Eglises d'Asie

Dans le nord de Sumatra, en pays batak, plus d’une dizaine de chrétiens protestants ont été tués ces derniers mois pour des questions apparemment liées à des pratiques chamaniques

Publié le 18/03/2010




Selon le révérend J. Palembong, pasteur protestant installé à Sidikalang, chef-lieu du district de Dairi, situé dans la province de Sumatra-Nord, des émeutiers ont tué ces derniers mois une douzaine de chrétiens qu’ils accusaient d’avoir recours à la magie noire et à la sorcellerie pour obtenir la mort d’autres personnes.

Dans cette région où les Bataks forment une communauté importante, selon des croyances traditionnelles, les personnes qui gardent auprès d’elles des “beguganjang” (‘les esprits de haute taille’) peuvent commander à ces “êtres” de tuer leurs adversaires ou rivaux. Les beguganjang commettent leurs forfaits en tuant par strangulation, laissant des empreintes de couleur bleue sur le cou de leurs victimes. “Lors d’une des dernières campagnes électorales, rapporte le pasteur Palembong, un homme qui se présentait au conseil législatif du district est mort mystérieusement. Les gens ont immédiatement pensé qu’il avait été tué par des beguganjang gardés par son adversaire politique”. Selon le pasteur, c’est généralement un chaman qui indique qu’untel ou untel conserve auprès de lui des beguganjang. L’accusation est bien entendu impossible à prouver, poursuit-il, mais la tradition veut qu’une personne soupçonnée de détenir de tels esprits soit “immédiatement tuée” et que “ses biens soient détruits par le feu”. Récemment, un membre de son conseil pastoral a été tuée par une foule hostile simplement parce qu’on le soupçonnait de garder un beguganjang ; ces émeutiers n’ont pas hésité à attaquer les forces de police qui tentaient de les arrêter.

Cependant, à en croire le P. Ignatius Joko Purmono, curé de la paroisse de Notre-Dame du Mont Carmel à Sidikalang, les meurtres de chrétiens qui ont eu lieu dans la région ces derniers mois forment un problème complexe. La jalousie ou la haine pourraient bien être les principaux motifs de ces actes meurtriers, estime-t-il, ajoutant que sa paroisse catholique ne veut pas se mêler des affaires des communautés protestantes et qu’il a mis en garde ses paroissiens contre le fait de s’occuper de près ou de loin des affaires ayant trait aux beguganjang.

Dans l’archidiocèse de Medan, qui comprend cette région de la province de Sumatra-Nord, l’Eglise catholique ne se désintéresse pas pour autant du problème. Selon un prêtre catholique de Medan, plusieurs cas impliquant des beguganjang ont concerné des paroisses du diocèse. Lors d’une récente réunion consacrée à cette question au grand séminaire St Jean à Pematang Siantar, le P. Hieronimus Simorangkir a expliqué que ce phénomène est très lié à la croyance en la magie, tandis que le P. Kristinus Mahulae, prêtre capucin et batak lui-même, a estimé qu’il avait trait à l’incapacité des gens à appréhender les phénomènes naturels, permettant ainsi à des croyances de type mythique de s’épanouir. Pour le P. Thomas Sinarbariba, on ne doit pas perdre de vue, en étudiant ce phénomène, que des personnes utilisent ces croyances pour les manipuler en fonction de leurs intérêts personnels ou communautaires. Enfin, selon le P. Kosmas Tumanggor, la résurgence de ces croyances trouve ses racines dans la crise religieuse que traverse actuellement la société indonésienne.