Eglises d'Asie

L’EGLISE EN INDONESIE : FAIRE FACE A DE NOUVEAUX DEFIS VERS UNE NOUVELLE INDONESIE

Publié le 18/03/2010




L’Indonésie est une société pluraliste multiethnique, multicul-turelle et multireligieuse. Il y a une diversité de groupes ethni-ques, de cultures, d’usages, de langues et de religions dans ce vaste archipel de plus de 13 000 îles. Il y a cinq religions : l’islam (87 %), le protestantisme (7 %), le catholicisme (3 %), le bouddhisme (2 %), l’hindouisme (1 %). La population totale de l’Indonésie est environ de 210 millions de personnes.

Cette pluralité est, par moments, une raison de fierté lorsqu’une unité peut être maintenue dans la diversité. Il y a beaucoup de langues et dialectes locaux, mais il existe une langue d’unité pour tout le pays, le Bahasa Indonesia (la langue indonésienne). Cette diversité a favorisé l’intégration et l’ouverture des différentes religions. Le Pancasila (cinq piliers), les cinq principes directeurs pour tout le pays (monothéisme, humanité, unité, démocratie et justice sociale pour tous), a unifié les hommes pour former une nation.

Mais en même temps, cette pluralité est également sujette à problèmes et conflits sociaux. Dans cette pluralité, une société fragmentée a émergé, caractérisée par des frictions dans les relations interethniques et interreligieuses. SARA (suku, agama, ras, antar golongan = ethnie, religion, race, relations intergroupes) sont les sujets les plus sensibles et nourrissent les problèmes sociaux potentiels. L’appartenance ethnique est parfois utilisée pour déclencher un conflit et la religion est utilisée comme moyen pour diviser les adeptes des différentes religions. Le ‘primordialisme’ ethnique et religieux, qui est le point faible de la société indonésienne, est facilement manipulé en ravivant les préjugés primordiaux. Cela est aggravé par le fanatisme (ethnique, politique, religieux), qui parfois devient une source de problèmes et qui a eu tendance à s’intensifier particulièrement ces dernières années. Depuis 1996, toute une série de violences a été fortement liée aux problèmes politiques, ethniques et religieux.

Une crise multidimensionnelle

Malheureusement, à l’époque du « Nouvel Ordre de la construction de la nation » de Suharto, la démocratie et le respect des droits de l’homme ont été abandonnés. Il a lutté pour atteindre une forte croissance économique, mais son seul objectif était de se maintenir au pouvoir. En fait, sa politique économique n’a créé que des principes de base économiques fragiles, et le résultat n’a été qu’une croissance économique apparente. La crise économique asiatique en 1997 a non seulement détruit l’économie indonésienne mais a également ouvert les blessures secrètes sociales, politiques et juridiques de la nation.

Une analyse en profondeur montre que cette situation de crise est ancrée dans le système et la structure de la société et ses pratiques, qui ont mis de côté la dignité humaine et les droits de base. Premièrement, déjà depuis le début du Nouvel Ordre, le système économique ne tenait pas compte de l’intérêt du peuple, le développement économique avait tendance a bénéficier à certains membres du gouvernement et à des hommes/groupes d’affaires (conglomérats) au détriment des gens ordinaires. La morale élastique chez les membres du gouvernement et les intérêts poursuivis par certains groupes ont également joué un rôle décisif dans le déclenchement de la crise, comme on peut le remarquer dans l’orchestration de personnes humaines et l’abus des structures et du système.

Deuxièmement, dans ce système, chaque parti essayait de tirer des bénéfices pour lui-même, son groupe ou sa famille. Les conséquences étaient la corruption, la collusion et le népotisme, qui se sont développés ; les pratiques injustes et frauduleuses sont devenues un art de vivre.

Troisièmement, l’exercice de l’autorité de l’Etat, qui donnait la priorité à la stabilité de l’Etat et la sécurité du peuple, soutenu par une forte domination des militaires, a eu pour résultat le sacrifice de quantité de vies humaines, particulièrement dans les zones d’opérations militaires, telles que Aceh, la Papouasie occidentale / Irian Jaya, et le Timor-Oriental. Le kidnapping d’activistes démocrates par certains membres des Forces Spéciales militaires a également été utilisé pour réduire au silence ceux qui auraient menacé le statu quo.

Quatrièmement, il semble que la majorité des personnes impliquées dans différentes formes de violence (y compris les incidents relatifs au SARA) étaient les gens du peuple, victimes de la marginalisation et de l’abandon des programmes de développement.

