Eglises d'Asie

LA NOUVELLE GESTION DES TERRES AU VIETNAM (1986-2000)

Publié le 18/03/2010




Les deux vagues de collectivisation forcée des terres de 1978-1979 et de 1983-1985 ont d’abord dépossédé de leurs rizières les paysans du Sud-Vietnam. La loi foncière, votée par l’Assemblée nationale à la fin du mois de décembre 1986, a, ensuite, officialisé “cet acquis”. Depuis cette date, “les terres appartiennent au peuple tout entier et sont gérées par l’Etat” (selon les termes de la Constitution de 1992, articles 17 et 18). Or, l’Etat et le Parti communiste vietnamien (PCV) ne font qu’un. Compte tenu du principe “le Parti dirige, l’Etat gère, le peuple est maître”, les terres appartiennent effectivement au PCV (ou plus exactement au Bureau politique), l’unique force dirigeante de l’Etat et de la société (article 4). Cependant, dans les années 1987-1988, pour calmer les paysans en colère (1), et leur redonner confiance malgré la situation désastreuse de l’économie rurale, une situation aggravée encore par une inflation-record à trois chiffres, Hanoi s’est vu obligé de réformer le système de production socialiste.

I – Premier changement de méthode dans la gestion des terres

a – Les premières réformes

A l’issue du VIe congrès du PCV (mi-décembre 1986), une nouvelle politique dite de “renouveau” (dôi moi) a été lancée. Dans la foulée, de très importantes décisions ont été prises par le 2e plénum du comité central (du 1 au 9 avril 1987) (2). L’économie de marché est venue remplacer l’économie socialiste. Un an après (avril 1988), la décision N°10 dite de “khoan 10”, adoptée par le Bureau politique, a marqué un net changement d’orientation économique et une large libéralisation du commerce privé (3). En voici les points essentiels :

Le taux de redevance des terres est abaissé : ce taux est fixé à 10 % de chaque récolte et reste inchangé pendant 5 ans.

Les surfaces cultivées par chaque coopérateur dépendent désormais de “sa capacité de production et de la disponibilité des terres coopératives”.

La durée du bail est allongée : Les rizières coopératives sont “confiées” aux paysans pour une durée de 20 ans.

Le “forfait simplifié” (khoan gon) est remplacé par le “forfait net” (khoan trang). Chaque coopérateur s’occupe d’une parcelle de rizières. Il est entièrement responsable de huit étapes de riziculture (au lieu de cinq étapes auparavant) (4).

La taxation agricole est revue en baisse :

– Baisse des prix des engrais chimiques, des insecticides, des carburants, etc.

– Acheminement direct de ces produits sur le lieu de production, pour éviter la hausse excessive des charges d’exploitation entraînée par les frais de transport et les bénéfices prélevés par les autorités locales.

– Suppression des autres impôts : en dehors de la redevance des terres et de certains impôts locaux (telles les cotisations destinées à assurer le fonctionnement du comité coopératif de gestion et à alimenter la caisse du budget communal), les coopérateurs ne paient plus aucun des “impôts supplémentaires”, jadis perçus par les autorités locales (comme l’impôt sur le revenu paysan, l’impôt de solidarité en cas de catastrophes naturelles, l’impôt destiné à nourrir les soldats, etc.)

– Suppression d’impôts progressifs, etc.

Les fermes d’Etat jouissent de l’autonomie financière : en cas de faillite, elles sont supprimées, et leurs terres réparties entre les paysans. Les autres moyens de production (cheptel, tracteurs, motoculteurs, barques motorisées, pompes à eau, etc.) sont revendus aux paysans qui en font la demande.

La libéralisation du commerce privé : Parallèlement aux réformes agricoles, diverses mesures sont prises en faveur du commerce privé, pour “libérer”, selon l’expression employée par l’Etat, “les forces productives longtemps ligotées”. La libre circulation des marchandises est autorisée. Le petit commerce et le commerce de détail sont encouragés, etc.. Les postes de contrôle des marchandises sur les axes de transports et de communications sont purement et simplement supprimés.

b – Conséquences immédiates des mesures de réforme au Sud et au Nord

1 – La décision N°10 a été immédiatement appliquée dans tout le Sud-Vietnam dès la campagne agricole de 1988. Par contre, elle a été retardée de deux ans dans le Nord-Vietnam, en raison de l’opposition des dirigeants “conservateurs” hostiles au changement de méthodes de gestion des terres. Ces changements leur paraissaient contraires au marxisme-léninisme. Bien plus, ils risquaient, selon eux, non seulement de remettre en cause l’appareil de production socialiste, mais aussi de bouleverser profondément la structure politique, ce qui ne manquerait pas alors d’introduire un certain désordre dans l’organisation des appareils du PCV et de l’Etat. En effet, le remplacement du “forfait simplifié » par le “forfait net” nécessite une restructuration et une compression du personnel des comités de gestion des coopératives et des fermes d’Etat. En conséquence, les activités de ces comités sont réduites au service, à savoir les achats (de semences, d’engrais chimiques, d’insecticides, d’animaux d’élevage, etc.), l’information, la formation, les visites, etc. Ils ont perdu leurs multiples fonctions de direction d’antan (la production, la planification, la coordination de différents secteurs de production, agriculture élevage, pêche, etc..). Dans ces conditions, virtuellement, les fermes collectives n’existent plus, étant donné que les coopérateurs deviennent des exploitants individuels, moyennant une redevance annuelle à l’Etat.

