Eglises d'Asie

VINGT SIECLES DE CHRISTIANISME EN INDE MERIDIONALE

Publié le 18/03/2010




Le Kérala, pays des cocotiers, l’un des plus petits des 25 Etats de l’Union indienne (30 millions d’habitants), sur la côte sud-ouest de la péninsule, est aussi celui où la population chrétienne est la plus importante, puisqu’elle tourne autour des 25 % : Ces chrétiens ne sont pas issus du prosélytisme missionnaire occidental, comme le sont d’autres chrétiens des Indes. Ils font remonter leurs Eglises au temps apostolique, et plus précisément à la prédication de l’apôtre Thomas (1) qui, selon la tradition, aurait d’abord évangélisé l’Inde du Nord, puis, à partir de 52 environ, l’Inde méridionale, où il serait mort martyr, victime de la vindicte du roi Masdai, dont il aurait converti l’entourage. Au cours des siècles, les “Chrétiens de Saint-Thomas” nouèrent des liens avec l’Eglise de l’Orient, c.-à-d. avec l’Eglise de Perse et de Mésopotamie (catholicossat de Séleucie-Ctésiphon), de tradi-tion syriaque, injustement considérée comme “nestorienne” après les ruptures théologiques survenues aux lendemains du Concile d’Ephèse (431). C’est pourquoi ces Eglises du Malabar (ancien nom du Kérala) appartiennent authentique-ment à la grande famille des Eglises orientales anciennes (2).

Evidemment, les traditions relatives à saint Thomas en Inde, que nous font connaître tout un cycle hagiographique (dont les fameux Actes de Thomas et, plus fiable, la Doctrine des Apôtres) probablement élaboré à Edesse (Haut-Euphrate) vers le III-IVe s., les traditions orales des chrétiens locaux et de quelques milieux hindous, ne peuvent être vérifiées. Mais plu-sieurs indices laissent à penser qu’elles pourraient avoir une assise historique (3). Les liens commerciaux entre l’Empire romain et l’Inde étaient intenses, des souverains nommés dans les Actes de Thomas sont attestés par la numismatique, et le tombeau de l’apôtre, vénéré à Mylapore, un faubourg de Madras sur la côte orientale (4), semble bien être un monu-ment remontant au Ier siècle. Mais nous connaissons vraiment très peu de choses des premiers siècles de la chrétienté in-dienne. Selon des traditions fort suspectées par la critique occidentale, des chrétiens syriens persécutés par le shah sas-sanide Shâhpur II (regn. 310-379), auraient fui jusqu’en Inde, sous la conduite d’un certain Thomas Kana de Jérusalem et d’un métropolite nommé Joseph (originaire d’Edesse ?) ; ils y auraient fait souche et seraient à l’origine de la communauté des “Sudistes” ou “Knanayites”. A la même époque, vers 317, le rajah hindou de Nilamrepur aurait reçu le baptême et aurait accordé nombre de privilèges aux chrétiens.

Des liens très anciens avec l’Eglise de Perse-Mésopotami

C’est au VIe siècle qu’apparaissent quelques données plus sûres. Le géographe alexandrin Cosmas Indicopleustès (vers 520-525) indique qu’il y a des chrétiens à Ceylan, mais aussi dans le pays de Malé (le Malabar ?), où on cultive le poivre, et à Kalliana (Kalyan, près de Bombay ?), où réside un évêque ordonné en Perse. Première attestation d’un lien entre la chrétienté indienne et l’Eglise de Perse, syriaque orientale. Du côté de l’archéologie, de grandes dalles de pierre crucifères et couvertes d’inscriptions syriaques sont conservées, notamment à Kottayam, et datent des VIe-VIIe s. Grâce aux lettres du grand patriarche de l’Eglise de l’Orient Timothée Ier (780-823), nous savons qu’à son époque les chrétiens de l’Inde étaient, sous sa juridiction, confiés à la sollicitude d’un “archidiacre”. De nouvelles immigrations de chrétiens de Mésopotamie fuyant un pouvoir musulman de plus en plus hostile semblent peu après avoir renforcé encore les communautés du Malabar.

