Eglises d'Asie

S P E C I A L LAOS

Publié le 18/03/2010




p. 2 Géographie, démographie, économie, politique, religions : données statistiques (EDA)

p. 3 Une ouverture politique et économique hésitante (EDA, Nicolas Derai)

p. 18 Histoire de l’évangélisation au Laos (EDA, P. Robert Costet)

p. 27 Carte du Laos (EDA, Encyclopædia Universalis)

L E L A O S E N C H I F F R E S

GEOGRAPHIE DEMOGRAPHIE ECONOMIE POLITIQUE RELIGIONS

Superficie

236 800 km² (dont 4 % cultivées et 50 % de forêts)

Population

4 900 000 habitants (estimation 1995)

Densité : 20 habitants au kilomètre carré

Croissance démographique annuelle : 3 %

Indice de fécondité : 6,7 enfants par femme

Taux de mortalité : 18 pour mille

Taux de natalité : 42 pour mille

Taux de mortalité infantile : 110 pour mille

Espérance de vie : 51 ans

Taux d’alphabétisation : 55 %

Densité de population : 21 hab. / km²

Composition de la population

Laos : 50 %

Thaïs : 14 %

Miaos et Yaos : 13 %

Hmongs et autres : 23 %

Urbanisation

Population urbaine : 21,7 %

Population rurale : 78,3 %

Capitale

Vientiane : 250 000 à 350 000 habitants

(banlieue comprise)

Certaines statistiques donnent le

chiffre de 700 000 habitants.

Langue

Lao (langue officielle), thai, hmong, lao thung, français, anglais.

Agriculture

70 % de la population active et 52 % du PIB

L’agriculture est de très loin la principale ressource du pays.

Jusqu’en 1988, la terre est collectivisée sous forme de coopératives. 74 % des cultivateurs sont regroupés en kolkhozes. Depuis lors, effort de libéralisation.

Riz : 71 % des terres cultivées ; la production suffit aux besoins, mais le rendement reste faible : 2 188 kgs à l’hectare contre une moyenne asiatique de 3 581 kgs à l’hectare.

Bois : première ressource d’exportation.

Industrie

12 % de la population active et 19 % du PIB

Un nouveau code des investissements, datant de juillet 1988, a permis une amélioration sensible de la situation. Des industriels thaïs, australiens ou japonais commencent à s’installer dans le pays (textile).

Le sous-sol est riche en gypse, fer, étain, argent, or, saphirs, charbon.

Hydroélectricité

Politique

République démocratique populaire

Pouvoir centralisé autoritaire

Parti (communiste) unique

PNB / Hab.

370 dollars américains

Armée

37 000 hommes

Religions

Bouddhisme Théravada (Petit Véhicule) :

90 % de la population

Chrétiens : environ 1 %de la population

Animisme encore présent parmi les minorités.

Eglise catholique

Catholiques : 42 000

Vicariats apostoliques : 4

Paroisses : 59

Evêques : 3

(et 1 administrateur apostolique)

Prêtres : 17

Religieuses : 94

(EDA, décembre 1999)

UNE OUVERTURE POLITIQUE ET ECONOMIQUE HESITANTE

Nicolas Derai

[NDLR – L’auteur de ce dossier est français, journaliste et réside en Thaïlande. Il est correspondant de plusieurs journaux européens pour le Sud-Est asiatique et s’intéresse plus particulièrement au Laos.]

Avant même le retrait total de l’aide soviétique, le Laos s’était engagé, dès 1986, dans une politique d’ouverture à l’économie de marché et d’intégration à la communauté internationale. Cette libéralisation économique, si elle n’a pas été remise en cause, n’a pourtant pas été accompagnée de signes tangibles de libéralisation politique. Le dernier Congrès du Parti en mars 1996 et les élections législatives de décembre 1997 n’ont pas ébranlé le monopole du pouvoir. Historiquement soucieux de son intégrité et de son indépendance, le Laos s’attache à maintenir un savant équilibre entre une ouverture internationale (adhésion à l’ASEAN, candidature à l’OMC, politique touristique) et la nécessité de renforcer ses liens avec ses partenaires idéologiques. Un équilibre pourtant de plus en plus fragile et contradictoire dans un contexte de crise asiatique qui l’a durement affecté et d’une réduction substantielle de l’assistance étrangère qui maintenait jusque là son économie à flots. Sans perspectives, à moyen terme, d’évolution politique, la volonté officielle formulée comme un slogan reste de transformer un pays naturellement enclavé en un territoire carrefour (1).

Un régime figé sans signe de détente politique

Jusqu’à la dernière minute, le plus grand secret avait entouré les nominations du président de la République et du nouveau gouvernement le 24 février 1998, suite aux élections législatives du 21 décembre 1997 au suffrage universel direct. Les 99 députés, dont 21 femmes, ont confirmé les rumeurs en désignant l’ancien Premier ministre et chef du Parti populaire révolutionnaire lao (PPRL), Khamtay Siphandone, à la présidence de la République et le vice-président Sisavath Keobounphanh pour le remplacer à la tête du gouvernement. Unis par des liens familiaux, ils sont tous deux généraux et membres de l’omnipotent Bureau politique (2). L’Assemblée Nationale continue d’être présidée par le général Samane Vignakhet qui occupe la deuxième place au sein du Bureau politique. Cette quatrième législature depuis 1975 marque le retrait de la scène politique du président octogénaire Nouhak Phoumsavanh, à la santé déclinante. Dernier dirigeant historique de la révolution laotienne, il avait déjà quitté le Bureau politique en 1996. Trois députés ne sortent pas des rangs du Parti mais leurs candidatures avaient été approuvées au préalable par celui-ci. Signe du pouvoir monopolistique du PPRL : seize députés sont issus du Comité central, dont trois du Bureau politique, tandis que quatorze des vingt-cinq ministres se retrouvent dans les rangs du Comité central. Seule évolution notable : un rajeunissement de la chambre dont la moyenne d’âge ne dépasse pas 50 ans. Le corps législatif qui compte 24 militaires illustre la symbiose entre le Parti et l’armée.

Les diplomates avouent leur circonspection face au processus décisionnel au sein du Bureau politique. La structure pyramidale du pouvoir et le centralisme bureaucratique exigent que toute décision soit approuvée par ce collège de neuf membres enfermé dans le culte du secret, dans “une culture de guerre qui demeuresouligne un observateur. Rumeurs et spéculations renvoient l’image d’un Bureau politique désuni, composé de factions mais dont les lignes de forces précises demeurent mystérieuses. “Ce sont de vieux révolutionnaires qui se connaissent bien et qui s’épientnote un expert local. Chacun observe chacun avant la redistribution des cartes du Congrès du PPRL en 2001. La composition du Bureau politique traduit, s’il en était besoin, la prépondérance de l’armée dans l’appareil exécutif. A la mort de la figure révolutionnaire, Kaysone Phomvihane, en 1992, certains observateurs avaient prédit l’effacement de l’influence idéologique vietnamienne et la victoire des jeunes pragmatiques sur les tenants d’une ligne dure. Mais Khamtay Siphandone, 73 ans, a été formé à Hanoi et entretient des liens étroits avec l’état-major vietnamien, tout comme le numéro trois du régime, le général Choummaly Sayasone, Vice-Premier ministre chargé de la Défense. L’aile la plus proche de Hanoi semble avoir plus que jamais le vent en poupe et un diplomate affirme que “l’aval du Vietnam est indispensable pour nommer un ministre

Les diplomates et experts multilatéraux en contact avec l’appareil d’Etat constatent que les technocrates des ministères, souvent formés à l’étranger, sont “parfaitement conscients de la nature des problèmes et des solutions à y apportermais doivent en référer aux plus hautes sphères du pouvoir, “figées dans leurs certitudesDe nombreux observateurs misent sur le ministre des Affaires étrangères, Somsavat Lengsavat, étoile montante du Comité central dont il occupe le douzième rang. Rien ne permet de corroborer ces spéculations, mais il pourrait incarner une évolution timide du régime.

