Eglises d'Asie

pour se rendre en Corée du Sud sont de mieux en mieux organisés

Publié le 18/03/2010




La longue route vers la liberté de Ho a commencé au sommet d’une montagne d’ordures d’origine française. En 1993, alors que Pyongyang, à court de devises fortes, avait trouvé comme moyen de remplir ses coffres d’importer des ordures françaises à raison de 200 dollars US la tonne, Ho, alors lycéen, s’était joint à des camarades de classe pour fouiller ces rebuts de l’Occident. Ils y trouvèrent une cassette vidéo. “Des gens qui parlaient dans des langues étrangères se rappelle Ho. “Nous avons été arrêtés pour l’avoir regardée La punition – trois mois dans un camp de rééducation – ébranla définitivement la foi de Ho dans le régime nord-coréen. Désormais fiché parmi les “hooligans il ne put que se tourner vers le marché noir quand la famine sévit dans le pays à partir de 1996. Arrêté à nouveau, cette fois-ci pour un trafic de céramiques anciennes, il fut envoyé dans un koppaku (camp de “rééducation par le travail”) situé à 150 km au sud de la frontière avec la Chine. Les gardiens “me frappaient comme un chien”, raconte-t-il. Il y laissa neuf dents mais il survécut et, durant l’hiver 1999, il put s’échapper à la faveur d’un transfert ; il réussit à fuir jusqu’en Chine en traversant la Tumen, la rivière qui marque la frontière entre la Chine et la Corée du Nord, gelée à cette époque de l’année.

Ce n’était que le début de son odyssée. En Chine, Ho évita de justesse d’être coincé lors d’une vague de contrôles des immigrants sans papiers. Après avoir économisé l’équivalent de 50 dollars américains en travaillant dans une fabrique de machines à karaoké, il s’acheta le billet de train le moins cher qu’il put trouver et, à l’aide de son chinois rudimentaire, prit la direction du sud. Il s’arrêta à la frontière avec le Vietnam qu’il traversa à pieds, vêtu de haillons, et gagna Hanoi où il demanda asile à l’ambassade de Corée du Sud. Mais là, rapporte-t-il, “ils m’ont dit : c’est un pays communiste ici ; nous ne pouvons donc pas vous aider mais allez jusqu’en Thaïlande Un diplomate compatissant lui offrit 100 dollars américains ; à Hô Chi Minh-Ville, des missionnaires sud-coréens lui offrirent de l’argent et quelques conseils. Ho, prétendant être sourd-muet et criant de temps à autre “Corée !” afin de voir si quelqu’un parlait sa langue, traversa tant bien que mal le Cambodge, un pays parsemé de champs de mines. Enfin, après avoir passé presque trois mois sur les routes, il arriva épuisé à Bangkok où des diplomates sud-coréens lui accordèrent enfin l’asile.

L’itinéraire de Ho peut paraître étrange : ce jeune homme, débrouillard, âgé de 33 ans, a parcouru plus de 5 000 km pour gagner la Corée du Sud alors que seuls 198 km séparent Pyongyang de Séoul. Le cas de Ho n’est pas un cas isolé : de plus en plus de réfugiés empruntent également ce chemin détourné qui mène de la Corée du Nord vers la Corée du Sud. Ils se cachent en Sibérie, traversent les régions montagneuses de Birmanie, errent dans les steppes de Mongolie alors que ce pays a subi cette année l’hiver le plus froid depuis cinquante ans. Des demandeurs d’asile en haillons tels que Ho apparaissent les uns après les autres dans Séoul au rythme d’environ trois par jour ; ils arrivent de destinations aussi improbables que Copenhague, Dubaï, Ulan Bator ou Moscou. “Nous avons même pensé les faire passer par le Tibet explique l’un de ceux qui contribuent au maintien des réseaux souterrains empruntés par ces réfugiés. “Mais nous avons conclu qu’ils seraient trop faibles pour supporter l’altitude Cette année, plus d’un millier de Nord Coréens pourraient fuir et parvenir jusqu’à Séoul, soit un chiffre équivalent à l’ensemble de ceux qui ont réussi à fuir la Corée du Nord depuis la fin de la guerre de Corée (1950-1953).

Au cours d’une enquête de quatre mois, Newsweek a étudié ce réseau clandestin qui court entre les deux Corée. De la rivière Tumen, ses chemins s’étendent partout en Asie, en Asie centrale, en Russie et jusqu’en Europe de l’Ouest. Plus de soixante organisations et militants indépendants, et plusieurs milliers de personnes, sont impliqués : des institutions bouddhistes et chrétiennes, des missionnaires clandestins, des intermédiaires cherchant à faire de l’argent, des policiers véreux et – au delà de la frontière chinoise – des mères de familles japonaises, des rebelles birmans, des hommes politiques sud-coréens de droite et des diplomates dans au moins neuf pays sont impliqués. Selon l’itinéraire et le niveau de confort, un voyage à bord du “train pour Séoul” peut vous mener n’importe où, durer de un mois à un an et coûter 3 000 dollars ou plus.

Peu de Nord-Coréens ont l’argent nécessaire ou la résistance physique suffisante pour entreprendre ce voyage éreintant. Mais le fait que des milliers de personnes sont assez désespérées pour le tenter ne présage rien de bon pour Pyongyang. Alors que jusqu’ici, de nombreux Nord-Coréens ont pris le risque de s’aventurer jusqu’en Chine pour y trouver de la nourriture et la ramener ensuite chez eux, maintenant beaucoup envisagent un départ définitif ; une fois passés en Chine, ils espèrent amasser l’argent dont ils ont besoin pour gagner la Corée du Sud et y demander asile. Déjà, on estime à 300 000 les réfugiés qui vivent dans des villages et des villes du nord-est de la Chine ; les autorités chinoises procèdent régulièrement à des rafles et ceux qui sont pris sont déportés en Corée du Nord, au mépris de la convention de Genève de 1951, estiment les organisations de défense des droits de l’homme. Des ONG s’attendent à ce que ce printemps des milliers de Nord-Coréens fassent le pas et traversent la frontière les menant jusqu’en Chine, lorsque les récoltes de l’an dernier – déjà mauvaises – viendront à manquer. De l’aveu même de Pyongyang, l’afflux de réfugiés cette année pourrait être supérieur à celui constater en 1997.

La Commission d’aide aux réfugiés nord-coréens (CNKR), basée à Séoul, la plus importante organisation consacrée à l’aide aux demandeurs d’asile, a réuni près de 10 millions de signatures dans une pétition qui sera soumise aux Nations Unies pour que le statut de réfugiés soit reconnu par la Chine aux Nord-Coréens présents sur son territoire et qui ont fuit leur pays. Cette organisation prévoit de présenter cette pétition à l’assemblée générale des Nations Unies à New York le mois prochain. Un des dirigeants du CNKR, Sam Rho, reconnaît que la création de camps de réfugiés en Chine pourrait déclencher un exode massif. “C’est notre objectif” précise-t-il. “Si beaucoup de réfugiés s’échappent, alors la Corée du Nord s’effondrera comme un château de cartes”.