Eglises d'Asie

L’EGLISE EN MONGOLIE

Publié le 18/03/2010




Introduction

Des chrétiens dans l’empire mongol

Les empereurs mongols du XIIIe siècle

Des chrétiens dans l’entourage des khans

Nestoriens, Chaldéens, Syriens orientaux

Un archevêché catholique à Pékin

2. Des missionnaires en Mongolie-Intérieure

La Mongolie-Intérieure au XIXe siècle

Les trois premiers lazaristes français

Les quatre premiers scheutistes belges

Le partage en trois vicariats apostoliques

Les récits des missionnaires

Le début du XXe siècle

La Région autonome de Mongolie-Intérieure

3. L’Eglise catholique en Mongolie depuis 1992

La fondation

Gouvernement mongol et Vatican

Les enfants des rues

Le personnel missionnaire

Activités de la mission

Les fruits spirituels

Projets et perspectives

Annexe : Charte de la mission de Mongolie

Remerciements

Notes et références

Bibliographie

Cartes : L’empire mongol au XIIIe siècle

La Mongolie et la Région autonome de Mongolie-Intérieure

INTRODUCTION

Quand en 1991 il fut question d’établir des relations diplomatiques entre la Mongolie et le Saint-Siège, le professeur Ch. Bira, de l’Académie des sciences, s’exclama : « Vous devriez plutôt parler de ré-établir ces relations. Car elles ont déjà existé du temps de Guillaume de Rubrouck, mais elles ont été rompues par la suite ».

Cette réflexion est à la base des pages qui vont suivre. Assurément, c’est l’Eglise d’aujourd’hui, dans la Mongolie d’aujourd’hui, qui nous intéresse au premier chef : comment ne pas s’émerveiller de voir naître et grandir en plein XXe siècle une communauté chrétienne nouvelle, de voir la vigne plantée il y a 2000 ans pousser encore de jeunes sarments, de sentir battre dans la lointaine Asie centrale le cour d’une Eglise primitive ?

Mais si cette naissance n’était en effet qu’une ‘re-naissance’, une autre vie après des vies antérieures ? Voilà qui motive et justifie un devoir de mémoire, une incursion dans le passé, quelques recherches sur les racines de l’aujourd’hui.

Notre premier regard portera donc sur le XIIIe siècle, ce « temps de Guillaume de Rubrouck » évoqué par le professeur Bira. Le deuxième, sur le passé immédiat, avec les missionnaires du XIXe siècle et du début du XXe en Mongolie-Intérieure. Le troisième enfin, qui a nos préférences, sur les dix dernières années qui viennent de s’écouler et qui voient éclore les prémices d’une Mongolie nouvelle et de son Eglise.

1. DES CHRETIENS DANS L’EMPIRE MONGOL

Les empereurs mongols du XIIIe siècle

A la mort de Gengis-khan en 1227, l’empire qu’il avait fondé atteignait déjà des dimensions considérables. « Le Conquérant du monde », comme l’appelait René Grousset, avait réussi à soumettre en vingt ans non seulement l’ensemble des tribus qui nomadisaient autour de son aire d’origine, au sud du lac Baïkal, mais aussi la Chine du Nord et les terres immenses de l’Asie centrale jusqu’à la mer Caspienne à l’ouest, et les rives de l’Indus au sud.

Ses successeurs, tout au long du XIIIe siècle, poursuivirent ses conquêtes, finissant par se rendre maîtres du plus grand empire que la terre ait jamais connu : de la mer de Chine à la mer Noire et de la Sibérie à la Chine du Sud.

Mais le contact avec des civilisations sédentaires et la découverte des richesses qu’elles pouvaient offrir avait peu à peu tempéré le caractère éminemment nomade et rude des Mongols de la steppe. Aussi, dès l’arrivée au pouvoir du fils et premier successeur de Gengis-khan, Ögödei, qui régna de 1229 à 1241, celui-ci décida-t-il de se faire bâtir, à l’instar des peuples sédentaires, une capitale fixe. Il choisit pour emplacement Kharakhorum, dans la vallée de l’Orkhon, là où se trouvent maintenant la ville de Kharkhorin et le monastère bouddhique d’Erdeni-dzuu, à environ 370 km à l’ouest de l’actuelle capitale de la Mongolie, Oulan-Bator.

C’est là que deux souverains mongols successifs reçurent la visite d’envoyés du pape ou du roi Saint Louis, désireux d’obtenir tout à la fois le soutien des Mongols pour lutter contre les sarrasins, leur conversion à la foi catholique et le retour des « nestoriens » dans le giron de l’Eglise romaine.

En premier lieu Güyük, fils d’Ögödei et troisième empereur mongol, accueillit en 1245-1247 le fran-ciscain Jean de Plan Carpin, originaire de Pérouse, envoyé du pape Innocent IV. Puis Möngke, cousin germain de Güyük et quatrième empereur mongol, reçut à sa cour le franciscain Guillaume de Rubrouck, originaire de la région d’Arras dans la Flandre française, envoyé du roi Saint Louis en 1253-1255.

Le cinquième empereur mongol, Khubilai, frère cadet de Möngke et fondateur de la dynastie des Yuan en Chine, quitta, lui, Kharakhorum pour s’établir en Chine du Nord près de l’ancienne ville de Daxing – là ou se trouve maintenant Pékin – et c’est dans cette nouvelle capitale impériale qu’il reçut et prit à son service, de 1275 à 1292, le jeune Marco Polo, fils et neveu des marchands vénitiens Nicolo et Maffeo Polo.

Il y eut, cela va sans dire, bien d’autres envoyés des cours d’Orient ou d’Occident auprès des souverains mongols durant le XIIIe siècle (1), mais nous avons retenu ces trois noms – Jean de Plan Carpin, Guillaume de Rubrouck et Marco Polo – parce que dans les récits qu’ils nous ont laissés de leurs voyages on voit à plusieur reprises apparaître la mention des « chrétiens » ou des « nestoriens » qui seuls, finalement, nous importent ici.

Jean de Plan Carpin (v.1200-1252), dans son Histoire des Mongols, rapporte par exemple que « les chrétiens qui vivent dans l’ entourage de Güyük, qui font partie de la famille du prince, pensent sérieusement qu’il passera au christianisme. Ils le déduisent du fait que leur maître garde auprès de lui des prêtres chrétiens et leur remet les subsides offerts par leurs coreligionnaires. A l’entrée de la tente principale, le khan tient une chapelle où l’on chante en public et où l’on sonne les cloches aux heures de prières, selon l’usage des grecs et d’autres chrétiens, quelle que soit la multitude des tartares ou même des étrangers présents. Les autres chefs mongols n’agissent pas ainsi » (2).

Guillaume de Rubrouck (v.1215-v.1260), lui, est si prolixe sur la présence des chrétiens à la cour de Möngke qu’il faudrait citer des pages et des pages du Voyage dans l’empire mongol (1253-1255), pour en rendre compte. Retenons tout d’abord que la mère de Möngke – qui est aussi celle de Khubilai – la remarquable Sorgakhtani, épouse de Tolui, le plus jeune fils de Gengis-khan, est « une chrétienne nestorienne » (3), de même que sont aussi nestoriens son interprète personnel, son grand secrétaire, le précepteur de son fils aîné, et une de ses anciennes maîtresses, sa favorite, « une dame chrétienne qu’il a beaucoup aimée » (4). D’ailleurs, la plupart des épouses de Möngke, même si elles ne sont pas chrétiennes, se prosternent devant la croix et lui-même, rapporte Rubrouck, vient un jour à l’église, se fait apporter la Bible et le bréviaire et s’enquiert de la signification des images (5). Ce que le franciscain, de toute évidence, apprécie moins, c’est que Möngke se montre aussi tolérant à l’égard des bouddhistes (qu’il appelle idolâtres) et des musulmans (les sarrasins) qu’à l’égard des chrétiens, au point d’organiser un jour une véritable joute théologique entre les tenants des trois religions. Mais la disputatio interconfessionnelle n’aboutit à rien : « Tous écoutèrent sans faire aucune contradiction, écrit le narrateur. Mais aucun ne dit : ‘Je crois, je veux devenir chrétien' » (6).