La double structure du pouvoir entre le Parti et l’administration semble condamner toute perspective de réforme. Le Parti doit normalement définir la politique générale du pays, tandis que le gouvernement est chargé de la mettre en place. Dans la pratique, explique un rapport, les structures partisanes s’immiscent dans tous les détails de fonctionnement de l’Etat, l’éloignant de sa tâche originelle. Dans le même temps, les fonctionnaires sont tenus d’assister à certaines réunions politiques et à participer régulièrement à des séminaires de formation. Outre que ces séances de travail idéologique mobilisent la majorité de la fonction publique, paralysant ainsi pendant plusieurs jours les administrations, elles tuent toute initiative du fonctionnaire. Celui-ci vit dans la crainte de ne pas prendre la décision qui conviendrait au Parti. “Dans le doute, on préfère s’abstenirconclut un expert.

De manière générale, le régime est décrit comme “un système à double commande où une catégorie de gens parle aux étrangers et attire les capitaux et une autre derrière, que l’on ne voit jamais, prend les décisions”. A titre d’exemple, médecins et experts en contacts réguliers avec le ministre de la Santé, Ponemek Dalaloi, savent bien qu’il ne dispose d’aucun pouvoir décisionnel. C’est sa vice-ministre, Daovone Vongsack, beaucoup plus discrète, qui donne son accord avant une décision. Au contraire de son ministre et supérieur hiérarchique, elle est membre du Comité central.

Un régime liberticide

En dépit d’une politique affirmée de libéralisation économique, le régime reste pour l’instant hermétique à toute ouverture politique. Le dogme du parti unique reste la norme, tout comme l’intolérance à une quelconque opposition politique exprimée. D’après la Constitution du 15 août 1991, le Laos s’assigne la double tâche de défendre et de construire un pays attaché à “la paix, l’indépendance, la démocratie, l’unité et la prospéritéLe socialisme, même en tant que but à atteindre, n’est mentionné nulle part. Le PPRL est qualifié, à l’article 3, de “noyau dirigeant” du système politique, mais le Parti n’est jamais cité ailleurs dans le texte. Détails révélateurs, selon les commentateurs, de “l’évolution des priorités politiques au sein du Partiau moment de la rédaction de la Constitution en 1990-91. Sur le papier, l’Etat protège “la liberté et les droits démocratiques du peuple qui ne peuvent être violés par quiconque” (article 6) et garantit “le droit à la liberté de rassemblement” (article 31). Selon le chercheur Martin Suart-Fox, cette disposition doit être interprétée dans un sens restrictif, “ne s’appliquant pas aux associations politiques qui défient le monopole du pouvoir du PPRL” (3). Dans la pratique, “le gouvernement restreint la liberté d’expression, de rassemblement et d’associationnote le Département d’Etat américain (4).

Le sort des trois prisonniers d’opinion, détenus depuis 1990 dans le camp de rééducation numéro 7 de la province reculée de Hua Phan (Nord-Est), en offre une démonstration éclatante. L’un d’eux, Thongsouk Saysangkhi, ancien vice-ministre de la Science et de la Technologie est mort le 12 février 1998, probablement d’un manque de soins médicaux. Avec Latsami Khamphoui, ancien vice-ministre de l’Agriculture et Feng Sakchittaphong, haut fonctionnaire au ministère de la Justice, il avait lancé en avril 1990 un appel pacifique au multipartisme. Cette critique du dogme du parti unique avait été émise par une quarantaine de technocrates et intellectuels dans le cadre de la consultation nationale, initiée par le pouvoir, lors de la rédaction de la Constitution. Les trois hauts fonctionnaires ont été arrêtés en octobre 1990 et condamnés en novembre 1992, sans avocat, à 14 ans de prison pour “préparation à la rébellion” et “propagande contre la RDP LaoNi leur adoption par Amnesty International, ni les démarches diplomatiques, n’ont permis de faire plier le régime. A défaut d’une libération, les diplomates réclament que les deux survivants, gravement malades, soient transférés à Vientiane pour y être soignés. Leurs familles ont néanmoins pu les voir récemment. Les autorités ne leur reconnaissent pas le statut de “prisonnier d’opinion” et manifestent une “forte irritation” lorsque cette question est abordée. Bien que la plupart des camps de rééducation (samana) aient fermé en 1989, la prison numéro 7 continue de fonctionner dans des conditions déplorables. Selon Amnesty International, deux prisonniers détenus depuis 1975, ont été libérés en 1994. Trois autres prisonniers politiques auraient été condamnés à la prison à vie en 1992, après 17 ans de détention sans procès. Les camps de rééducation construits par des architectes vietnamiens dans les années soixante-dix ont pu accueillir jusqu’à 30 000 prisonniers condamnés aux travaux forcés et à l’endoctrinement idéologique. Le gouvernement laotien n’a jamais confirmé ou infirmé officiellement l’existence des samana.

Les observateurs reconnaissent qu’il n’y a pas eu d’exécutions extrajudiciaires ou politiques au cours de l’année 1998. Les autorités laotiennes sont toutefois confrontées de manière récurrente aux actions violentes, politiquement motivées ou relevant du pur banditisme, de la minorité Hmong. Les attaques terroristes de ce groupe ethnique qui refuse la mainmise de Vientiane sont réprimées sans pitié, en particulier dans la zone spéciale et difficile d’accès de Saysomboun (5). Souvent de manière autoritaire, le pouvoir central tente de faire descendre ces montagnards dans les vallées, le long des axes de communications pour mieux les contrôler. La route numéro 13 entre Vientiane et Luang Prabang, théâtre de nombreuses attaques sanglantes, semble avoir été “nettoyée” depuis 1997. Mais plusieurs escarmouches avec l’armée en 1998 autour de Phaxay et de Vientiane ont fait une vingtaine de morts. Les Hmongs, dont une diaspora importante vit aux Etats-Unis et en Thaïlande, incarnent la seule manifestation tangible d’une opposition affirmée au régime.

Même si la liberté d’expression est garantie par la Constitution, les autorités n’acceptent pas qu’elle “porte atteinte à leur réputationCes derniers mois, le régime semblait toutefois tolérer des commentaires critiques sur les services publics ou le fonctionnement des administrations. La presse, surtout en langue lao, donne de plus en plus écho à ce type d’opinions, même si les médias restent étroitement contrôlés. Les journalistes pratiquent l’autocensure. Cependant, les autorités laotiennes n’entravent pas la diffusion des journaux occidentaux et thaïlandais et permettent, depuis cette année, après enregistrement, de se connecter à Internet. Par ailleurs, les habitants de Vientiane passent le plus clair de leur temps libre devant la télévision thaïlandaise. Les plus fortunés acquièrent, sous autorisation, une parabole pour les grandes chaînes internationales d’information.

C’est la liberté de réunion, garantie en droit, qui a été la plus écornée dans les faits. Le 30 janvier 1998, 44 adeptes de du Christ, dont trois Américains, un Français et un Thaïlandais, ont été arrêtés dans une maison privée de Vientiane lors d’une séance d’étude de la bible. Treize ont été condamnés en mars 1998 à des peines de deux mois à trois ans d’emprisonnement pour “rassemblement illégal dans le but de créer des troubles sociauxLes étrangers ont été rapidement relâchés puis expulsés. Les huit derniers adeptes ont été libérés le 7 juin dernier, grâce à la pression insistante des diplomates améri-cains. Mesure interprétée comme un signe de bonne volonté au moment où le Laos négocie l’obtention de la clause de la nation la plus favorisée et frappe à la porte de l’Organisation mondiale du commerce.

Une plus grande liberté économique depuis 1986 a provoqué un certain relâchement des mesures les plus arbitraires du contrôle exercé par le PPRL. Les ouvriers peuvent constituer des syndicats dans les entreprises privées et la grève n’est pas interdite par la loi. En pratique, les débrayages sont rarissimes, de peur de tomber sous le coup des lois relatives aux actions subversives.

