Eglises d'Asie – Inde
TREMBLEMENT DE TERRE AU GUJARAT : LE TÉMOIGNAGE D’UN SURVIVANT
Publié le 18/03/2010
L’expérience a été véritablement terrifiante. Il est 8 h 56 et je m’apprête à aller acheter du poisson au marché pour ces trois jours de fête que nous allons vivre. Tandis que je m’habille, je demande à mon père qui est correspondant de United News of India, une agence de presse nationale, de m’accompagner. Alors que je prends la clef de la voiture, Divya, ma fille de 18 mois, insiste pour venir, elle aussi. Mon père est encore plongé dans la lecture de la presse, lorsque nous sentons l’habitation trembler et la vaisselle dégringoler. Il nous faut peu de temps pour comprendre que nous sommes secoués par un tremble-ment de terre et que celui-ci va changer notre vie de fond en comble.
Ma mère, ma fille, mon père, mon épouse et moi-même, nous nous précipitons vers la cage d’escalier déjà remplie de gens venant des autres appartements. Depuis le quatrième étage où nous habitons, il nous faut quelque temps pour descendre jusqu’au rez-de-chaussée alors que les habitants des étages moins élevés engorgent les escaliers. Pendant que nous nous frayons un chemin, l’immeuble tremble et se balance comme une bascule. Les genoux de ma mère sont paralysés par la peur. Mais la crainte de voir l’immeuble s’écrouler lui donne quand même la force de se mouvoir. Arrivés en bas, nous nous dirigeons vers un espace découvert. Le pire a été pour les personnes âgées qui ne pouvaient ni se tenir debout, ni marcher. Elles étaient une quinzaine dans les appartements où nous habitons, dans un quartier considéré comme élégant à Ahmedabad, capitale commerciale de l’Etat du Gujarat. On a quand même réussi à les convoyer jusqu’au rez-de-chaussée et les transporter vers un lieu sûr…
Dans la rue, partout, nous ne rencontrons que le chaos. Beaucoup d’entre nous sont encore en sous-vêtements. Nous nous tenons à l’écart loin de l’immeuble, pensant que celui-ci ne va pas tarder à s’effondrer. La peur de nouvelles secousses nous empêche de nous approcher de nos appartements. Celles-ci ont cessé au bout de 90 minutes. En Inde, le séisme a été classé à 6,9 degrés sur l’échelle de Richter, mais ailleurs on a parlé de 7,9 degrés. Plus tard, le service de météorologie a expliqué qu’entre 6,9 et 7,9 degrés, l’intensité du séisme augmentait de dix fois.
Ce n’est que 10 minutes après le cataclysme, que chacun d’entre nous a saisi la réelle signification de l’événement. Des larmes de désespoir commencèrent à couler devant le spectacle de dévastation s’étendant tout autour de nous. Le choc subi ainsi que la terreur nous ont laissé muets. Au bout d’une heure, on commença à bouger et à se rapprocher pour constater les dégâts. Les piliers sur lesquels était bâti notre immeuble avaient été brisés et certains d’entre nous firent remarquer que c’était comme si leur propre squelette était mis à nu. C’est vrai. Chacun dans l’immeuble avait investi toutes ses économies pour acheter son appartement et les dommages subis par celui-ci choquaient encore plus que le séisme lui-même. La vision d’un avenir lugubre envahissait les esprits sans que personne ne sache ce qui allait suivre et ce qu’il allait faire ensuite.
Deux heures plus tard, le calme était revenu et certains allèrent chercher leur voiture dans le parking souterrain. Je me joignis à eux, craignant toujours que l’immeuble ne s’effondre à chaque instant. Nous sommes restés sur un terrain découvert jusqu’au soir où nous sommes allés chercher refuge dans la demeure de la famille de mon épouse ; n’ayant qu’un étage, la maison avait résisté au tremblement de terre. Il ne me restait plus qu’un pantalon déchiré et un T-shirt. Heureu-sement, mon portefeuille et mes cartes de crédit étaient dans ma poche.
Je fis alors un tour de ville, laissant derrière moi mes soucis personnels, ainsi que mon père parti immédiatement pour accomplir sa profession. La dévastation de la ville était terrifiante. Un immeuble de dix étages s’était effondré comme un paquet de cartes. Personne ne savait combien de personnes étaient restées bloquées à l’intérieur. Les services gouvernementaux ne s’étaient pas encore mis en branle, les résidents eux-mêmes entamaient les premières opérations de sauvetage. Occupés par la célébration de la fête de la République, les services gouvernementaux fédéraux n’étaient pas encore au courant. L’appareil administratif, dans son ensemble, s’était investi dans les diverses manifestations du jour. Même 24 heures après le séisme, le gouvernement n’avait encore distribué aucune aide. Partout où je suis allé, j’ai entendu la même plainte…
Lorsque les rapports sont arrivés de la région de Buhuj, l’épicentre du séisme, à environ 1 160 km au sud ouest de New Delhi, où 90 % des immeubles ont été réduits à l’état de décombres, j’ai compris que mes propres pertes n’étaient rien en comparaison de celles qu’avaient subies les habitants de cette région.
Ainsi, les chaumières étaient devenues l’équivalent de vrais pavillons. Les habitants des trottoirs avaient été plus chanceux que les multimillionnaires qui pouvaient encore circuler dans leurs voitures dernier cri, mais qui n’avaient plus de maisons pour vivre. Les personnes habitant de belles maisons savent maintenant ce que signifie dormir à la belle étoile. Quelques unes ont eu la chance d’avoir un poêle avec eux. Les autres frissonnent par une température de 12 degrés Celsius. Personne ne veut encore rentrer chez soi et tous recherchent frénétiquement une maison sans étage où passer la nuit. En effet, après le séisme du 26 janvier, il y a encore eu une autre secousse. Il faudra des mois et des millions de roupies avant que les sinistrés du séisme retournent chez eux, à supposer que leurs habitations aient résisté aux secousses. La population du Gujarat, le pays où est né Gandhi, mettra des générations à oublier le traumatisme subi.