Marco Polo (1254-1324), qui fréquenta pendant quinze ans – du moins si l’on en croit son récit (7) – la cour de Khubilai, parle lui aussi de la tolérance de l’empereur en matière religieuse. A l’occasion de la fête de Pâques, écrit-il, « il convoqua tous les chrétiens » et vénéra le livre des Evangiles. Mais « il se comporte de manière semblable aux principales fêtes des sarrasins, des juifs et des idolâtres ». « Il est certain, conclut le jeune Marco, que le grand khan considère la foi chrétienne comme la plus vraie et la meilleure » et sans doute serait-il devenu chrétien si le pape lui avait envoyé, comme il l’avait demandé, « une centaine d’hommes instruits » pour contrecarrer les idolâtres (8).

Mais qui étaient donc ces chrétiens ou ces nestoriens, d’où venaient-ils, comment se trouvaient-ils à la cour des maîtres de l’Asie ?

Nestoriens, Chaldéens, Syriens orientaux

Au sens strict, on entend par « nestoriens » les disciples de Nestorius (v.380-451), ce patriarche de Constantinople qui avait été condamné comme hérétique par le concile d’Ephèse en 431 parce qu’il refusait d’admettre que Marie fût dite Theotokos (« mère de Dieu »); pour lui, « Marie n’a engendré qu’un homme auquel est uni le Verbe », « le Christ est pour lui le terme de l’union de deux natures, plutôt que l’unique sujet divin de l’Incarnation » (9).

Par la suite, on appela aussi « nestoriens » les chrétiens de l’Eglise chaldéenne ou syro-orientale qui émigrèrent en Perse et de là dans le reste de l’Asie. En fait, explique J. Dauvillier, ce sont « les Jacobites et les Byzantins (qui) les ont qualifiés de nestoriens, et les voyageurs latins du Moyen Age ont repris ce vocable; mais Nestorius n’a jamais été patriarche de leur Eglise (…). Bien qu’il n’ait pas été porté au Moyen Age, le nom de chaldéens est celui qui convient le mieux, en un temps où le centre de gravité de cette Eglise était Séleucie-Ctésiphon, puis Bagdad. On emploie encore le terme de Syriens orientaux, par opposition aux Syriens occidentaux, qui relèvent du patriarche syrien d’Antioche » (10). Et les historiens actuels s’accordent à dire que ces vocables devraient être remis à l’honneur, plutôt que celui de « nestorien » qui a par trop un « parfum d’hérésie » (11).

Or cette « Eglise chrétienne de Perse », comme l’appelait à son tour Yves Raguin (12), est précisément celle qui a essaimé dès le VIIe siècle dans toute la Haute-Asie, bénéficiant, comme d’ailleurs le bouddhisme avant elle, des routes de la soie dans un va-et-vient continuel entre les deux extrémités du continent eurasiatique, et pénétrant jusque dans les tribus mongoles, ou turques mongolisées, les plus reculées.

Avant même que les envoyés du pape et de Saint Louis n’en rencontrent quelques-uns à la cour des empereurs mongols, les chrétiens syro-orientaux s’étaient imposés chez les Oïrats, les Naïmans, les Ouïgours, les Kereits, tous ces peuples qui figurent parmi les premiers conquis par Gengis-khan. On trouvait alors des chrétiens partout, dans toute l’Asie centrale. Il y en avait même au Tibet, en Mandchourie, en Inde. En Chine, c’est par eux aussi que le christianisme avait pénétré à l’époque des Tang et au plus tard en 635, comme en témoigne la célèbre stèle de Si-ngan-fu (actuellement Xi’an), partiellement écrite en syriaque, élevée en 781 à la gloire de la « religion de la lumière » (13).

Chez les Öngüts, qui occupaient le nord de la région des Ordos, dans la boucle du fleuve Jaune, le P. Mostaert – dont il sera question plus loin – découvrit en 1920 des sceaux-amulettes en forme de croix ou de colombe, symboles chrétiens incontestables, et des médailles représentant saint Georges, provenant peut-être des Géorgiens, chrétiens de rite grec, présents aussi en Mongolie au XIIIe siècle (14). Au Ningxia, Marco Polo prétendit avoir trouvé « trois belles églises de chrétiens nestoriens » (15). Et l’on dit même que dans le courant de la seconde moitié du XIIIe siècle, « le patriarche chaldéen Yahbhallaha III avait rétabli l’union avec l’Eglise romaine » (16).

Un archevêché catholique à Pékin

Si les ambassadeurs chrétiens auprès des empereurs de Kharakhorum avaient apparemment échoué dans leur mission, il n’en fut pas de même dans la Chine de Khubilai où, du temps où Marco Polo s’y trouvait encore, un envoyé du pape Nicolas IV, le franciscain italien Jean de Montecorvino (1247-1328) arriva en 1289.

Les quelques lettres qu’on a conservées de lui et, à nouveau, le récit de Marco Polo, montrent à quel point Montecorvino désira se démarquer des « Eglises chrétiennes d’Asie, considérées hérétiques » (17) en faisant notamment respecter la liturgie latine et toutes les traditions de l’Eglise de Rome. Il fit édifier plusieurs églises à Pékin et ailleurs et obtint, dit-on, des milliers de conversions. En 1307, Clément V, le premier pape français d’Avignon, le fit consacrer archevêque de Pékin et patriarche d’Orient.

Ainsi les efforts des moines-ambassadeurs qui l’avaient précédé n’auront pas été vains. Désormais, « l’Eglise de Rome étend son influence, comme jamais encore, à des communautés de néophytes dispersées à travers toute l’Asie » (18). Quelques siècles plus tard – mais que sont les siècles pour Celui qui est hors du temps ? – des fruits inattendus germeront de ces semences dans la Mongolie du XIXe siècle et dans celle d’aujourd’hui.

2. DES MISSIONNAIRES EN MONGOLIE-INTERIEURE

La Mongolie-Intérieure au XIXe siècle

Sans lien apparent de cause à effet avec la présence diffuse de chrétiens en Asie centrale et en Chine du Nord depuis le VIIe siècle, des missionnaires catholiques vont soudain s’introduire, au XIXe siècle, en « Mongolie-Intérieure ». Ainsi appelait-on alors communément la partie méridionale du territoire mongol dont les habitants – une confédération de tribus – s’étaient ralliés dès le début du XVIIe siècle à la célèbre dynastie mandchoue des Qing (Tsing) (19) qui régna sur la Chine de 1644 à 1911.

Cette vaste région (plus d’un million de km², près de deux fois la France), bordée au sud par la Grande muraille de Chine, le Ningxia (Ninghsia) et le Gansu (Kansou), et au nord par la région désertique du Gobi et la Mongolie-Extérieure, s’étendait à l’est jusqu’à la Mandchourie et à l’ouest jusqu’au Xinjiang (Sinkiang ou Turkestan chinois). De par sa situation géographique, la Mongolie-Intérieure échappait quelque peu à la surveillance et au contrôle des fonctionnaires de Pékin. C’est pourquoi nombre de paysans chinois, appauvris et endettés, y avaient pris refuge pour cultiver la terre en toute liberté et, si possible, vivre de ses produits.

C’est là aussi que vint se réfugier en 1829, mais pour de tout autres raisons, un prêtre lazariste chinois de la Mission française de Pékin, Matthieu Xue (Hsue ou Sué, 1780-1860), en butte à la persécution de l’empereur Daoguang. Il avait emmené avec lui, dit-on, non seulement « huit séminaristes déguisés en comédiens » (20), mais aussi quantité de livres saints et d’objets du culte provenant des deux principales églises de Pékin, Beitang (église du Nord) et Nantang (église du Sud). En arrivant au village de Xiwanzi (Siwantze), à une soixantaine de kilomètres au nord de Zhangjiakou (Kalgan), ou environ 290 kilomètres au nord-ouest de Pékin, M. Xue eut la satisfaction de découvrir une communauté de quelque 300 chrétiens chinois qui l’accueillirent avec empressement (21). Quant à lui, pressentant les possibilités de développement du christianisme dans cette région, il ne tarda pas à faire appel à ses supérieurs de Paris pour obtenir du renfort.