Mais il faut attendre les premiers voyageurs et missionnaires occidentaux en Inde pour recueillir des informations plus sub-stantielles sur les chrétiens autochtones. Marco Polo (1254-1324) les évoque dans son Livre des Merveilles. Et dès 1328, un dominicain français, Jordan Catalani de Séverac est à l’ori-gine d’une première communauté latine à Quilon, dont il de-vient l’évêque. Les sources nous apprennent qu’il y avait alors des chrétiens de souche jusque dans la région de Bombay et même plus au nord, dans le Gujarat, mais les plus nombreux se trouvaient au Malabar, où ils jouissaient d’un statut social élevé, ayant même un roi, et étaient connus sous le nom de Nazrani (Nazaréens), qu’ils ont d’ailleurs gardé jusqu’à nos jours. Aux yeux des Européens, ces chrétiens, qui dépendaient de la hiérarchie de l’Eglise syriaque orientale, étaient des “nestoriens”, entachés d’hérésie comme leur Eglise mère : ils étaient dirigés par des évêques issus de l’un ou l’autre monastère de Mésopotamie, avec en outre un chef religieux local, l’archidiacre, qui détenait des pouvoirs civils et religieux très étendus. Leur liturgie, leurs coutumes étaient profondément orientales, syriaques, mais enrichies de vives colorations indiennes. Leur Eglise était très inculturée dans le terreau local et entretenait de bonnes relations avec les communautés hindoues.

La latinisation portugaise : l’Eglise syro-malabare devient catholique romaine

Au début du XVIe siècle, par l’action de Vasco de Gama puis de Cabral, qui s’assurèrent les bonnes grâces du roi hindou de Cochin, toute la région passa progressivement sous le contrôle des Portugais, qui y favorisèrent l’installation de nombreux missionnaires. Ceux-ci, dépendant de l’évêché de Funchal (Madère), dont la juridiction s’étendait à toute l’Afrique et l’Asie (!), travaillèrent intensément à obtenir des conversions à l’Eglise catholique romaine. En 1533, le pape Clément VII créa le premier évêché indien du patronage portugais à Goa. En 1557, un siège suffragant fut créé à Cochin. A partir des années 1520, des missionnaires portugais voulurent aller plus loin: soucieux de favoriser les intérêts du Portugal (commerce des épices, aide militaire des chrétiens autochtones), ils entreprirent de latiniser et d’occidentaliser les chrétiens locaux, qu’ils soupçonnaient d’être à bien des égards héréti-ques. Malgré l’opposition de certains franciscains et d’un saint François-Xavier (il s’occupa de défendre les chrétiens syriaques et leur vieil évêque, Mar Jacob, en 1548), l’établis-sement des jésuites, à partir de 1575 environ, intensifia le processus, avec ou sans l’appui d’évêques syriens qui avaient été envoyés non plus par l’Eglise “nestorienne” mais par l’Eglise chaldéenne catholique récemment formée (1553) aux détriment de cette dernière. Lorsque le dernier évêque chal-déen, Mar Abraham, mourut en 1597, un pas supplémentaire fut franchi: toutes relations entre les chrétiens du Malabar et l’Eglise chaldéenne furent interdites. En juin 1599, l’arche-vêque-primat de Goa, Alexis de Menezes, convoqua une assemblée générale des prêtres et de délégués laïques à Udayamperur (Diamper pour les Portugais). Ce synode avait en fait pour but d’imposer à l’Eglise locale une latinisation pure et simple autant que scandaleuse, unique dans l’histoire des relations entre l’Eglise latine et l’Orient chrétien. Désor-mais, les chrétiens de Saint-Thomas, dépendant du nouveau diocèse de Angamali, suffragant de Goa, allaient être gouver-nés par des évêques latins et jésuites. L’Eglise syro-malabare catholique, comme on l’appelle aujourd’hui, était née.

