Eglises d'Asie

RÉFLEXIONS D’UN MEMBRE DU CLERGÉ DE HO CHI MINH-VILLE SUR LE PROJET D’ORDONNANCE RELIGIEUSE

Publié le 18/03/2010




N’étant spécialisé ni dans le droit ni dans la rédaction de textes législatifs, nous voulons simplement, en guise de contribution ,faire part de quelques-unes de nos réflexions et de nos remarques concernant le projet d’ordonnance sur la religion.

Telles sont nos premières considérations :

1 – Ce projet d’ordonnance voit le jour après de nombreux décrets sur la religion, tous destinés à garantir la liberté de croyance des citoyens.

2 – Cette esquisse de projet a été porté à la connaissance des intéressés pour avis. C’est un progrès par rapport aux décrets précédents. Malheureusement, le temps consacré à cette consultation est trop court et celle-ci n’a pu bénéficier de l’ampleur qui aurait permis à de nombreuses personnes d’apporter leurs contributions…

Notre impression commune, c’est que de toute façon, rien ne changera. L’Assemblée nationale pourra bien préparer et voter une loi relativement complète, en conformité avec les appréciations des milieux religieux grâce à la prise en compte des contributions, mais que se passera-t-il après ? Si la loi existe mais qu’elle n’est pas suivie, ou comprise et appliquée d’une façon erronée, si je considère que je suis opprimé, que ma liberté de croyance et de religion n’est pas respectée, où irai-je me plaindre ? C’est une question qui se pose non seulement dans le domaine religieux mais également dans d’autres domaines, comme le montre ce qui se publie dans nos journaux. Il y a des personnes qui présentent des plaintes depuis une dizaine d’années sans rencontrer autre chose qu'”un redoutable silence” (propos du secrétaire général, Nguyên Van Linh). Faut-il attendre pour régler ces plaintes que la population munie de pancartes se rassemble pour un sit-in. Nous ressentons dans le statut qui nous est donné quelque chose d’anormal.

Il n’y a pas de distinction cohérente et claire entre les trois pouvoirs, le législatif, l’exécutif et le judiciaire… Dans les pays démocratiques, ces trois pouvoirs sont indépendants les uns des autres pour garantir l’impartialité de la loi. Cette confusion des domaines conduit à la dictature et à l’injustice et comporte de nombreux aspects négatifs.

Notre liberté d’expression est limitée, les journaux sont soumis aux directives ou au contrôle du gouvernement. Nous avons entendu dire que la lettre commune de la Conférence épiscopale pour pouvoir être diffusée doit elle aussi être soumise à la censure.

Nous sommes ainsi placés dans une situation où l’Etat shoote sur le ballon comme un jouer ordinaire et siffle comme un arbitre. Cela entraîne de nombreux aspects négatifs : la population perd sa confiance, ceux qui n’aiment pas le régime ont l’occasion de crier ; les croyants ont le sentiment d’être l’objet de discrimination, d’être des citoyens de second rang. Ainsi, rares sont ceux qui ont accueilli avec joie la nouvelle d’une future ordonnance sur la religion et la publication d’une esquisse de projet pour avis.

Ce n’est pas sans fondement que nous parlons de discrimination et du sentiment d’être un citoyen de second rang. Voici quelques faits :

– Pour aller à l’étranger, prêtres et religieux, en plus des conditions imposées à tout citoyen voulant se rendre hors du pays, doit solliciter en plus l’autorisation du bureau des Affaires religieuses(Front patriotique). Pourquoi ?

– Pour qu’elle puisse avoir lieu, une récollection doit être enregistrée (1). Une session d’études organisée pour le personnel d’une entreprise doit-il se faire enregistrer ? Une session d’études pour les enseignants d’une école doit-elle se faire enregistrer ? Une réunion de famille doit-elle se soumettre à l’enregistrement ?

– Lorsque l’on se réunit “en dehors des limites de l’établissement de culte” (2) il faut demander une autorisation. Nous pensons que l’établissement de culte est une église, un temple… Ainsi, les activités religieuses ne peuvent avoir lieu que dans les églises et se réduisent donc aux offrandes et aux cérémonies… ?

– Pourquoi est-il si difficile de recevoir par la poste des livres religieux ? Pourquoi, les bénédictions pontificales sont-elles confisquées à leur arrivée ? Appartiennent-elles à la catégorie de la littérature nocive ? (3) Si je me pose des questions, on me répond : “Ce sont les prescriptions de l’Etat”.

– La nomination et le déplacement du personnel religieux doit recevoir l’approbation de l’organe d’Etat compétent (4). Pourquoi donc ? A-t-on peur qu’ils utilisent leur fonction pour mener des activités illégales ? Si c’était le cas, il suffirait à l’Etat d’appliquer la loi pour les punir. En outre, il n’y a pas d’organisations religieuse qui ne porte une grande attention à choisir une personne digne de confiance pour remplir les diverses fonctions de la religion.. Nous pensons qu’il s’agit là d’un article dangereux qui autorise l’Etat à intervenir dans les affaires internes de la religion, à manipuler l’Eglise, à transformer les organisations religieuses en instruments et ainsi à abandonner tout respect de la religion.