Depuis le milieu des années 1980, le Laos fait montre de sa volonté d’intégration à la communauté internationale en signant un certain nombre de conventions comme celle de 1948 contre le crime de génocide, celle contre la discrimination raciale ou celle de l’ONU de 1989 pour les droits de l’enfant. Par ailleurs, l’accord de coopération signé avec l’Union européenne en avril 1997 se réfère explicitement à la Déclaration universelle de 1948. Sur le terrain de l’Etat de droit, un diplomate reconnaît que “les libertés civiles se sont amélioréesUn barreau des avocats a été crée en 1996 mais il reste sous le contrôle direct du ministère de la Justice. Les procès souffrent toujours de l’absence de procédures civiles et pénales et les prévenus continuent de négocier leurs peines. Un ambitieux programme de “bonne gouvernance” a été lancé sous les auspices du PNUD.

Une liberté religieuse toute relative

La Constitution protège la liberté religieuse mais interdit “tout acte créant des divisionsL’Etat continue de “mobiliser et d’encourager les bonzes, novices et prêtres d’autres religions à participer à des activités bénéfiques à la nation et au peupleToutes les organisations religieuses doivent être enregistrées auprès du Front National Lao pour la Reconstruction. Le Parti contrôle le clergé bouddhiste et demande aux moines d’étudier le marxisme-léninisme, d’assister à des réunions politiques et d’introduire des éléments de sa politique à leurs enseignements bouddhiques. Néanmoins, la situation s’est largement détendue depuis la révolution de 1975, lorsque le Pathet Lao manipulait la Sangha à des fins politiques, tentant de réformer le bouddhisme. Depuis les années 1980, “le régime a pris acte de la place centrale du bouddhisme au cour de l’identité laotienneexplique un chercheur. Des membres du Bureau politique sont régulièrement aperçus lors du festival That Luang en novembre, agenouillés et faisant des offrandes. Selon Martin Suart-Fox, l’ancien président Kaysone Phomvihane se serait rendu plusieurs fois pour méditer à Luang Prabang, l’année précédant sa mort (6). Un autre haut cadre du Parti a insisté sur la nécessité de revenir à la “moralité bouddhique

Les autorités se méfient surtout des communautés religieuses non bouddhistes, en particulier chrétiennes. Elles sont, de fait, moins intégrées aux structures du pouvoir, suspectées de prosélytisme et surtout de profiter de financements étrangers. Dans les grandes villes, il semble que la liberté de culte soit assurée pour des groupes non enregistrés. Tel n’est pas le cas dans les campagnes. Le Département d’Etat américain rapporte qu’en 1998, des chrétiens de Luang Prabang auraient été forcés de signer des renonciations à leur foi. Dans le sud du pays, un chrétien aurait été arrêté pour prosélytisme et relâché sous la promesse d’être discret. Des croyants auraient également été détenus sans charge dans les provinces de Luang Prabang, Bokeo et Attapeu. Amnesty International rapporte qu’un capitaine de l’armée, ancien directeur d’une usine de cartographie, a été arrêté et incarcéré en mars 1996. Converti au christianisme en 1992, Khamthanh Phousy avait été engagé par une société étrangère de cartographie. Avec un groupe d’amis, il organisait des séances de lecture de textes bibliques et avait obtenu, grâce à des contacts familiaux aux Etats-Unis, des fonds pour construire une école. Amnesty affirme que son arrestation est liée à la fois à ses activités religieuses et à ses relations à l’étranger. Les charges contre lui ont été abandonnées en octobre 1997, sans qu’il ait été libéré. Depuis son transfert en janvier 1998 dans le camp numéro 7, les organisations humanitaires sont sans nouvelles précises.

Les autorités centrales semblent avoir le plus grand mal à contrôler les mesures liberticides prises par certains gouverneurs provinciaux. La tolérance vis-à-vis des minorités religieuses varie donc suivant les régions. L’Eglise catholique est largement réprimée dans le nord du pays mais bien établie dans la capitale et dans le sud. Un prêtre de Bokeo (nord-ouest) ne peut pas exercer depuis deux ans. Les catholiques seraient 50 000 selon le recensement de 1995, disposant de trois évêques (et un administrateur apostolique), dix-sept prêtres et d’une centaine de religieuses. Signe de la timide libéralisation des années 1990, les cours de catéchisme ont repris dans les églises et les offices du dimanche sont de nouveau précédés des carillons. En avril 1997, le petite cathédrale de Vientiane a pu dresser une enseigne lumineuse avec la mention “Eglise catholique du Sacré-Couren laotien, vietnamien, français et anglais. A la condition de rester confidentielle, l’Eglise catholique semble pouvoir se cantonner à une présence tout juste tolérée.

Une diplomatie d’équilibriste

Tous les analystes en conviennent : depuis la révolution, le Laos a toujours su habilement préserver son indépendance face à ses puissants voisins thaïlandais, vietnamien, ou chinois, sans jamais se couper totalement des autres grandes puissances. La disparition de l’URSS a d’abord obligé les dirigeants laotiens à chercher de nouvelles solidarités diplomatiques. Paradoxalement, la disparition de l’aide soviétique a poussé le Laos à renforcer ses liens avec ses voisins idéologiques, Chine et Vietnam, tout en entretenant des relations avec l’Occident et l’Association des Nations d’Asie du Sud-Est (ASEAN), dont il est devenu membre en juillet 1997. Recherche de soutiens idéologiques, d’une part, pour assurer la continuité du monopole du pouvoir par le PPRL et assurance, d’autre part, d’une aide économique indispensable pour pallier le retrait du soutien de Moscou.

Frappé de plein fouet par la crise asiatique et plus que jamais dépendant de l’aide internationale, le Laos entend trouver un équilibre entre ouverture et autarcie, tout en cultivant des liens idéologiques avec les frères vietnamien et chinois. Les années 1990 semblent avoir couronné de succès cette diplomatie d’équilibriste.

Le rapprochement sino-laotien

Les liens avec la Chine n’ont cessé de se renforcer dans les années 1990, si l’on se rappelle que les relations diplomatiques étaient exécrables au plus fort de la guerre froide et en particulier lors de l’invasion du Cambodge par le Vietnam. Après une reprise de contact chaleureuse en 1986, les visites officielles se sont multipliées depuis 1990. Vientiane accueille aujourd’hui volontiers une coopération militaire et une aide économique pour la rénovation de la route n° 1 dans la province de Luang Nam Tha, la route n° 4 dans la province de Phongsali vers le Yunnan ou pour la construction du tout nouveau centre culturel au cour de Vientiane, dont l’inauguration est prévue en décembre 1999. Dans le même temps et paradoxalement, le Laos a intégré l’ASEAN lors d’une cérémonie en grande pompe à Kuala Lumpur, adhérant ainsi à une organisation très réticente à l’influence chinoise dans la région. Certains commentateurs considèrent que la Chine a non seulement remplacé l’URSS en tant que grand frère idéologique, mais pourrait bien mettre en péril la “relation spéciale” bâtie depuis vingt ans entre Hanoi et Vientiane.