Les trois premiers lazaristes français

Paris était le berceau de la Congrégation de la Mission (C.M.), fondée en 1625 par saint Vincent de Paul (1581-1660) et dont la maison-mère, établie d’abord dans le quartier du prieuré Saint-Lazare, dans le nord de Paris, avait valu à ses membres l’appellation de « lazaristes ». Vouée depuis le début du XIXe siècle aux missions françaises du Levant (Syrie, Liban, Egypte) et de la Chine, elle avait pris dans ce dernier pays la relève des jésuites lorsque ceux-ci en avaient été expulsés en 1784.

Répondant à la demande de M. Xue, un premier lazariste français, Joseph-Martial Mouly (1807-1868), fut envoyé de Paris à Xiwanzi en 1835. Dès l’année suivante, le village comptait, sur un millier d’habitants, 676 chrétiens, tous chinois cependant car, fuyant leurs terres désormais cultivées, les Mongols nomades ne cessaient d’emmener leurs troupeaux toujours plus vers le nord, à la recherche de la « terre des herbes », propre au pâturage.

Or c’est principalement sur les populations mongoles que M. Mouly aurait voulu faire porter son effort. Mais comment y parvenir ? L’arrivée en 1837 d’un deuxième lazariste français, Joseph Gabet (1809-1853), lui permit de nourrir cette espérance, le nouveau venu s’étant mis presque aussitôt à apprendre le mongol grâce à un jeune lama bouddhiste, Tsi, originaire du Tchakhar, qu’il baptisera bientôt du nom de « Paul ». Puis, en sa compagnie, il se rendit à Jehol (actuellement Chengde, dans la province du Hebei) où Paul recruta un autre lama mongol, Fong, qui sera baptisé « Pierre ». Quelques années plus tard, après des études de théologie au séminaire lazariste de Macao, ce même Pierre sera ordonné prêtre, le premier prêtre mongol que l’histoire ait jamais connu.

Le troisième lazariste français, qui arriva à Xiwanzi en 1841, s’appelait Evariste Huc (1813-1860). Lui aussi se passionna d’emblée pour les Mongols et prit pour compagnon une autre recrue amenée par Paul, le dénommé Samdadchiemba, originaire de la province chinoise du Gansu mais appartenant à une ethnie proche de celle des Mongols, et qui sera baptisé « Jean-Baptiste ». Peu après, Huc partit fonder une modeste mission au nord-est de Xiwanzi et obtint de Mgr Mouly (22) de pouvoir séjourner douze jours dans une famille noble de la région afin d’apprendre, non seulement la langue mais aussi les us et coutumes des autochtones. C’était là, pour l’époque, une initiative osée et tout à fait insolite, dont Evariste Huc se plut à relater les détails dans sa correspondance et dont il profita pour rédiger « un petit manuel de conversation, une espèce de dictionnaire contenant les expressions les plus usuelles » (23). Pendant ce temps, Joseph Gabet s’était mis de son côté à traduire du chinois en mongol quelques prières, un petit catéchisme et même ce qu’il qualifie de « traité didactique de l’existence de Dieu » (24). Tels furent, peut-on dire, les pionniers de l’apostolat auprès des Mongols, des pionniers pleinement conscients de la nécessité d’apprendre la langue des populations qu’ils souhaitaient atteindre.

Deux missionnaires au plus haut point « mongolophiles », trois Mongols devenus chrétiens par le baptême, un embryon de vocabulaire courant, doctrinal et liturgique : que fallait-il de plus à Mgr Mouly, lorsque deux nouvelles recrues lui arrivèrent de Paris, pour envoyer Gabet et Huc chez les Mongols nomades du Nord, « pour tâcher d’ouvrir une mission au milieu d’eux » (25) ? Mais les deux Français, partis de Xiwanzi à la fin de l’été 1844 en compagnie de Samdadchiemba, dévieront du but qui leur avait été assigné et, après avoir traversé du nord-est au sud-ouest les trois principales régions de la Mongolie-Intérieure – le Tchakhar, le Tümet et l’Ordos – ainsi qu’une partie de la province chinoise du Gansu et le Xinghai (Tsinghai), aboutiront à Lhasa, centre incontesté de la religion bouddhiste tibétaine (26).

Les quatre premiers scheutistes belges

C’en était fini, semble-t-il, de l’apostolat auprès des Mongols quand, en 1861, ne pouvant plus suffire à la tâche de leurs nombreuses implantations en Chine propre, les lazaristes demandèrent à Rome d’être déchargés du vicariat apostolique de la Mongolie. Une congrégation que venait de fonder en Belgique un prêtre anversois, Théophile Verbist (1823-1868), se montra disposée à prendre la relève : elle s’appelait Congrégation du Cour Immaculé de Marie (en latin Congregatio Immaculati Cordis Mariae, C.I.C.M.) mais ses membres étaient plus connus sous le nom de « scheutistes » ou « pères de Scheut », du nom du faubourg de Bruxelles où fut établie, en 1862, leur maison mère.

Une fois réglée la transmission des pouvoirs entre Mgr Mouly, de passage à Paris, et M. Verbist (27), ce dernier arriva à Xiwanzi en décembre 1865, en compagnie de trois autres scheutistes – Aloïs Van Segvelt (1826-1867), Frans Vranckx (1830-1911) et Ferdinand Hamer (1840-1900) – et d’un laïc, Paul Splingard (1842-1906). Le zèle et l’audace de ces missionnaires ne connaissaient pas de limite. Il y avait tout juste trois ans que M. Verbist avait fondé sa congrégation, et déjà il était lui-même en Mongolie avec quatre compagnons, tous aussi ignorants l’un que l’autre de la langue et des réalités mongoles, mais enflammés de cet idéal qui caractérisait leur époque et qu’ils ne cesseront de proclamer : « la gloire de Dieu et le salut des âmes ».

Heureusement, à leur arrivée en Mongolie-Intérieure, les scheutistes trouvèrent une mission que les lazaristes avaient, depuis 1835, su merveilleusement faire prospérer. Néanmoins, répétons-le, leurs ouailles étaient encore et toujours presque exclusivement chinoises : 2 700 chrétiens à Xiwanzi et dans ses proches environs, plus de 3 000 dans la partie orientale du territoire, 2 000 dans la partie occidentale, sans compter une dizaine de prêtres, des séminaristes, des catéchistes, trois églises, trois chapelles (28).

L’année 1866 se passa à organiser – non sans douleur – le remplacement des lazaristes par les scheutistes, à régler le sort des biens de la mission amenés de Pékin par Xue en 1829, à envisager la création de nouveaux districts. L’année 1867 fut endeuillée par la mort d’Aloïs Van Segvelt, victime du typhus exanthématique qu’il avait contracté en soignant des malades. Et, en 1868, le 23 février très exactement, c’est Théophile Verbist, le fondateur, le supérieur, l’âme de la congrégation de Scheut et de la mission de Mongolie, qui mourut à son tour de cette terrible maladie (29). Il se trouvait alors à Laohugou (Laohoukéou), à une trentaine de kilomètres de Jehol, où il était venu rendre visite à des confrères avant, pensait-il, de retourner en Belgique. Il n’avait même pas 45 ans, dont deux ans et trois mois seulement passés en Mongolie.

Par une étrange coïncidence, Mgr Mouly, qui avait été expulsé de Xiwanzi par les autorités chinoises en 1854, mourait quelques mois plus tard, le 4 décembre 1868, dans la capitale impériale. La même année voyait donc disparaître le fondateur de la mission de Mongolie, Jean-Martial Mouly, C.M., et celui qu’on pourrait appeler son repreneur, Théophile Verbist, C.I.C.M. Mais les quarante années qui s’étaient écoulées depuis l’arrivée de Matthieu Xue à Xiwanzi avaient permis une implantation profonde, et qui s’avérera durable, du christianisme en Mongolie méridionale.