– Pour ce qui concerne les activités culturelles, caritatives, “les organisations religieuses ainsi que les individus peuvent ouvrir des écoles maternelles, des pensionnats pour enfants handicapés et orphelins conformément à la législation sur l’éducation” (5). Pourquoi limiter les activités culturelles aux seules écoles mater-nelles ? L’Etat ne préconise-t-il pas la socialisation de l’éduca-tion (6) ? A la façon dont elle est définie par l’Etat, la socialisa-tion est un appel à la participation de tous à l’œuvre éducative, par des moyens financiers, par le cœur, par l’esprit. Pourquoi limiter ainsi la participation des organisations religieuses, alors que les organisations économiques, administratives peuvent ouvrir des écoles secondaires et des universités ?

Nous n’avons pas l’intention d’analyser la totalité du projet, mais de présenter un certains nombre de points faisant problème, et donnant le sentiment aux croyants qu’ils sont des citoyens de second rang.

En fin de compte, nous pensons qu’un texte de loi doit être clair mais concis, éviter ce qui peut donner lieu à des interprétations imprécises ou arbitraires. Nous nous permettons quelques remarques sur le principe fondamental portant le n° 2 à la page 1: “Les religions au Vietnam mènent leurs activités dans le cadre de la constitution et de la législation de l’Etat de la République socialiste du Vietnam. L’Etat garantit les activités religieuses accomplies dans l’intérêt légitime et légal des fidèles. Il encourage les activités religieuses accomplies pour la patrie et le peuple. Il respecte et exalte les valeurs culturelles, morales, adaptées à l’édification de la société nouvelle de la religion”.

A notre avis, la phrase précédente comprend deux parties. Une première parle de la sphère d’activités des religions au Vietnam. C’est le cadre de la Constitution et de la loi. La constitution reconnaît aux citoyens un certain nombre de droits, parmi lesquels le droit à la liberté de croyance et de religion. La législation décrit la manière d’appliquer ce droit en accord avec le droit des autres et le bien commun. La deuxième partie de la phrase parle du rôle de l’Etat : garantir…, encourager…, respecter, donner une impulsion… Mais, chaque fois que l’on ajoute un élément, non seulement le rôle de l’Etat devient plus obscur car la religion apparaît comme un instrument au service d’un autre objectif, mais encore il pourrait donner lieu à des interprétations arbitraires. Que peut bien signifier “des activités religieuses accomplies dans l’intérêt légitime et légal des fidèles” ? Qui a le droit de déterminer la légitimité dont il est question ? Le district, la commune, le Front de la patrie ? Même l’Etat n’est pas en mesure de déterminer l’intérêt légitime d’un croyant. L’Etat encourage “les activités religieuses accomplies pour la patrie et le peuple” : les activités religieuses accomplies pour la patrie et le peuple sont des activités de quelle sorte ? La participation au Comité d’union des catholiques patriotes est-elle une activité accomplie pour la patrie et le peuple ? Autrefois, ce comité s’appelait Comité des catholiques patriotes. Pourquoi donc a-t-il abandonné l’adjectif “patriote” ?

“Exalter les valeurs culturelles, morales, adaptées à l’édification de la société nouvelle des religions”. Nous ne comprenons pas ce que le rédacteur du texte a voulu dire ! Que signifie la société nouvelle des religions ? Si l’on répond qu’il s’agit d’une société juste, charitable, respectant la dignité de l’homme, alors toutes les religions exigent de leurs fidèles qu’ils vivent ainsi, et plus particulièrement le catholicisme qui possède un catéchisme social extrêmement riche.

Ainsi, le principe fondamental “garanti par l’Etat” devient tout à fait confus et donne lieu à des interprétations dont certaines sont inacceptables.

Nous nous permettons d’abréger la phrase n° 2 ainsi : “Les religions au Vietnam mènent leurs activités dans le cadre de la Constitution et de la législation de l’Etat de la République socialiste du Vietnam. L’Etat garantit les activités religieuses.”

Faut-il craindre qu’ainsi, l’Etat soit obligé de garantir n’importe quelle activité religieuse ? Non, parce que l’on a déjà dit plus haut que les religions menaient leurs activités dans le cadre de la constitution et de la loi de l’Etat de la République socialiste du Vietnam. Ainsi, les religions n’ont qu’à s’appuyer sur la Constitution et la loi pour mener leurs activités. Si elles violent la Constitution et la loi, l’Etat les traduira en jugement. A l’opposé, si les fidèles pensent que leur liberté de croyance et de religion n’est pas respectée, ils pourront porter plainte. Avec un régime de séparation des pouvoirs, de liberté d’expression, et des tribunaux indépendants, les conflits seront réglés sans que personne ait le sentiment d’être l’objet d’oppression ou de discrimination parce que la liberté religieuse authentique n’existe pas, ou n’existe pas selon les désirs des croyants.