La relation spéciale lao-vietamienne

A l’heure actuelle, ces fameuses “relations spéciales” lao-vietnamiennes, initiées par une lutte révolutionnaire commune et couronnées par le Traité d’amitié et de coopération du 18 juillet 1977, semblent plus étroites que jamais. A tel point que certains diplomates n’hésitent pas à parler de “protectorat vietnamienLors d’une visite d’une délégation de Hanoi en janvier 1998, le président Khamtay Siphandone avait exprimé son admiration envers le peuple vietnamien et qualifié la relation de “grande amitié, de solidarité particulière, de coopération complète et d’héritage précieuxLe cérémonial démesuré du vingtième anniversaire du traité d’amitié en juillet 1997, a fini de convaincre les plus sceptiques de la proximité entre gouvernements, armées ou partis. Le Premier ministre Do Muoi avait par exemple assisté de bout en bout au 6ème Congrès du PPRL en mars 1996. Les 50 000 soldats vietnamiens stationnés jusque en 1989 se sont en principe retirés, pour permettre une amélioration des liens sino-laotiens. Mais confrontée à l’insurrection hmong, l’armée laotienne reçoit parfois un coup de main décisif du frère vietnamien. Le cliché d’un Laos satellite politique de Hanoi reste d’actualité. Par ailleurs, la multiplication des accords de coopération (trois en 1998), la levée des barrières douanières, l’alignement des deux devises ou encore les liens étroits entre la province laotienne de Hua Phan et celle de Thanh Hoa au Vietnam, confère à l’amitié une nouvelle dimension économique. La presse y fait d’ailleurs abondamment référence.

La Thailande et le “petit frère lao”

La volonté de rapprochement économique avec Hanoi s’interprète immédiatement au regard du souhait de se libérer de la dépendance thaïlandaise. Les officiels laotiens craignent depuis toujours la colonisa-tion commerciale et culturelle de Bangkok, qui est de loin leur premier partenaire. Les flux commer-ciaux s’élèvent à 14 milliards de bahts en 1998, dont plus de 80 % à l’avantage de la Thaïlande. Les relations se sont pacifiées depuis “la guerre des collines” fin 1987, mais elles demeurent polluées par les conséquences de la crise, par la difficile démarcation en cours des 1 800 km de frontière commune et par la minorité Hmong réfugiée en Thaïlande. Une partie doit d’ailleurs quitter le camp de Napho d’ici fin 1999, après l’agacement exprimé maintes fois par Bangkok. Le Premier ministre Sisavath Keobounphanh a effectué en mars 1999 la première visite officielle laotienne à Bangkok depuis sept ans, en réponse à celle de la Princesse Sirindhorn, fille aînée du Roi de Thaïlande, l’année passée. Longtemps accusés de traiter le Laos avec condescendance, les journalistes thaïlandais se sont engagés récemment, lors d’une rencontre avec leurs homologues laotiens, à améliorer l’image véhiculée.

Une volonté d’intégration régionale et internationale

Cherchant à diversifier ses solidarités diplomatiques, le Laos continue de gérer habillement ses relations avec les grandes puissances. Le sentiment général est celui d’un pays représentant “un intérêt géostratégique fondamental” dont personne ne peut se permettre d’être absent. Le Japon fournit à lui seul la moitié de l’aide bilatérale, ayant trouvé dans la région “un allié indéfectibleVientiane n’a jamais réclamé de dommages de guerres pour l’occupation japonaise de la seconde guerre mondiale. Un accord de coopération a été signé avec l’Union européenne en avril 1997 et l’Allemagne, la Suède et la France sont respectivement les deuxième, troisième et cinquième pourvoyeurs d’aide. Les Etats-Unis, talonnant la France, et l’Australie ne cessent de développer leurs engagements au Laos. Tous les observateurs soulignent la volonté affirmée d’intégration à la communauté internationale. L’adhésion à l’ASEAN, à la francophonie ou la candidature à l’Organisation mondiale du commerce d’ici deux ans en sont des manifestations tangibles. Le Laos coordonnera à partir de juillet 2000 les relations entre l’Asie du Sud-Est et l’Union européenne. La politique étrangère laotienne est sensible à la nécessité de bâtir un monde multipolaire fondé sur des cultures diverses. Le Laos est membre du Mouvement des Non Alignés et a apparemment mal vécu l’intervention au Kosovo.

L’impact de la crise asiatique sur le Laos

Le Laos était économiquement fragile avant la crise asiatique de l’été 1997 mais celle-ci a amplifié ses déséquilibres. Elle a surtout cassé la croissance régulière, depuis l’ouverture à l’économie de marché en 1986, de la production de richesses et du revenu par habitant. Durant les années de “boom”, entre 1990 et 1997, la croissance du PIB se maintenait à un taux moyen de 7 %, grâce à un afflux de capitaux étrangers, à une certaine discipline fiscale et à un contrôle monétaire. Les capitaux étrangers finançaient les déficits budgétaires successifs et représentaient la principale source d’investissement. Cette situation a volé en éclat au moment de la dévaluation du baht thaïlandais le 2 juillet 1997. Le kip a suivi la descente aux enfers de la devise thaïlandaise, mais ne l’a pas accompagné dans sa remontée à partir du premier semestre 1998 (7).

Si l’on s’en tient aux fondamentaux de la science économique, le Laos aurait dû être le moins affecté par la crise régionale. Le kip est une devise non convertible que personne ne souhaiterait attaquer. De plus, l’économie est très peu monétarisée. Pour mesurer l’inflation par exemple, les analystes ne peuvent se fonder que sur des chiffres émanant de cinq provinces (sur les dix-huit que compte le pays). Quelque 80 % de la population dépend du secteur agricole, dont la moitié vivant d’une agriculture de subsistance. Le Laos, au contraire de la Thaïlande, n’a pas connu de bulle financière suite à des emprunts à court terme à l’étranger dans les secteurs de la construction ou de l’immobilier. Mais le pays n’a pas échappé aux répercussions de la crise régionale (8). Les biens laotiens ont d’abord été confrontés à une baisse de la demande des pays de la région. Conséquence de la crise des secteurs de la construction et de l’immobilier en Thaïlande, les deux postes principaux d’exportation du Laos, le bois et l’électricité, ont été sévèrement affectés. Le déficit chronique de la balance commerciale s’en est trouvé un peu plus accentué. Le déficit de la balance des paiements n’a cessé de se creuser et les réserves sont passées de 144 millions de dollars au début de 1998 à 120 millions actuellement, soit 2,1 mois d’importations. Pour la plupart des analystes, la dépendance vis-à-vis des importations a lié le Laos aux fluctuations des économies régionales, battant ainsi en brèche le cliché d’un pays agraire coupé des influences du reste du monde.

La crise et ses corollaires, inflation et dépréciation, ont surtout frappé dans les villes liées aux échanges avec la Thaïlande, affectant les couches urbaines à revenu fixe comme les fonctionnaires. Les agriculteurs intégrés à une économie de subsistance non monétarisée ont été moins touchés. La plupart des fonctionnaires gagnant moins de 20 dollars par mois ont été encouragés à exercer un second emploi grâce à l’instauration des 35 heures sur cinq jours. Les salaires ont été réajustés au début de l’année mais sans pouvoir coller à la hausse des prix. La détérioration nette du pouvoir d’achat en ville provoque depuis 1998 une augmentation de la petite délinquance et de la criminalité, même si le phénomène est encore difficilement quantifiable.

La crise asiatique a également eu pour effet une réduction dramatique des investissements directs étrangers (IDE), s’effondrant de 1,3 milliard de dollars en 1996 à 114 millions en 1997 pour chuter encore à 45 millions en 1998. Cet écroulement s’explique en partie par le retrait des investisseurs thaïlandais et malaisiens, préoccupés par leur propre survie. Les analystes prévoient néanmoins une reprise probable des IDE en 1999. La lourdeur des procédures administratives pour obtenir une licence et le flou du cadre juridique cantonnent toujours le Laos dans une catégorie à risque. Néanmoins, la souplesse du régime fiscal et les règles les plus libérales de la région en matière d’investissement continuent de séduire dans des secteurs très ciblés, comme le petit commerce ou la restauration.

