Eglises d'Asie

Plus de dix ans de conflit ont profondément transformé la vie sociale de l’Etat de Jammu-et-Cachemire

Publié le 18/03/2010




Depuis 1989, date à laquelle les violences dues aux mouvements indépendantistes ou irrédentistes se sont à nouveau déchaînées après une période d’apaisement, l’Etat de Jammu-et-Cachemire a connu une profonde altération du tissu social de sa population et un changement radical dans son style de vie, aussi bien dans la façon de voyager et de se promener de ses habitants que dans la manière de célébrer les mariages. Dans cet Etat de près de huit millions d’habitants, où la population est en majorité musulmane (70 % de musulmans et environ 28 % d’hindous), les hostilités et les heurts se poursuivent dus à l’affrontement de trois grandes tendances. Certains musulmans demandent la séparation d’avec l’Union indienne et le rattachement au Pakistan ; des nationalistes réclament l’indépendance, ou tout au moins un statut de large autonomie vis-à-vis des deux puissances voisines tandis que le gouvernement de New Delhi, s’appuyant sur la volonté d’une partie des habitants de la vallée, mais surtout des hindous du Gamma et des bouddhistes du Lanka, fait tout pour maintenir le statu quo. Cette guerre intérieure chronique aurait fait, au total, 25 000 morts selon les sources officielles. D’autres estimations mentionnent quelque 60 000 morts, ce qui correspond à un nombre de pertes plus élevé que celui qui est déploré par l’Inde après trois guerres avec le Pakistan. Depuis le mois de janvier 2001, le chiffre des morts s’élève déjà à 676. Une série de statistiques sombres accompagne encore ce nombre de décès. Selon le Children Fund, une organisation dont le siège est au Royaume Uni, 8 % des morts du fait des hostilités ont entre 15 et 30 ans. La guerre intérieure a déjà fait 20 000 orphelins et 16 000 veuves.

La guerre a, en premier lieu, transformé de fond en comble la vie nocturne de la population. La plupart des attaques, qu’elles soient le fait des séparatistes et irrédentistes ou des militaires indiens, ont lieu la nuit. Selon la presse locale, chaque nuit, il y a au moins une attaque-suicide des guérilleros islamiques. Avant la fin des années 1980, le Cachemire était la destination privilégiée des touristes et avait été qualifié par eux de paradis terrestre. La capitale de l’Etat, Srinagar, qualifiée par J. Dupuis de “une Venise un peu sordide plantant un décor branlant autour de canaux jaunes connue pour ses jardins dessinés au XVIIe siècle et de très célèbres maisons flottantes, attirait, avant la reprise des hostilités, deux millions de touristes par an. Les Cachemiris aimaient particulièrement les promenades de nuit dans les parcs et les jardins publics, ou encore les visites nocturnes à leur parenté. Désormais, la vie s’arrête à 19 heures : commerces et marchés ferment leurs portes, les chauffeurs de taxis stoppent leur course, personne ne souhaitant être pris dans le chassé croisé des balles des camps antagonistes. Le gardien-conservateur du jardin de Shalimar se souvient de l’époque où son jardin illuminé et sonorisé attirait des touristes durant toute la première partie de la nuit. Cette affluence a cessé dès que les attaques sont devenues fréquentes.

Les coutumes sociales de la population de l’Etat ont également été affectées par la guerre. Les mariages qui, dans le passé, se célébraient durant la nuit, ont lieu, maintenant au cours de la journée. Ces noces qui, autrefois, selon la tradition islamique, donnaient lieu à des banquets particulièrement raffinés ne sont plus maintenant qu’une formalité rapide et sans relief, à laquelle participent seulement une poignée d’invités. Les menaces que font peser sur la population les forces séparatistes et irrédentistes, ont conduit à la fermeture de la plupart des centres de distraction de la Vallée du Cachemire. Ils sont aujourd’hui remplacés par d’innombrables postes de sécurité, ceux de la police d’Etat, ceux des groupes para-militaires, ceux de l’armée. Et l’on se plaint que la Vallée du Cachemire, si vantée pour la beauté de ses paysages, ait été métamorphosée en sévère forteresse. Les femmes à qui les militants islamiques ont interdit les jeans, les jupes et le fard, sont absentes des rues et des places publiques : elles restent désormais à la maison.