Le partage de la Mongolie en trois vicariats apostoliques

Il n’est pas possible, dans le cadre de cet article, de continuer à suivre année par année la progression de la mission catholique en Mongolie-Intérieure après 1868. Il existe à ce sujet une abondante littérature (30). Nous nous contenterons ici de signaler quelques étapes de l’histoire de l’Eglise dans cette infime partie du monde depuis près d’un siècle et demi.

La première de ces étapes fut, en 1883, le partage de la Mongolie en trois vicariats apostoliques distincts, répondant d’une part à l’extension déjà considérable qu’avait prise la mission et d’autre part aux difficultés des communications d’un bout à l’autre du territoire. Cette division, et celles qui la suivirent jusqu’en 1932, est clairement indiquée dans le tableau ci-dessous (31) :

Précisons que la Mongolie centrale resta longtemps, avec Xiwanzi, le foyer principal de la mission ; la Mongolie orientale, qui s’étendait jusqu’aux confins de la Mandchourie, était la plus difficile d’accès; la Mongolie du Sud-Ouest ou région des Ordos (Ortos, Ortous), dans la grande boucle du fleuve Jaune, deviendra bientôt la terre de prédilection des pères de Scheut, avec pour centre le village de Boro-Balgasun (Poro-Palgassan), dans le sud-est de la bannière d’Otog (32). Le Gansu et l’Ili (une région lointaine du Nord-Xinjiang), qui ne figurent pas sur ce tableau, furent ajoutés respectivement en 1878 et 1888, mais jusqu’en 1922 seulement.

Les progrès du christianisme dans ces nouveaux vicariats apostoliques furent sensibles, comme en témoignent par exemple les statistiques de Xiwanzi en 1895, que l’on peut comparer à celles de 1865 relevées plus haut : 14 000 chrétiens, 2 500 catéchumènes, 14 scheutistes (pour la plupart flamands ou hollandais, très doués pour les langues) et 11 prêtres chinois, 70 églises ou chapelles, 250 villages chrétiens, 55 écoles élémentaires, 3 collèges, un internat pour filles (33).

Les récits des missionnaires

La fin du XIXe siècle est aussi l’époque à laquelle commencèrent de paraître, non seulement chez des éditeurs patentés ou dans les traditionnelles Annales de la Propagation de la Foi, mais aussi dans des revues plus modernes, illustrées et accessibles à tous, comme Les Missions catholiques à Paris, ou Missions en Chine et au Congo / Missiën in China en Congo à Louvain, des comptes rendus, des lettres, des récits de voyage émanant des missionnaires du monde entier. La toute première citation que nous trouvons concernant la Mongolie figure dans le tome 1 des Missions catholiques, p. 13-14, à la date du 26 juin 1868 : il s’agit d’une lettre de « M. l’abbé Théophile Verbist, provicaire apostolique de la mission belge en Mongolie », écrite de Xiwanzi le 25 janvier 1868, soit un mois avant sa mort – événement d’ailleurs relaté, à la suite de cette lettre, par un chroniqueur anonyme. La mort de « Mgr Joseph-Martial Mouly, de la Congrégation de la Mission, évêque de Fussulan et vicaire apostolique du Pé-tché-ly septentrional » est, elle, annoncée dans le tome 2, p. 61-62, en date du 19 février 1869.

Il est piquant de constater que, dans les premières tables annuelles de cette revue, tout ce qui a trait aux pères de Scheut figure à la mention « Missions Étrangères de Bruxelles » (ou « de Scheut-lez-Bruxelles juste avant – ordre alphabétique oblige ! – les « Missions Étrangères de Paris » (34), tant la famille missionnaire modèle fondée à Paris vers 1660 avait inspiré les premiers statuts de la nouvelle famille belge de 1862.

Quoi qu’il en soit, les récits de voyage des missionnaires qui nous sont relatés à partir de 1868 constituent une mine d’informations sur les paysages, la faune, la flore de la Mongolie-Intérieure, et surtout sur ses habitants, leurs mours, leurs coutumes, leurs croyances. Ainsi les « Voyages de Bruxelles en Mongolie » attribués à François Vranckx, qui paraissent en 1873 et 1877 (35), « Le Pays des Ortous » où Alfons De Vos et Remi Verlinden effectuent en 1874, en compagnie du fidèle Samdadchiemba du père Huc, leur toute première exploration de cette contrée (36), « Une promenade à travers la Mongolie, de Sy-wan-tsé à Poro-Palassan (Ortous) » de Louis Roofthooft qui paraît en 1883 (37), « Promenade à travers l’Asie centrale, de Liang-Tschou (Kan-sou) à Kouldja » de Constant De Deken, qui paraît en 1884 (38), etc.

Le début du XXe siècle

L’arrivée à Boro-Balgasun, en 1906, du jeune scheutiste brugeois Antoine Mostaert (1881-1971) marqua une étape importante de la pénétration de l’Eglise en Mongolie. Passionné de langue et de littérature, aussi bien que d’histoire et de culture mongoles, Mostaert avait assimilé, dès avant son départ de Belgique, les éléments de base tant du chinois que du mongol. Une fois sur place, il s’empressa de compléter ses connaissances par l’étude du dialecte ordos, « une des branches principales de la famille linguistique mongole » (39), amorçant ainsi à son insu soixante années d’une vie totalement consacrée à ce champ d’action.

Il commença par rédiger pour ses ouailles de Boro-Balgasun, entre 1914 et 1931, quatre ouvrages d’ordre religieux – un catéchisme, un opuscule d’apologétique, un exposé en trois parties de la doctrine chrétienne, un manuel pour le culte des trépassés – et à apporter son concours à l’édition d’un livre de prières. Après quoi il s’adonna à ses travaux de phonétique, de linguistique et de traduction qui firent bientôt de lui un spécialiste internationalement reconnu en la matière, l’« Einstein de la littérature mongole » (40). Ses deux ouvrages les plus célèbres – un recueil de Textes oraux ordos (768 pages) et le Dictionnaire ordos (en trois parties, 1 000 pages) – parurent à Pékin respectivement en 1937 et 1941-1944. Il poursuivit son ouvre aux Etats-Unis avant de rentrer au pays natal en 1965 et d’y mourir en 1971 à l’âge respectable de 90 ans (41).

Mais une autre action remarquable des C.I.C.M. à la même époque est celle que Mgr Carlo Van Melckebeke (1898-1980) appelle « Service social de l’Eglise en Mongolie », entendant par là l’aide apportée par la mission aux paysans chinois de la Mongolie-Intérieure tant pour cultiver la terre, créer des villages et les protéger par des remparts, que pour instruire les enfants, soigner les malades et les vieillards.

En matière de scolarisation – pour ne prendre qu’un exemple -, les chiffres du « grand total des élèves » de l’enseignement élémentaire relevés par cet auteur sur une durée de cinquante ans nous semblent particulièrement éloquents (42) :

Quant au nombre de chrétiens, il avait à nouveau doublé entre 1905 et 1920 : on en comptait maintenant 44 000 en Mongolie centrale, 34 000 en Mongolie orientale, 30 000 en Mongolie du Sud-Ouest (Ordos), 4 800 au Gansu Nord et 2 300 au Gansu Sud, soit au total 115 100 répartis sur un territoire d’1 100 000 km², auxquels s’ajoutaient environ 300 fidèles au Xinjiang (Ili), région qui représentait à elle seule 1 712 000 km² (43).

