Eglises d'Asie

En critiquant un projet d’ordonnance sur la religion, évêques et prêtres catholiques mettent en cause le comportement de l’Etat vis-à-vis de la société civile

Publié le 18/03/2010




Le premier contact avec le projet d’ordonnance sur la religion préparé par le Bureau des Affaires religieuses avait laissé une très mauvaise impression au clergé vietnamien. Au cours des réunions de discussion organisées sur ce sujet dans divers diocèses à partir du 5 janvier dernier, beaucoup de réactions avaient été négatives. Certains prêtres avaient même proposé d’organiser le boycott de ce texte (1). Depuis lors, les discussions ont continué et le jugement porté par les évêques et les prêtres sur l’ordonnance censé régir les activités religieuses dans le futur ne semble pas s’être beaucoup amélioré même si aujourd’hui, il a pris de la hauteur et de l’ampleur, comme en témoignent deux textes parvenus à notre connaissance. Le premier d’entre eux est daté du 16 janvier (2) et s’intitule “Réflexions des évêques de la province ecclésiastique de Hô Chi Minh-Ville à propos du projet d’ordonnance sur la religion Ce point de vue officiel de la hiérarchie catholique de l’extrême Sud-Vietnam est signé de l’archevêque de Hô Chi Minh-Ville au nom des autres évêques. Il a été envoyé au Bureau des Affaires religieuses et à la Conférence épiscopale du Vietnam (3) Le second émane d’un membre du clergé vietnamien et semble représenter l’opinion d’une large partie des prêtres et religieux du pays (4).

On peut remarquer que l’un et l’autre textes prennent de la distance par rapport au détail des diverses prescriptions contenues dans l’ordonnance. Les deux relèvent en premier lieu qu’un certain nombre d’anomalies de l’ordonnance proviennent du point de vue adopté par elle sur l’Eglise. Pour les évêques de Hô Chi Minh-Ville, le grand défaut de l’ordonnance, c’est qu’elle ne reconnaît pas aux organisations religieuses leur caractère de “personnes morales” et par conséquent ne respecte pas l’autonomie dont celles-ci devraient jouir. Les religions, disent les évêques du Sud, ont leur nature et règlements propres que les autorités civiles ne peuvent que respecter tant qu’elles ne causent pas de trouble à l’ordre et à la tranquillité publiques. Tout autre type de réglementation des religions par l’Etat ne peut apparaître que comme une ingérence dans les affaires intérieures des religions et sera considéré par les fidèles comme une oppression, voire une persécution.

Une conséquence directe de l’absence d’autonomie des personnes morales que sont les organisations reli-gieuses est l’état d’allégeance auquel elles sont soumises en toute chose, devant sans cesse obtenir des au-torisations pour toutes leurs activités ou décisions, pour peu qu’elles soient, peu ou prou, “extraordinai-res autorisations octroyées au compte-goutte par l’Etat. Le texte des évêques de la province ecclésiasti-que de Hô Chi Minh-Ville a inventé une expression ironique pour caractériser cette subordination, co chê xin-cho (le système ‘demander-donner’), que l’on peut paraphraser par “le système fonctionnant par demande d’autorisation et octroi d’autorisation La critique dépasse le simple point de vue des religions puisque selon les évêques il s’agit là d’un système appliqué à la société civile toute entière. Selon eux, en effet, le système xin-cho caractéristique des rapports de la société vietnamienne avec le pouvoir civil est entrain de la désintégrer puisque selon les évêques, il est à l’origine de l’arbitraire qui y règne et des fléaux qui y sévissent aujourd’hui, dont le principal, comme on le sait, est la corruption généralisée.

Les réflexions des évêques se situent à la même hauteur lorsqu’elles abordent la question des biens d’Eglise réquisitionnés ou confisqués par l’Etat. Aux biens matériels, les évêques associent les biens spirituels comme les droits de l’homme reconnus par la constitution comme une propriété propre aux citoyens. De plus, la question est replacée dans un contexte général du gouvernement du pays par l’Etat qui est accusé de confondre la gestion des biens et de la société, qui est sa charge propre, avec leur propriété qui est un privilège des citoyens.

On retrouve une même mise en cause de l’ordonnance sur la religion dans les réflexions d’un membre du clergé. Le texte, en effet, est marqué par cette même revendication d’autonomie et par une même volonté de ne pas séparer les religions et leurs organisations des autres éléments de la société civile. Pour lui, les règles intérieures et la nature de des organisations religieuses, leur droit de se gouverner elles-mêmes ne sont pas respectées par les directives de l’Etat et il affirme plaisamment que c’est l’Etat qui, en même temps, joue le rôle de joueur de football et d’arbitre.

Cependant les réflexions du prêtre insiste davantage sur le caractère discriminatoire du comportement des autorités vis à vis des organisations religieuses, de leur clergé et de leurs fidèles. Il souligne qu’en beaucoup de domaines, prêtres et religieux ont l’impression d’être des citoyens de second rang placés sous la tutelle étroite de l’Etat. Leurs déplacements à l’étranger, les réunions qu’ils organisent doivent recevoir une autorisation, ce qui n’est pas le cas pour des responsables d’entreprises. Alors que dans le cadre de la socialisation, n’importe quelle organisation peut ouvrir un établissement d’enseignement, la contribution des religions dans le domaine de l’éducation est soigneusement limitée aux écoles maternelles.

Il semble donc que, pour les auteurs des deux textes analysés ci-dessus, l’attitude autoritaire et paternaliste adoptée par l’Etat vietnamien vis à vis des religions et des Eglises est représentative de celle qui est la sienne à l’égard des autres personnes morales et donc de la société civile toute entière. Ainsi l’autonomie qu’avec beaucoup de modération ces deux textes revendiquent pour les religions concerne la totalité de la société vietnamienne.