Eglises d'Asie

L’interdiction d’un film au contenu sexuel explicite provoque une polémique

Publié le 18/03/2010




La présidente Gloria Macapagal-Arroyo a fait savoir le 24 mars qu’elle ne reviendrait pas sur sa décision d’interdire la diffusion sur les écrans de cinéma philippins d’un film, “Live show”, au contenu sexuel explicite. Sa déclaration intervient alors que la polémique grandit dans le pays au sujet de l’influence que l’Eglise catholique en général et le cardinal Sin en particulier exercent sur la nouvelle administration. Après la démission le 21 mars de Nicanor Tiongson, président du Movie and Television Review and Classification Board, l’organisme officiel chargé du classement des films diffusés aux Philippines, des représentants des milieux artistiques accusent l’Eglise catholique de “se mêler des affaires politiques” du pays tandis que le cardinal Sin se félicite de la décision de la présidente. “J’encourage la présidente à continuer de se mettre à l’écoute du peuple afin de préserver les valeurs culturelles des Philippins et sauvegarder la fibre morale de notre nation”, a notamment déclaré le cardinal-archevêque de Manille.

Réalisé par le metteur en scène philippin Jose Ravier Reyes, le film à l’origine de la polémique, Live show, retrace l’histoire d’hommes et de femmes qui, poussés par la pauvreté, accomplissent des actes sexuels devant des spectateurs payants. Présenté au festival du film de Berlin l’année dernière sous son titre original Toro (‘Taureau’) – terme de l’argot local utilisé pour décrire ce genre de scènes sexuelles –, il a reçu un visa d’exploitation du Movie and Television Review and Classification Board à l’époque de la présidence Estrada, avec la mention “Interdit aux moins de 18 ans”. Il était visible sur les écrans de cinéma de Manille depuis le 7 mars lorsque la présidente Arroyo a prononcé son interdiction le 21 mars dernier.

Ce même jour, Nicanor Tiongson démissionnait de son poste, expliquant, lors d’une conférence de presse, qu’il ne pouvait se faire complice de “la suppression de la liberté d’expression” aux Philippines. Il a accusé le cardinal Sin d’avoir influencé la décision de la présidente, catholique fervente. Sa démission, a-t-il précisé, signifiait aussi son refus de voir l’Eglise catholique “se mêler des affaires politiques” du pays. Nicanor Tiongson a raconté avoir rencontré le 17 mars le cardinal Sin et son secrétaire, Mgr Socrates Villegas, à la résidence du cardinal et leur avoir expliqué qu’il n’était légalement pas en position de revenir sur le visa d’exploitation accordé au film. Selon lui, le cardinal Sin se serait alors emporté, ne montrant à son égard aucun respect et évoquant à quatre reprises le terme de “démission”. Le cardinal lui aurait notamment déclaré : “Nous pensions que vous étiez quelqu’un de bien. Vous n’êtes qu’un ex-séminariste.” Nicanor Tiongson a conclu en déclarant que la personne qu’il avait rencontrée était “un tacticien de la politique, pas un prêtre”.

Le lendemain, 22 mars, le cardinal Sin a admis qu’il pouvait se montrer “passionné” : “Je m’emporte quand la moralité est attaquée et que les valeurs qui nous sont chères sont remises en cause.” Mais, tout en déplorant que le soutien que l’Eglise apporte au gouvernement dans son entreprise de reconstruction des valeurs morales soit interprété comme une ingérence dans les affaires du gouvernement, il a déclaré que “la liberté n’est pas absolue”. Il a ajouté : “En violant les lois morales, nous devenons prisonniers de nous-mêmes, nous portons atteinte à la communion de la nation et nous nous rebellons contre les vérités divines”.

Revenant sur le contenu même du film, Nicanor Tiongson estime que Live show est “une description forte de la façon dont la pauvreté déshumanise les travailleurs du sexe, exploités par leur famille et finalement poussés par le désespoir à chercher une vie meilleure à l’étranger”. Il a rendu publique une lettre du P. Peter Malone, président de l’OCIC (Office catholique international du cinéma), au réalisateur du film dans laquelle celui-ci estime que l’œuvre dénote un “très fort” souci des questions sociales, tout en reconnaissant que le film serait très certainement interdit aux moins de 18 ans en Australie, son pays.

Par ailleurs, The Catholic Initiative for Enlightened Movie Appreciation, l’organe mis sur pied par la Conférence des évêques catholiques des Philippins pour juger du contenu des films, avait estimé, avant sa sortie en salle, que Live show, techniquement “moyen” et proche de l’“exécrable” d’un point de vue moral, devait être réservé à “un public mûr, âgé de 18 ans et plus”. L’Eglise catholique s’est déjà, dans un passé récent, élevé contre ce qu’on appelle aux Philippines les films “osés”, qualifiés par elle d’“obscènes”. Populaires, le plus souvent tournés en tagalog, ils sont très présents sur les écrans ; de grands panneaux peints à la main où l’on voit les acteurs prenant des poses “romantiques” ou “suggestives” en font la publicité le long des routes. Sous la présidence Estrada, plusieurs de ces films, présentant des scènes de sexe où les acteurs étaient filmés dans le plus simple appareil, ont été projetés sur les écrans de cinéma du pays.