Eglises d'Asie

LA TENTATIVE DE “NORMALISATION” DE L’EGLISE PROTESTANTE PROVOQUE UNE TEMPÊTE

Publié le 18/03/2010




En essayant de normaliser la situation de l’Eglise évangélique du Vietnam, le Bureau des Affaires religieuses y a provoqué des troubles sérieux. L’Eglise évangélique du Vietnam est la plus importante institution protestante du Vietnam avec quel-que 300 communautés qui se rassemblent dans des église da-tant d’avant 1975 et des centaines d’autres dans les maisons privées et ailleurs. Depuis 1975, il ne lui avait pas été permis de tenir d’assemblées ou de choisir des dirigeants régionaux ou nationaux. Pourtant, dans la période qui a précédé la visite historique de Clinton au Vietnam, la reconnaissance légale de cette Eglise semblait avancer à pas de géant. Malheureuse-ment, les manipulations maladroites du gouvernement pour tenter d’influencer le développement du processus, ainsi que des comportements de dirigeants en apparence plus intéressés par le pouvoir et le maintien à leur poste que par l’honnêteté ont conduit fidèles et pasteurs de toutes catégories à demander de mettre un terme aux pourparlers en cours. Malgré cette tempête, le Premier ministre a signé le 22 janvier une lettre autorisant la tenue d’une Assemblée générale de l’Eglise évangélique du Vietnam à Saigon, dans les locaux de l’église du 155, boulevard Tran Hung Dao, du 7 au 9 février. Jusqu’à maintenant, il est difficile de savoir si les Eglises accepteront d’envoyer des délégués et, dans l’affirmative, si ces derniers participeront aux débats ou s’abstiendront.

L’élément clef du processus en cours est l’ordre donné aux dirigeants religieux par le gouvernement de préparer une nouvelle constitution de l’Eglise. Malgré ses efforts, le Bureau des Affaires religieuses s’est montré incapable de contrôler totalement le choix des membres composant la commission chargée d’élaborer le projet de constitution. A la mi-novembre, la commission avait achevé de rédiger un projet plus démocratique que le texte originel qui lui avait été donné comme canevas. Cependant, le président de la commission, que beaucoup estiment trop pro-gouvernemental ou trop ambitieux ou les deux à la fois, a, de sa propre initiative, révisé le projet approuvé par la commission, pour l’éclairer, ainsi qu’il l’a expliqué, mais plus probablement pour le rendre acceptable au Bureau des Affaires religieuses. Il a fait en sorte de présenter ce projet aux Affaires religieuses comme si c’était celui qui avait été adopté par la commission. Les autorités apportèrent, à leur tour, des changements substantiels avant de le retourner au président de la commission qui devait, lui-même, le faire circuler dans les diverses Eglises pour y être commenté.

Lorsque les membres de la commission furent informés de ces graves irrégularités, ils en furent très irrités. Ils décidèrent de faire circuler dans les Eglises le projet qu’ils avaient adopté. Celui-ci parvint à destination juste avant la version entachée d’irrégularités, approuvée par le gouvernement. Pasteurs et chrétiens ordinaires réagirent alors avec force et rapidité. Ils prirent la parole dans les réunions régionales organisées par les sections locales des Affaires religieuses pour essayer de remettre en cause le processus en cours. Ils écrivirent des pétitions demandant que la commission d’élaboration du projet de constitution démissionne en signe de protestation. Les 46 pasteurs de la province de Khanh Hoa signèrent ensemble une lettre de ce type. Des samizdats non signés commencèrent à circuler en grand nombre. L’une de ces publications s’intitulait “Le chant du coq”, se référant à l’histoire biblique où le chant du coq prédit par Jésus rappelle à Pierre qu’il a trahi Jésus. Une autre qui reprochait aux dirigeants de l’Eglise de ne pas élever plus énergiquement la voix s’appelait “Même les pierres crieront”, titre qui lui aussi était plein de sous-entendus bibliques. Un autre article en anglais, analysant la stratégie de la rapidité (fast track) utilisée par les autorités, fut recueilli sur Internet, traduit en vietnamien, puis mis en circulation.

Les opposants et les sceptiques furent grandement aidés par la divulgation d’un plan secret du gouvernement, appelé document “184 A”, dévoilant la stratégie employée et le programme suivi pour amener l’Eglise protestante sous le contrôle des autorités. Sa divulgation fut l’œuvre de l’organisation de défense des droits de l’homme Freedom House dont le siège est à Washington, aux Etats-Unis (1).

Le 28 décembre 2000, la commission d’élaboration de la constitution fut convoquée en urgence. Après une rencontre marquée par la tension au cours de laquelle le président fut mis en mauvaise posture, la commission décida de suspendre son travail sans toutefois se dissoudre. Deux motions furent adoptées. Dans la première, les membres de la commission s’accordaient pour s’en tenir à la version du projet de constitution adoptée le 11 novembre 2000 et ne soutenir que celle-là. Par la seconde, les membres de la commission exigeaient que leurs noms soient retirés du projet amendé irrégulièrement et de son propre chef par le président, le pasteur Ngô Van Buu (vraisemblablement avec certaines complicités), version datée de décembre 2000 et mise en circulation en dernier lieu. Le gouvernement, pour sa part, s’en tenait à la version entachée d’irrégularités, qu’il avait corrigée de concert avec le pasteur Buu.