Cinquièmement, l’éducation scolaire, utilisée comme instrument de contrôle politique, avec l’orientation vers l’obéissance (aveugle) pour se conformer à la volonté du gouvernement, n’a pas réussi à favoriser la formation aux valeurs humaines et la vraie conscience.

La mauvaise situation a montré que la société était atteinte du mal moderne qui avait détruit tant les systèmes/structures sociaux, politiques, économiques que la conscience humaine. La vie humaine n’avait plus de valeur, les autres étaient considérés comme de simples instruments de profit ; les personnes critiquant le régime ou les opposants étaient considérés comme une menace ou un problème « à résoudre ».

Cette situation défavorable a explosé et s’est soldée par une crise nationale qui a été déclenchée par l’invasion des quartiers généraux du Parti Démocratique Indonésien de Megawati Sukarnoputri, le 27 juillet 1996, provoquant alors une série de violences dans de nombreuses parties d’Indonésie : Situbondo, Pasuruan, Tuban, Jember, Banyuwangi (Java oriental), Tasikmalaya (Java occidental), Solo (Java central), Pontianak et Sambas (Kalimantan occidental), Medan (nord de Sumatera), Makassar (sud de Célèbes), Djakarta (Ketapang, mai 1998 émeutes et exécution d’étudiants de l’université de Trisaki et la tragédie de Semanggi), Kupang (Timor occidental), Mataram (Lombok) et Poso (Célèbes). La crise économique et monétaire en 1997 n’a fait qu’aggraver la vie des Indonésiens et a provoqué une crise multidimensionnelle. Cette crise était en fait enracinée dans une crise de base, c’est-à-dire une crise morale de la nation. Malheureusement, cette crise a explosé sous différentes formes de violences et la société est devenue très sensible et réactive face aux questions relatives au SARA. Cette crise nationale a également été aggravée par la question du Timor-Oriental, particulièrement avant et après le référendum d’août l999.

Les 32 années de régime autocratique de Suharto ont également créé une stigmatisation, expressément visible dans :

a) la stigmatisation personnelle : une personne ou un groupe était doté d’un stigmate, d’un « mauvais » nom, d’une marque spéciale, par exemple ceux qui s’étaient impliqués dans le Parti communiste. Leur carte d’identité portait une marque spéciale. Plus tard, ils étaient marginalisés et devenaient victimes.

b) la stigmatisation territoriale : les hommes de certains territoires avaient une mauvaise marque. C’étaient ceux qui étaient conscients de leur dignité, de leurs droits et de l’appauvrissement de leur environnement. On les étiquetait comme GPK (Gerakan Pengacau Keamanan = Mouvement des Perturbateurs de la Sécurité) GPK Aceh, GPK Irian Jaya. Ils étaient également marginalisés et exclus et pouvaient être éliminés.

c) la stigmatisation de l’identité : cela fait référence à l’identité de quelqu’un. Un Chinois était appelé non-pribumi (non-autochtone), et donc il/elle appartenait à un certain groupe. C’était le début de sa marginalisation. Les Chinois étaient exclus de la scène politique, ils se concentraient donc sur les affaires. Ils étaient alors considérés comme riches, ils avaient de l’argent et les hommes au pouvoir le leur extorquaient souvent.

Ce régime du Nouvel Ordre de Suharto (aujourd’hui appelé « Vieille Indonésie ») était visible dans : 1.) la centralisation comme forme de colonisation des régions par le gouvernement central, 2.) le militarisme, 3.) le développementalisme, 4.) la destruction de l’environnement, 5.) des conflits parmi les différents éléments de la société, 6.) l’appauvrissement intellectuel par l’éducation (cf. problèmes de la jeunesse tels que la drogue, les jeunes sans qualification), 7.) la discrimination et le harcèlement des femmes, 8.) la violation de la loi, ce qui a mené au chaos.

Pour lutter contre ce climat, les Indonésiens visent à atteindre une « Nouvelle Indonésie », caractérisée par : 1.) une autonomie régionale, 2.) une société civilisée, 3.) l’enrichissement des relations sociales, 4.) un environnement protégé, 5.) différents éléments donnant l’opportunité de l’unité dans la diversité, 6.) l’éducation pour la formation des valeurs humaines, 7.) l’émancipation pour tous, 8.) des lois faisant autorité et bien respectées favorisant la justice (2). En d’autres termes, une Nouvelle Indonésie, à laquelle les Indonésiens désormais aspirent, une Indonésie humaine, civilisée et juste, qui respecte la liberté, les droits de l’homme, et qui se bat pour la justice et la prospérité de tous. Ce sont les principaux défis que doit relever l’Indonésie aujourd’hui.