Pour comprendre cette résistance des cadres agricoles du Nord-Vietnam, il faut se rappeler que le comité coopératif de gestion se compose essentiellement de cadres et de membres du PCV. Ils touchent un salaire fixe, et chacun exploite une parcelle de rizières coopératives. Certains cumulent d’autres fonctions (président du conseil populaire, premier secrétaire du PCV, par exemple). Outre les revenus issus de leur salaire et de l’exploitation de leur parcelle de rizières, ils bénéficient des indemnités de fonction, de certaines prérogatives et avantages peu connus du public, ils jouent de leur influence, en faisant “des affaires”. Ils forment des clans bien structurés, depuis le “centre” (Bureau politique, comité central du PCV, ministères) jusqu’aux “régions” (provinces, districts, communes, villages). Protégé par son supérieur hiérarchique, chacun est un véritable “seigneur” dans son fief, tel le premier secré-taire du PCV dans un chef-lieu de province ou dans un dis-trict. A l’intérieur du clan, ils se partagent pouvoirs, privi-lèges, richesses, prérogatives, etc.. Leur vie confortable est entretenue, grâce aux coopératives, aux taxes locales, etc.

Si le “forfait net” avait été systématiquement appliqué au Nord-Vietnam, une compression voire une suppression pure et simple du personnel des comités des fermes coopératives et étatiques aurait été inévitables. L’intérêt de ces “poten-tats locaux” étant en jeu, ils se sont opposés au change-ment radical du mode de production socialiste qui leur fai-sait perdre, avec leurs fonctions, leurs pouvoirs, leurs “pri-vilèges matériels” et d’importantes sources de revenus. Bien plus, la réduction de l’effectif des “can bô” (cadres) au sein des coopératives entraînait un certain relâchement du contrôle des populations rurales, et par voie de conséquence la sécurité de l’Etat était menacée. Ainsi, les dirigeants conservateurs ont cherché à freiner les réformes à tout prix, à s’opposer à tout changement touchant la plate-forme marxiste-léniniste et portant préjudice à leurs intérêts et leurs prérogatives. On comprend leur opposition quand on sait que le remplacement du “forfait simplifié” par le “forfait net” a permis à “la collectivité de réduire les charges de l’appareil coopératif de gestion de 50-60% comme le note Nguyên Sinh Cuc (5).

2 – La durée du bail des rizières, fixée à 20 ans (au lieu de un à trois ans auparavant) a été bénéfique aux paysans. Ceux-ci se sentent plus rassurés, grâce à une certaine pérennité d’exploitation. Il en est de même de la redevance des terres, qui reste inchangée pendant cinq ans (au lieu d’un an, voire d’une seule récolte auparavant).

3 – La substitution du “forfait net” au “forfait simplifié” constitue un net changement de méthode de production. Le système d’exploitation collective des terres est désormais abandonné, et remplacé par le mode d’exploitation indivi-duelle. Techniquement parlant, ce mode d’exploitation est en quelque sorte l’équivalent du faire-valoir direct (comme du temps de l’ex-République du Vietnam), avec une seule différence que les terres restent toujours la propriété de l’Etat. Les paysans ne sont que “ses fermiers”, au service du Parti c’est-à-dire du Bureau politique (instance suprême, qui dirige l’Etat et la société).

4 – Le “forfait net” représente une très nette baisse de charges : de 80-85 % de la récolte, voire davantage auparavant, il a été ramené à 40 % pour la riziculture et à 30 % pour les autres cultures. Mais il reste tout de même encore trop élevé.

5 – On peut encore citer d’autres mesures avantageuses accordées aux paysans. Le prix des engrais chimiques baisse : 4 ou 4,5 kilos de paddy étaient nécessaires pour payer 1 kilo d’engrais azotés en 1987 ; il suffit de 3 ou 3,5 kilos en 1988. Ce prix était encore élevé, près du double du prix en cours plus tard, en 1981-1982, période où un kilo d’engrais azotés vaut deux kilos de paddy. La suppression des impôts progressifs et d’autres impôts prélevés par les autorités locales permet aux paysans de réduire leurs charges d’exploitation. Il faut aussi noter l’abandon par l’Etat du principe de répartition égalitariste des rizières aux paysans, en vertu duquel, il “confie” à chaque foyer 0,30 ha par travailleur principal ou 1 ha par trois travailleurs principaux. Dans les régions où les terres manquent de bras (comme à l’extrême ouest du delta du Mékong par exemple), les paysans peuvent étendre leurs surfaces cultivées au delà de 2 ou 3 ha de rizières.

c – Conséquences de la réforme sur la production agricole et sur les revenus paysans