Révolte et pacification des chrétiens de Saint Thomas

L’archidiacre ne l’entendit pas de cette oreille et multiplia les protestations auprès de Rome. Parmi les fidèles, grondait un vent de révolte. Or, en 1652, parut un mystérieux Ahatallah qui se prétendait envoyé par Rome pour devenir le patriarche des chrétiens syriaques des Indes. Il fut sans doute rapidement éliminé par les Portugais, mais cet événement allait mettre le feu aux poudres. Le 3 janvier 1653, pour proclamer leur droit à l’autonomie religieuse, l’Archidiacre, de nombreux prêtres, des centaines de fidèles se lièrent ensemble par une corde à une croix vénérée à Mattancherry, un quartier de Cochin, et jurèrent que plus jamais ils n’obéiraient aux jésuites et aux missionnaires du Padroado (Serment de la Croix Kounan). Une grosse majorité des chrétiens du Kérala suivirent leurs pasteurs naturels dans cette révolte. Quatre mois plus tard, l’archidiacre Thomas se fit consacrer évêque par douze prê-tres, avec la bénédiction fictive d’Ahatallah, le prélat disparu.

Les Portugais étaient décontenancés, d’autant que ces troubles affaiblissaient leur position face aux entreprises des Hollandais. Rome eut la sagesse de recourir à la diplomatie des carmes déchaussés, installés à Goa vers 1620, qui entretenaient de meilleures relations avec les syriaques: ils parvinrent à amener un grand nombre de révoltés à la réconciliation et un évêque carme fut consacré pour les Syro-malabars. Mais celui-ci dut s’exiler lorsque les Hollandais s’emparèrent de Cochin et de Cranganore en janvier 1663: il put toutefois consacrer un successeur, un malabar syriaque, Alexandre Palliveetil, un ancien chef de la révolte, cousin de l’archidiacre. Mar Alexandre, premier évêque indien du Malabar et vicaire apostolique, parvint, durant son long épiscopat (il mourut en 1687) à ramener la grosse majorité des dissidents dans l’union avec l’Eglise romaine mais en les soustrayant au patronage portugais; seules quelques paroisses syro-malabares restèrent sous la dépendance de l’archevêché portugais de Cranganore. Hélas, on ne donna pas de successeur indien à Mar Alexandre, qui fut remplacé par un évêque carme italien. Déçus, de nombreux fidèles se rattachèrent à l’archevêché de Cranganore, d’autant que le Portugal y nomma des évêques autochtones dès la fin du XVIIIe s. et que le clergé y devint bientôt exclusivement local. Deux juridictions catholiques rivales se livraient ainsi une lutte sourde qui ne prit fin qu’en 1886, lorsque le pape Léon XIII nomma deux vicaires apostoliques chargés de préparer la voie à une hiérarchie vraiment locale qui allait se mettre en place dans la première moitié du XXe siècle et donner à l’Eglise syro-malabare catholique son profil actuel.

Retour d’une minorité à l’Eglise “nestorienne”

C’est dans ce contexte que le patriarche chaldéen catholique de Babylone Joseph Audo (1848-1878) tenta de faire reconnaître sa juridiction sur ces chrétiens syro-malabars. Entrant à ce sujet violemment en conflit avec Rome, il envoya sur place deux évêques successifs, Mar Rokos (1861-62) puis Mar Ellias Mellus, qui s’installa dans une église fondée à Trichur en 1814 (Marth Mariyam Big Church), s’assura d’assez nombreuses obédiences (1874-1882), mais fut excommunié et combattu avec succès par les carmes. Ses adhérents finirent par former (1907-1908) une Eglise rattachée à l’Eglise assyrienne nestorienne (le premier métropolite en fut Mar Abimelek Timotheus, originaire du Kurdistan) et surtout implantée dans la région de Trichur, où elle existe encore. C’est dans cette Eglise qu’est né en 1964 le mouvement contre l’adoption du calendrier julien par le catholicos-patriarche assyrien Mar Shimoun XXIII; il s’agissait en fait aussi d’une opposition à la personnalité très controversée du patriarche, au fait qu’il résidait aux Etats-Unis, et au patriarcat héréditaire dans la famille des Shimoun. Le métropolite assyrien de l’Inde Mar Thomas Dhermo se rendit à Bagdad et y consacra trois nouveaux évêques qui, ensuite, l’élurent comme anti-catholicos. Il mourut l’année suivante et il fut remplacé en 1971 par l’actuel catholicos de l’Eglise apostolique de l’Orient (“nestorienne vieille-calendériste”), Mar Addai II, ancien évêque de Bagdad.

