Eglises d'Asie

La tâche s’annonce particulièrement délicate pour le futur archevêque qui n’a pas encore été nommé

Publié le 18/03/2010




La communauté catholique de Singapour attend toujours la nomination du successeur de Mgr Grégoire Yong, atteint par la limite d’âge, dont la démission a été acceptée par le Vatican au mois d’octobre 2000. Depuis lors, Mgr Francis Lau, ancien vicaire général, assume la direction de l’archidiocèse en tant qu’administrateur diocésain. Mgr Grégoire Yong était archevêque de Singapour depuis 1977.

Son successeur devra gérer une situation assez paradoxale. Depuis une trentaine d’années, l’Eglise catholique de Singapour et, davantage encore, les diverses Eglises protestantes connaissent en effet une augmentation considérable du nombre de leurs fidèles. L’Eglise catholique seule peut s’enorgueillir de 2 000 baptisés adultes par an en moyenne. Aujourd’hui, les chrétiens forment de 13 à 14 pour cent de la population de la cité-Etat (1). La moitié environ de ces chrétiens appartiennent à l’Eglise catholique. Par ailleurs, les chrétiens appartiennent majoritairement aux classes les plus dynamiques du pays, à savoir les classes moyennes. Cela n’a guère échappé à l’attention des autorités politiques qui se sont inquiétées de cette évolution du paysage religieux dès la fin des années 1980, d’autant plus que l’Eglise catholique était alors engagée à travers plusieurs groupes dans l’action sociale auprès des plus défavorisés. Une répression brutale a mis fin, dans un premier temps, à l’essentiel des activités sociales de l’Eglise (2) et, dans un deuxième temps, une loi dite “d’harmonie religieuse” a été passée au parlement (3). Elle vise à circonscrire les activités publiques des communautés religieuses pour les cantonner dans le domaine de la vie privée. Dans un discours de 1988, M. Lee Kuan Yew, alors Premier ministre, avait donné à l’avance le sens de ces initiatives gouvernementales : pour lui, des religions comme l’hindouisme et le bouddhisme ne sont pas politiquement dangereuses car elles n’ont pas de prétention à la vérité absolue. Ce n’est pas le cas du christianisme et de l’islam qui ont l’ambition d’exprimer une parole “globale” sur toute la réalité humaine. Dans leur cas, le “conflit de compétences” est donc toujours possible avec un gouvernement confucéen qui s’estime dépositaire du “mandat du Ciel”.

En même temps, depuis de très longues années, la politique officielle de l’archidiocèse a été celle du laissez-faire ou de “la porte ouverte”, selon l’expression de Mgr Yong, moyennant quoi toutes les initiatives pastorales étaient autorisées et l’on ne se souciait guère de leur cohérence avec un plan pastoral d’ensemble qui n’existait pas. Cette liberté d’initiative, qui reflète celle du monde économique de Singapour, a donné lieu à des réussites notoires comme celle du programme d’éducation à la foi pour les adultes qui a réussi à homogénéiser la préparation des adultes au baptême dans tout l’archidiocèse. Elle a donné lieu aussi à un certain nombre de dérives qui se produisent pour la plupart autour du Renouveau charismatique. Certaines de celles-ci ont été sanctionnées dans le passé, mais d’autres, tout aussi inquiétantes, continuent de prospérer. Cet état de fait a encore été illustré il y a quelques semaines par un incident apparemment anodin : un groupe de catholiques avait obtenu l’autorisation de l’administrateur diocésain, fidèle à la politique traditionnelle, pour faire venir de l’étranger une guérisseuse de l’Eglise orthodoxe. Une enquête officielle un peu tardive auprès du Vatican a fait découvrir que les enseignements de la guérisseuse n’étaient guère compatibles avec la foi catholique, et l’administrateur a dû revenir sur sa décision.

La pression politique, tendant à circonscrire les activités de l’Eglise, conjuguée à l’absence de direction pastorale, voulue par la hiérarchie catholique, ont fait que, depuis une dizaine d’années, beaucoup de curés de paroisse se sont lancés, avec une certaine frénésie, dans les constructions. Des églises ont été entièrement refaites, d’autres ont été rénovées à grands frais, des presbytères, dont certains très luxueux, ont vu le jour. Un prêtre de Singapour, interrogé par Eglises d’Asie, estime qu’une somme globale de 200 millions de dollars de Singapour (environ 600 millions de Francs) a été ainsi dépensée par l’Eglise catholique au cours de la dernière décennie pour les seules constructions.

Si beaucoup de catholiques ne trouvent rien à redire à cet état de fait, d’autres n’hésitent pourtant pas à exprimer leur malaise. Un jeune professeur d’université, interrogé par Eglises d’Asie, constate que, par exemple, dans le même temps, rien n’a été fait “pour augmenter le nombre des permanents laïcs dans le domaine pastoral ». Lui-même, spécialiste de l’audiovisuel, a fait une proposition pour initier des programmes de catéchèse sur des supports multimédia. Il s’est entendu répondre qu’il n’y avait pas d’argent pour cela. Un prêtre juge de son côté que “cet état de fait indique surtout la démoralisation d’un clergé désorienté par l’absence de direction pastorale d’ensemble. Il se lance donc dans des activités annexes comme les constructions”.

Selon tous les observateurs de la scène locale, l’Eglise catholique de Singapour dispose d’un potentiel humain de tout premier ordre. Mais, en dépit des obstacles, beaucoup de prêtres et de laïcs espèrent que le futur archevêque s’attachera à le mettre en valeur au service de l’Evangile.