1 – Augmentation spectaculaire de la production agri-cole

Depuis l’application de la décision N°10, la production vi-vrière du Vietnam n’a cessé de progresser et est passée de 19,5 millions de tonnes (6) en 1988 (dont 17 millions de t. de paddy) à 31,8 millions de t en 1998 (dont riz : 29 mil-lions de t.) (7) et 33,8 millions de t. en 1999 (8), chiffres officiels, surévalués paraît-il. Le Vietnam était un des dix pays les plus pauvres du monde, souffrant d’un déficit per-sistant en vivres, de la disette et de la famine chronique. Soudainement en 1989, il prend place parmi les grands pays exportateurs de riz, avec 3,7 millions de t. en 1998, et plus de 4,8 millions de t. en 1999 (malgré les inondations catas-trophiques dans les plaines côtières du Centre-Vietnam), une exportation qui lui rapporte 1 milliard de dollars par an. Il se place au 2e rang parmi les pays exportateurs de riz du monde (après la Thaïlande : 5 à 5,5 millions de t., mais avant les Etats-Unis).

Le “miracle” de l’économie rizicole du Vietnam s’explique par la remise en culture de rizières en friches (pendant la période de collectivisation forcée des terres), par la mise en culture de nouvelles superficies cultivées et par l’amélioration du rendement des rizières (liées aux grands travaux hydrauliques et aux cultures intensives). De 5,7 millions d’hectares emblavés en 1988, date de la mise en application de la décision N° 10, on est passé à 7,3 millions d’ha en 1998 tandis que le rendement moyen des rizières passait de 3,1 t/ha à 3,9 t/ha (chiffres officiels, exagérés, semble-t-il).

2 – Elévation du revenu agricole individuel

Alors que, depuis des décennies, les paysans vietnamiens vivaient dans une misère noire et que la disette était chez eux quasiment constante, Hanoi devant importer régulièrement 500 000 t. de riz par an, le niveau de vie dans les campagnes, au cours de ces dix dernières années (1990-2000), s’est amélioré quelque peu. Une enquête, menée par l’Office général de la statistique de Hanoi en 1990, révèle une amélioration sensible : le revenu équivaut aujourd’hui à 44,65 % de la récolte (9), chiffre, sans doute, lui aussi, exagéré. D’après nos interviews auprès des réfugié, arrivés au centre d’accueil de Créteil dans la région parisienne (“France terre d’asile”) dans les années 1987-1991, le revenu paysan de cette époque se situait entre 42 et 45 % de la récolte dans le delta du Mékong (les “impôts supplémentaires” non compris) et de 25 à 28 % dans le Nord-Vietnam . Auparavant le revenu moyen d’un paysan vietnamien représentait 10 à 15 % de la récolte.

Il faut noter cependant qu’exprimés ainsi en pourcentages, les revenus des paysans du Nord et du Sud-Vietnam, n’expriment pas avec précision l’inégalité de leurs niveaux de vie. En effet, les deltas du Fleuve rouge et du Mékong, ainsi que les plaines côtières du Centre-Vietnam propices à la riziculture concentrent et font vivre directement ou indirectement près de 80 % de la population vietnamienne. Selon le ministère de l’Agriculture et du Développement rural, chaque foyer paysan exploite en moyenne 0,27 ha de rizières (ou 2 700 m ) produisant une double récolte annuelle. Les plaines du Nord et du Centre-Vietnam sont surpeuplées (autour de 800 à 900 habitants par km2 de rizières). Chaque famille cultive 1,50 à 2 sào (1 sào = 1/10e de mâu, 1 mâu = 3 600 m ), soit 1 080 à 1 440 m embla-vés, ce qui équivaut à la moitié de la moyenne nationale. Par contre, dans le delta du Mékong, les exploitations de 1 à 2 ha pour une famille paysanne sont chose courante, en particulier dans les provinces occidentales. En outre, les sols alluviaux récents sont plus fertiles, le climat est plus clément, et le rendement des rizières meilleur. Ainsi, le revenu des paysans du Sud est nettement supérieur à celui de leurs collègues du Nord où, dans les régions pauvres et reculées, chaque paysan dispose, selon l’AFP du 25-6-1996, de moins de 10 dollars par mois.

Malgré des avancées incontestables depuis dix ans (1990-2000), les paysans n’ont tiré qu’un profit relatif de la prospérité agricole. Selon un rapport de l’ONU (publié en février 1999), le “renouveau” économique a permis d’améliorer les conditions de vie des populations vietnamiennes. Le taux de la misère et de la disette a été ramené de 70 % dans la décennie 1980 à 30 % à l’heure actuelle. Cependant, le revenu per capita demeure encore bas : 247 dollars en 1998 et 310 dollars en 1999. La misère, la disette et la sous-alimentation persistent dans les régions rurales. Les paysans sont écrasés d’impôts. Toutes les charges d’exploitations confondues sont encore très élevées, dépassant 80 % de la récolte (au lieu des 60 % fixés par l’Etat), à la suite de la progression inexorable des prix des engrais chimiques, des insecticides, des carburants, etc. et du prélèvement de plus en plus lourd représenté par les taxes agricoles, surtout les impôts “supplémentaires” levés d’une manière draconienne par les autorités locales.