Et passage d’une autre minorité à l’Eglise syrienne jacobite

Si la majorité des chrétiens révoltés à la suite du Serment de la Croix Kounan (1653) s’étaient réconciliés avec Rome, d’autres restèrent irréductibles, avec à leur tête l’Archidiacre consacré évêque. Une trentaine de paroisses les suivirent dans un schisme définitif. L’Archidiacre chercha alors par tous les moyens à nouer le contact avec l’un ou l’autre patriarche oriental pour asseoir sa légitimité. Il finit par obtenir une oreille attentive d’un patriarche syrien orthodoxe (jacobite) d’Antioche qui envoya en Inde le métropolite de Jérusalem, Mar Grégorius, lequel sacra solennellement l’Archidiacre comme évêque-métropolite sous le nom de Mar Thomas Ier (1665). Ainsi naquit l’Eglise syrienne orthodoxe de l’Inde dite aussi Eglise syro-malankare (ou malankara), dont Christine Chaillot donnera un aperçu historique et un portrait actuel dans l’article qui suit les présentes pages. Cas tout à fait insolite d’une Eglise issue de la tradition syriaque orientale (“nestorienne”) mais qui s’est rattachée à la tradition syriaque occidentale (“jacobite”, dite encore improprement “monophysite”) et en a adopté la liturgie. Cette Eglise a connu à partir du début de ce siècle des dissensions internes qui seront expliquées en détail par C. Chaillot: elles ont donné naissance à deux Eglises rivales, l’Eglise malankare orthodoxe syrienne, autocéphale, qui ne reconnaît pas la juridiction du patriarche syrien orthodoxe d’Antioche, et l’Eglise malankare syrienne orthodoxe, qui reconnaît l’autorité dudit patriarche. Comme on le voit, c’est encore autour de la question de l’autonomie et de la liberté de ces Eglises que sont nées ces divisions.

Un schisme plus ancien au sein de l’Eglise syrienne orthodoxe malankare remonte à 1772, quand Mar Kurilose Kattumangatt, un moine indien ordonné évêque par un prélat syrien venu de Jérusalem ne fut pas reconnu par le métropolite et forma une petite Eglise indépendante, celle de Anjur-Thozhiyur, d’après le nom des villages où elle s’établit. Elle survit aujourd’hui, avec quelques milliers de fidèles.

Les Britanniques suscitent la création d’une Eglise réformée

En 1795, Cochin tomba aux mains des Britanniques. Sous leur impulsion, des missionnaires anglicans de la Church Missionary Society (C.M.S.) arrivèrent au Malabar dès 1816. Leur influence ne cessa de grandir, grâce notamment aux Ecoles bibliques du dimanche, au fait qu’ils favorisaient l’usage de la langue locale (le malayalam) au lieu du syriaque dans la liturgie, et au système d’éducation anglais dont ils bénéficiaient. Progressivement, plusieurs dizaines de milliers de syriens orthodoxes passèrent à l’anglicanisme et finale-ment, après bien des conflits avec le patriarcat syrien d’Antio-che portés devant les tribunaux, se créa en 1880 une Eglise syrienne réformée de Mar Thomas, dont le premier métropo-lite fut Thomas Mar Athanasius. Cette Eglise est aujourd’hui bien organisée, avec un métropolite et des évêques, 700 000 fidèles, de nombreux collèges et écoles, des associations missionnaires actives, etc. Elle connaît des turbulences internes assez semblables à celles qui secouent l’Eglise d’Angleterre, entre tendances libérales et conservatrices. Une dissidence d’orientation plus évangélique est à l’origine, en 1961, de la formation du rameau séparé des Mar-Thomites.