Au moment où la Thaïlande, principal partenaire du Laos, opère son redressement, les experts constatent avec surprise que la croissance sera plus importante que prévue en 1999, vraisemblablement entre 4 et 5 %. Tiré par la production industrielle, elle-même soutenue par la reprise thaïlandaise, le processus de rattrapage ne semble donc pas s’être arrêté. L’autre bonne nouvelle du troisième trimestre 1999 concerne la monnaie. Le kip, après s’être stabilisé en juillet et en août, s’est même apprécié par rapport au baht et au dollar en septembre. Les autorités ont en fait brutalement décidé de bloquer les comptes, de pratiquer la rétention de monnaie pour faire dégrossir la masse de kips en circulation. Les entreprises ou particuliers souhaitant payer en kips sont contraints d’en acheter grâce à leurs devises étrangères. La demande de monnaie laotienne augmentant, celle-ci s’est naturellement appréciée pour s’établir fin septembre à 6 000 kips pour un dollar. “Ce sont les seuls signes positifs d’une économie où il ne se passe riensouligne un analyste invitant à la prudence jusqu’à la fin de l’année. Pour l’an 2000, l’objectif de croissance se situe autour de 8 % et le revenu par an et par habitant évalué à 500 dollars. Selon un expert sur place, l’impact de la crise sur le Laos rend ces projections “irréalistes

Le ministre des Finances, victime de la crise

Enfermé dans une culture de la rumeur et du secret, le Laos a soudainement attiré l’attention en août dernier lorsque le président de la République, Khamtay Siphandone, a limogé son ministre des Finances et le gouverneur de la Banque centrale. Khamphoui Keoboualapha et Cheuang Somboonkhanh ont été officiellement remerciés par décret le 6 août en raison de leur âge et d’une “fonction inadéquateMais pour la plupart des analystes, ce double limogeage, confirmant une rumeur qui courait depuis plusieurs semaines, sanctionne l’échec d’une politique monétaire et fiscale “inadaptée” et l’incapacité à réagir rapidement à une détérioration de la situation macro-économique. “Vu l’état aggravé de l’économie laotienne, il fallait bien trouver des responsablessouligne un expert local. L’ancienne équipe n’était pas parvenue à enrayer la chute vertigineuse du kip et à juguler la pression inflationniste.

Certains bons connaisseurs de la scène politique laotienne y voient également le signe d’un renforcement de la ligne dure au sein du Comité central du PPRL, une reprise en main par la vieille garde des orientations de la politique économique (9). “Le politique prime sur l’économie. Toute décision dépend de la volonté du Comité central et du Bureau politiqueexplique un diplomate occidental. L’ancien ministre des Finances, considéré comme un libéral, était une figure respectée au Laos et à l’étranger pour ses compétences économiques. On le sait aussi très proche des milieux d’affaires thaïlandais. Suspecté par la rumeur de corruption et de népotisme, il avait été déjà exclu avec fracas du Comité central en 1996, avant de revenir aux affaires en février 1998 avec le titre de Vice-Premier ministre. Le portefeuille de Khampoui a été confié à un autre Vice-Premier ministre, Boungnang Vorachith, qui a l’avantage d’être le numéro 7 du puissant Bureau politique. La Banque centrale est désormais dirigée par un autre poids lourd politique, l’ancien gouverneur de la province de Bo Keo, Soukhanh Maharaj.

La crise asiatique qui continue de peser fortement sur le Laos, pousserait les dirigeants à vouloir ralentir le rythme des réformes libérales engagées depuis 1986 (10). Ce coup de barre conservateur était déjà perceptible lors du 6ème Congrès du PPRL en 1996 lorsque avait été réaffirmé le rôle économique moteur des entreprises d’Etat. Certains observateurs qualifient ce double limogeage de “victoire de la ligne dure” proche du Vietnam et de la Chine, face à une aile plus libérale. L’analyse fondée sur cette ligne de fracture ne dépasse pas le stade des spéculations de chancelleries.

La faiblesse intrinsèque de l’économie laotienne

L’économie laotienne était fragile bien avant l’irruption de la crise régionale de juillet 1997. En 1998, le Produit Intérieur Brut s’élevait à 1,5 milliard de dollars, soit environ 370 dollars par an et par habitant, classant le Laos dans la catégorie des Pays les Moins Avancés. L’agriculture représente 52 % de la production de richesses et la fragilité du tissu industriel rend le pays extrêmement vulnérable. L’économie du Laos se caractérise par un déficit permanent de la balance des paiements. En d’autres termes, le pays importe beaucoup plus qu’il n’est capable d’exporter. Les raisons sont connues : faiblesse du tissu industriel, manque de compétitivité par rapport à ses voisins. La dépendance chronique par rapport aux importations (11) explique, en partie, le cercle vicieux du plongeon de la monnaie et d’une inflation à trois chiffres depuis la crise régionale. Le déficit commercial a atteint 210 millions de dollars en 1998.

Les bailleurs de fonds et experts multilatéraux considèrent le déficit commercial comme un problème secondaire, au regard de la stabilité monétaire (12). C’est néanmoins une obsession pour le gouvernement laotien qui s’est engagé dans une politique de freinage des importations thaïlandaises. Depuis quelques mois, les autorités contrôlent plus strictement les importations de produits de luxe comme les automobiles, les cigarettes ou l’alcool. Certains biens “qui peuvent être produits au Laoscomme le poulet, sont plus lourdement taxés à l’importation. Ces mesures visant à doper la production locale n’ont fait l’objet d’aucun décret publié et ont pour l’instant favorisé le passage de marchandises en contrebande pour alimenter en produits de première nécessité les marchés de la capitale. Dans le même temps, la presse et la télévision encouragent les Laotiens à “acheter et consommer lao” et à éviter de gaspiller l’eau, l’essence ou l’électricité.

Par choix politique, les autorités se sont lancées depuis quelques mois dans une savante stratégie de rapprochement économique avec le Vietnam pour tenter de se libérer de la dépendance thaïlandaise, qui représente plus de la moitié des importations laotiennes. Certains économistes constatent l’émergence possible d’une économie d’échange entre les deux pays. En raison de la proximité des deux devises, les biens pourraient également être payés en kips. Une banque lao-vietnamienne a ouvert à Vientiane et les foires commerciales vantant les qualités des produits de Hanoi (vaisselle, pâtes, chaussures, etc.) se multiplient. Cette volonté de substitution aux importations en favorisant la production intérieure semble, selon les analystes, trancher quelque peu avec les obligations du Laos vis-à-vis de l’ASEAN et avec sa candidature à l’OMC.

Une économie sous le regard attentif des bailleurs de fonds

La double mise en congé du ministre des Finances et du gouverneur de la Banque centrale en août est survenue de manière significative quelques jours avant la mission annuelle conduite par le Fonds Monétaire International sur l’état des comptes, conformément à l’article IV de sa charte. Les bailleurs de fonds recommandent depuis plusieurs mois une plus grande orthodoxie monétaire et budgétaire pour briser le cercle vicieux liant la dépréciation de la devise et l’inflation. Alors que les autres pays de la région (Thaïlande, Malaisie, Corée du Sud) sont sur la voie d’une reprise, les institutions multilatérales s’inquiètent de la lenteur des autorités laotiennes à engager les réformes structurelles indispensables à la stabilisation macro-économique. Le FMI, la Banque mondiale et la Banque asiatique de développement, considérés comme les pilotes des programmes de restructuration, ont, pour la première fois, co-signé en mai dernier une lettre au gouvernement exprimant leur préoccupation et rappelant que l’inflation laotienne est l’une des plus élevées au monde (13). Face à l’inertie des autorités, la Banque mondiale a même annulé l’année dernière l’octroi d’une tranche de crédit supplémentaire de 20 millions de dollars. En l’absence d’avancée significative dans les réformes structurelles, la Banque mondiale révise donc à la baisse sa stratégie d’assistance pour les trois ans à venir avec un montant de 50 à 75 millions de dollars. Le projet de facilité d’ajustement structurel renforcée (FASR) du FMI, conditionné à la mise en ouvre des réformes, est également en suspens depuis l’année dernière. La toute dernière mission des bailleurs de fonds à Vientiane n’a pas semblé faire avancer les négociations, pour des raisons de “résistance politique

Les experts multilatéraux reconnaissent néanmoins que depuis la crise régionale de l’été 1997, certaines mesures ont été prises : répression contre le marché noir, augmentation des taxes à l’importation et surtout émission de bons du Trésor en avril dernier avec un taux de rémunération de 60 %. 12 milliards de kips ont ainsi été stérilisés. Mais la mesure étalée sur une trop courte période n’a pas permis d’absorber l’excès de liquidités, dont on ne connaît d’ailleurs pas le montant exact en circulation. Les prix des communications postales et téléphoniques, de l’eau, de l’électricité et de l’essence ont également été revus à la hausse mais demeurent bien inférieurs à l’inflation.