Pendant ce temps, depuis la crise financière asiatique (juil-let 1997), le prix du riz exporté n’a cessé de chuter face à la concurrence âpre rencontrée sur le marché international. Beaucoup de paysans sont criblés de dettes et subissent l’oppression des “potentats locaux” : brimades, corrup-tion, abus d’autorité, etc.. Les autorités locales imposent par exemple de lourdes taxes “supplémentaires” et subtilisent une large partie de la somme recueillie. Détenant le mono-pole du commerce extérieur, les établissements étatiques d’import-export, associés aux commerçants privés (en gros et au détail), font pression sur les paysans, les forçant à vendre à bas prix. L’opération commerciale (achat, usinage, acheminement du riz) depuis le lieu de production jusqu’au port pour l’exportation est confiée en général à des com-merçants riches (chinois pour la plupart utilisant souvent des prête-noms). Elle leur rapporte de gros bénéfices aux dépens des paysans. Ceux-ci, exaspérés par les exactions des cadres locaux, ont fini par se révolter contre le régime à Thai Binh (situé à 80 km au sud-est de Hanoi) et à Dông Nai (à 30 km au nord de Hô Chi Minh-Ville). L’agitation populaire, avec la participation active de membres du PCV et d’officiers retraités, d’anciens combattants, de mutilés de guerre, de famille “liêt si” (dont le père ou la mère s’est sacrifié pour la “cause de la Révolution”), etc. a duré plusieurs mois (de juin à septembre 1997) (10).

Derrières ces protestations contre la corruption et les abus d’autorité des « potentats locaux” se cache un malaise profond, qui va s’aggravant au sein de la société rurale vietnamienne. Celle-ci souhaite la disparition des coopératives et le retour du faire-valoir direct des terres. Les paysans du delta du Mékong et des plaines côtières du Centre-Vietnam les avaient revendiqués sans succès, lors de leurs révoltes sanglantes dans les années 1987-1988.

II – Les difficultés agricoles et les nouvelles réformes de gestion des terres

Face aux revendications et aux contestations grandissantes, Hanoi n’a cessé, depuis 1990, de chercher des solutions pour amender la loi foncière de 1986. Celle-ci se révèle, dès sa promulgation en 1987, inefficace et inadaptée à l’écono-mie de marché et à une société en pleine mutation depuis l’ouverture du Vietnam aux pays non socialistes. A maintes reprises, en 1990, 1993 et 1999, l’Assemblée nationale a voté des amendements à la loi, accompagnés de décisions, de décrets d’application, etc. (11) qui n’ont pas répondu à l ‘aspiration profonde des paysans. Ceux-ci souhaitent le retour au droit de propriété privée et au faire-valoir direct des terres. Vo van Kiêt, alors qu’il était encore Premier ministre, a déclaré devant la presse vietnamienne, le 3-11-1996, que “le ‘dân’ (peuple) ne se sentait pas le maître de la parcelle de terres (qu’il cultive), et que, en conséquence, il était déçu, sentiment qui ne constitue pas un stimulant incitant les paysans à une exploitation efficace des terres”.

Pour amadouer les paysans contestataires, le Premier ministre Phan van Khai a signé le décret N°17/1999/ND-CP (du 23-9-1999) (12) en vertu duquel l’Etat reconnaît les droits d’usage des terres (agricoles et urbaines) suivants :

– Le droit d’échange, de concession, de location, de sous-location, etc..

– Le droit de succession à l’usage des terres, etc..

– Les droits de gage et d’usage des terres comme capital d’investissement, etc.

Cependant, pour jouir de ces droits, plusieurs conditions sont requises (13). Par ailleurs, l’énoncé de la loi foncière et de ses amendements, aussi bien que celui des décrets, des décisions, des réglementations d’application étant sommai-re et flou, les responsables les interprètent à leur manière. Pour débloquer la situation et obtenir gain de cause, les intéressés doivent être patients ou bien leur offrir “des pots de vin”. Les cadres sont incompétents et la bureaucratie tatillonne et corrompue. Ainsi, les “attestations d’usage des terres” sont délivrées au compte-gouttes, ce qui décourage aussi bien les paysans, les entrepreneurs locaux que les sociétés et les investisseurs étrangers (y compris les “Viêt kiêu” ou Vietnamiens de l’étranger).

Une conséquence inattendue de la loi foncière de 1986 et surtout de ses amendements récents en 1999, c’est la voie qui a été ouverte par elle vers l’accumulation des terres. Au cours de ces dernières années, une nouvelle forme d’exploitation a fait son apparition que l’Etat désigne sous le nom “d’économie de fermes” (traduction littérale de “kinh tê trang trai 

III – “Nouveau type d’économie agricole” : les fermes

a – L’évolution de la répartition des terres avant 1975

A vrai dire, ce type d’économie agricole n’est pas nouveau. Il avait existé au Sud-Vietnam du temps de la colonisation française. Il a pris son essor rapide au lendemain de la guerre d’Indépendance du Vietnam (1945-1954). Grâce au retour à la paix (1955-1960), le président Ngô Dinh Diêm (1954-1963) a réussi, dans un court laps de temps, à réaliser simultanément la réforme agraire (en vertu de l’ordonnance N°57 du 22-10-1956) et la politique de “dinh diên” (centres de développement agricole) et de “khu trù mât” (agrovilles).

