Eglises d'Asie

Bornéo : un missionnaire catholique raconte les premiers incidents à l’origine de la flambée de violence qui a vu plusieurs centaines de Madurais massacrés par des Dayaks

Publié le 18/03/2010




Selon le P. Willi Tald, missionnaire hollandais de la Sainte Famille et curé de la paroisse Saint Jean Bosco à Sampit, les massacres de Madurais par des Dayaks, qui ont eu lieu ces dix derniers jours à Sampit et dans la province de Kalimantan central, ont débuté par une querelle à propos d’un simple larcin. A Sampit, ville fluviale peuplée à plus de 60 % par des habitants originaires de l’île de Madura, “un Madurais a été tué par un groupe de Dayaks pour avoir, semble-t-il, commis un vol. Les Dayaks lui ont demandé de rendre ce qu’il avait volé. Celui-ci, refusant d’obtempérer, a été tué par les Dayaks”, rapporte le P. Tald. “Les Madurais, majoritaires à Sampit, ont alors lancé une opération punitive contre les Dayaks qui vivent sur les pourtours de la ville et dans la forêt alentour. De nombreux Dayaks ont alors été massacrés et leurs habitations pillées. A partir de là, tout au long de la journée du 18 février, l’escalade de la violence n’a fait qu’empirer”, poursuit le P. Tald, qui ajoute que les Madurais se sont vite trouvés débordés par les jeunes Dayaks, plus agressifs, drogués souvent et qui ont reçu le renfort de Dayaks venus des villages environnants.

Interrogé au téléphone le 21 février par l’agence Ucanews, le P. Tald témoigne que la violence est partagée entre les deux groupes ethniques. Sur le terrain de son église et de son presbytère, une vingtaine de Dayaks catholiques sont réfugiés ainsi que plusieurs dizaines d’élèves de différentes confessions venus des écoles catholiques. La police, dont il a fallu s’assurer le soutien en la payant, garde les lieux, empêchant les Madurais de se venger en se saisissant des Dayaks. A Sampit, les Madurais cherchent refuge auprès de la police et demandent à être évacués vers Surabaya, sur l’île de Java. “Sampit est comme une ville morte”, rapporte encore le P. Tald. Selon lui, les autorités civiles – pas plus que l’Eglise – n’ont pas fait grand chose pour contenir le conflit. La police n’est pas intervenue pour séparer les deux groupes. Nombreux sont les catholiques qui ont fuit et cherché refuge dans la forêt. “Le P. Gregorius Syamsudin, un Dayak, a dû se réfugier dans une des annexes de la paroisse, hors de la ville, dans la forêt”.

Cette flambée de violence n’est pas une première. A plusieurs reprises, ces dernières années, les affrontements entre Dayaks, parfois alliés avec les populations locales malaises, et les Madurais ont fait des centaines, voire des milliers de morts (1). A Bornéo, les Dayaks et les Malais forment chacun environ 40 % de la population totale. Les Indonésiens d’origine chinoise, qui détiennent la majeure partie des richesses de ces quatre provinces, représentent 12 % de la population, les 8 % restant étant constitués de Madurais, arrivés au cours de ces trente dernières années de la petite île surpeuplée de Madura, située juste au large de l’île de Java.

Au nombre de deux millions environ, les Dayaks sont les habitants indigènes de Bornéo. Autrefois animistes, ils sont en grande partie aujourd’hui christianisés, catholiques le plus souvent. Réputés pour leur passé de “coupeurs de tête”, ils ont pris ces dernières années les emplois qu’ils ont pu trouver dans les exploitations d’or, d’étain ou de cuivre de la région. Les Madurais, quant à eux, sont arrivés à partir des années 1960 à Bornéo, le plus souvent de leur propre initiative et non du fait de la politique de “transmigration” adoptée par les autorités indonésiennes (2). Musulmans pieux, ils forment un groupe d’une centaine de milliers de personnes à Bornéo et se trouvent en compétition avec les Dayaks au bas de l’échelle sociale. Tenant souvent des petits commerces, ils sont réputés durs en affaires. La cohabitation entre les deux groupes ne va pas sans difficultés, les Madurais ressentant par exemple le fait que les Dayaks ont l’habitude de garder des chiens auprès d’eux et de manger du porc.