Le changement de gouvernement avec le président Wahid nous a fait entrer dans une nouvelle ère d’ouverture et de démocratie. Une nouvelle conscience des droits fondamentaux se développe, ainsi qu’un sens accru de la liberté : liberté d’expression sans crainte, liberté de la presse. Il y a une sorte d’euphorie de la liberté qui peut être considérée comme une réaction à la répression, aux restrictions, et au contrôle étroit du régime de Suharto. Le parlement n’hésite plus à convoquer le président pour ouvrir un débat sur sa politique, et des critiques ouvertes des membres du gouvernement par les individus ou la presse ne sont plus taboues.

Le facteur islamique

Si l’on parle de l’Indonésie, il est indispensable de mentionner l’islam, car l’islam est la religion la plus répandue du pays et l’Indonésie possède la population islamique la plus importante du monde. Un renouveau et la prise de conscience d’être majoritaire se sont accrus au fil des années ainsi qu’une demande de contrôle dans les domaines politiques, économiques et religieux.

Il existe deux organisations principales islamiques qui déterminent l’existence et l’influence de l’islam dans la société : le Nahdlatul Ulama / NU (traditionaliste – jadis dirigé par Abdurrahman Wahid) et le Muhammadiyah (moderniste autrefois dirigé par Amin Raïs). NU signifie littéralement « renaissance des érudits islamiques ». Il fut établi en 1926 par un groupe d’oulémas de l’est de Java. Le NU conserve et adapte la tradition javanaise dans ses croyances et pratiques religieuses. Sa constitution d’origine l’engageait dans une série d’activités religieuses, sociales et économiques, en particulier le prosélytisme et la protection de l’éducation religieuse traditionaliste (3). L’autorité de l’ouléma et la force de l’organisation sont enracinées dans les pesantren (pensionnats religieux) (4). Il déclare avoir environ 35 millions d’adeptes. Le NU est tolérant et ouvert aux autres religions et n’a pas recours au fondamentalisme ni au fanatisme. Le Muhammadiyah était destiné à adapter l’islam à la vie indonésienne moderne et fut fondé en 1912 à Yogyakarta pour contrebalancer le développement de la mission catholique et protestante. Désormais, il est très impliqué dans les écoles, hôpitaux, orphelinats, internats, avec l’islam comme base idéologique et morale. Le nombre de ses adeptes se monte environ à 25 millions de personnes. Pour atteindre ses objectifs, il a employé de nombreuses méthodes des missionnaires chrétiens.

Dans la sphère politique, la population islamique de ces deux organisations s’est dispersée dans de nombreux partis islamiques, qui se sont développés suite à la chute du régime de Suharto en mai 1998 et du transfert de pouvoir à B.J. Habibie, qui a annoncé l’arrivée d’une nouvelle phase dans l’histoire indonésienne. Parmi les 48 partis politiques en lice lors des élections générales de 1999, 20 environ étaient islamiques. Il y a au moins deux éléments qui identifient un parti « islamique ». Premièrement, dans leurs tracts, beaucoup de partis tels que ceux-ci ont officiellement adopté l’islam comme base idéologique. Deuxièmement, dans certains cas, les partis islamiques ont conservé le Pancasila mais en même temps, emploient des symboles islamiques tels que l’étoile et le croissant (ka’bah) ou l’un des autres symboles largement associés à l’islam. De plus, un certain nombre de partis « musulmans » ou en tout cas « orientés vers la religion musulmane » pouvaient également être considérés comme « islamiques » (5). Le résultat des élections a révélé que les partis ayant une affiliation religieuse n’étaient pas populaires parmi les masses. La majorité de la population islamique a préféré les partis plus orientés vers le nationalisme, tels que le Parti Démocratique Indonésien pour la Lutte et le Parti de Golongan Karya (Golkar).

Les partis islamiques qui adoptent l’islam comme base idéolo-gique pourraient être intégrés dans ce qu’on appelle 1′« Islam Politik » (islam politique). Ils luttent pour influencer toute orientation et décision politique avec des aspirations islami-ques au sein du gouvernement et du parlement et pour ranimer le Piagam Jakarta (= la Charte de Djakarta). Chaque effort est consacré à l’intégration de certains éléments de la syariah (charia) dans la législation sur le mariage, le patrimoine, la charité, l’éducation et à l’adoption de ces lois comme lois nationales. Ils utilisent l’islam comme base et idéologie politique pour attirer leurs électeurs et partisans. Ils sont représentés principalement dans des partis islamiques tels que le PPP (Partai Persatuan Pembanunan), le PBB (Parai Bulan Bintang), le PDR (Parai Daulat Rakyat) au Parlement et dans des groupes rigoristes tels que le KISDI (Komite Indonesia untuk Solidaritas Dunia Islam), le FPI (Front Pembela Islam) (6).