– Les centres de développement agricole étaient des villages créés de toute pièce (peuplés de 1 000 à 1 500 habitants), destinés à accueillir les réfugiés nord-vietnamiens (14) et les paysans des plaines côtières du Centre-Vietnam chassés de leur région par la misère (15). Dans le delta du Mékong (provinces de An Giang, Kiên Giang, Minh Hai, etc..), l’Etat avait distribué 1 à 3 ha de rizières à chaque famille implantée, 1 ha défriché dans la Région orientale (Biên Hoà, Long Khanh, etc..) et dans les hauts plateaux du Centre Vietnam (Lâm Dông, Di Linh, Bao Lôc, etc..). Le colon avait le droit de porter la superficie de son lot à 5 ha, en poursuivant lui-même les défrichements. L’Etat délivrait un titre de propriété à chaque famille implantée, qui bénéficiait en plus de subsides en riz jusqu’à la première récolte. Des instruments aratoires (pioches, haches, couteaux, pelles, engrais chimiques, insecticides, etc.), des semences sélectionnées sont distribués. L’Etat accordait également aux nouveaux implantés des prêts à faible intérêt pour l’achat d’animaux d’élevage (volailles, porcins, boufs, buffles, truies ou verrats de bonnes races étrangères tels que Yorkshire, Birkshire, Danois, Landrace, Duroc, etc..).

Les agrovilles étaient des communautés agricoles créées d’autorité. Les habitants se recrutaient dans la population de la même contrée, vivant à l’écart des axes de transports et de communications dans des villages et hameaux repliés sur eux-mêmes, sans aucun contrôle gouvernemental. Face à la menace éventuelle de la guerre subversive, menée par les communistes nord-vietnamiens, le président Diêm décida de regrouper dans ces agrovilles ces populations dispersées, ce qui lui permit d’en faire le recensement, de réaliser le ta-misage attentif des ennemis, d’isoler le “dân” (peuple) des “Viêt công” (Vietnamiens communistes), pour que “le poisson, privé d’eau, ne puisse survivre”. Peuplées de 3 000 à 3 500 habitants, les agrovilles possédaient une infrastructure suburbaine. Elles étaient bâties sur les terres fertiles, bien desservies par le réseau de transports et de communications. Elles bénéficiaient de nombreux atouts (16).

Grâce à l’aide financière de l’ONU, des Etats-Unis et de la France, 169 centres de réimplantation furent créés en 4 ans (1957-1961). Sur ces 169 centres, on comptait 25 agrovilles, toutes implantées dans le delta du Mékong. La superficie des terres conquises ou remises en culture totalise 109.379 ha. Ils furent transformés en “hameaux stratégiques” au début de la décennie 1960, ainsi que tous les villages traditionnels dans le Sud-Vietnam (à l’époque de la création du Front national de libération du Sud-Vietnam, en décembre 1960). Le niveau de vie des réimplantés (devenus petits propriétaires de 1 à 5 ha) s’améliore nettement. Cependant, le programme du président Diêm de réaliser les centres de développement agricole et des agrovilles fut interrompu de 1963 à 1967 (après sa mort, suite au coup d’Etat du 1-11-1963).

Le général Nguyên van Thiêu, élu président de la République (1967-1975), poursuivit l’ouvre inachevée de son prédécesseur (en vertu de la loi de réforme agraire dite “la terre aux cultivateurs”, N°003/70 du 26 mars 1970). Les hameaux stratégiques furent désignés sous un autre nom : “villages de vie nouvelle” (âp tân sinh ou âp doi moi), où la conquête des terres vierges se poursuivit pour distribuer les terres conquises aux nouvelles vagues fuyant les zones d’insécurité (17).

b – La réapparition des fermes

Lors de la collectivisation des terres, qui avait suivi la prise de pouvoir communiste en 1975, les vergers ont été épargnés, pour la simple raison que le Nord-Vietnam ne possédait pas l’équivalent de ce type d’économie agricole. Petits propriétaires de 1 à 5 ha avant 1975, les exploitants des vergers avaient été assimilés par Hanoi à des moyens propriétaires de couche supérieure ou riches paysans (phu nông). Ils ont continué de gérer leurs vergers et de payer l’impôt sur le revenu (en paddy) (18). Après une période de stagnation du développement (1975-1990), les vergers ont soudainement retrouvé leur vitalité. En dix ans (1990-2000), on a vu apparaître de nouvelles exploitations de tailles différentes dans le delta du Mékong, dans la région de l’Est et les hauts plateaux. Au Nord-Vietnam, ce même type d’exploitation, qui n’existait pas auparavant, s’est développé à merveille et de manière “spontanée” depuis quelques années, dans les “moyennes régions”. Mais il s’est étendu bien au-delà de son ancien domaine : le verger. Une enquête sur ce nouveau type d’économie agricole, effectuée par Hanoi en 1999 dans certaines provinces, a révélé toute l’expansion prise par cette ancienne forme d’exploitation, remise au goût du jour, à savoir l’exploitation fermière. Ses activités sont complexes et englobent maintenant plusieurs secteurs agricoles (19).

