Eglises d'Asie

Le Vietnam est unanime dans son regret et son admiration après le décès du grand poète populaire Trinh Công Son

Publié le 18/03/2010




“Mille ans sous le joug de la Chine, cent ans esclave des Occidentaux, vingt ans de guerre civile quotidienne, l’héritage que nous a laissé notre mère, c’est un pays triste”. C’est ainsi que, dans les années 1960 et 1970, était résumée l’histoire du Vietnam par le compositeur-poète, Trinh Công Son, qui vient de mourir le 1er avril dernier, à l’âge de 62 ans, à son domicile de Hô Chi Minh-Ville après un dernier séjour à l’hopital de Cho Ray. Il a été pour toute une génération le chantre de cette tristesse spécifique au Vietnam du XXe siècle, une tristesse issue de la déchirure imposée au cœur d’une nation par l’affrontement meurtrier du Nord et du Sud, par tant de ses enfants morts ici et là sur les champs de bataille, par l’héritage de la tradition culturelle dilapidé, la tristesse d’une génération qui, selon lui, ne savait plus chanter les bouts-rimés traditionnels (ca dao). Refusant l’engagement politique et la haine, il était habité par la tendresse pour un pays qu’il personnalisait sous les traits d’une mère, par la compassion pour ses compatriotes victimes innocentes d’un malheur aussi absurde qu’inexplicable. Ses poèmes-chansons où l’on pouvait entendre les bruits familiers de l’époque, à savoir le bruit des bombes et les cris des victimes, étaient marqués par un constant bonheur du vocabulaire et étaient traversés comme par des éclairs, par des images étranges et inoubliables pour ses auditeurs. Il chanta son époque meurtrie, mais aussi l’affectivité inimitable du Vietnam qu’il a su admirablement refléter dans d’innombrables chants d’amour.

Il était né en 1939 à Dac Lac où travaillaient ses parents, et avait fait ses études au lycée français de Saigon. C’est vers l’année 1966 que le poète va faire connaître son univers et son talent poétique dans des récitals qu’il donne dans le cadre de la faculté de lettres de Saigon. Un premier recueil polycopié de ses chants, intitulé “Chants d’amour et de guerre”, circule bientôt. Ces mêmes textes feront, un peu plus tard, l’objet d’une publication imprimée sous le titre de “Ca Khuc da vang” (‘Chants du peuple à la peau jaune’). Dans les années qui suivent, les nouvelles chansons se multiplient. A sa mort, on en comptera plus de six cents. Grâce à des interprètes aussi inspirés que lui, comme Khanh Ly, ses chants seront vite connus et mémorisés par la quasi-totalité de la population du Sud-Vietnam, surtout par la jeunesse. Certes, l’apolitisme et le pacifisme du poète ne sont pas du goût des autorités et lui valent d’être interdit à la radio, mais dans les universités, dans les centres de jeunesse, il n’est pas de soirée récréative sans que l’on entende, accompagnées à la guitare, les paroles émouvantes et la musique nostalgique des chansons de Trinh Công Son.

Selon les commentateurs, après le mois d’avril 1975 et le changement de régime, commence pour Trinh Công Son une période où il rentre dans l’ombre. Les sentiments éprouvés pour lui par le nouveau pouvoir sont mitigés. On lui reproche d’avoir qualifié de guerre civile, les hostilités qui opposent le Nord au Sud, au lieu de parler, comme le voudrait Hanoi, de la “guerre américaine pour le salut de la patrie”. Après le 30 avril, on entend certes à la radio de Saigon, un de ses chants devenu célèbre “Nôi vong tay lon” (‘Faisons de nos mains liées un grand cercle’). Mais selon certaines sources, le poète passe quelques années dans une zone d’économie nouvelle de la région de Khe San au Centre-Vietnam. D’autres affirment qu’avec d’autres poètes il a été soumis à la rééducation pendant trois ans dans les monts de Truong Son à l’ouest de Huê. Toujours est-il qu’il ne pourra revenir à une existence normale que grâce à une intervention spéciale du Premier ministre de l’époque.

Le mercredi 3 avril, des milliers de personnes ont accompagné sa dépouille à Binh Duong jusqu’au tombeau de sa mère où il a voulu être enterré. Contesté par certains milieux durant sa vie, il a réussi un exploit rare en ces temps où les conflits qui divisent les Vietnamiens subsistent encore : il a réconcilié tout le monde après sa mort sur son nom et sur son œuvre. Un quotidien de la diaspora vietnamienne, publié en Californie, Nguoi Viêt, a présenté Trinh Công Son comme l’un des musiciens les plus aimés du Vietnam de l’époque moderne. “Au Sud et au Nord, écrit ce journal, avant et après la guerre, ses chants ont été infiniment aimés par toutes les couches de la population”. Avec Nguyên Chi Tiên, poète du Nord, qui a tiré son inspiration des geôles et camps de rééducation du Nord-Vietnam, de tempérament et de style tout différents, Trinh Công Son a contribué autant qu’un historien à la connaissance de l’âme vietnamienne à son époque.