De manière générale, certains experts jugent ces mesures “périphériques et ne touchant pas le cour du problème”Un resserrement de la politique macro-économique, particulièrement de la politique monétaire, était nécessaire pour renverser, ou au moins enrayer, la perte de confiance dans la monnaie et dans l’économie. Au lieu de cela, l’accent placé sur l’autosuffisance alimentaire a conduit à des dépenses extrabudgétaires par une rapide expansion monétaire, qui a fini par éroder la confiance des investisseurs et accélérer la fuite du kipnote le FMI dans un rapport rendu public en septembre 1999. Le montage du budget 1998/99 avait été très favorablement accueilli, avant que les autorités n’aient recours à la planche à billets pour financer de vastes programmes d’irrigation. Au moment de la disparition de confiance dans le kip, une politique monétaire expansionniste a alimenté les tensions inflationnistes et la dépréciation de la monnaie. Alors que les bailleurs de fonds attendaient une réduction du déficit budgétaire, celui-ci a atteint près de 14,8 % du PIB en 1998, contre 9,2 % en 1997. Et pour la première fois depuis 1992, le déficit budgétaire n’a pas été financé par une aide étrangère en réduction, obligeant à faire appel à la Banque centrale.

Les réformes bancaires souhaitées par les bailleurs de fonds ont également pris du retard, même si les banques publiques ont été regroupées en trois entités au début de l’année. Les prêts non performants restent encore très élevés et rien n’a été fait concernant la recapitalisation des actifs du secteur bancaire. Pour l’anecdote, l’expert en charge de ce dossier, payé par la Banque asiatique de développement, n’a pas été, à ce jour, reconduit dans ses fonctions.

Une aide étrangère en diminution

Engagé dans un vaste processus de développement qui vise à réduire la pauvreté à l’horizon 2020, le Laos est fortement dépendant de l’aide étrangère. Entre 1986 et 1997, la part de cette aide dans le PIB est passée de 6 % à 16 %. Si l’on prend en compte la totalité de l’assistance étrangère (14), plus de 416 millions de dollars ont été déversés sur le Laos en 1996 contre 167 millions en 1992. La contribution est tombée à 388 millions de dollars en 1997, pour passer sous la barre des 300 millions de dollars en 1998. L’année 1999 devrait confirmer cette tendance (15). Cette réduction s’explique en partie par un rééquilibrage mondial de l’assistance internationale. “La communauté internationale a été fortement sollicitée dans d’autres régions du mondeconfie un diplomate, en référence à la guerre au Kosovo. L’attribution de dons ou de prêts est également de plus en plus liée à un engagement clair des autorités locales vis-à-vis de réformes structurelles exigées par les bailleurs de fonds. Mesures macro-économiques qui tardent précisément à se mettre en place. Selon certaines analyses, le recul de l’aide internationale pousserait les dirigeants laotiens à s’interroger sur la nécessité d’accélérer le rythme des réformes économiques. L’ouverture économique ne mettrait-elle pas en péril l’assise du pouvoir politique ? Le Vietnam, avec lequel la coopération économique se renforce, suggérerait au petit frère laotien de se méfier d’une assistance occidentale, qui pourrait bien faire vaciller le monopole du Parti.

Le potentiel hydroélectrique : un espoir de développement ?

Fort d’un potentiel hydroélectrique considérable évalué à 20 000 MW, le Laos a mis tous ses espoirs de développement dans la construction du barrage Nam Theun 2 à 250 km à l’est de Vientiane. Ce projet de 1,1 milliards de dollars conduit par un consortium dont Electricité de France est le partenaire majoritaire devrait dégager 250 millions de dollars de revenu par an. Dès 1990, la Banque mondiale avait été associée au programme, commandant une première étude de faisabilité. Elle a ensuite diligenté fin 1996 trois études économique, sociale et environnementale, sans précédent, pour examiner la viabilité totale du complexe hydroélectrique. L’ampleur de ces études et les objectifs fixés en matière environnementale par exemple, ont séduit des organisations traditionnellement opposées aux projets de barrages. L’une des études, le Resettlement Action Plan, prévoit de reloger les 880 familles réparties sur 22 villages situés sur le plateau de Nakai. Le réservoir du futur barrage s’étend sur 450 km carrés, soit 40 % du plateau. La Banque mondiale a finalement apporté sa garantie à ce projet. Mais elle ne l’a pas étendue cette garantie au pays tout entier. Cette dernière étape dépend de la Banque mondiale mais également de la volonté des autorités laotiennes à entreprendre les réformes structurelles réclamées par les bailleurs de fonds. “Un projet censé soulager un pays du poids de la pauvreté, ne remplira pas ses objectifs si la situation n’est pas d’abord stabiliséeestime un bon connaisseur du dossier.

Mais ce projet colossal est surtout suspendu à un accord d’achat d’énergie avec le seul client, la compagnie d’électricité thaïlandaise (EGAT). Confrontée à la crise économique, EGAT a revu ses prévisions de consommation à la baisse et cherche à renégocier le prix d’achat. L’accord-cadre de 1996 prévoyait l’achat de 3 000 MW d’ici 2006. La révision étale la commande jusqu’en mars 2008, avec une première tranche de 1 600 MW fin 2006 et une seconde de 1 700 MW. EGAT a fixé son prix à 4,2 US cents le kilowatt/heure, bien en dessous du prix proposé par le constructeur. L’entreprise publique thaïlandaise affirme “ne pas croire à une reprise de la consommation comparable à l’avant crisemême d’ici 2006. Le consortium conduit par EDF reconnaît que la situation est délicate, EGAT étant le seul acheteur potentiel. Mais un analyste local compte sur la reprise thaïlandaise et sur une hausse de la consommation d’ici l’ouverture du barrage programmée en décembre 2006. La demande d’électricité sur le marché thaïlandais est “bien loin des prévisions précédentesrépond EGAT, intangible sur le prix d’achat. Les négociations pourraient encore durer plusieurs mois. Mais observateurs et parties prenantes restent convaincus que “ce projet pourrait être un modèle pour le monde en matière de développement

Cette belle unanimité est cependant écornée par certains experts qui s’effraient des conséquences du retard pris par le projet, pour la survie même des populations qui attendent d’être relogées. “A force d’attendre, les gens meurentaccuse un expert proche du dossier. L’environnement se dégraderait à vue d’oil partiellement en raison de la déforestation systématique pratiquée depuis plus d’une décennie par la société publique paramilitaire (16). Les populations obligées de se déplacer régulièrement de quelques kilomètres continuent aussi de pratiquer traditionnellement la culture sur brûlis. Certains craignent même que, sous l’effet de la déforestation, les sols érodés ne retiennent plus les pluies, augmentant ainsi la sédimentation du bassin. Avec pour conséquence de réduire le volume du réservoir, obligeant peut-être à l’avenir à reconsidérer la rentabilité hydroélectrique du projet.

D’un million d’éléphants à un million de touristes ?