D’un autre côté, il existe « l’Islam Kultural » (islam culturel). Il est le résultat de la répression des politiques islamiques par Suharto. Les musulmans, qu’ils l’apprécient ou non, ont dû utiliser « l’islam culturel » pour faire avancer l’islam et les intérêts des musulmans. L’objectif était de créer une culture, un environnement et une atmosphère islamiques ou de répandre les valeurs islamiques dans la société. Ils visaient à créer ce qu’on appelle le « masyarakat madani » (société civile) qui ressemble à la société de Madinah à l’époque de Mahomet. Ce fut Nurcholish Madjid, un érudit musulman important, qui a donné son élan à l’islam culturel grâce à son slogan, « l’islam oui, le parti islamique non ». Le résultat final de « l’islam culturel » a été la renaissance de la religion et de la culture islamiques en Indonésie En voici quelques signes : l’augmentation du nombre de mosquées, de madrasah (écoles coraniques) et de hajj, pèlerinages à la Mecque. D’autres signes sont l’établissement de l’ICMI (l’Association indonésienne des intellectuels musulmans), la Bank Muammalat Indonesia (Banque islamique), l’assurance islamique (takaful) et autres choses de ce genre depuis le début des années 90. L’ICMI, par exemple, a joué un rôle politique important depuis son établissement en 1990, amenant l’islam au centre du pouvoir les dernières années de l’ère Suharto (7).

L’aspiration de certains groupes musulmans, particulièrement les rigoristes, de faire de l’Indonésie un pays islamique officiel, n’est pas un secret. Lorsque les pères fondateurs de l’Indonésie préparaient la naissance d’une nation nouvelle (1945), un débat houleux a eu lieu pour savoir si l’Indonésie devait se baser sur une certaine idéologie religieuse ou non. Mais le principal souci des pères fondateurs était l’unité des diverses îles, cultures, groupes ethniques et religions. Par conséquent, la base religieuse fut rejetée.

Mais petit à petit, certains groupes musulmans ont essayé à maintes reprises de ranimer le « Piagam Jakarta » (la Charte de Djakarta) qui comprend les mots suivants : « avec l’obligation de respecter la loi syariah pour ses adeptes ». Ils pensaient ajouter ces mots au premier principe de Pancasila : « Croire en un Dieu » Croire en un Dieu avec l’obligation de respecter la loi syariah pour ses adeptes 

Pendant les 32 années de régime de Suharto, il n’était pas permis de discuter ou de parler de la Charte de Djakarta. C’était tabou. Mais, dans cette ère de réforme et d’ouverture, des tentatives pour raviver la Charte de Djakarta ont été faites à nouveau. Les partis et les groupes tels que le PPP, PBB, PDR, KISDI, FPI ont rendu publique leur intention de relancer la discussion sur l’insertion de la Charte de Djakarta dans le Pancasila. A la veille de l’assemblée annuelle du MPR (Assemblée consultative du Peuple), du 7 au 18 août 2000, il y a eu un mouvement de ces groupes pour mettre à l’ordre du jour la discussion sur Piagam Jakarta. Le 7 août 2000, le premier congrès de Mujahidin s’est conclu par une résolution appelée « Piagam Yogyakarta » (la Charte de Yogyakarta) qui contraint tous les musulmans au respect de la syariah et rejette toute idéologie contraire à l’islam. Cela a déclenché une vive discussion et bien que la récente Assemblée consultative du Peuple ait rejeté l’insertion de la Charte de Djakarta dans le Pancasila, cela a, une fois encore, ouvert un débat public sur le sujet.

Il est à noter que la position de ces groupes rigoristes n’est pas le reflet de celle de la majorité des musulmans. Ces groupes veulent donner une impression de position rigoriste et de lutte pour les intérêts de l’islam. Non seulement ils ont rendu la vie dure aux non-musulmans, mais aussi aux musulmans bienveil-lants en créant une mauvaise image de l’islam en Indonésie.

Conflits communautaires, particulièrement dans les Moluques

Le conflit dans les Moluques n’est pas différent des conflits des autres régions. L’invasion des quartiers généraux du Parti Démocratique Indonésien à Djakarta le 27 juillet 1996, qui a entraîné la mort d’un certain nombre de personnes, a déclenché d’autres violences et troubles sociaux dans différentes régions, comme mentionné ci-dessus.

