Eglises d'Asie

Bornéo : tandis que le calme revient dans la province de Kalimantan-Central, des responsables de l’Eglise catholique démentent le caractère religieux des récents affrontements interethniques

Publié le 18/03/2010




Sur l’île de Bornéo, presque un mois après le début des sanglants affrontements entre autochtones madurais et migrants dayaks, affrontements au cours desquels plusieurs centaines de Madurais ont été massacrés par des Dayaks à Sampit et en divers lieux de la province de Kalimantan-Central (1), le calme semble être peu à peu revenu, les forces de police restant toutefois sur le qui-vive. Selon le P. Willibald Pfeuffer, prêtre de la Sainte Famille, du diocèse de Palangkaraya, la ville de Sampit et ses environs immédiats sont redevenus “sûrs”. Interrogé par téléphone le 2 mars, le prêtre a précisé : “On ne voit plus de Dayaks rôder en ville à la recherche de Madurais. Les moyens de communication et de transport ont recommencé à fonctionner.” De Palangkaraya, le P. Stanislaw Ograbek, missionnaire du Verbe divin, a également précisé que, dans la capitale de la province, les gens avaient repris leurs activités normales.

Selon le P. Pfeuffer, plus de 1 000 personnes ont trouvé la mort lors de cette explosion de violence. Des dizaines de milliers d’autres ont été chassées de chez elles, leurs maisons brûlées ou pillées. Ce chiffre d’un millier de victimes inclut “les gens noyés dans les rivières, les personnes décapitées et celles qui ont été brûlées dans leurs maisons en flammes”. Quasiment tous sont madurais, a encore précisé le P. Pfeuffer, qui recense seize Dayaks parmi les morts. Ces chiffres donnés, le prêtre catholique, qui n’a pas quitté Sampit depuis le 18 février, a démenti les informations publiées par le Djakarta Post qui s’est fait l’écho d’un groupe de musulmans accusant les missionnaires catholiques étrangers à Bornéo d’avoir incité les Dayaks, en grande partie chrétiens, à s’en prendre aux Madurais, musulmans, afin de les chasser de Kalimantan.

Le 23 février en effet, Tajuddin Jauhari, ouléma de Madura et coordinateur de l’Organe des oulémas de Madura, avait déclaré que les affrontements de Bornéo ne pouvaient plus être considérés comme des “heurts interethniques” mais comme l’expression de “l’animosité [des chrétiens] contre les musulmans”. Prenant la parole devant une vingtaine d’autres oulémas madurais, il a ajouté que ce qui se passait à Sampit reproduisait ce qui s’était passé à Amboine, aux Moluques, et à Sambas, à Kalimantan-Ouest (2). Cependant, les oulémas réunis à Madura le 23 février ont appelé les migrants madurais à Kalimantan à ne pas chercher à se venger des Dayaks.

Les missionnaires présents à Bornéo rejettent ces accusations. Rapportant qu’il a caché des Madurais musulmans pour leur éviter de tomber entre les mains des Dayaks, le P. Ograbek affirme que ce conflit “est purement ethnique”, ajoutant qu’il ne dispose d’aucune information permettant de dire que des mosquées ou des églises ont été prises pour cible au cours des émeutes. La branche de Kalimantan-Central du Conseil islamique des oulémas a publiquement déclaré que ce conflit n’avait rien à voir avec la religion, ajoute encore le missionnaire polonais.

Selon le Bureau d’information et de documentation de la Conférence des évêques catholiques d’Indonésie, basé à Djakarta, le conflit entre Dayaks et Madurais n’est pas lié à des questions socio-économiques ou religieuses mais “aux traditions tribales” locales. Si le conflit était religieux, précise encore le Bureau, il aurait opposé les autochtones dayaks, en majorité chrétiens (catholiques à Sambas, protestants à Sampit), aux Malais, deuxième groupe ethnique de Bornéo et musulmans tout comme les Madurais. S’il était économique, il aurait dressé les Dayaks contre les Chinois et les Malais, qui disposent des richesses économiques de la région. “Bien qu’une majorité de Dayaks soient chrétiens, ils agissent plus en fonction de leurs coutumes et traditions locales qu’en fonction de la religion chrétienne”.

De retour d’une tournée de deux semaines au Moyen-Orient (où il s’est rendu en pèlerinage à La Mecque) et en Afrique, le président Abdurrahman Wahid a brièvement visité Palangkaraya et Sampit, à Kalimantan-Central, le 8 mars, puis Madura, le 10 mars. Critiqué pour ne pas avoir écourté son voyage à l’étranger lorsque les heurts sanglants ont éclaté le 18 février, A. Wahid n’a pas cherché à se justifier et n’est pas revenu sur les circonstances, encore non parfaitement éclaircies, du déclenchement des troubles. Il s’est contenté d’appeler les uns et les autres au respect mutuel, assurant les Madurais réfugiés à Madura et qui ne voudraient pas retourner à Sampit que leur situation serait prise en compte. Certains observateurs remarquent que l’attention suscitée par les heurts de février 2001 à Kalimantan-Central est plus importante que celle soulevée par les massacres de 1997 (3) ; selon eux, les difficultés politiques que connaît actuellement le président Wahid ne seraient pas étrangères à l’intérêt des médias pour ce qui s’est passé à Sampit.