Une réorganisation des vicariats de la Mongolie fut décidée par Pie XI en 1922. Comme l’indiquait le tableau reproduit ci-dessus (p. 7), certains vicariats furent supprimés, d’autres érigés, d’autres enfin modifiés dans leur étendue ou leur dénomination. Ainsi furent supprimés l’Ili et le Gansu Nord et Sud ; le Gansu oriental et le Gansu occidental furent confiés à d’autres congrégations missionnaires ; la Mongolie centrale fut remplacée par les vicariats apostoliques de Suiyuan et du Tchakhar, et la Mongolie du Sud-Ouest par celui du Ningxia ; Datong (Tat’ongfu) fut érigé en préfecture apostolique et confié aux C.I.C.M. pour qu’y soit créé un séminaire régional.

D’autres modifications mineures intervinrent encore en 1929 et 1932. De toutes façons, c’est à Boro-Balgasun, désormais dépendant du Ningxia, que la mission mongole proprement dite resta la plus florissante puisqu’un « collège » mongol y vit le jour en 1934 et que, au dire des pères de Scheut, c’est un chrétien de Boro-Balgasun, Möngkedjirgal – « Jean-Baptiste » de son nom de baptême -, qui devint en 1937 le premier prêtre mongol (44).

Mais le plus extraordinaire – et le plus prophétique – dans le remaniement général de 1922 fut que Rome chargea le nouveau vicaire apostolique du Tchakhar, Mgr Jeroom Van Aertselaer, d’administrer également « la mission apostolique d’Ourga ou Mongolie-Extérieure qui n’existait pas encore et ne put être fondée dans l’immédiat puisque la Mongolie-Extérieure, après s’être émancipée en 1911 de la tutelle chinoise, chercha appui auprès de la Russie et devint, en 1924, la première République populaire (communiste) de type soviétique. « Scheut ne pourra donc jamais commencer une mission en Mongolie-Extérieure », concluait tristement un membre de cette congrégation (45). L’avenir, heureusement, allait lui donner tort, 70 ans plus tard !

La Région autonome de Mongolie-Intérieure

En 1947, c’est-à-dire deux ans avant l’arrivée au pouvoir de Mao et la proclamation de la République populaire de Chine, la Mongolie-Intérieure devint, au sein de la République chinoise, la « Région autonome de Mongolie-Intérieure ». Destructions, internements et persécutions frappèrent, comme on le sait, tous les missionnaires chrétiens de Chine dans les années qui suivirent, en sorte qu’en 1952, pratiquement tous les pères de Scheut avaient quitté cette Mongolie-Intérieure où plus de 500 d’entre eux avaient ouvré depuis 1865.

Certains des postes fondés par les scheutistes devinrent par après des diocèses de l’Eglise de Chine, comme Xiwanzi (actuellement Chongli) dans la province du Hebei, Suiyuan (actuellement Hohhot) en Région autonome de Mongolie-Intérieure, ou Ningxia en Région autonome hui du Ningxia (46). Mais surtout, les expulsions donnèrent lieu à la création de nouvelles bases missionnaires dans la diaspora chinoise avec, en 1956, l’érection de la Provincia Sinica comprenant Taiwan, Hongkong et Singapour.

Nous voilà loin, pensez-vous, de l’Eglise en Mongolie. Pas si loin toutefois puisque, comme nous le verrons dans la troisième partie de ce dossier, c’est de Taiwan que partiront en 1992 les premiers évangélisateurs de cette Mongolie-Extérieure que l’on croyait à tout jamais fermée au christianisme, la toute jeune « République mongole » ou Mongolie tout court.

3. L’EGLISE CATHOLIQUE EN MONGOLIE DEPUIS 1992

La fondation

L’année 1990 fut marquée en Mongolie par un tournant décisif. Dans la mouvance de la perestroïka de M. Gorbatchev et de la chute du mur de Berlin en 1989, un groupe de jeunes démocrates mongols obtint la démission du gouvernement communiste, l’instauration du multipartisme et la tenue des premières élections libres (29/07/1990).

Presque aussitôt, la nouvelle République mongole, démocratique et libérale, soucieuse de se tailler une place sur la scène internationale, se chercha de nouveaux interlocuteurs. Parmi ceux-ci figurait le Vatican. En janvier 1991, le second vice-Premier ministre du nouveau gouvernement, D. Dorligdjav, fut envoyé en mission auprès du Saint-Siège afin d’exprimer le souhait de voir s’établir, entre la Mongolie et le Vatican, des relations diplomatiques, et d’accueillir en Mongolie des missionnaires susceptibles de promouvoir les ouvres sociales et éducatives.

Un accord de principe fut conclu pour les relations diplomatiques, qui s’établiront de fait deux ans plus tard. Quant à l’envoi de missionnaires, la solution était toute trouvée. Cette missio sui juris, créée en 1922 et confiée, comme nous l’avons vu, aux pères de Scheut, allait enfin pouvoir se réaliser, et qui d’autre que cette même Congrégation de l’Immaculé Cour de Marie (C.I.C.M.) pourrait mieux s’en acquitter ?

Le P. Jérôme Heyndrickx, directeur de la Fondation Ferdinand Verbiest de Louvain et grand spécialiste de l’Eglise en Chine, fut désigné pour mener une enquête préliminaire. Au cours de sa visite en Mongolie, du 18 au 25 octobre 1991, il prit tous les contacts utiles, tant avec les plus hautes instances politiques du pays – le président de la République, le vice-Premier ministre, le ministre des affaires étrangères – qu’avec les représentants de l’administration, de l’université et des académies, les dirigeants de la Croix-Rouge et des ouvres sociales, les mouvements internationaux de solidarité et quelques ambassades étrangères.

Ces différents contacts l’amenèrent à conclure que les missionnaires catholiques étaient effectivement attendus en Mongolie, mais dans le plus grand respect des traditions bouddhistes du pays ; que leurs efforts devraient être soutenus, matériellement et spirituellement, par la province chinoise de Scheut (Taiwan, Hongkong et Singapour) ; que d’autres congrégations et des sponsors devraient leur venir en aide; et qu’enfin les ouvres sociales et éducatives qu’ils seraient amenés à mettre sur pied serviraient un jour de canaux par où passerait le message évangélique (47).

Les trois premiers missionnaires de Scheut désignés pour la Mongolie arrivèrent à Oulan-Bator le 10 juillet 1992, veille de la fête nationale du Naadam. Tous les trois avaient déjà une expérience missionnaire de l’Asie : Wenceslao (dit Wens) Padilla, philippin, 43 ans, depuis quinze ans à Taiwan et nommé supérieur pour la Mongolie ; Robert Goessens, belge, 64 ans, depuis trente-sept ans au Japon ; Gilbert Sales, philippin, 30 ans, depuis trois ans à Hongkong. Mais aucun des trois ne connaissait encore le mongol, et leur premier souci fut évidemment d’apprendre cette langue afin de nouer dès que possible des contacts avec la population. En attendant, leurs seuls interlocuteurs étaient des diplomates étrangers ou des membres d’organisations internationales, quelques Mongols quand même aussi par le truchement de l’anglais.

Logés d’abord à l’hôtel, puis dans six appartements successifs (ils devenaient rapidement trop petits pour le nombre de visiteurs), les prêtres s’organisèrent tant bien que mal pour donner des cours d’anglais, célébrer la messe pour les « expatriés » et ceux qu’ils appelaient les « venez et voyez » – en d’autres termes les Mongols intrigués par leur mode de vie et invités à venir y voir de plus près.

Gouvernement mongol et Vatican

L’absence totale de prosélytisme était la règle d’or du P. Padilla et de ses compagnons. Mais ce n’était peut-être pas celle des communautés protestantes ni surtout celle des sectes qui s’étaient rapidement mises à fleurir en Mongolie. Au point que le gouvernement édicta, le 30 novembre 1993, une loi interdisant toute activité religieuse contraire aux coutumes et traditions mongoles et prescrivant, pour toute ouverture d’un lieu de culte nouveau, l’agrément des autorités locales et du ministère de la Justice (48).

En dépit du fait que la venue des pères de Scheut était due à une initiative du gouvernement mongol et que « la liberté de croire et de ne pas croire en matière religieuse » était inscrite dans la constitution de 1992 (49), n’allait-on pas assister à une progression telle du christianisme que ce dernier porterait préjudice aux religions traditionnelles du pays, le chamanisme, le bouddhisme tibétain, l’islam (50) ?