Une jeune Eglise orientale catholique

Enfin, toujours au sein de l’Eglise syrienne orthodoxe divisée par des querelles infinies, un mouvement favorable à l’union au catholicisme se développa au début de ce siècle sous l’impulsion de Mar Ivanios de Bethany. Celui-ci était né George Mallitta-Panikerveetil, issu d’une illustre famille malankare. Dès son jeune âge, il avait décidé de se consacrer au renouvellement spirituel de son Eglise. Prêtre en 1909, favorable au parti de l’autonomie, il fonda en 1919 un monastère à Béthany, où il initia un nouveau style de vie religieuse très influencé par l’anglo-catholicisme. Il devint en 1925 évêque de Béthany et métropolite en 1928. Finalement, profondément heurté par les divisions persistantes de son Eglise, il passa au catholicisme en septembre 1930, avec son suffragant pour Tiruvalla, Mar Theophilos, et la majorité de ses religieux et religieuses. Une nouvelle Eglise orientale catholique était constituée, l’Eglise syro-malankare catholique, à laquelle Pie XII donna une hiérarchie dès 1932: Mar Ivanios devint métropolite de Trivandrum. C’est en lien avec cette Eglise qu’en 1957, un cistercien belge, le P. Francis (Jean Mathieu), moine de l’abbaye trappiste de N.-D. de Scourmont-lez-Chimay, fonda le monastère de Kurisumala qui a pour but la promotion de la vie contemplative inspirée de la tradition bénédictino-cistercienne, de l’idéal ascétique syrien et du renoncement hindou, dans une perspective d’ouverture au dialogue œcuménique et interreligieux. Cet ashram de Kurisumala vous est présenté dans un autre contribution à ce numéro spécial de Solidarité-Orient.

Le Kérala : une mosaïque d’Eglises

Le “tableau généalogique” proposé (voir en fin de docu-ment) rend compte de toute l’affligeante complexité des divi-sions confessionnelles des Eglises de l’Inde méridionale. A bien des égards, le constat est désespérant. Il ne doit pas oc-culter la grande vitalité de la plupart de ces communautés et leur volonté aujourd’hui de plus en plus affirmée, malgré bien des hésitations et des retours en arrière, d’œuvrer à la cons-truction d’un dialogue œcuménique en profondeur, prélude à une grand mouvement de réconciliation de tous les chrétiens de Saint-Thomas. Il faut dire que leurs divisions, bien sou-vent, ont été le fait de l’ingérence d’Eglises extérieures, occi-dentales surtout. Jusqu’au XVIIe siècle, l’union avait toujours prévalu, malgré les différences identitaires très puissantes qui existaient entre les “nordistes” et les “sudistes”.

Nous terminons ce trop rapide aperçu par un tableau systématique des principales Eglises chrétiennes présentes aujourd’hui sur le territoire du Kérala (les chiffres sont évidemment à prendre avec précaution et ne peuvent être tenus que pour des évaluations approximatives).

Anciennes Eglises orientales (“orthodoxes”)

1.- L’Eglise mellusienne de Trichur (“nestorienne”)

Dite aussi “Eglise syro-malabare orthodoxe” de liturgie syrienne orientale.

Comptant environ 15 000 fidèles, elle est aujourd’hui divisée entre deux branches, l’une fidèle au patriarche de l’Eglise Assyrienne de l’Orient, Mar Dinkha IV (qui réside à Chicago), l’autre au patriarche de l’Eglise Apostolique de l’Orient, Mar Addai II (qui réside à Bagdad). Mais les deux branches de l’Eglise assyrienne sont aujourd’hui sur la bonne voie de la pleine réconciliation.

La communauté favorable à Mar Dinkha IV a pour chef Mar Timotheos (Chundal Cheru), métropolite du Malabar et de toute l’Inde, né en 1920, consacré en 1971 (réside à Trichur – on écrit plutôt maintenant Thrissur).

La communauté favorable à Mar Addai II est considérablement affaiblie depuis que son chef, Mar Aprem (George Mooken), métropolite de Trichur, né en 1940, consacré en 1968 par Mor Thoma Darmo, s’est rallié à Mar Dinkha IV en 1995.

2.- L’Eglise malankare syrienne orthodoxe (“jacobite patriarcale”)

Rite syro-occidental (antiochien). Elle compterait environ un million de fidèles (avec une diaspora).

Depuis la mort du catholicos-maphrien Mar Basilios Paulos II, le 1er septembre 1996, aucun successeur n’a été nommé. Les dix métropolites et évêques de cette Eglise dépendent donc actuellement de la juridiction directe du patriarche syrien-orthodoxe d’Antioche.

