédait ce statut de réfugié. Mais il avait également un casier judiciaire, ayant été interné pendant trois mois pour sa participation à une bagarre dans son centre de détention en 1988. Cela a rendu tout transfert dans un autre pays, un pays d’accueil définitif, impossible.
A une époque, ils ont vécu à l’extérieur du camp, en partageant un appartement avec deux autres familles. Hoang travaillait dans une boîte de nuit et son mari trouvait à s’employer sur des chantiers de construction. Puis, en 1997, elle est tombée enceinte et il a perdu son travail ; retourner vivre à Pillar Point semblait une bonne solution alors. Bientôt, eux aussi possèderont leurs cartes d’identité de Hongkong, mais ils n’ont pas d’endroit où aller vivre et ils ne savent pas comment ils pourront s’en sortir – en ce moment, le mari de Hoang travaille environ 10 jours par mois seulement.
Pour la plupart de ces gens, la fin de cette histoire est une fin difficile. « Ils espèrent toujours qu’ils pourront aller dans le conté d’Orange », tout près de Los Angeles, explique Pam Baker, un avocat qui fait partie de Refugee Concern, une association qui se bat pour le droit des Vietnamiens depuis une décennie. Mais les Etats-Unis ont accueilli plus de 70 000 réfugiés vietnamiens en provenance de Hongkong depuis 1975 et ne sont pas décidés à en accepter de nouveaux, surtout ceux qui ont un casier judiciaire. « En ce qui concerne ce groupe, c’est ainsi – c’est fini », estime Baker.
En attendant, les gens comme Lau vont devoir faire le pas et s’adapter à une vie en-dehors de l’institution. Lau a demandé à la Caritas un prêt afin de l’aider à démarrer mais il n’a pas encore reçu de réponse. Il n’a cependant pas beaucoup d’espoir. Tout en fumant une cigarette à l’extérieur du camp, devant sa guérite d’entrée, il maugrée contre le fait qu’il ne peut retourner au Vietnam, contre le coût de la vie à Hongkong, contre la volatilité du marché de l’emploi dans le territoire. Sa fille, qui est née ici, va maintenant au jardin d’enfants de Butterfly Estate, un nouveau complexe immobilier un peu plus bas sur la route doté d’un supermarché et d’un espace de jeux. « Elle est heureuse, précise Lau, mais elle est trop petite pour se rendre compte de ce qui se passe. »
ECHOUÉS
Une banane à la main, Phan Thanh Vinh ressemble à tous les enfants de son âge. A quatre ans, il fait des meubles autour de lui d’inédits agrès de gymnastique. Cependant, aux yeux du gouvernement de Hongkong, il est un problème – et un problème qui va perdurer longtemps après que le dernier camp de réfugiés vietnamiens aura fermé à la fin du mois de mai. Les lèvres de Vinh sont rouge pourpre et le bout de ses doigts est brun, symptômes de problèmes cardiaques sérieux qui entravent sa circulation sanguine. Si Vinh avait été en bonne santé, lui et sa famille auraient déjà été renvoyés au Vietnam, avec les autres membres de sa parenté, qui, tous, ont été classés parmi par les migrants économiques et n’ont donc pu obtenir le sésame du label « réfugiés ». Mais parce que Vinh ne peut être soigné ainsi que son l’état l’exige au Vietnam, les autorités de Hongkong lui ont donné, ainsi qu’à ses parents, la permission de rester dans le territoire – une permission temporaire.
La famille Phan est ce que le gouvernement de Hongkong appelle un cas « impropre ». Ils ne pourront bénéficier du statut de résidents permanents de Hongkong car le Vietnam a fait savoir qu’il les accueillerait dès que « les facteurs empêchant leur retour seront levés ». Dans ce cas, le facteur, c’est leur fils. Le père de Vinh, Truyen, est arrivé à Hongkong en 1989 à l’âge de 19 ans, espérant qu’il pourrait émigrer dans un pays tiers et entrer à l’université. « Mais c’est fini maintenant », explique-t-il avec un sourire triste, dans cet anglais précis qu’il a appris dans les camps et dans les hôpitaux. Aujourd’hui, âgé de 30 ans, il travaille sur les chantiers de construction quand il trouve à se faire embaucher et sa femme prend soin de leur enfant malade.
Ils sont environ une quarantaine de Vietnamiens dans cette situation, une situation où un parent malade est la seule chose qui les retient à Hongkong. Leurs vies sont gelées dans un entre-deux cruel : la porte du Vietnam leur est ouverte, mais retourner là-bas constituerait un arrêt de mort pour ces personnes gravement malades. Les autres pays sont peu enclins à accepter des gens qui ont de tels problèmes médicaux et qui n’ont pas été reconnus comme réfugiés. Et enfin, Hongkong ne leur accordera pas le statut de résident permanent car les autorités du territoire attendent d’eux qu’ils retournent chez eux dès que certains « facteurs » seront réunis.
Deux enfants dans de telles situations sont morts au cours des derniers mois. Les parents de l’un de ces deux enfants ont été renvoyés au Vietnam, tandis que les parents du deuxième ont finalement obtenu le statut de réfugiés après une dure bataille devant les tribunaux ; ils bénéficieront de la carte d’identité de Hongkong. Phan Thanh Vinh est peut-être chanceux – son père détient un bout de papier chiffonné sur lequel est imprimé un message e-mail d’une Eglise au Canada qui a accepté de sponsoriser cette famille en vue de son installation dans ce pays. En attendant, il doit subir une nouvelle opération ce mois-ci. Sa famille continue d’attendre – et d’espérer.