C’est pourquoi, pendant les quatre premières années de son existence, la mission catholique de Mongolie ne fut reconnue et enregistrée que comme « organisation non gouvernementale » (ONG). Le 15 juin 1996 seulement, elle obtint – pour un an, renouvelable – le statut d’« organisation religieuse » et, deux ans plus tard enfin, l’autorisation permanente d’exister en tant qu’« Eglise ». C’était là un privilège unique, qui montre en quelle estime le gouvernement mongol tenait l’action, efficace mais toujours réservée, des pères de Scheut.

L’autre pôle d’autorité, face au gouvernement mongol, était le Vatican. Le nonce du pape en Corée du Sud, Mgr Jean Bulaitis, reçut aussi la charge de la Mongolie et se rendit pour la première fois dans ce pays en 1993, afin de présenter ses lettres de créance au président P. Otchirbat. Dès 1994, l' »ambassade » du Vatican en Mongolie fut considérée comme ouverte, mais ce n’est qu’en 1996, quand fut achevée la construction du bâtiment de la « Catholic Church Mission » dont il sera parlé plus loin, que le nonce prit possession du 4ème étage de cet immeuble pour en faire le siège de la nonciature. Lors de sa sixième et dernière visite à Oulan-Bator en mai 1997, avant d’être muté pour l’Albanie, Mgr Bulaitis installa et meubla complètement cet appartement du 4ème étage, qui appartient de plein droit au Saint-Siège.

Dans le même temps ou presque, un jeune diplomate, S. Bold, fut désigné comme ambassadeur de Mongolie auprès du Vatican, et l’est encore actuellement. Il réside toutefois à Genève, où son pays possède une représentation permanente auprès de l’ONU.

Le deuxième nonce du pape en Mongolie, Mgr Jean-Baptiste Morandini, présenta ses lettres de créance au nouveau président de la République, N. Bagabandi, dans les derniers jours d’octobre 1997 et rencontra à cette occasion le Premier ministre, M. Enkhsaikhan (51). Ayant été lui-même longtemps missionnaire au Guatémala, Mgr Morandini tint à ses confrères d’Oulan-Bator un discours empreint de sagesse et de bon sens, qui restera longtemps gravé dans leurs mémoires. « Prenez soin de votre santé, leur dit-il en substance, car un missionnaire en bonne santé est un missionnaire heureux. Prenez des vacances chaque année, car vous êtes ici dans une situation particulière. Le pape et l’Eglise universelle ont le regard tourné vers vous, mais procédez avec prudence et précaution. La force de votre église réside dans son unité. N’entreprenez rien sans en référer à votre supérieur, le P. Padilla : il est mon supérieur à moi aussi. Sachez que je vous aiderai et soutiendrai toujours » (52).

Les enfants des rues

Avant de considérer l’impact spirituel des missionnaires sur la population mongole, il convient d’évoquer ici une réalité qui s’imposa à eux, dès le début, comme une priorité absolue : l’accroissement inquiétant du nombre d’enfants des rues, véritable plaie sociale de la Mongolie depuis la chute du communisme. Ils étaient, dit-on, environ 300 à Oulan-Bator en 1992 ; ils y sont maintenant un millier.

Fugueurs ou abandonnés par leurs familles, ces enfants se regroupent en bandes, traînant dans les rues, dormant sous terre autour des canalisations du chauffage urbain, vivant de mendicité, de rapine et de prostitution. Bien des organismes s’emploient à étudier les causes du mal et à en juguler les effets. Pour les uns, c’est l’extrême pauvreté des parents qui entraîne l’abandon des enfants (53), pour d’autres, c’est plutôt la détérioration du tissu familial par l’alcoolisme, la violence et les séparations conjugales qui amène les enfants à s’enfuir de chez eux et à tenter leur chance en ville, entre eux, librement et sans contrainte d’aucune sorte (54).

Sans doute les deux causes se conjuguent-elles mais, quoi qu’il en soit, les missionnaires ne pouvaient passer à côté du problème. Une de leurs premières actions fut donc d’approcher ces enfants et de leur venir en aide en leur procurant de la nourriture, des vêtements, un toit. Plus tard peut-être pourrait-on en ramener quelques-uns dans leur famille, les scolariser, leur apprendre un métier.

Un premier Centre pour enfants des rues fut ouvert par les pères en 1995, dans une maison appartenant à la ville d’Oulan-Bator, district de Sükhbaatar, au nord de la cité. Le succès fut mitigé, les aînés des pensionnaires s’étant enfuis au bout de peu de temps pour retrouver leur liberté (55). Aussi l’effort se porta-t-il désormais sur les plus jeunes (de 3 à 12 ans) et sur la formation d’éducateurs mongols, dont trois furent engagés à plein temps, après trois mois de probation. Le nombre des enfants recueillis se mit à augmenter régulièrement. Ils étaient déjà une cinquantaine à la fin de l’année 1997 lorsque la mission put inaugurer, dans le district de Bayangol (quartier ouest d’Oulan-Bator), une maison de quatre étages, le « Verbist Care Center » ainsi baptisé en l’honneur du fondateur des scheutistes, Theophile Verbist. Six mois plus tard, les enfants étaient au nombre de soixante-dix ; en octobre 1999, quatre-vingt onze ; et maintenant (avril 2000), cent dix…

Les qualités humaines et professionnelles des éducateurs et de tout le personnel salarié du Centre (ils sont 26 actuellement) forcent l’admiration. Dirigés de main de maître par le plus jeune des trois fondateurs de la mission catholique d’Oulan-Bator, Gilbert Sales, ils font régner dans la maison une atmosphère de joie et de confiance, une propreté et une vigilance sanitaire auxquelles ces enfants n’ont certes pas été habitués. Tout est fait aussi pour qu’ils puissent se mêler à d’autres enfants, pour des jeux, des camps de vacances ou à l’école. Ils sont maintenant pratiquement tous scolarisés, à l’école maternelle ou primaire du quartier. Certains ont pu être repris par leur famille et, pour la première fois en décembre 1998, une fillette de trois ans a été légalement adoptée par un jeune couple mongol. Gilbert Sales connaît, dit-on, tous les « trous » d’Oulan-Bator qui servent d’abri aux enfants des rues et il continue d’y effectuer une tournée tous les mercredis. Une fois par semaine aussi, le Centre distribue une soupe chaude et des vêtements propres à tous les pauvres du quartier. Les fonds proviennent principalement de la congrégation de Scheut, mais aussi des Ouvres pontificales missionnaires (OPM), de l’Aide à l’Eglise en détresse (AED), d’associations caritatives diverses et de nombreux bienfaiteurs privés.

Le personnel missionnaire

Mais si l’ouvre des enfants des rues attire l’attention par son ampleur et sa réussite, elle n’a évidemment pu être réalisée que grâce à de nombreux renforts en « personnel » missionnaire, tant féminin que masculin.

Les premiers à venir aider les fondateurs furent, en juin 1994, deux frères C.I.C.M. (on entend par « frères », ceux qui se préparent à la prêtrise) : Raul Villanueva, philippin, et Liévin Mukenga Mutombo, de la République démocratique du Congo (56). Puis vinrent, en 1996 et 1997, deux autres frères congolais, Gabriel (dit Gaby) Tshimanga et Pierre Kasemuana Kitengia (57), ainsi qu’un frère philippin, Philip Enriquez Borla, et un père belge, Wim Bollen, actuellement retourné au pays ; également en 1997, un prêtre séculier coréen, Norbertus Lee.

En juillet 1995 étaient arrivées par ailleurs trois sours I.C.M. (la branche féminine de Scheut), dont deux philippines et une belge précédemment aux Philippines, suivies l’année d’après de trois sours coréennes de Saint-Paul de Chartres et de quatre sours de la Charité, dites « sours de mère Teresa » : une italienne, une polonaise, une indienne et une bengalie.