Quelques semaines avant les célébrations officielles de l’année du tourisme au Laos (Visit Laos Year 1999-2000) le 18 novembre 1999, les autorités ont annoncé fin août que ce secteur représentait désormais le premier poste de revenus du pays. En 1998, le tourisme a rapporté 79,9 millions de dollars contre 73,3 millions en 1997, passant de la troisième à la première place des recettes officielles, devant les exportations de textile et d’électricité. L’objectif avoué de l’Autorité nationale du tourisme est de dégager 128 millions de dollars de revenus à la fin de la campagne. La progression du nombre de visiteurs est éloquente : 14 400 touristes s’étaient rendus au Laos en 1990 contre 500 200 en 1999, soit une croissance moyenne de 45 %. Les autorités espèrent attirer 700 000 personnes d’ici la fin de l’année et atteindre un million en l’an 2000.

Ces chiffres (17) sont pourtant à prendre avec précaution, car ils sont qualifiés d’“irréalistes” par la plupart des observateurs. Ils prennent en compte la totalité des passages aux frontières sans distinguer les véritables touristes des trans-frontaliers. En séparant les “touristes” régionaux, en provenance des pays limitrophes du Laos, des touristes internationaux, on ne comptabilise que 120 000 personnes pour cette dernière catégorie contre 380 000 pour les premiers. 270 000 Thaïlandais ont par exemple franchi la frontière en 1998, dont la quasi totalité sans passeport grâce à un permis de passage délivré par les autorités laotiennes. Plus de 40 000 Thaïlandais sont par ailleurs résidents au Laos. Près de 80 000 touristes européens et nord-américains se sont rendus au Laos en 1998, soit une progression de 8 % par rapport à l’année précédente. Les visiteurs venus des Etats-Unis sont les plus nombreux suivis de près par les Français. La réduction du prix du visa délivré à la frontière et l’accélération des procédures visent à faciliter l’afflux de visiteurs.

La décision d’ouvrir largement le Laos au tourisme pour transformer “un pays enclavé en un territoire carrefourselon l’expression d’un officiel laotien, n’a pas été exempte de luttes internes au sein du Comité central. Certains courants conservateurs craignent que l’apport de devises étrangères ne charrie d’autres effets déstabilisateurs. Mais cette ouverture souhaitée se heurte à des obstacles structurels et organisationnels. De l’aveu même de l’agence touristique, le budget alloué est largement insuffisant et le pays manque cruellement d’infrastructures pour absorber l’afflux de visiteurs. Le Laos ne compte que 300 hôtels et guest houses, soit moins de 8 700 lits, même si le nombre d’établissement augmente fortement à Vientiane ou dans les provinces touristiques de Luang Prabang, Luang Namtha ou Savannakhet. En dépit de la création d’un site Internet, les brochures promotionnelles touristiques sont faiblement distribuées à l’étranger et beaucoup d’agences de voyages installées à Bangkok sont peu ou pas informées.

Mais les plus grandes difficultés concernent les transports. Même si de nombreux projets bilatéraux ou multilatéraux permettent de rénover la route nationale 13 entre Vientiane et Luang Prabang puis vers le sud jusqu’à Savannakhet ou encore la nationale 9 transversale depuis Savannakhet jusqu’à la frontière vietnamienne, 16 % seulement du réseau est goudronné. L’avion ne représente pas une alternative idéale. La compagnie nationale Lao Aviation ne dispose que de vieux appareils chinois ou russes dont la maintenance au sol n’a pas été jugée conforme aux normes internationales. Seul un ATR 72 reliant Bangkok paraît rassurer les professionnels du tourisme. Cet avion en leasing est soumis à rude épreuve, utilisé en continu pour la liaison avec la capitale thaïlandaise et avec Luang Prabang. Mais, d’après un spécialiste, “cela correspond à son cahier des chargesUn technicien français est par ailleurs chargé exclusivement de la maintenance de cet appareil. Une liaison aérienne internationale a été ouverte entre Chiang Mai en Thaïlande et Luang Prabang, une autre est prévue depuis Sukhothaï mais la compagnie manque d’appareils pour développer d’autres routes. De bonne source, on indique qu’une compagnie sino-malaisienne, déjà propriétaire de Royal Air Cambodge, pourrait reprendre Lao Aviation dont les dettes s’élèveraient à 10 millions de dollars. La plupart des ambassades étrangères continuent de déconseiller à leurs ressortissants de voler sur Lao Aviation, surtout sur les vols intérieurs, préférant suggérer un crochet par la Thaïlande. Pour autant, aucun accident n’est à déplorer depuis 1995. Depuis l’ouverture aux étrangers du poste frontière entre Chiang Khong, au Nord de la Thaïlande, et Huay Xai de l’autre côté du Mékong, les touristes peuvent relier Luang Prabang en moins de 8 heures, grâce à de minuscules embarcations équipées d’énormes moteurs au bruit assourdissant qui assurent la navette à 60 km/h de moyenne. Les conditions de sécurité sont quasi-nulles et les accidents de bateaux percutant les rochers affleurants se multiplient. Une source familière du trajet assure qu’il y en aurait un chaque mois. En novembre 1998, un touriste italien a été tué sur le coup et deux Néerlandaises grièvement blessées après le retournement de leur bateau. Conscientes du danger, les autorités touristiques tentent de développer des croisières plus lentes sur le Mékong en autorisant par exemple la navigation d’un bateau de luxe thaïlandais.

Longtemps réticentes à ouvrir les frontières aux voyageurs individuels, les autorités laotiennes commencent à s’inquiéter de la multiplication des guest houses faisant office de fumeries d’opium attirant les routards d’Asie du Sud-Est. Ce phénomène récent est particulièrement visible à Muang Sing, aux confins de la Chine et de la Birmanie et à Vang Vieng au nord de Vientiane (18). Ces derniers mois, les guest houses ont poussé comme des champignons dans ces deux localités, proposant des chambres à deux dollars et une pipe d’opium pour 2 000 kips (19). Les touristes qui se rendent sur place en toute connaissance de cause sont sollicités en pleine rue, parfois par des enfants. Le phénomène a pris suffisamment d’ampleur pour que le représentant du programme des Nations unies pour le contrôle des drogues (UNDCP) s’en émeuve auprès du gouvernement laotien, afin de prendre des mesures contre les consommateurs et revendeurs. De l’aveu d’un diplomate sur place, “les autorités laotiennes sont dans une situation embarrassante

Autre conséquence du développement touristique : l’ouverture en janvier dernier du casino de Dansavanh sur le lac artificiel de Nam Ngum à 80 km au nord de Vientiane. Construit par un promoteur sino-malaisien, le complexe comprend un hôtel et offre la pratique de l’aile volante au-dessus du lac. Cet établissement construit avec des objectifs flous, censé drainer les riches hommes d’affaire thaïlandais, est interdit aux Laotiens et semble être, pour l’instant, un échec patent. Le projet d’un second casino flottant sur une île en face de Vientiane est pour l’instant abandonné, tout comme l’idée d’un village artificiel des ethnies montagnardes, tel qu’il en existe en Thaïlande.

En manque de professionnels du tourisme, les autorités regardent leur puissant voisin thaïlandais avec “un mélange d’admiration et de répulsionselon le mot d’un commentateur. La Thaïlande est jalousée pour avoir réussi à attirer huit millions de touristes par an, mais l’on s’en méfie pour les dérives en matière de prostitution ou d’environnement. L’Agence thaïlandaise du tourisme organise régulièrement des séminaires à Bangkok ou à Khon Kaen et offre des bourses de formation pour les guides. En dépit de cette crainte souvent répétée à Vientiane d’un “néocolonialisme siamois

Le Laos sans opium d’ici six ans ?

