Eglises d'Asie

POURQUOI LES MILIEUX POPULAIRES DE LA POPULATION PHILIPPINE ONT MAINTENU LEUR SOUTIEN À JOSEPH ESTRADA

Publié le 18/03/2010




Ucanews : Pouvez-nous nous partager vos réflexions à propos de l’éviction d’Estrada ?

Mgr Teodoro Bacani : Cet événement a mis en lumière le poids politique de l’Eglise catholique mais il a aussi mis en évidence le fait que les pauvres ne sont pas avec elle, à ses côtés. Dix ans après que nous ayons opté pour devenir une Eglise des pauvres, les pauvres ne nous appartiennent pas, ne sont pas avec nous. Nous n’avons pas établi un lien de type émotionnel avec les pauvres qui fasse que ceux-ci prêtent une oreille attentive, bienveillante à nos propos.

D’autres délégués à la consultation pastorale nationale ne tiennent pas le même langage.

Dans le grand Manille, cela était pourtant le cas. Même le P. (Robert) Reyes, qui a été très actif (en tant représentant de l’archidiocèse de Manille auprès du mouvement “Estrada démission”) a déclaré que moins de 10 % des personnes impliquées dans ce mouvement étaient issus des milieux pauvres, tout particulièrement chez les jeunes. Cette proportion parle d’elle-même quant on sait qu’au moins la moitié des gens qui vivent dans le grand Manille sont des pauvres.

Comment expliquez-vous cela ?

Les pauvres à Manille ont sympathisé avec Erap en toute simplicité et ingénuité. Beaucoup qui vivent là où je suis basé ne sont pas descendus dans les rues pour soutenir Erap de toutes leurs forces, mais ils ne sont pas non plus descendus dans la rue pour manifester contre lui.

Certains disent que les manifestants pro-Estrada étaient payés pour aller manifester et étaient véhiculés sur les lieux des manifestations.

Je crois que (les manifestants pro-Estrada à Manille) soutenaient Erap tout simplement parce qu’ils voyaient en lui une personnalité pro-mahirap (‘en faveur des pauvres’) et parce que ce sont eux qui l’ont porté au pouvoir. Il était leur homme. Ce qui aurait pu éroder cela était la mise en évidence qu’il a réellement amassé une fortune à leur détriment. Et c’est ce qui a commencé à se produire lors du procès en destitution. Pour cette raison, il est bien dommage que le procès n’ait pas été jusqu’à son terme.

Et à propos d’El Shaddai et d’autres mouvements d’Eglise similaires qui sont en contact avec les pauvres de Manille ?

De tels mouvements ou communautés peuvent être graduellement enseignés, de telle sorte qu’ils deviennent également plus conscients des dimensions socio-politiques de la vie chrétienne. Ils doivent peu à peu faire le lien entre la pauvreté dont ils font l’expérience et les structures injustes du pouvoir et de l’économie dans le pays. De nombreux membres de ces groupes ne pouvaient pas faire le rapport entre leur propre situation et le niveau de corruption existant dans notre nation.

Au sujet de l’appel lancé par l’Eglise pour obtenir la démission d’Estrada, certains ont estimé que la position d’El Shaddai était ambivalente.

El Shaddai n’a pris absolument aucune position officielle et ses membres savaient que Brother Mike est le conseiller spirituel d’Erap. Ils savaient également que sa position était que le processus constitutionnel devait suivre son cours. Ils ne le voyait pas comme roulant pour Erap, mais plutôt comme œuvrant afin que le processus constitutionnel se poursuive normalement. Nombreux sont les membres d’El Shaddai que je connais et avec qui je partage mon petit-déjeuner qui étaient contre Erap, mais ils souhaitaient que le processus constitutionnel soit respecté – tout comme le cardinal (Ricardo) Vidal (de Cebu).

Finalement, pourtant, vous avez dit à Brother Mike et aux membres d’El Shaddai de ne pas se joindre aux manifestations menées par le gouvernement.

Nous ne voulions pas qu’ils soient utilisés, récupérés par les forces pro-Erap. Pas plus que nous leur avons dit de se joindre aux forces anti-Estrada. Cela car nous avons respecté leur propre jugement sur ce cas bien précis. C’est ce que nous leur avons expliqué et ce que j’ai essayé d’expliquer à d’autres personnes. Nous devons aussi nous montrer respectueux du jugement des pauvres.