Et tout ce petit monde, à la suite d’ailleurs des vétérans, se mit vaillamment à apprendre le mongol à l’université d’Etat, dans la pratique journalière et surtout grâce à des séjours d’immersion totale dans des familles mongoles d’accueil.

Répondant à leur vocation propre, les trois groupes de religieuses eurent dès le départ des tâches distinctes et bien définies. Les sours I.C.M. aident étroitement les prêtres de la mission en donnant des cours d’anglais, de bible et de catéchisme, en animant les liturgies, en encadrant les groupes de jeunes et d’enfants dont nous parlerons plus loin, et en coordonnant les fonctions des sept salariées de la maison (secrétariat, cuisine, entretien des locaux). Elles habitent un appartement à cinq minutes à pied du bâtiment de la mission.

Les sours de Saint-Paul de Chartres ont choisi de centrer leur apostolat sur la petite ville de Dzuun Mod, à une quarantaine de kilomètres au sud d’Oulan-Bator. Et elles ont réussi là-bas, avec l’aide de Gaby Tshimanga et le soutien de la municipalité locale, à mettre sur pied, en quatre années de temps, un orphelinat d’une soixantaine d’enfants, des classes de couture et des cours d’informatique pour débutants.

Les sours de mère Teresa, elles, ont planté leur tente – ou plutôt leurs trois petites cabanes, protégées par des palissades – à Yarmag, un village situé à mi-chemin entre Oulan-Bator et l’aéroport. Elles s’occupent des familles dans le besoin, et en particulier des enfants qui, faute d’habits convenables, de bottes et de fournitures scolaires, ne peuvent aller à l’école. Elles leur donnent à manger tous les midis et leur apprennent à lire, a à écrire et à compter. Une minuscule chapelle, où le P. Goessens vient dire la messe tous les mercredis et où elles ont obtenu de pouvoir garder le Saint-Sacrement, brille au cour de cet abri des plus pauvres.

Quant aux pères et frères de Scheut, ils ouvrent dans tous les domaines, bien que chacun ait aussi sa fonction propre. Wens Padilla, le supérieur, coordonne le travail de toute l’équipe missionnaire – ce qui n’est pas rien, vu la diversité des pays d’origine et des familles religieuses qui la composent. C’est lui, bien entendu, qui dialogue avec les autorités et qui veille au bien-être matériel et spirituel de tous. Il a été reçu en audience privée par le pape Jean-Paul II lors de sa visite ad limina en octobre 1995 et a participé au Synode des évêques d’Asie à Rome, en avril-mai 1998. A cette occasion, il a publié un texte que l’on pourrait qualifier de « charte de la mission de Mongolie » et que nous reproduisons en annexe.

Robert Goessens, le doyen d’âge, aumônier des trois groupes de religieuses, est souvent sollicité pour les retraites et les récollections. Fort de ses 37 années passées au Japon, il donne des cours de japonais à quelques Mongols très motivés. Gilbert Sales, nous l’avons dit, est devenu le directeur du Centre Verbist pour les enfants des rues où il a élu domicile depuis sa création. Raul Villanueva remplit les fonctions de trésorier et procureur de la mission. Avec une équipe de jeunes qu’il forme au métier de charpentier-menuisier, il répare et améliore sans trêve les locaux de la mission et du Centre Verbist. Pierre Kasemuana, ordonné prêtre à Oulan-Bator le 13 septembre 1998 – une grande première ! – est devenu curé de la paroisse Saints Pierre-et-Paul dont nous parlerons plus loin. Il assume toutes les tâches pastorales qu’on est en droit d’attendre d’un curé… plus quelques autres. Philip Borla et Gaby Tshimanga achèvent actuellement leurs études de théologie, le premier à Manille et le second au Cameroun. Norbertus Lee a mis en chantier en 1997 une ferme agricole de 1 000 ha, la « Canaan Company », à 200 km à l’ouest d’Oulan-Bator. Dans un pays où domine l’élevage et non l’agriculture, son initiative est très remarquée.

Activités de la mission

Au fur et à mesure que s’accroissait le personnel de la mission et que grandissait le nombre de Mongols qui la fréquentaient, le besoin impérieux d’un local approprié se fit sentir. Aucun appartement ne pouvait convenir, il fallait une maison entière dans laquelle seraient regroupés la chapelle, les chambres-bureaux des pères, un réfectoire et une cuisine, des salles de cours et de réunions. Toute l’année 1995 se passa à mettre au point le projet, à obtenir les autorisations nécessaires et à entamer la construction d’un bâtiment en briques de cinq étages, sur un terrain du district de Bayandzurkh, dans le secteur est de la capitale. Le transfert commença en février 1996. « Nous vivons maintenant dans notre propre maison », écrivait fièrement Robert Goessens le 10 juillet de cette année-là, 4ème anniversaire de la fondation de la mission (58). Depuis lors, il faut bien le dire, on se sentit vite à l’étroit, en particulier dans la chapelle, prévue pour une centaine de personnes alors qu’en 1999 déjà, près du double s’y rassemblait tous les dimanches.

Dès le début, et presque aussi pressant que l’appel tacite des enfants des rues, une demande de cours d’anglais émana de jeunes adultes mongols. Autant en effet, pendant la période communiste, le russe occupait le premier rang des langues étrangères à apprendre pour poursuivre des études supérieures ou faire carrière dans le monde des affaires, autant, depuis 1990, l’accent avait été mis sur l’apprentissage de l’anglais. Aussi tous les missionnaires, hommes ou femmes, présents à Oulan-Bator et pour qui l’anglais est devenu la langue commune d’échange, se mirent-ils à l’enseigner aux Mongols. Comme pour tout le reste, les débuts furent modestes, mais à la rentrée d’octobre 1996, on comptait déjà une centaine d’étudiants, répartis selon le schéma traditionnel en trois niveaux : débutants, moyens, avancés. A la rentrée de 1999, ils étaient 200, si bien qu’on dut dédoubler les cours et faire appel, parmi les « expatriés », à des enseignants volontaires. L’université d’Etat d’Oulan-Bator et plusieurs instituts supérieurs privés enseignent évidemment, et depuis longtemps, les langues étrangères. Mais l’atout des cours dispensés à la mission est d’une part leur gratuité, d’autre part la fréquentation quasi journalière des pères et des sours anglophones et surtout la participation aux liturgies toujours bilingues (mongol/anglais).

L’encadrement des jeunes et des enfants constitue une autre tâche éducative en pleine expansion. Des dizaines d’enfants de 5 à 16 ans, et de jeunes jusqu’à 20/25 ans, trouvent à la mission non seulement, s’ils le désirent, des cours de catéchisme, mais aussi des sessions de formation et des camps de vacances dans la steppe, si proche et accueillante. Le brassage entre milieux sociaux, culturels et même religieux des enfants et des adolescents, dont beaucoup ne sont pas baptisés, s’avère difficile mais bénéfique. Deux délégués du groupe « Youth of Light » (Jeunesse de Lumière) ont participé avec Gilbert Sales au Congrès des Jeunes à Manille en 1997, quatre sont venus à Paris avec Gilbert Sales et Pierre Kasemuana pour les Journées Mondiales de la Jeunesse (JMJ) en 1998, deux encore ont participé avec Philip Borla aux Journées de la Jeunesse d’Asie en Thaïlande en 1999. Depuis lors se sont aussi créées à la mission des équipes de « couples pour le Christ » et de « célibataires pour le Christ ».

Dans le domaine social et caritatif ou, pour employer une terminologie plus actuelle, dans le domaine de l' »humanitaire », il faut signaler aussi des actions ponctuelles auprès des malades, des personnes âgées, des prisonniers, sans compter une étroite collaboration avec le jardin d’enfants n° 8 de la ville d’Oulan-Bator, situé dans le même quartier et qui accueille des enfants handicapés mentaux. Un groupe « Faith and Light » (Foi et Lumière) s’est constitué en 1996 pour soutenir moralement les familles de ces enfants.

