Eglises d'Asie

Aceh : la petite communauté catholique de cette province musulmane à 98 % craint les conséquences d’une éventuelle application de la sharia dans la région

Publié le 18/03/2010




Outre l’insécurité quotidienne causée par les affrontements meurtriers entre membres des forces de l’ordre et indépendantistes acehnais (1), la petite communauté catholique de la province d’Aceh s’inquiète des conséquences de l’application – que la rumeur dit imminente – de la sharia, la loi musulmane, dans la province. Selon le P. Ferdinando Severi, franciscain et missionnaire d’origine italienne, curé de la paroisse du Sacré Cœur de Jésus à Banda Aceh, capitale de la province, “les catholiques sont paniqués” (2). Le P. Severi rapporte que lui et son évêque, Mgr Pius Gonti Datubara, archevêque de Medan, sont allés s’informer auprès du gouverneur de la province, Abdullah Puteh. Ce dernier s’est voulu rassurant, déclarant que “la loi musulmane ne s’applique qu’aux musulmans” et que “les chrétiens peuvent poursuivre leurs activités religieuses et observer le dimanche comme jour chômé”. Cependant, ajoute le prêtre franciscain, “si [la sharia] est effectivement appliquée à Aceh, les catholiques, pour la plupart d’origine chinoise ou venus en tant que migrants d’autres parties de l’Indonésie, rencontreront de grandes difficultés. Les non-musulmans hésiteront à se rendre à Aceh, accentuant d’autant l’isolement de la province”.

Avec 1 300 fidèles, la paroisse du Sacré Cœur à Banda Aceh est l’unique paroisse de cette province, peuplée de 4 millions de personnes, musulmanes à 98 %. En décembre 2000, le président Abdurrahman Wahid, en visite à Banda Aceh, aurait dû déclarer l’application de la sharia dans la région, mais des dissensions entre des oulémas sur place et la population locale avaient provoqué l’ajournement de cette déclaration. Des oulémas souhaitaient promulguer immédiatement la sharia, en application de la loi n° 44/1999 sur l’autonomie régionale, mais de nombreux Acehnais ont fait valoir que leurs revendications ne portaient pas d’abord sur la sharia mais sur le respect de leurs droits et de la justice, en particulier en ce qui concerne la répartition des ressources tirées de la province (gaz) entre l’Etat central et la province.

Selon le P. Severi, de nombreux Acehnais n’apprécient pas que, durant des décennies, sous le régime Suharto et depuis la chute de celui-ci, Aceh ait été un des principaux contributeurs de devises étrangères au budget de l’Etat et que, malgré cela, les Acehnais soient demeurés pauvres. Pourtant, explique encore le missionnaire italien, “les gens – y compris les intellectuels – n’osent pas prendre la parole contre les oulémas ; ils craignent d’être accusés de s’opposer à la religion et d’être considérés comme ‘kafir’ (infidèle)”.

Mgr Ignatius Suharyo, de l’archidiocèse de Semarang, situé à Java-Centre, partage cette analyse. Le principal problème à Aceh est un problème de justice sociale. “Les locaux ont conçu des sentiments de jalousie envers les migrants qui venaient s’installer dans leur province. Ceux-là estimaient que les conditions de vie faite à ceux-ci étaient meilleures”, précise Mgr Suharyo, qui est aussi secrétaire général de la Conférence des évêques catholiques d’Indonésie. Avec la situation qui est celle d’Aceh aujourd’hui, certains de ces migrants sont revenus à Java ; “bien que musulmans, ils ont été expulsés d’Aceh par les Acehnais”, explique-t-il, ajoutant que des organismes catholiques à Semarang s’occupent d’héberger ces migrants partis de puis revenus à Java, et désormais réfugiés dans leur propre province d’origine.