Après tous ces événements, où en est El Shaddai maintenant ?

Nombreux étaient ceux qui entretenaient un lien émotionnel très fort avec Erap. Ils ont été choqués mais ils se redresseront en tant que groupe parce qu’ils savent qu’Erap n’est pas l’objet de leur foi. Ils ne mettent pas Erap au centre de leur foi. Ils étaient amis avec Erap mais maintenant il est parti et c’est ainsi. Ils ont cette croyance que Dieu utilise toute chose, même la perte de leur kakampi (‘allié’), de leur “bien-aimé” Erap.

Et qu’en est-il de leur relation avec le reste de l’Eglise ?

J’ai réprimandé celles de ces personnes qui étaient supposées inciter les évêques et les prêtres à ne pas admettre la présence d’El Shaddai dans leurs diocèses ou leurs paroisses à cause de ce problème. Le P. Reyes était l’un de ces critiques et je l’ai invité à parler (devant les dirigeants d’El Shaddai), mais il n’est pas venu. Ils étaient pourtant disposés à l’écouter. Ils n’ont pas de problème avec l’Eglise, et ceux qui ont des problèmes avec eux n’ont pas de base théologique sérieuse pour le faire.

Certains ont dit qu’El Shaddai ne tenait pas compte des déclarations des évêques au sujet de la présidence Estrada.

Ce n’est pas qu’ils ne faisaient pas ce que les évêques préconisaient de faire mais ils ne faisaient pas tout ce que le cardinal Sin faisait et ce pour quoi le cardinal n’obligeait pas tous les catholiques à faire. Que certains prennent position pour demander la démission d’Erap ou que d’autres demandent que le processus constitutionnel aille à son terme, ce ne sont pas là des actes que l’Evangile nous commande de faire. Ils sont compatibles avec l’Evangile, mais ils ne sont pas obligatoires.

Que devient votre ministère auprès d’Estrada ?

Je lui ai fait savoir que j’étais favorable à sa démission et que je soutenais également la procédure en destitution. Je lui ai aussi fait savoir que moi et l’Eglise continueraient à exercer notre ministère auprès de lui en tant que personne. Sans doute a-t-il bien compris que l’Eglise ne l’avait pas excommunié. Je ne me suis rendu au palais présidentiel que lorsque Estrada m’y a appelé – cela s’est produit à deux reprises. Je pense qu’il souhaitait soulager sa conscience. L’Eglise doit être attentive, tout particulièrement maintenant, à apporter les soins pastoraux dont Estrada a besoin.

Quelles sont les taches urgentes de la nation ?

Nous avons certainement besoin de guérison. Les gens se sont divisés et cela prendra du temps. J’espère que, de la part de ceux qui sont sortis victorieux, il y aura des efforts entrepris pour être sûr que le processus de guérison soit hâté plutôt que retardé.

Et à propos de l’Eglise ?

J’espère que durant cette consultation pastorale nationale nous essaierons de nous demander qu’elle est la perception que les pauvres ont de l’Eglise et comment nous pouvons vraiment devenir une Eglise avec qui ils peuvent s’identifier. Les événements récents nous ont menés à nous poser ces questions de façon plus profonde, à aller au fond des choses et à trouver des réponses plus concrètes à la question suivante : comment gagner leurs cœurs. Aujourd’hui, il existe une bienveillance et une confiance mutuelles entre la présidente (Gloria Macapagal-Arroyo) et les membres de la hiérarchie. Je ne sais pas quelles sont les décisions que la présidente va effectivement prendre – tout spécialement au sujet de la guerre avec le MILF (le Front moro de libération islamique) dans le sud du pays, à propos du (groupe extrémiste) Abu Sayyaf, à propos de la peine de mort, du contrôle des naissances et des moyens contraceptifs – mais je pense que la présidente essaiera de son mieux de se conduire en fille obéissante de l’Eglise. Si demain les responsables de l’Eglise sont témoins de pratiques délictueuses ou corrompues, alors les critiques seront sévères. Il n’y a pas de lune de miel.