Amboine, le chef-lieu de la province des Moluques, qui était autrefois considéré comme pacifique et tolérant, avait en fait conservé le potentiel d’un grand conflit. Les immigrés, principalement du sud de Célèbes et de Java (majoritairement musulmans), sont devenus plus forts économiquement. Alors que les autochtones amboinais, principalement protestants, sont restés sur le carreau. Ce fait a créé une jalousie économique. Pendant ce temps, les positions les plus avantageuses du gouvernement passaient des mains des protestants aux musulmans. Ce fut une autre raison de concurrence entre les chrétiens et les musulmans.

Un autre facteur qui a contribué à créer et à provoquer facilement des conflits dans les Moluques, fut le legs du système colonial d’organisation des habitants en villages. Dans certaines zones, les hameaux ou villages des chrétiens étaient séparés de ceux des musulmans. De cette façon, chaque groupe avait créé un « ghetto » et il y avait peu d’intégration dans la vie quotidienne. Par conséquent, lorsque le conflit démarra, les villages musulmans, dont les habitants provenaient principalement d’autres groupes ethniques, ont attaqué les villages chrétiens et vice versa.

Amboine était autrefois connue comme étant une région chrétienne avec 60 % de chrétiens et 40 % de musulmans. Mais cela a changé depuis le lancement du programme de transmigration (déplaçant les gens de régions telles que la surpeuplée Java – principalement les musulmans – dans d’autres régions moins peuplées). Ces dernières années, le ratio de la population s’est inversé : sur une population totale de 300 000 personnes pour Amboine, 55 % étaient musulmans et 45 % étaient chrétiens dont 5 % de catholiques ; idem pour les deux millions de personnes de la population totale de cet archipel des Moluques.

Dans une telle constellation (archipel de 1 000 îles), un conflit relatif au SARA pouvait être facilement provoqué. Dans un temps relativement court, toutes les régions principales des Moluques ont été affectées par des troubles sociaux. En plus d’Amboine, la partie nord de l’archipel (Halmahera et ses environs), où les chrétiens étaient très minoritaires, fut également frappée par des troubles et les chrétiens ont été anéantis et contraints à gagner d’autres régions. Dans les Moluques centrales, Bunu et Seram ont été également affectés, ainsi que les Moluques du sud-est comme les îles Kei, Dobo dans les îles Aru et les îles Tanimbar, qui comptaient une bonne proportion de chrétiens.

Des signes similaires étaient visibles dans d’autres régions affectées par des conflits, comme Poso, au centre des Célèbes (en mai-juin demiers) ou Luwu, au sud des Célèbes plus récemment (en août dernier), affectés à nouveau par des conflits ethniques et religieux.

Les acteurs qui se cachent derrière ces conflits

Force était de croire que toute la scène était orchestrée à partir de Djakarta, la capitale de l’Indonésie, par certains groupes à des fins personnelles et politiques… On les appelle les « auctores intellectuales » et « provocateurs ». Ils n’hésitent pas à utiliser comme instrument, les questions relatives au SARA à des fins personnelles et politiques. Le conflit dans les Moluques et dans d’autres régions a commencé par un conflit urbain, manipulant l’ethnie et la religion à certaines fins, plutôt que par un conflit interreligieux. La religion fut politisée.

a) Depuis la chute du règne de Suharto en mai 1998, des émeutes et des violences urbaines se sont accrues. Les partisans ou les amis de Suharto, qui sont puissants financièrement, n’ont pas aimé le voir accusé de l’effondrement du pays, et être traduit en justice, ce qui pouvait également signifier qu’ils pourraient subir le même sort. Ils voulaient maintenir le statu quo dont ils avaient profité politiquement et économiquement. Ils voulaient voir un pays déstabilisé et le gouvernement actuel discrédité. Ils étaient désireux de ralentir les réformes et apparemment d’empêcher les récriminations contre ceux qui étaient impliqués dans des manouvres politiques douteuses ou contraires aux droits de l’homme de ces trente dernières années. Certains des anciens ministres siégeant au gouvernement, certains généraux de l’armée et hommes d’affaires ont été dénoncés publiquement comme étant impliqués dans ce conflit (8).

b) L’armée également était divisée entre les réformistes qui sont prêts à s’adapter aux exigences des nouvelles réformes et ceux qui veulent maintenir un statu quo et sont insatisfaits de la dégradation de leur fonction socio-politique. Au temps du régime de Suharto, l’armée exerçait avec force une « double fonction » : une fonction militaire et socio-politique. Au sein de l’armée, il y a également ceux qui soutiennent la cause des groupes musulmans rigoristes. Maintenant, on parle également de groupes progressistes et conservateurs au sein de l’armée.

