Eglises d'Asie

“A la maison” finalement

Publié le 18/03/2010




Le “train pour Séoul” achève sa route dans une forêt de pins, à 75 kilomètres au sud de la ville éponyme. Son terminus : un lieu tranquille, mi-village, mi-camp de rééducation, baptisé “Hanawon” (‘Unifier’). Construit il y a trois ans pour accueillir les nouveaux venus et les acclimater à leur nouvelle vie en Corée du Sud, les lieux hébergent actuellement une centaine de personnes, les célibataires étant logés en dortoirs et les familles dans de petites suites ; des classes d’anglais et d’informatique sont dispensées chaque jour. Des bénévoles (pour une bonne part, des religieuses et des étudiants) proposent leur aide : conseils divers et soutien psychologique – jusqu’aux conseils pour savoir comment commander un repas dans un fast-food ou bien acheter des cosmétiques. En dépit des hauts murs surmontés de barbelés, Hanawon fait l’effet non pas d’une prison mais ressemble plus à quelque chose comme une chambre de décompression. Là, les adultes désapprennent à regarder derrière eux pour vérifier s’ils sont suivis. Les enfants, qui ont appris à garder le silence et à jouer à l’intérieur, là où ils étaient cachés, parcourent en tous sens la cafétéria ou s’ébattent dehors et organisent des batailles de boules de neige. Les plus nouveaux des citoyens sud-coréens commencent à bâtir des plans pour l’avenir, pour leur avenir. C’est là, par exemple, que Ho, qui fut obligé de collecter des ordures pour survivre, a rencontré celle qui va devenir sa femme, une réfugiée arrivée là via la Mongolie.

Les “diplômés” de Hanawon font leur entrée dans la société avec un capital de 30 000 dollars US ; ils peuvent louer un appartement à loyer modéré et continuent d’être sous supervision policière durant un an (afin d’être sûr qu’ils ne sont pas des espions déguisés). Presque tous doivent se battre pour trouver une place dans la société sud-coréenne. Ils sont si nombreux à avoir ouvert un restaurant que l’image du Nord-Coréen métamorphosé en restaurateur est devenue comme une caricature. “Ils peuvent bien monter une échoppe de soupes de nouilles froides mais les gens ici ne s’attendent pas à ce qu’ils fassent autre chose”, commente Han Ki-Hong, directeur du Réseau pour la démocratie et les droits de l’homme en Corée du Nord. Un transfuge qui est arrivé via Moscou (et qui demande à ce que son nom ne soit pas cité) a trouvé un emploi dans une société publique mais, faute de disposer “des liens tissés à l’école ou dans la région d’origine”, il s’est trouvé bloqué et n’a pu progresser dans la hiérarchie. Lorsque la crise économique (“la crise FMI”) est arrivée en 1997, il a dû quitter son emploi et n’a pas depuis réussi à en trouver un autre. Il survit des allocations que lui fournit une organisation charitable chrétienne. “Lorsque j’étais un ‘sans-papiers’ en Russie, je ne me suis jamais plaint”, raconte-t-il, “mais maintenant que je suis un citoyen libre et en règle, je pleure souvent en Corée du Sud”.

Les réfugiés et ceux qui les aident sont souvent bien plus conservateurs que le reste des Sud-Coréens dès qu’il s’agit d’évoquer les relations avec le Nord et ils n’hésitent pas à critiquer en termes sévères la politique de la main tendue du président Kim Dae-Jung pour un rapprochement avec Pyongyang. Ils souhaiteraient plutôt voir le gouvernement sud-coréen bloquer les nouveaux investissements des sociétés sud-coréennes en Corée du Nord, exiger des concessions dans le domaine des droits de l’homme et faire pression sur la Chine pour que celle-ci cessent les déportations en Corée du Nord des Nord-Coréens qui ont fuit leur pays. On ne peut pas dire qu’ils soient vraiment écoutés par le gouvernement actuel à Séoul. Un des proches conseillers de Kim Dae-Jung affirme que la plupart des réfugiés veulent un travail et ne revendiquent pas l’asile politique, les “vrais transfuges” n’étant au total que quelques centaines.