Le président Khamtay Siphandone et le directeur du Programme des Nations unies pour le Contrôle des Drogues (UNDCP) ont signé en mai dernier un accord pour éliminer totalement la culture du pavot d’ici six ans. D’après le bureau de UNDCP, le Laos est le troisième producteur mondial d’opium, très loin derrière la Birmanie et surtout l’Afghanistan. 27 000 hectares répartis sur dix provinces du Nord ont produit en 1998, 123 tonnes d’opium. 70 000 foyers sont concernés, soit 2 000 villages qui consomment localement la moitié de la production, dont quinze à vingt tonnes dans un but médical. Cinquante tonnes sont consommées sur place par 63 000 toxicomanes répertoriés. Enfin, les cinquante tonnes restantes, soit cinq tonnes d’héroïne, sont destinées à l’exportation. Le représentant local de UNDCP, Halvor Kolshus, est optimiste sur le succès du programme car il s’agit de “cultures sur une petite échelle et peu lucratives”. Le rendement d’une petite exploitation familiale ne dépasse pas 4,6 kg/ha comparé à 47 kg/ha en Afghanistan. Le revenu net par foyer s’élève à 100 dollars. Le coût du programme est évalué à 80 millions de dollars sur les six années et devrait débuter en janvier 2000. Il comprend des projets classiques de développement rural (cultures de substitution, irrigation), d’infrastructures routières ou encore d’améliorations des services médicaux et de désintoxication.

La bonne volonté officielle des autorités laotiennes ne fait pas de doute. Elles estiment que “les drogues sont un des problèmes prioritaires du gouvernementElles se sont apparemment engagées auprès des Nations Unies sur des objectifs annuels de réduction des surfaces cultivées. L’avancement de l’éradication sera observée par satellite. Certains officiels laotiens confient néanmoins que la culture du pavot est liée au mode de vie ancestral des montagnards et demeure, dans certains cas, “leur seul moyen de subsistance

Si la production est peu rentable, le trafic en revanche continue d’être fort profitable. Les spécialistes sur place font remarquer que l’appellation, land-linked country, pourrait s’appliquer également pour les stupéfiants. “La production n’est pas organisée, mais le trafic, lui, l’estreconnaît l’un d’eux. Certains districts extrêmement difficiles d’accès des provinces frontalières avec la Chine et la Birmanie, serviraient de zones de transit pour les produits chimiques nécessaires à la transformation de l’opium en héroïne. Le kilo d’héroïne raffinée est évalué à 3 000 dollars à la frontière lao-birmane et à 6 000 dollars avant l’entrée au Vietnam. Les cinq derniers kilomètres à l’intérieur du Vietnam font encore grimper les prix de 3 000 dollars supplémentaires. La communauté internationale reprochait au Laos d’avoir une législation anti-drogue si faible que les trafiquants se ruaient sur le pays pour en faire une zone de transit. L’article 135 du Code pénal a été finalement amendé le 8 juin 1996, punissant beaucoup plus lourdement les trafiquants. Les voies de communications dans les provinces de Luang Namtha et de Bokeo depuis et vers la frontière birmane sont connues. Tout comme les routes vers le port de Vinh au Vietnam qu’empruntent les camions convoyant le bois coupé, légalement, dans la zone spéciale de Saysomboun (20). Des camions militaires immatriculés au Vietnam auraient été aperçus sur un axe liant le nord-ouest du pays à la frontière vietnamienne. “Nous ne savons pas qui sont les trafiquants, mais ce sont des gens très bien organisésconfie Halvor Kolshus. “Il est possible que ces trafiquants soient protégés, mais il n’y a pas de raison de croire qu’ils profitent de protections officiellesaffirme le fonctionnaire des Nations Unies. Avant d’ajouter : “Je ne confirmerai pas de liens quelconques entre des unités militaires et le trafic de drogue

Engagés dans un “combat inégal avec des syndicats du crimeles autorités laotiennes et les experts de la lutte anti-drogue s’inquiètent sérieusement de “l’explosion” du trafic d’amphétamines. Le phénomène a moins d’ampleur qu’en Thaïlande, où des millions de comprimés sont régulièrement saisis, mais les ya baa commencent à se déverser dans les grandes villes. Un comprimé se vend entre 13 000 et 15 000 kips dans les rues de Vientiane, quasiment la moitié du prix thaïlandais. Depuis janvier 1999, quatre-vingts adolescents ont été admis pour overdose à l’hôpital Mahosot de Vientiane, contre une dizaine sur les trois années précédentes. Les enfants sont les premières cibles des dealers. De source médicale, on raconte que des comprimés seraient introduits dans les soupes de rue à la sortie des écoles, pour “créer une accoutumanceLes amphétamines se diffusent aussi dans les discothèques et autres bars qui se multiplient à Vientiane.

La santé, une priorité gouvernementale oubliée ?

Les autorités laotiennes ne cachent pas que la situation sanitaire est difficile, “peut-être pire qu’au Myanmarsouligne un médecin. Depuis dix ans, la politique de santé publique met l’accent sur l’importance de la prévention, la fourniture de services de santé primaire au niveau du district et le la formation du personnel médical. Le PNUD classe le Laos à la 136ème place sur les 176 de son index de développement. L’espérance de vie atteint à peine 52 ans (contre 48 ans en 1986) et le taux de mortalité infantile tourne autour de 110 pour mille selon les chiffres les plus fiables (21). C’est l’un des taux les plus élevés de la planète, concurrençant les chiffres de la Birmanie et du Cambodge. Le taux de mortalité infantile dépasse même 165 pour mille dans la province de Savannakhet et se multiplie par deux lorsque l’on passe des zones urbaines aux zones rurales. Dans les montagnes, le taux tourne autour de 130 pour mille.

Le Laos n’est menacé d’aucune manière par des risques de famine, même isolée. 80% des Laotiens dépendent de l’agriculture (riz, élevage). En revanche, certaines tribus montagnardes des hauts plateaux (Lao Theung) ne produisent pas assez de riz pour leur consommation. Ils sont obligés de cultiver sur une courte période pour subvenir à leurs besoins avant la période normale de récolte. Les problèmes alimentaires se concentrent sur des cas de sous-nutrition et de malnutrition. Le manque d’iode, qui peut provoquer la formation d’un goître, touchait 90 % de la population en 1995. Cependant, depuis trois ans, le sel produit localement est iodé. Les sources humanitaires font également état d’un manque de vitamines A et B, de calcium et de fer.

Le Laos n’est pas non plus confronté à des épidémies. En revanche, la pandémie de malaria représente le problème le plus délicat de santé publique. La moitié de la population totale est exposée à ce risque. Un programme piloté par l’Union européenne consiste à distribuer des moustiquaires dans les zones les plus reculées des provinces. La logistique s’appuie sur les réseaux du Parti (Union des Femmes, Organisation de la Jeunesse) qui ont le pouvoir d’atteindre le cour des villages. “On peut nous accuser de collaborer avec le pouvoir, mais notre objectif c’est de toucher les populationsexplique un représentant du programme. Les organisations humanitaires constatent par ailleurs que les programmes de développement ont parfois des effets pervers : “Lorsqu’on ouvre des nouvelles routes pour faciliter l’accès aux soins pour les villageois les plus isolés, des maladies contagieuses peuvent se déclarersouligne un médecin. Le sida est encore embryonnaire au Laos avec 350 séropositifs officiellement répertoriés et une trentaine de cas déclarés. L’augmentation des cas d’autres maladies sexuellement transmissibles fait craindre que le sida progresse à l’avenir. D’autant que la ligne officielle des autorités sanitaires insiste sur l’abstinence avant le mariage comme mode de prévention.

La gestion des dépenses de santé

Les dépenses de santé publique sont parmi les plus faibles au monde. Un rapport de la Banque mondiale les évaluait à 5,4 dollars par habitant en 1995. Selon un document digne de foi, elles seraient tombées à moins de deux dollars en 1998. Officiellement, la part du secteur de la santé représente 4 % du budget de l’Etat, mais ne dépasserait pas la moitié dans la pratique. Au moins les deux tiers des activités sanitaires sont en fait financés par l’aide internationale à travers, par exemple, des programmes de construction d’hôpitaux ou de dispensaires (22). Certains experts dénoncent la manière dont les fonds sont parfois alloués. La priorité a par exemple été donnée à la construction ou à l’amélioration d’hôpitaux provinciaux. “C’est bien pour les cadres du Parti, mais quid des populations ruralesaccuse l’un d’eux. D’