Il est difficile de comprendre l’incapacité de l’armée à empêcher les milliers de Laskar Djihad (troupes de la Guerre Sainte) venant de Java de gagner les Iles Moluques, bien que le président ait ordonné d’empêcher leur départ. Il y a eu de nombreux soupçons sur la partialité de certains membres de l’armée sur place et sur leur aide au départ de ces troupes du djihad ainsi que les armes et munitions fournies ou envoyées aux Moluques. Ils font également partie du problème.

Le ministre de la Défense indonésien, Juwono Sudarsono, a déclaré : « Il y a certains, ou même beaucoup de membres de l’armée, d’après les informations fournies par les deux camps adverses, qui sont devenus la cause majeure des affrontements » (9). La présence de soldats déserteurs a également compliqué la situation.

c) Il y a également des groupes de fondamentalistes et de musulmans radicaux/rigoristes. Ils veulent que l’Indonésie, qui compte la population musulmane la plus importante du monde mais qui n’est pourtant pas officiellement un pays musulman, devienne une république islamique. Ils utilisent cette situation de confit pour renforcer leur aspiration à faire de l’Indonésie un pays officiellement musulman. Ils n’aiment pas le président Wahid, qui est un homme de dialogue et de tolérance et qui ne soutient pas leur cause.

Les articles injustes dans les médias musulmans ont contribué à provoquer un esprit de djihad (guerre sainte) pour la défense de leurs frères musulmans, qui, selon ces médias, ont été exterminés par les chrétiens. Après un entraînement à Java, des milliers de troupes du djihad sont arrivées en mai dernier à Amboine et Halmahera. Leur arrivée n’a fait qu’envenimer la situation, qui autrefois était calme. Ils étaient équipés d’armes automatiques. Leur objectif était d’expulser les chrétiens des Moluques.

« Si l’on en croit les données obtenues, il est clair que l’affaire d’Amboine a été dirigée de l’extérieur des Moluques avec pour objectif le « nettoyage ethnique » fondé sur la haine envers une certaine religion » (10). Semmy Waileruny, avocat, a déclaré : « Les provocateurs véreux ont également joué un rôle dans cette agitation. Il y a eu une campagne coordonnée d’attaques contre les chrétiens pour les expulser des ‘îles aux épices’ autrefois idylliques. L’image des chrétiens expulsés par les musulmans avait commencé à se dessiner… Il n’y a plus de chrétiens à Ternate. Ce processus d’islamisation commence déjà. C’est une tentative pour faire de la religion chrétienne une ennemie ».

« Les analystes qui tentent d’expliquer la violence des Moluques, qui a engendré la mort de plus de 3 000 personnes ces 18 derniers mois, pensent que cela représente une convergence d’intérêts. Ceux des officiers mécontents à la retraite ou servant toujours dans l’armée et qui essayent de transférer le centre politique dans la lointaine Djakarta, en passant par ceux des extrémistes musulmans bien subventionnés, cherchant à capitaliser, au plan de l’équilibre démographique, sur le revirement d’une région qui autrefois était en majorité chrétienne dans une nation qui autrement serait islamique de manière écrasante » (12).

Dans un appel urgent du 22 juin 2000, le Centre de Crise du diocèse d’Amboine a déclaré que « ce qui se passe dans les Moluques actuellement ne peut pas être qualifié d' »émeutes », de « violences », de « conflit sanguinaire » ou même de « guerre » : c’est un assassinat organisé, réalisé de sang froid sur des personnes innocentes, admis par les musulmans eux-mêmes au moyen des haut-parleurs de leurs mosquées qui appellent à l’anéantissement de tous les « infidèles chrétiens ». La violence ne peut plus être considérée comme un conflit, mais comme une tentative pure et simple d’évacuation des Moluques de tout ce qui est chrétien ». En réalité, les chrétiens ont déjà été expulsés de certaines régions des Moluques du nord, comme Ternate, Tidore, Mororai Obi, Bacan, Sula, Buru Amboine et d’autres régions des Moluques sont devenus des champs de la mort. Bien que la situation semble s’être améliorée, elle est toujours très fragile. La mise en application d’un état d’urgence civil le 27 juin 2000, suivi d’un isolement limité du territoire pour empêcher le passage d’armes et munitions, n’a pas été d’un grand secours.