3.- L’Eglise malankare orthodoxe syrienne (“jacobite autonome”)

Rite syro-occidental (antiochien). Elle compterait environ un million de fidèles, certains en diaspora.

Son chef est actuellement Sa Sainteté Moran Baselios Mar Thoma Mathews II, catholicos de l’Orient, métropolite de l’Eglise malankare orthodoxe syrienne, 89e successeur du Trône de Saint Thomas l’Apôtre. Il est né en 1915 et a été élu en 1991. Il était auparavant évêque de Kollam.

4.- L’Eglise syrienne malabare indépendante de Thozhiyur

Nous ne possédons que très peu d’informations sur cette Eglise, qui ne compterait plus qu’environ 5 000 fidèles. Bien qu’ayant préservé ses rites orientaux, elle est en relation très étroite, depuis le milieu de ce siècle, avec l’Eglise réformée de Mar Thomas, dont le chef consacre ses métropolites, et avec la communion anglicane. En fait, au siècle dernier, elle semble avoir voulu maintenir une sorte de double communion avec l’Eglise syrienne malankare et avec l’Eglise réformée de Mar Thomas, mais rompit finalement tous liens avec la première. Dans la pratique, les fidèles et le clergé de l’Eglise syro-malankare et de l’Eglise d’Anjur se reconnaissent cependant comme frères et vivent d’un bel esprit œcuménique. L’Eglise d’Anjur-Thozhiyur a été affaiblie par la défection, en 1977, de son métropolite, Poulose Mar Philexinos III, passé à l’Eglise syro-malankare-catholique.

Eglises orientales catholiques

5.- L’Eglise syro-malabare catholique

Elle compte environ 3,3 millions de fidèles.

En 1934, le pape Pie XI a amorcé un processus de restauration de son antique rite syro-malabar, issu du rite syro-oriental mais extrêmement latinisé par les jésuites et les carmes. La liturgie restaurée sur base des anciennes sources orientales fut approuvée par Pie XII en 1957 et introduite en 1962, confirmée par la Congrégation pour les Eglises Orientales Catholiques en 1985. Cependant, une vive résistance à cette restauration liturgique s’est manifestée parmi nombre de laïcs, de prêtres, d’intellectuels, et même plusieurs évêques, qui estiment que le rite latin est plus adapté à la modernité et guère plus étranger à l’Inde que le rite syro-oriental. Dans la plupart des diocèses, on peut en réalité à peine distinguer une messe syro-malabare d’une messe latine. La question s’est notamment beaucoup focalisée sur l’adoption ou le rejet de la messe avec prêtre tourné vers le peuple, ce dernier usage s’étant généralisé en Inde depuis Vatican II. D’aucuns estiment que ces chamailleries liturgiques détournent des vrais défis de l’heure, auxquels l’Eglise doit faire face pour le bien de la société et des plus pauvres. Au début de 1996, le pape Jean-Paul II a réuni en synode à Rome les évêques syro-malabars pour tenter de rapprocher les partis opposés (5), mais le synode local de 1997 fut encore marqué par de vifs conflits. Le climat semble pour l’heure loin d’être apaisé.

Les relations entre l’Eglise syro-malabare catholique et l’Eglise latine en Inde ont souvent été tendues, surtout en ce qui concerne la possibilité d’établir des juridictions syro-malabares en dehors du Kérala, dans des régions de l’Inde ou des Malabars se sont établis. De nombreux prêtres syro-malabars exercent d’ailleurs une activité pastorale ou missionnaire dans le nord du sous-continent. Pour apaiser ces tensions, en 1977, le Saint-Siège a commencé à établir des diocèses syro-malabars en dehors du Kérala, même dans des régions où existent des diocèses latins.