Et pourtant, ceux qui parviennent jusqu’à Séoul sont les plus chanceux. Les clients de Parker rapportent des histoires terribles à propos de ceux qui sont pris par les Chinois et qui sont renvoyés en Corée du Nord. La plupart sont torturés pour le simple fait d’avoir quitter leur pays. Une grand-mère, âgée de 65 ans, raconte qu’elle a été forcée de venir en aide à des femmes auxquelles des médecins avaient administré des médicaments pour provoquer l’accouchement ; ces femmes avaient été renvoyées enceintes de Chine. “Après que le premier des nouveaux-nés eut vu le jour, sa mère m’a suppliée de lui venir en aide”, rapporte-t-elle. “J’ai coupé le cordon ombilical, j’ai enveloppé l’enfant dans un linge et l’ai montré à la mère. C’est alors que le docteur est apparu et a hurlé : “Toi, vieille garce ! Qu’est-ce que tu crois que tu fais ?” Puis il s’est approché, a attrapé l’enfant par une jambe et l’a jeté dans la poubelle. La deuxième femme était enceinte de huit mois et, elle aussi, avait donné naissance à un enfant bien vivant. J’ai coupé le cordon ombilical – qui était récupéré pour en extraire des médicaments – et ensuite j’ai dû placer l’enfant dans la poubelle. Les quatre derniers enfants étaient mort-nés.” (Selon les témoignages de nombreux réfugiés, les officiels nord-coréens se montrent drastiques contre tout ce qui pourrait introduire du sang étranger en Corée du Nord.)

La vie des réfugiés qui se retrouvent pris au piège en Chine est également bien triste. Là, ils vivent une existence souterraine. La famille Choi a déjà été renvoyée une fois de Chine, en 1999. Leur parcours est caractéristique. En Corée du Nord, les parents ont été envoyés dans un camp de travail, leurs enfants dans un autre. Le père était enchaîné et battu. La mère a raconté avoir assisté à un avortement forcé. Leur fils dit avoir vu un ami quasiment battu à mort parce qu’un garde n’appréciait pas sa coupe de cheveux. Leur fille, âgée de 11 ans, a été contrainte de s’occuper d’une vieille femme atteinte de dysenterie. “Ma tâche consistait à glisser un bol sous elle et ensuite à laver”, raconte-t-elle. Maintenant, après avoir de nouveau réussi à fuir en Chine, cette famille survit avec 25 dollars par mois et continue à souffrir. Le grand-père, âgé de 64 ans, a écrit une courte lettre aux Nations Unies : “Nous, Nord-Coréens réfugiés en Chine vivons une vie pire que celle des chiens dans la montagne.”

En attendant que cela change, “le train pour Séoul” continuera à faire entendre ses plaintes. Lorsqu’il a ouvert une des premières routes menant hors de Chine, Ho Taeg Lee, militant sud-coréen pour la cause, n’a pas eu beaucoup de chance. En 1997, il avait rassemblé 13 réfugiés et, avec un budget des plus restreint, les avait conduits par ce qui est devenue une route fort fréquentée jusqu’à la frontière avec le Vietnam. Son plan s’est effondré lorsque le groupe a été stoppé à la frontière vietnamienne, la police vietnamienne leur refusant l’entrée sur le territoire du Vietnam. Renvoyés du côté chinois, ils ont trouvé porte close, les policiers chinois leur refusant le droit de pénétrer sur le territoire chinois. Ballottés entre les deux check-points, ils ont fini par être forcés, à la pointe des fusils, à fuir dans un champ de mines, faisant ainsi les gros titres de la presse à Séoul comme étant “les réfugiés ping-pong”.

Ce n’est que quelques années plus tard que Ho a pu perfectionner son art. Récemment à Séoul, lors d’une réunion à la nuit tombée, il a reçu un appel sur son téléphone portable l’informant du déroulement d’une des dernières expéditions mises sur pied. “Onze personnes sont passées en Mongolie ce soir. Toutes saines et sauves”, rapporte-t-il, sûr que nombreux sont ceux qui vont suivre.