Seules la récente expulsion forcée d’un certain nombre de combattants du djihad et la confiscation de milliers d’armes, bombes artisanales et autres outils tranchants, ainsi que les pressions grandissantes des communautés et gouvernements internationaux, semblent avoir contribué à l’amélioration de la situation. En même temps, le désir de mettre fin au conflit s’est accru. « Le désir de mettre fin au conflit est de plus en plus en-tendu tant par les chrétiens que par les musulmans. Bon nom-bre de ces derniers désirent également que les guerriers du djihad quittent l’endroit aussitôt que possible.. Le comman-dant en chef de la police rencontre pratiquement tous les jours, soit les communautés musulmanes, soit les communautés ca-tholiques, même à Masohi (l’île de Seram). Il a déclaré à la télévision régionale que pratiquement personne ne voulait que le conflit se poursuivre. Au contraire, les gens désirent rétablir des relations mutuelles normales, basées sur le pela gandong (fraternité) traditionnel des Moluques. Un journaliste relate qu’il n’est pas rare qu’il entende les musulmans dire : les chrétiens souffrent à cause de ce qu’il leur a été fait par les djihads ; en fait nous, les musulmans d’ici, endurons de la même façon beaucoup de souffrances infligées par eux » (13).

Ce conflit prolongé dans les Moluques, et parfois dans d’autres régions, a contraint les gens à fuir leurs maisons et leur terre, et à devenir réfugiés. Des milliers de personnes ont fui les zones sinistrées et ont trouvé des abris plus sûrs dans le nord des Célèbes alors que d’autres ont regagné leurs régions d’origine comme les Moluques du sud-est, les Célèbes du sud ou Java. A son tour, ce flux de réfugiés sans précédent a engendré de graves problèmes, tels que la nourriture, de nouveaux villages, des logements, du travail, des effets psychologiques préjudiciables.

La réponse de l’Eglise en Indonésie

La situation concrète de la société détermine également la réponse de l’Eglise. La joie et l’espérance, la souffrance et les angoisses des hommes sont aussi celles de l’Eglise. En réponse à la situation de crise, l’Eglise a fait entendre sa voix critique et morale, comme cela est exprimé par exemple dans les lettres pastorales des évêques : La lettre du Carême en 1997 (juste avant les élections générales) dans laquelle les évêques ont exprimé leurs inquiétudes quant aux crises qui se sont imposées à tous les niveaux de la vie et qui sont principalement enracinées dans la décadence morale  (14); la lettre de Pâques en 1999 Grandir dans l’espérance qui était destinée à répondre à la crise morale en cours, avec une mention spéciale aux problèmes de l’époque tels que les élections générales de 1999, l’autonomie régionale et les régions spéciales (15). Dans leur « Appel moral et politique », le 12 août 1999 (précédant la célébration du jour de l’indépendance, le 17 août), les évêques ont exprimé leurs inquiétudes et leur position sur la situation générale de la société et sur les incidents d’Aceh, d’Amboine et du Timor-Oriental (16). L’assemblée annuelle de la Conférence des évêques, en novembre 1999, a donné lieu à une exclamation pastorale « Changeons notre cour » (17Elle exprime la longue crise, qui, à l’origine, fut déclenchée par la crise monétaire et économique. Les évêques ont prié l’Eglise de suivre l’Evangile principalement pour ceux qui sont victimes et souffrent des crises.

Dans leurs lettres, ils parlent surtout de la défense de l’humanité, sans tenir compte des affiliations religieuses ou de l’ethnie. Cette situation de crise a également développé un grand sens de la solidarité parmi les fidèles pour tous ceux qui souffrent des crises et des conflits. Un centre de crise affilié au bureau de la Conférence des Evêques a été ouvert. Il est important de constater également le changement de priorité de la position et du point de vue de l’Eglise : d’une Eglise plus sacramentelle et institutionnalisée ad intra, à une Eglise plus tournée vers l’extérieur ad extra.

L’accent porté sur une Eglise plus ad intra est mis sur les services sacramentels bien organisés, des institutions bien gérées telles que les organisations internes, les écoles qualifiées, les hôpitaux, les médias… Jusqu’en 1990 environ, l’Eglise se considérait comme une minorité et n’intervenait pas dans la sphère socio-politique ou était très prudente lorsqu’elle abordait les questions socio-politiques. Selon les mots de l’ancien cardinal indonésien Justinus Darmoyuwono : « Nous nous considérons comme respectant ‘un silence efficace' » (18L’influence de l’Eglise a été largement ressentie par la présence de ses services dans les écoles, hôpitaux, médias, et d’un bon nombre de laïcs dans les services gouvernementaux. A cette époque, certains groupes musulmans ont accusé l’Indonésie d’être christianisée.