1 – L’actuelle implantation des fermes

– Dans la région occidentale du delta du Mékong

En dehors des arbres fruitiers, cette région est réputée pour d’autres cultures (riziculture, cultures maraîchères, élevage des volailles, des porcins, pisciculture, etc..) dans la “zone des vergers” (miêt vuon). Située entre le Fleuve antérieur (Tiên Giang) et le Fleuve postérieur (Hâu Giang) et dotée d’eau douce en permanence, la région est adaptée à ce type d’exploitation. Dans la province de An Giang, par exemple, près de 13 000 fermes se sont développées sur une superficie de 41 000 ha (18 % des surfaces cultivées), soit en moyenne plus de 3 ha par ferme.

– Dans la région orientale

Moins peuplée que l’ouest du delta du Mékong, la région de l’Est est réputée pour ses terres rouges (provenant de la décomposition des roches basaltiques) très fertiles, qui se prêtent à toutes cultures, en particulier l’hévéaculture et autres cultures industrielles (caféiers, théiers, tabac, arachides, etc.).

La banlieue de Hô Chi Minh-Ville, ex-Saigon (à Thu Duc, Thu Thiêm, Hôc Môn, Cu Chi, etc.) compte 332 fermes. Dans un rayon de 100 km autour de la métropole du Sud, des fermes nouvelles pullulent là où il y a des terres rouges.

A Binh Phuoc, par exemple, au nord, on trouve près de 3 600 fermes, la plupart créées depuis une dizaine d’années, représentant une superficie de 24 000 ha et faisant vivre 4 % des foyers paysans de cette province. La superficie moyenne est supérieure à 6,5 ha par ferme. Celles-ci occupent 18 000 salariés agricoles (les travailleurs saisonniers compris), soit approximativement 10 % des paysans de la province. Les capitaux investis sont estimés à 404 milliards de dông (dont 95 % en provenance des capitaux locaux, 1 dollar = 14 000 d. en avril 2000), soit en moyenne 112 millions de dông par ferme.

On retrouve le même type de fermes à Binh Duong, à 30 km au nord de Hô Chi Minh-Ville : 1 250 fermes pour 14 000 ha, soit 11 ha par ferme. Les capitaux investis ont été évalués à 257 milliards de dông, soit en moyenne plus de 200 millions par ferme.

– Sur les hauts plateaux

A Daklak par exemple, 1 600 fermes ont été récemment créées sur les terres rouges conquises sur les forêts vierges. Leur superficie s’élève à 20 000 ha (consacrés essentiellement à la culture des caféiers, soit en moyenne plus de 5 ha/ferme). Les capitaux mobilisés ont atteint 800 milliards de dông, soit 500 millions de dôngs par ferme.

D’après un dénombrement effectué par le Ministère de l’agriculture et du développement rural, les fermes à Lâm Dông ont plus que triplé en un an : de 1 063 exploitations de 2 à 5 ha en 1998 on est passé à 3 356 en 1999. Certaines fermes ont une superficie supérieure à 100 ha.

– Dans les plaines côtières du Centre-Vietnam

A Ninh Thuân, près de 800 fermes ont été créées pour l’élevage des bovins (de 100 à 1 000 têtes par ferme), grâce aux prairies naturelles (de 10 à 100 ha par ferme).

– Au Nord Vietnam

A Yên Bai, plus de 9 200 fermes ont été dénombrées, chacune ayant 6 à 10 ha et occupant 20 à 25 travailleurs saisonniers. Le capital moyen investi par ferme a été estimé à 100 millions de dông.

2 – Justification idéologique et réglementation légale de l’exploitation fermière

Les fermes dont le nombre total est aujourd’hui estimé à 100 000, étaient qualifiées naguère “d’exploitations de type capitaliste incompatibles avec le socialisme”. Elles font, aujourd’hui, l’objet d’une attention particulière de l’Etat. Le 2e plénum du comité central du PCV, VIIIe congrès, à la fin du mois de décembre 1997, a reconnu ce type d’économie agricole.. En février 2000, deux décrets gouvernementaux ont été promulgués, qui le réglementent (20)

Le premier décret concerne “la politique de fermes L’Etat encourage le développement des différents types d’exploitations (fermes “familiales”, fermes “privées”, etc.). Les exploitants sont autorisés à embaucher des tra-vailleurs, sans aucune restriction de leur effectif. Il se porte garant de leur fortune et de leurs capitaux investis, sans nationalisation, ni confiscation par des mesures administratives, etc.. Cependant, ce décret manque encore de précision. D’autres mesures et décisions d’application seront nécessaires (durée du bail, limite de la superficie des fermes, attestation d’usage des terres, impôt sur le revenu, usage des terres comme gage pour accéder aux crédit bancaire, etc.).

