Eglises d'Asie

DANS LA CLANDESTINITE, DES CHRETIENS GARDENT LA FOI

Publié le 18/03/2010




Lorsque la nuit est tombée, les membres de la famille se réunissent, veillant à être bien seuls. Craignant d’être observés, ils se blottissent sous une couverture. Et là, ils psalmodient les chants chrétiens qu’ils connaissent de mémoire et prient. S’ils étaient découverts, pour ces prières et ces chants, ils pourraient être condamnés à mort et exécutés. “Nous avions tellement peurs”, raconte la femme de cette famille, à propos de sa vie en Corée du Nord. “Si vous êtes pris, vous disparaissez. On ne savait pas exactement où ceux qui étaient pris étaient emmenés, mais nous savions que c’était la prison ou la mort”.

Cette famille faisait partie d’une Eglise clandestine dont les fidèles, en cherchant à maintenir vivante leur foi, risquent la persécution sous ce régime stalinien. Tandis que la Corée du Nord entrouvre avec prudence les portes d’une société maintenue dans un isolement quasi-total et qu’elle fait cela pour obtenir l’aide dont elle a besoin pour survivre, des groupes chrétiens de Corée du Sud cherchent à profiter de cette opportunité pour venir en aide à ces communautés chrétiennes clandestines et, ainsi, favoriser leur extension.

Ils ont organisé leurs activités, que ce soit sur un plan ouvert ou sur un mode beaucoup plus discret. Ils font passer des Bibles petit format en contrebande jusqu’à l’intérieur de la Corée du Nord. Ils ont mis sur pied des relais en Chine pour venir en aide et répertorier les Coréens du Nord qui parviennent – en nombre croissant – à franchir la frontière entre leur pays et la Chine et qui repartent en Corée du Nord avec de quoi manger.

Des groupes chrétiens envoient ainsi de la nourriture et d’autres fournitures de première nécessité en Corée du Nord que ce soit dans les sacs au dos que ces voyageurs de la faim nord-coréens ramènent chez eux ou que ce soit dans des sacs qui entrent légalement dans le pays et qui identifient clairement le donateur. Certains de ces groupes coopèrent à des projets de construction avec l’Eglise “officielle” en Corée du Nord en dépit des réserves qu’ils ont à l’égard de cette Eglise dont ils pensent qu’elle n’existe que pour les besoins de propagande du régime de Pyongyang.

“Nous entreprenons tout ce que nous pouvons pour pénétrer en Corée du Nord”, explique le révérend Joseph Park, directeur du Conseil chrétien de Corée, à Séoul. “Nous viendrons en aide à ceux qui fuient le régime. Nous avons des contacts directs avec des Nord-Coréens. Nous enverrons des missionnaires et viendrons en aide de quiconque pour contribuer à répandre le message de Dieu.”

Le jeu est dangereux. En dépit de la politique officielle de liberté religieuse et des activités visibles des Eglises enregistrées auprès des autorités, prêcher l’Evangile ou toute action prosélyte de façon générale est toujours considéré par le régime nord-coréen comme une menace à son endroit et peut envoyer à la mort. Dans son rapport annuel sur la liberté religieuse à travers le monde, en 1999, le Département d’Etat américain écrivait qu’“il n’existe pas de véritable liberté religieuse” en Corée du Nord.

Un couple qui est parvenu à fuir de Corée du Nord en 1997 décrit la vie des chrétiens là-bas. Ils demandent que leurs noms ne soient pas cités car, disent-ils, dans le cas contraire, cela reviendrait très certainement à aggraver la situation de leurs deux filles, aujourd’hui adultes, et qui sont restées en Corée du Nord ; déjà, du fait de la défection de leurs parents, ces deux filles ont perdu l’emploi qui était le leur en ville et ont été envoyées à la campagne où la vie est plus dure et la nourriture rare.

Un troisième enfant, leur fils, âgé de 30 ans, a tenté de quitter le pays en même temps que ses parents mais il a été arrêté alors qu’il était en Chine et renvoyé en Corée du Nord. A l’évocation du souvenir de son fils, le sourire de sa mère se fige, sa tristesse et ses craintes se lisent sur son visage. “Il est en prison”, dit-elle. “Je m’attends à ce qu’il meure en prison.”

Son mari est âgé de 64 ans ; elle-même a 63 ans. “Ma mère m’a enseigné les Dix Commandements et nous avons appris par cœur les chants”, raconte-t-elle. “Bien sûr, il nous était impossible de conserver une Bible chez nous. Le Parti communiste faisait régulièrement des descentes chez les gens et inspectait tous les biens qui s’y trouvaient, à la recherche de livres étrangers.”

“S’ils trouvaient une Bible, vous pouviez être exécutés”, poursuit-elle. “Ma mère m’a toujours appris et répété que je ne pouvais pas faire état de ma foi en Dieu, que je devais la garder pour moi, à l’intérieur de moi.” Sa famille connaissait seulement quelques autres personnes chrétiennes. Son mari a été très surpris d’apprendre un jour qu’un de ses meilleurs amis, une personne qu’il connaissait depuis des décennies, partageait la même foi que lui. “Il captait des programmes radios émis par des chrétiens en Corée du Sud. Il prenait des notes, les cachait dans son chapeau et venait ainsi discrètement chez moi”, se rappelle-t-il. “Nous devions impérativement tenir tout cela secret.”