Une Eglise ad extra est une Eglise prophétique, une voix morale dans la société, et est impliquée dans la cause de la justice et de la paix, est ouverte au/dans le dialogue et partenariat avec différents composants de la société. A cette période, la communication et le dialogue avec d’autres religions et d’autres composantes de la société tels que les ONG sont apparus et sont devenus un défi majeur pour l’Eglise. Les défis les plus difficiles à relever concernent les musulmans rigoristes, qui ne sont pas ouverts au dialogue. L’autre aspect de l’Eglise ad extram est le passage d’une Eglise réceptrice à une Eglise missionnaire qui envoie. En termes de personnel, bon nombre de religieux indonésiens sont envoyés à l’étranger comme missionnaires. De plus, dans un certain nombre de congrégations religieuses, les Indonésiens sont devenus partie intégrante des administrations générales. Un autre grand défi de l’Eglise est l’autosuffisance financière, particulièrement dans de nombreuses églises locales, où 1a contribution des gens ne peut pas satisfaire aux besoins pastoraux en place, particulièrement après la crise économique.

Face à la crise de la société, on s’attend à ce que l’Eglise joue un rôle de donneur d’espoir à ceux qui se trouvent dans une situation désespérée, et face aux situations de conflit, un rôle de réconciliation, de lutte non violente pour la démocratie et qu’elle transforme les conflits potentiels en fraternité enrichissante et vraie. Le rôle des Eglises locales particulièrement, comme médiatrices dans les conflits, dans la promotion de la justice et de la paix, dans la défense de l’humanité comme à Amboine, est devenu très important. Dès le départ, l’évêque local d’Amboine, Mgr P.C Mandagi, msc, a joué le rôle de médiateur opportun entre les deux groupes opposés. Ce rôle est devenu plus difficile une fois que les troupes du djihad sont arrivées dans les différentes régions des Moluques. Les institutions catholiques sont devenues également la cible des attaques et de nombreux catholiques, les victimes des affrontements. La complexité de la solution du conflit l’a contraint à faire pression sur la communauté internationale pour contribuer à trouver une solution au conflit. En juillet, l’évêque, accompagné d’autres porte-paroles religieux, ont fait le voyage jusqu’en Europe, puis aux Etats-Unis à cette fin.

En attendant avec impatience une nouvelle Indonésie, les évêques indonésiens prévoient une édification nécessaire de l’Eglise indonésienne comme communauté de base, un communio, en mettant l’accent sur l’« ad extra », ce qui signifie une partie de la société en liberté et en partenariat, dialogue et communication avec toutes les composantes de la société Afin que l’Eglise s’exprime comme communio, les évêques ont convenu d’organiser un Grand Rassemblement catholique, couronnement des célébrations du Jubilé de l’an 2000, début novembre 2000. Il rassemblera les représentants laïcs, religieux, du clergé de tous les diocèses d’Indonésie, en communion avec les évêques. Le thème du rassemblement est « Donner du pouvoir aux communautés de base vers une nouvelle Indonésie ». Donner du pouvoir aux chrétiens de toutes conditions sociales peut être une grande contribution à la création de la nouvelle Indonésie, qui est pacifique, prospère, construite sur une vraie fraternité et caractérisée par une compréhension, une acceptation et une appréciation mutuelles ainsi que le respect, la justice, la paix et l’honnêteté.

Afin de donner du pouvoir aux communautés de base, la qualité des ressources humaines prend une importance considérable. Non seulement la formation des religieux et prêtres est indispensable, mais aussi, et de façon plus importante, celle des laïcs particulièrement des jeunes. Pour être le sel et la lumière du monde indonésien, pour être prophétique, et afin d’être présente et influente dans la société, l’Eglise indonésienne a besoin de laïcs qualifiés. Ils sont au premier rang de la société. Il existe beaucoup de laïcs qui sont capables de faire d’autres études sur différents sujets, ou sont disponibles pour suivre des stages de formation, mais souvent, l’obstacle principal est la limite financière. Je crois que l’avenir de l’Eglise se trouve dans les mains des laïcs. Déjà au début de l’implantation de l’Eglise catholique en Indonésie, les laïcs ont été les agents déterminants de l’évangélisation et du développement de l’Eglise. Mais face aux défis de plus en plus difficiles, tels que ceux mentionnés ci-dessus, et ceux de la mondialisation, qui affectent la société indonésienne également, nous avons besoin de construire une Eglise prophétique avec la solide et forte participation de laïcs qualifiés.