Jusqu’il y a peu, l’Eglise syro-malabare comprenait deux diocèses métropolitains (Ernakulam et Changanacherry) de rang égal. Mais le 16 décembre 1992, le pape Jean-Paul II a élevé Ernakulam-Angamaly au rang de Siège Archiépiscopal majeur, dont le titulaire, Mgr Antoine Padiyara fut créé cardinal. Atteint par la limite d’âge, le cardinal Padiyara s’était retiré en novembre 1996 (il est mort ce 23 mars 2000, à l’âge de 79 ans), mais n’avait pas été directement remplacé, notamment en raison des conflits persistants au sein de l’Eglise syro-malabare entre “orientalisants” et “anti-orientalisants”. Le Saint-Siège avait nommé comme administrateur apostolique un rédemptoriste, Mgr Varkey Vithayathil, né en 1927. En 1999, Jean-Paul II a finalement nommé ce dernier archevêque majeur d’Ernakulam-Angamaly, faisant de lui à plein titre le chef spirituel de l’Eglise catholique de rite syro-malabar.

6.- L’Eglise syro-malankare catholique

Cette Eglise compte aujourd’hui environ 300 000 fidèles, répartis en quatre diocèses. Son chef est l’archevêque Mar Baselios, métropolite de Trivandrum des Syro-Malankars. La liturgie de Saint Jacques est celle du rite syrien occidental et antiochien : la langue en est le syriaque mais les célébrations dominicales se font en malayalam, la langue du Kérala.

7.- Catholiques latins

Il y a aussi au Kérala des catholiques non-orientaux, latins, pour la plupart des hindous convertis par les missionnaires occidentaux. Ils représentent 22,5 % des chrétiens de l’Etat. Syriaques et latins ne forment pas une communauté homogène: ils ont des évêques différents et fréquentent des églises distinctes. Cette ségrégation se reflète dans la vie sociale: les Syriaques s’assimilent aux hautes castes hindoues et l’endogamie est chez eux de règle, surtout chez les “sudistes”. Ils sont économiquement favorisés. Les catholiques latins, par contre, appartiennent aux classes populaires et laborieuses (d’après M. Theys).

Eglises réformées

8.- L’Eglise syrienne réformée de Mar Thomas

Elle a rejoint la communion des Eglises anglicanes en 1974. L’actuel métropolite de Tiruvalla est le Rev. Dr. Alexander Mar Thoma, installé en 1976. Forte de plus de 700 000 fidèles, de plus de 800 paroisses, elle étend son rayonnement non seulement en Inde, mais aussi en Malaisie, à Singapour, dans le Golfe persique, en Grande-Bretagne, aux Etats-Unis, au Canada, en Afrique, où se sont créées des communautés de la diaspora. Si le synode des évêques est compétent en matière de foi et de doctrine, la direction de l’Eglise dépend de l’Assemblée représentative (mandalam) où siègent en majorité des laïcs.

9.- L’Eglise évangélique de Mar Thomas en Inde

Cette Eglise fut fondée le 26 janvier 1961, lorsque 12 prêtres dissidents de l’Eglise syrienne de Mar Thomas consacrèrent deux évêques (K.N. Oomen et John Varghese). Cette petite Eglise fut elle-même très vite victime de tensions et se sépara en deux groupes distincts: l’Evangelical Fellowship et la St. Thomas Evangelical Church, qui, ensemble, ne paraissent compter qu’environ 20 000 fidèles.

10.- L’Eglise d’Inde du Sud (Church of South India)

C’est une Eglise purement protestante, qui a abandonné ses traditions liturgiques orientales. Mais 60 % de ses fidèles viennent des communautés syriaques. Forte de plus de 60 000 fidèles répartis en 21 diocèses (dont le plus important est celui de Madhya Kérala), elle est née de l’action des missionnaires britanniques de la C.M.S. aux XIXe et XXe s. et fut officiellement constituée le 27 septembre 1947. Elle regroupe des anglicans, des presbytériens et des congrégationalistes, qui acceptent toutefois la structure épiscopalienne de l’Eglise.

Notes

(1)Sur les traditions relatives à l’apôtre Thomas, voir l’article de synthèse de C. Cannuyer, Thomas, dans Catholicisme, t. XIV, 68, 1997, col. 1165-1171

(2)Une autre Eglise orientale ancienne est implantée en Inde : l’Eglise arménienne apostolique, qui compte notamment des communautés à Madras, Bombay, Calcutta, avec des églises et des écoles. Le patriarche Vazkên Ier les a visitées en 1963 (cf. Basil Anne, Armenian Settlements in India: from the earliest times to the present day, publié par le Collège arménien, 56 B, Free School Street, Calcutta – 16, West-Bengal, 1969).