La Corée est un bastion chrétien en Asie depuis que les missionnaires protestants y sont venus travailler dans les années 1880, prêchant une religion qui a semblé à beaucoup plus attirante que les religions traditionnelles, le boud-dhisme et le confucianisme. Aujourd’hui, en Corée du Sud, sur une population de 48 millions d’habitants, les Eglises chrétiennes revendiquent plus de 12 millions de membres.

Dans la moitié septentrionale de la péninsule coréenne, il est généralement estimé qu’avant que le pays ne soit divisé en deux à la fin de la seconde guerre mondiale se trouvaient environ 3 000 églises chrétiennes. Le gouvernement communiste de Corée du Nord a fermé la quasi totalité de ces lieux de culte. Des centaines de milliers de chrétiens ont fui au Sud avant que la frontière ne soit définitivement fermée à la suite de la guerre de Corée. Ceux qui sont restés ont abandonné leur religion lorsque le régime l’a déclarée comme étant “un outil d’invasion des impérialistes”.

D’une certaine manière, le bouddhisme bénéficie d’un traitement plus favorable, principalement du fait que cette religion n’appelle pas ses fidèles à convertir les autres. Environ 60 temples bouddhistes sont recensés aujourd’hui en Corée du Nord, bien qu’ils aient officiellement perdu tout caractère cultuel, les autorités ne les conservant qu’à titre de reliques culturelles.

En lieu et place des religions traditionnelles, les autorités nord-coréennes ont répandu dans tous les secteurs de la vie l’idéologie du juche, que l’on peut approximativement traduire par auto-suffisance. Le maître de la Corée du Nord, Kim Jong-il, a achevé l’élévation de son père, Kim Il-sung, le fondateur de la Corée du Nord, au rang de divinité, créant ainsi quelque chose que l’on pourrait qualifier de “Kim Il-sung-isme”.

“Le Kim Il-sung-isme est compris comme une religion et le régime s’oppose à toute autre idéologie ou croyance”, précise Lim Soon Hee, qui mène des recherches sur les droits de l’homme à l’Institut pour l’unification nationale de la Corée, à Séoul. “Même si vous parlez à des responsables chrétiens en Corée du Nord, ils ne parlent du christianisme qu’en référence au juche et dissertent sur le fait que le christianisme en Corée du Nord a été porté à un point de perfection inégalé ailleurs grâce au juche », poursuit-elle. “En Corée du Nord, la Sainte Trinité, c’est Kim Il-sung, Kim Jong-il et le juche.”

Les estimations faites par diverses études et par les Eglises chrétiennes en Corée du Sud varient fortement : le nombre des chrétiens en Corée du Nord oscillerait entre 10 000 et 300 000, sur un population totale de 22 millions de personnes. Selon Mme Lim, il n’est pas du tout certain qu’il existe en Corée du Nord un véritable réseau religieux clandestin. « D’après le témoignage de ceux qui ont fait défection, le contrôle exercé sur la société est si complet, si total, qu’il est quasiment impossible de croire en quoique ce soit de religieux”, explique-t-elle.

Certains chercheurs – une minorité – estiment que les restrictions qui s’exercent sur les chrétiens se desserrent à mesure que Kim Jong-il étend petit à petit les liens avec l’extérieur afin d’obtenir une aide économique et humanitaire. “Ils essaient d’adopter une approche pragmatique afin de faire rentrer l’aide étrangère ; pour cela, de nouvelles églises sont construites ; de l’argent et des livres entrent dans le pays”, déclare Kang In Chul, professeur associé de religion à l’université Hanshin en Corée du Sud.

Les autorités ont rendu les Eglises officielles plus visibles, invitant des dirigeants chrétiens de Corée du Sud et d’Occident à célébrer la messe dans les trois églises (deux temples protestants et une église catholique) de Pyongyang. Avec l’aide du Sud, la Corée du Nord a rouvert un séminaire (protestant) de théologie où douze étudiants ont été inscrits pour y suivre des cours de religion. “Si vous allez dans ce séminaire, vous verrez une image de Jésus sur un côté. En position d’honneur, sur le devant, se trouvent les inévitables portraits de Kim Il-sung et de Kim Jong-il”, rapporte le révérend Eun Hi Gon, secrétaire général d’une branche de l’Eglise méthodiste coréenne. Sa communauté, la Conférence annuelle de Seobu, a donné 200 000 dollars américains sur trois ans pour venir en aide à ce séminaire, en dépit des doutes quant aux motivations réelles du régime nord-coréen.

“Pourquoi ouvrent-ils ce séminaire ?”, s’interroge-t-il. “Une grande partie de l’aide humanitaire en provenance de Corée du Sud passe par les Eglises et la Corée du Nord a besoin de plus de personnel pour gérer ces projets d’aide. Certains critiquent notre projet et disent que l’Eglise en Corée du Nord n’existe que pour extorquer plus facilement de l’argent aux Sud-Coréens”, ajoute-t-il. “Nous comprenons ces critiques et nous ne les nions pas. Mais nous pensons que nous devons y aller progressivement et que toute occasion est bonne à saisir pour pénétrer pas à pas cette société.”

De façon plus inquiétante, des rapports à propos de la persécution qu’endurent les chrétiens en dehors de la capitale Pyongyang continuent de sortir de Corée du Nord. Selon des informations publiées par des chrétiens sud-coréens, dans la “Prison n° 15”, 6 000 chrétiens seraient incarcérés, sans beaucoup d’espoir d’en sortir. Dans son rapport sur la liberté religieuse, le Département d’Etat se contente d’écrire qu’il n’existe pas d’“informations fiables” quant au nombre de prisonniers détenus pour motif religieux en Corée du Nord.