Les fruits spirituels

Bien que l’accent ait été mis dès le début, et selon le vou du gouvernement mongol, sur l’action sociale et éducative des missionnaires, leur politique du « venez et voyez » ne tarda pas à porter ses fruits. Petit à petit, le nombre de Mongols assistant aux célébrations liturgiques dépassa celui des « expatriés », et si l’attrait de l’anglais compte pour beaucoup dans une première approche de l’Eglise, la beauté de la liturgie, la facilité du contact avec les missionnaires, leur exemple de vie et le caractère profondément humain de leur prédication en amènent quelques-uns à s’interroger sur le Dieu des chrétiens, à se faire instruire sur la religion catholique et, en finale, à demander le baptême.

Parallèlement, les missionnaires introduisirent de plus en plus de textes et de chants en mongol dans la liturgie, en se faisant aider pour les traductions par une jeune chrétienne de Mongolie-Intérieure, venue achever ses études d’histoire à Oulan-Bator. Leur catéchèse aussi s’améliora au fil du temps, notamment grâce à un confrère de Singapour qui vint en juin 1997 leur enseigner les méthodes les plus modernes du « rite de l’initiation chrétienne des adultes ».

Les treize premiers baptêmes (six hommes et sept femmes, entre 18 et 40 ans) et premières communions eurent lieu à Pâques 1995, suivis trois mois après des premières confirmations. Ce rythme se maintint les années suivantes en sorte que la paroisse d’Oulan-Bator compte actuellement (avril 2000) une centaine de Mongols baptisés, dont quelques enfants. Le sacrement des malades fut administré pour la première fois en septembre 1998, à une jeune fille de 16 ans, tuberculeuse, qui avait été baptisée à Pâques 1997. Le premier mariage entre deux catholiques mongols a été célébré en décembre 1999. Enfin, l’ordination sacerdotale de Pierre Kasemuana et l’ordination diaconale de Philip Borla, respectivement en 1998 et 1999, ont en quelque sorte consacré la maturité de l’Eglise catholique en Mongolie.

Quand on demande aux jeunes chrétiens mongols d’aujourd’hui ce qui les a amenés à demander le baptême, bien peu se réfèrent à des critères rationnels, mais presque tous évoquent le contact direct et personnel avec Dieu – expérience qui fait défaut, disent-ils, dans le bouddhisme tibétain. « Je comprends, déclare l’un d’entre eux, qu’être chrétien, c’est être une personne qui a reçu l’amour de Dieu ». Ou encore : « En venant à cette église, l’espace vide de mon cour s’est trouvé rempli » « La raison pour laquelle je viens ici maintenant, et continuerai à venir, est comme un appel. Je pense que ce doit être Dieu et ma foi qui m’appellent ».

Il va sans dire que l’Eglise catholique d’Oulan-Bator entretient des relations fraternelles avec les Eglises protestantes locales (épiscopale, luthérienne, anglicane), notamment dans le cadre de l’action en faveur des enfants des rues et lors des rencontres de la semaine de l’unité des chrétiens. Avec les autorités du bouddhisme tibétain, un dialogue a été amorcé au cours de rencontres avec le supérieur du monastère de Gandan, principal foyer de cette religion à Oulan-Bator, et avec celui du monastère de Dashtchoikorlon. Et l’on a pu remarquer, à l’ordination de Pierre Kasemuana, que les quatre moines bouddhistes présents à la cérémonie avaient joint leurs mains à celles des prêtres concélébrants pour bénir le nouveau prêtre. « La présence de Dieu était là manifeste : un Dieu qui rassemble tous les peuples », écrivait Wens Padilla (59).

Projets et perspectives

Deux faits récents ouvrent des perspectives sur l’avenir de l’Eglise en Mongolie : le séjour d’un an de trois jeunes Mongoles – dont Oyungherel, la fidèle secrétaire-traductrice de la mission – à l’Institut de formation catéchétique de Gaming (Autriche) en 1996-97, et la présence actuelle à l’Université grégorienne de Rome d’un jeune homme et d’une jeune fille, dont la formation catéchétique doit s’achever en juin 2001 (60). On parle aussi de trois jeunes hommes qui « envisageraient de devenir prêtres » (61). Du côté missionnaire, deux projets sont avancés : l’arrivée de frères salésiens de don Bosco qui viendraient de Corée pour fonder en Mongolie une école technique, et la présence d’un jésuite tous les ans.

Le P. Padilla, lui, voit plus loin encore. A plusieurs reprises déjà, il a envoyé ses collaborateurs en voyage de prospection à Darkhan et à Erdenet, deux villes industrielles du nord du pays, où la mission pourrait un jour essaimer. Il a obtenu l’an dernier (10 juillet 1999), de la ville d’Oulan-Bator, la concession d’un terrain de 2 ha pour la construction d’une nouvelle maison. Il songe aussi, dit-on, à des missionnaires itinérants qui suivraient les éleveurs nomades dans leurs déplacements. Tout récemment enfin, faisant écho au souhait exprimé par l’ambassadeur de Mongolie au Vatican, il évoquait la création possible en Mongolie de tout un « complexe missionnaire », avec église certes, mais aussi avec d’autres « services » gratuits : hôpital, jardin d’enfants, école technique, centre pour handicapés mentaux (62).

L’avenir, on le voit, est grand ouvert. La dernière née, ou presque, des Eglises de mission dans le monde déborde de vitalité et d’idéaux. Elle a largement pris le relais des évangélisateurs du XIXe siècle en Mongolie-Intérieure et plus encore des chrétiens de jadis, dispersés dans les steppes de l’Asie centrale. Pourquoi ne tiendrait-elle pas la route dans la Mongolie d’aujourd’hui et de demain, porteuse de tant d’espoirs et de désirs ?

ANNEXE

CHARTE DE LA MISSION DE MONGOLIE

(Texte présenté par le P. Wens Padilla, C.I.C.M., supérieur de la mission de Mongolie, au Synode des évêques d’Asie, à Rome, en mai 1998. La version française ci-dessous est traduite de l’anglais.)

Enflammés par l’amour de Dieu présent dans les hommes, nous, missionnaires catholiques, avons entendu l’appel du Christ : « Allez dans le monde entier ; proclamez la Bonne Nouvelle à toute la création… » (Marc 16, 15).

Nous y répondons en nous mettant au service de l’instauration du règne de Dieu en Mongolie et en devenant, selon notre charisme propre :

* DES TEMOINS VIVANTS de la présence libératrice de Dieu, spécialement parmi les pauvres ;

* DES PELERINS qui voyagent avec les hommes, discernant où Dieu est à l’ouvre dans leur culture et les réalités de leur vie présente; et, par ce moyen, étant nous-mêmes enrichis et transformés ;

* DES SIGNES de l’universalité de la famille de Dieu, en entrant en dialogue avec les gens d’autres traditions religieuses et d’autres idéologies ;

* DES PARTENAIRES de Dieu et de la communauté des croyants, en donnant naissance à une Eglise qui participe à la mission universelle du Christ.

REMERCIEMENTS

Je remercie vivement le P. J. Heyndrickx, C.I.C.M., qui a bien voulu me laisser consulter les pages « Mongolie » de la revue interne Pedicab, le P. R. Goessens, C.I.C.M., qui a mis à jour mes informations sur la mission d’Oulan-Bator, et M. S. Vloeberghs, de la Fondation Ferdinand Verbiest de Louvain, qui m’a fourni de nombreux renseignements. Merci aussi au P. J. Charbonnier, M.E.P., qui a accepté de relire entièrement mon dossier et m’a fait d’utiles suggestions.

NOTES ET RÉFÉRENCES

* Jacqueline Thevenet est titulaire d’une maîtrise de théologie et d’un diplôme de mongol. Elle s’est rendue à quatre reprises en Mongolie et a publié récemment chez Karthala, dans la collection « Méridiens », La Mongolie.

Les références aux ouvrages cités en bibliographie sont indiquées ici en abrégé.

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