(3)Voir, à ce sujet, la récente étude d’H. Waldmann, Das Christentum in Indien und der Königswegs der Apostel in Edessa, Indien und Rom (Tübinger Gesellschaft – Wissenschaftliche Reieh, V), Tübingen, 2ème éd., 1997.

(4)Ce tombeau est vide; un marchand d’Edesse, au IIIe siècle, aurait emporté le corps du saint dans sa cité.

(5)Voir les Acts of the Synod of Bishops of the Syro-Malabar Church held in the Vatican from 8 to 16 January 1996, Servizio Informazioni per le Chiese Orientali, suppl. au n° 581-604, Rome, 1998.

Pour en savoir plus

Un bon instrument de travail : E. Hambye, A bibliography on Christianity in India, Bombay, 1976.

Une sélection de travaux particulièrement riches :

E. Tisserant, Syro-Malabare (l’Eglise), dans Dictionnaire de Théologie catholique, t. XIV/2 1(1941), col. 3089-3162.

L. Brown, The Indian Christians of saint Thomas, Cambridge, 1956 (repr. 1982).

Numéro spécial de Vivante Afrique, n° 236 janvier-février 1965); collection d’articles surtout signés par E.R. Hambye.

P.J. Podipara, Die Thomas-Christen, Würzburg, 1966 (trad. anglaise, Londres – Bombay, 1970).

N.J. Thomas, Die Syrisch-Orthodoxe Kirche der Südindischen Thomas-Christen. Geschichte –

Kirchenverfassung – Lehre, Würzburg, 1967.

E.R. Hambye et J. Madey, 1900 Jahre 7homas-Christen in Indien, Paderborn, 1972.

P. Verghese, Die syrischen Kirchen in Indien (Die Kirchen der Welt, 13), Stuttgart, 1974.

A.M. Mundadan et J. Thekkedath, History of Christianity in India, Bangalore, 6 vol., 1982-1984.

A.M. Mundadan, Indian Christians: Search for Identity and Struggle for Autonomy, Bangalore, 1984 (approche catholique).

S.N. Neill, A History of Christianity in India, Cambridge, 2 vol., 1984-1985.

J. Kollaparambil, The Babylonian Origin of the Southists among the St Thomas Christians (Orientalia Christiana Analecta, 24 1), Rome, 1992.

C. Chaillot, The Malankara Orthodox Church. Visit to the Oriental Malankara Orthodox Syrian Church of India, Genève, 1996.

Actualité :

Pour l’actualité, consulter les chroniques de J. Madey, dans Oriens Christianus de 1976 à 1982, dans Parole de l’Orient de 1982 à 1985, dans Proche-Orient Chrétien depuis 1989, et dans la revue Het Christelijk Oosten (Instituut voor Oosters Christendom, Nimègue, Pays-Bas), qui publie assez régulièrement des chroniques et des articles sur les Eglises de l’Inde méridionale: ainsi l’article de Geevarghese Chediath, Een stem in de woestijn… De situatie van de oosters-katholieke keren in India, dans Het Christelijk Oosten, 1999, 1-2, pp. 83-98.

Depuis 1984, Mar Aprem, métropolite syro-oriental de Trichur, publie à Bangalore un Indian Christian Directory.

Quelques sites web utiles (pour la plupart créés par des communautés de la diaspora américaine ou européenne) :

Eglise orthodoxe syrienne malankare : http://www.malankara.org

Eglise orthodoxe syro-malabare (“nestorienne”) : http://www.indian-orthodox.org

Eglise réformée de Mar Thomas : http://www.marthomachurch.org

Société de Saint-Thomas (Mar-thomites) : http://www.dci.dk:engelsk/thomas:soc_thom.html

Eglise syro-malabare catholique : http://www.kerala.org/religion/christian/contribs/kerala-catholics.html

Sur les “Sudistes” : http://www.thamara.com/knanaya

Le livre des Actes de Thomas ainsi que la plupart des livres apocryphes de la Bible disponibles en version complète peuvent être consultés sur le site http://wesley.nnc.edu/noncanon.htm