Le 2e décret N°04/2000/ND-CP concerne, entre autres, le lopin individuel. Celui-ci est fixé à 300 m dans les plaines, 400 m dans les régions “moyennes” et “hautes”, dans les îles (pour la construction d’une maison et de ses dépendances : cuisine, poulailler, porcherie, étable, etc..). Dans certaines régions, dotées de vieilles traditions (plusieurs générations vivant sous le même toit par exemple), la superficie du lopin individuel est plus grande, mais elle ne doit pas dépasser le double de la limite mentionnée ci-dessus.

3 – Mais à qui donc appartiennent les fermes ?

Même si, jusqu’à présent, leurs produits sont surtout consommés à l’état brut sur le marché intérieur, faute d’industries agroalimentaires modernes pour les transformer en conserves pour l’exportation, les fermes sont appelées à jouer un rôle économique important dans l’avenir. Par suite, il est capital de s’interroger sur leurs actuels gestionnaires.

De sources officielles (21), 70 % des fermes appartiennent aux paysans et 30 %, à des fonctionnaires, aux cadres actifs ou retraités, auxquels il faut ajouter leurs proches. Cependant ce dernier groupe possède des fermes couvrant plusieurs dizaines d’hectares et équipées de moyens techniques modernes (tracteurs, motoculteurs, pompes à eau, groupes électrogènes, camions, etc.). Une question se pose : d’où proviennent les centaines de millions, voire des milliards de dôngs investis dans ces fermes modernes ? On sait que les salaires et traitements mensuels du pays sont modestes, n’excédant pas un million de dôngs pour les hauts fonctionnaires et les cadres supérieurs du PCV, entre 350 000 et 450 000 dôngs pour les cadres moyens et entre 200 000 et 350 000 dôngs pour les cadres de base (1 US dollar = 14 000 dôngs).

De toute évidence, l’immense fortune de ces nouveaux propriétaires (même s’ils ne font qu’utiliser la terre) est liée à la corruption, aux malversations, aux affaires douteuses (la contrebande par exemple). Une nouvelle classe sociale aisée apparaît. Ce sont de “nouveaux riches”, multimillionnaires en dollars US, issus de la nomenklatura du régime. Les “Saigonnais” les désignent du nom de “capitalistes rouges” (tu san do). Grâce à leurs hautes fonctions et leurs larges relations, ils ont obtenu des concessions de terres en friches, qu’ils ont transformées en fermes. Celles-ci se développent, s’agrandissent “à l’insu des autorités”, de leur propre aveu.. Ils étendent sans vergogne leur domaine, en détruisant les forêts vierges, sans respecter l’environnement. Ils creusent des puits et utilisent au maximum les nappes phréatiques pour arroser leurs champs de cultures, pendant 6 mois de sécheresse.

L’exemple du plateau de Daklak (22) est typique. Un plan approuvé par le Premier ministre favorable au développement des fermes a prévu que celles-ci devraient atteindre 100 000 ha plantés en caféiers en l’an 2005. Or cet objectif a été largement dépassé dès 1998, avec 140 000 ha ! Les mêmes abus d’extension illégale de fermes ont été commis à Lâm Dông, où plus de 25 000 ha de forêts ont été défrichés et transformés en plantations de caféiers. La destruction excessive des forêts, la surexploitation des nappes phréatiques sont lourdes de conséquences : érosion des sols, éboulements, glissements de terrains, etc.. Les fermes rapportent aux propriétaires des bénéfices intéressants, et en même temps leur donnent l’opportunité de “laver de l’argent sale”

IV – Quelques suggestions en guise de conclusion

Le marasme persistant de l’économie rurale et la misère du peuple nord-vietnamien depuis 1954, qui se sont étendus à tout le Vietnam réunifié après avril 1975, sont dus aux réformes erronées, dont la plus importante est la collectivisation forcée des terres. Celle-ci, accompagnées par d’autres mesures de socialisation radicale de l’industrie et du commerce, a sévi dans tout le pays. Cette politique volontariste, appliquée au mépris de l’opinion publique, s’est soldée par des échecs, plongeant le peuple tout entier dans un profond désarroi. Face à l’effondrement du bloc communiste de l’Europe de l’Est (1989-1991), les dirigeants ont admis avoir fait fausse route. Ils se sont hâté donc de réformer l’économie pour s’adapter à la nouvelle conjoncture internationale. L’aide substantielle de la Russie n’existe pratiquement plus depuis 1992, ainsi que celle des autres anciens pays socialistes “frères”. Désormais, le Vietnam ne peut compter que sur ses propres forces. Pour sauver son régime, il ne peut faire autrement que de se reconvertir à l’économie de marché et de s’ouvrir aux pays non-socialistes. Ce changement opportun d’orientation économique lui a permis d’éviter le désastre. La décision N° 10 et les autres mesures dites d’accompagnement ont favorisé une certaine reprise de la croissance économique. A vrai dire, ce “renouveau” n’est pas une initiative des dirigeants vietnamiens. Il s’agit plutôt de la reprise d’une partie des réformes effectuées par l’ancien régime de Saigon dans les décennies 50, 60 et 70. Certains autres pays de l’Asie du Sud-Est (Malaisie, Philippines, Thaïlande ; Indonésie, etc.) les avaient adoptées et réalisées avec succès, au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale. Cependant, à la différence des autres pays du Sud-Est asiatique mentionnés ci-dessus, les entreprises d’Etat prédominent et détiennent le rôle-clé. Ce dernier est réaffirmé dans la Constitution de 1992.