En dehors de ces interventions et manipulations, le Bureau des Affaires religieuses trouva encore d’autres moyens de s’aliéner l’Eglise évangélique du Vietnam. En premier lieu, le bureau eut l’audace de toucher à la section doctrinale de la constitution. Ensuite, il insista sur le fait que la déclaration générale du préambule affirmant l’allégeance à la nation ne suffisait pas. Il demanda que soit utilisé un langage patriotique accordant spécifiquement son appui à la République socialiste du Vietnam, ce que beaucoup de dirigeants de l’Eglise considèrent comme une déclaration trop politique. Enfin, les autorités considèrent que la future assemblée générale doit être appelée “la première Assemblée annuelle”, alors que, normalement, elle devrait se nommer la 43e assemblée (après une interruption de 25 ans due au refus du gouvernement d’accorder l’autorisation nécessaire à la tenue de cette assemblée. Les dirigeants de l’Eglise ont énergiquement protesté contre cette tentative de couper l’Eglise d’un passé signifiant. Ce qui a suscité le plus d’objections chez beaucoup est la décision des Affaires religieuses de rayer de la constitution la catégorie d’Eglise de nouvelle branche, ce qui enlève à l’Eglise toute possibilité de croître et de se répandre.

Les différents documents mis en circulation à cette occasion se sont fermement opposés à toutes ces irrégularités et se sont interrogés sur les motivations de neuf pasteurs, cités nommément. A quelques-uns, il est reproché d’être avides de pouvoir et de désirer des postes plus importants. Certains textes accusent quelques-uns d’entre eux de n’être que des fantoches du gouvernement. Avec davantage de charité, d’autres documents attribuent à ces pasteurs une extrême naïveté et leur reprochent de n’avoir rien appris de l’expérience et d’ignorer comment le Bureau des Affaires religieuses avait manipulé et contrôlé la toute petite Eglise évangélique du Nord et comment il avait créé des organisations patriotiques dans les autres religions.

La scène est donc prête pour une assemblée générale houleuse en février, si toutefois les Eglises se décident à envoyer des délégués. En outre, des questions se posent concernant le choix et l’approbation des délégués des Eglises locales. Les Affaires religieuses insistent pour qu’ils soient tous sous son contrôle. Au départ, elles proposaient le nombre de 200 comme maximum, tandis que les dirigeants de l’Eglise évangélique présentaient une liste de 800 noms.

L’autorisation accordée à la tenue d’une Assemblée générale de l’Eglise évangélique malgré la tempête de protestations en cours est considérée par certains comme ayant été donnée en désespoir de cause par le Bureau des Affaires religieuses. Il aurait été prévu que certains des membres de ce dernier perdraient leur poste si la normalisation de la situation des protestants ne se faisait pas.

Beaucoup ont espéré que les entretiens du Bureau des Affaires religieuses avec l’Eglise évangélique concernant sa normalisation et son statut légal après 25 ans de persécutions périodiques et de mise à l’écart par le gouvernement, indiquaient un modeste pas franchi en direction de la création d’une société civile. Mais les derniers développements ont découragé les plus optimistes. Ce qui s’est produit est une nouvelle tentative maladroite et brutale du Bureau des Affaires religieuses pour manipuler les dirigeants et les conduire vers une Eglise protestante patriotique. La majorité des pasteurs et des chrétiens s’en sont aperçus et ont réagi avec une force inaccoutumée et dans l’unité. Ils ont montré qu’ils préféraient garder un statut peu clair et incertain plutôt que d’accepter celui qui, avec condescendance, leur était offert. Une minorité pense qu’il faut conserver une attitude loyale à l’égard du gouvernement malgré les tentatives de manipulation. Cependant, la presque totalité de la communauté protestante, y compris les nombreuses organisations d’Eglises domestiques, est plus que jamais éloignée du régime. Ils tiennent à rester fidèles en dépit de tout, comme ils l’ont été depuis 25 ans. Ainsi, les derniers événements ont finalement servi la cause de l’unification des chrétiens protestants qui ont redoublé de vigilance face à un César hostile qui ne sait que répéter des promesses creuses au sujet de la liberté de religion.

Ce que les dirigeants communistes du Vietnam éprouvent réellement à l’égard des protestants a été, une fois de plus, illustré durant les dernières fêtes de Noël dans les provinces du Nord-Vietnam, lieux où ils considèrent qu’il n’est pas nécessaire de s’abriter sous des masques avantageux. Comme à l’accoutumée, pour, au moins, la cinquième année, la police locale a tourmenté, arrêté et battu brutalement les dirigeants religieux locaux afin de les empêcher de célébrer les cérémonies de Noël. On a pu recueillir des témoignages sur ces faits. Nous en citerons deux. Dans la commune de Phong Niêm, district de Bao Thang, province de Lao Cai, l’agent de police Vang Seo Quang, par des menaces et des coups donnés aux membres du conseil de communauté, a essayé d’empêcher des chrétiens h’mongs de célébrer Noël. Il a même annoncé qu’après le nouvel an lunaire, une campagne serait lancée qui extirperait le christianisme de la province. Le policier Nong Sang, chef de la Sûreté pour le district de Bac Ha, dans la province de Lao Cai, a proféré de semblables menaces devant des chrétiens h’mongs. Sachant par expérience comment les autorités avaient chassé d’autres chrétiens h’mongs de leurs mai-sons et de leurs terres, beaucoup de chrétiens de la province de Lao Cai, effrayés, projettent de suivre des milliers d’autres qui ont déjà émigré illégalement dans le sud, dans la province de Dak Lak, pour échapper à la persécution.