La décision N° 10 ne vise qu’à réformer partiellement la structure économique. Aucun changement n’est envisagé, concernant la structure politique. Hanoi décide de se reconvertir à l’économie de marché, mais reste immuable sur ses positions politiques. En raison du maintien d’un régime militaro-policier, il est donc dans l’impossibilité de réduire les énormes dépenses consacrées aux appareils du Parti (plus de 2,2 millions de membres) et de l’Etat (7,1 millions de fonctionnaires), sans prendre en compte 600 000 soldats de l’armée populaire et plus de 800 000 agents de sécurité (estimation de M. Bùi Tin, ex-colonel et ancien rédacteur en chef adjoint du quotidien Nhân-dân, réfugié politique en France), soit 26,7% des actifs du Vietnam (évalués officiellement à 40 millions de travailleurs en 1998). Il lui est donc difficile de s’adapter à la situation nouvelle, qui exige de lourds investissements, surtout depuis que le Vietnam est devenu membre de l’ASEAN (juillet 1995). De nouvelles réformes d’urgence seraient donc nécessaires, si Hanoi décidait d’entrer pleinement dans l’économie de marché en l’an 2002 date à laquelle commencera le libre-échange au sein de la communauté économique du Sud-Est asiatique :

a – Le retour à la propriété privée des terres

Les fermes d’Etat et les coopératives n’ont plus de raison d’être. Il faudrait supprimer purement et simplement les dépenses superflues (destinées aux comités de gestion, aux “potentats locaux”, etc..). Le faire-valoir direct des terres permettrait aux paysans de réduire considérablement les charges de production, de leur redonner confiance et enthousiasme. Ceci les inciterait à prendre des initiatives pour augmenter la production, étant donné que les terres leur appartiendraient.

b – La révision en baisse de la taxation agricole

Elle devrait être ramenée de 80-85 % à environ un tiers de la récolte. Pour y parvenir, il faudrait baisser, entre autres, les prix des engrais chimiques, des insecticides, des carburants, et supprimer les impôts “supplémentai-res”. “Trop d’impôt tue l’impôt”.

c – La création des organismes destinés à être le support de l’économie de marché

– Entré dans l’économie de marché, le Vietnam doit se soumettre aux lois de la concurrence, de la fluctuation des prix sur les marchés (intérieur et extérieur) : une politique de subventions financières en faveur des paysans serait souhaitable, pour éviter, comme dans un passé récent (lors de la crise asiatique en 1997), l’effondrement du cours du riz, provoquant la faillite des producteurs.

– Il faudrait aussi créer des organismes financiers efficaces pour les aider en cas de catastrophes naturelles.

– Une aide financière devrait être accordée aux paysans pour la modernisation technique du séchage ou pour l’achat d’une grosse quantité de riz en excédent après-récolte, et de silos modernes, capables de le conserver dans de bonnes conditions. Le riz du Vietnam est de qualité médiocre, peu apprécié sur le marché international. Il est moins compétitif que celui de la Thaïlande. C’est aussi pour la même raison que le Vietnam perd chaque année, d’après les estimations des experts onusiens et vietnamiens, 15 % de sa production vivrière (autour de 4,5 à 5 millions de t. d’équivalent paddy).

– Des crédits agricoles accessibles aux paysans devraient être accordés. Sur environ 12 millions de foyers paysans du Vietnam, 70 % (soit 8 400 000 familles) ont besoin chaque année de crédits pour la campagne agricole. Ils sont sous l’emprise des créanciers, qui les écrasent de dettes aux taux usuraires (60 % par an selon l’Etat, plus de 100 d’après nos enquêtes auprès des réfugiés paysans venus en France). La Banque agricole de l’Etat (partiellement financée par la Banque mondiale) est inefficace, faute de capitaux suffisants et en raison de la bureaucratie, de la corruption des cadres bancaires, de l’ignorance des paysans, etc.. De sources officielles, 30 % des foyers paysans (chiffre gonflé, paraît-il) ont bénéficié de prêts pour la campagne agricole à un taux préférentiel (de 1 à 1,2 % par mois pour des prêts à court terme).

d – Tous ces organismes exigent de lourds investisse-ments

Il serait donc impératif de réviser la structure des appareils du Parti et de l’Etat, pour comprimer leurs effectifs et réduire leurs dépenses excessives (plus de 50 % du budget national), ce qui permettrait à Hanoi d’avoir des moyens financiers, ainsi que des aides économiques substantielles internationales pour accélérer les réformes. Celles-ci sont jusqu’à présent des “demi-mesures”, l’essentiel du système socialiste étant encore préservé. S’il ne change pas de structure politique, l’Etat vietnamien ne pourra pousser plus loin ses réformes pour sortir le pays d’un marasme économique perpétuel, améliorer rapidement le niveau de vie de la population dont une partie vit au-dessous du seuil de pauvreté.