Eglises d'Asie – Philippines
Après les récentes et massives manifestations pro-Estrada, Mgr Teodoro Bacani, évêque auxiliaire de Manille, estime que l’Eglise catholique a perdu le contact avec les pauvres
Publié le 18/03/2010
Selon Mgr Bacani, la présidente doit aujourd’hui “ne pas se contenter de chercher à savoir qui a incité ces gens à se rebeller mais pourquoi des foules ont marché vers Malacanang”, le palais présidentiel. “Je crois que ces rebelles’ se rebellaient en fait contre leur marginalisation au sein de la société philippine”, a encore précisé l’évêque auxiliaire de Manille, ajoutant que les pauvres, en 1998, avaient voté en masse pour Estrada et qu’ils rendaient responsables “l’Eglise, les élites et les médias”, perçus par eux comme les acteurs du renversement d’Estrada en janvier dernier, “de leur retour dans les marges de la société”.
Tirant les conclusions de son intervention, Mgr Bacani a invité l’Eglise à un effort d’introspection. Au vu des nombreux documents publiés depuis déjà de nombreuses années, l’Eglise aux Philippines se veut “l’Eglise des pauvres”, mais, souligne Mgr Bacani, lorsque les pauvres étaient dans la rue entre le 25 avril et le 1er mai, ils y étaient seuls ; il n’y avait pas de prêtres ou de sœurs auprès d’eux, les responsables de l’Eglise ayant, pour des raisons de sécurité, demandé au clergé et aux religieuses de se tenir à l’écart des manifestations. A ce propos, le contraste était saisissant entre ces manifestations et celles qui ont mené à la chute de Joseph Estrada en janvier dernier. On se souvient que, dès le mois d’octobre 2000, le cardinal Sin et son conseil presbytéral avaient déclaré que Joseph Estrada avait perdu “l’ascendant moral” nécessaire pour gouverner et qu’au cours des manifestations de janvier, en particulier autour du sanctuaire marial de Marie Reine de la Paix, à Quezon City, religieuses, prêtres et évêques étaient nombreux à avoir rejoint les rangs des manifestants et à prendre la parole devant eux (2).
Les prises de position de Mgr Bacani n’ont pas tardé à provoquer des réactions au sein de l’Eglise. Le lendemain, 4 mai, Mgr Leonardo Legaspi, archevêque de Caceres et vice-président de la Conférence des évêques des Philippines, a déclaré que “depuis longtemps, l’Eglise n’occupait plus au sein de la société une place de médiateur”. Selon lui, depuis la révolution du “people power” de 1986 qui a vu la chute de Ferdinand Marcos après 21 années au pouvoir, “depuis que nous avons pris parti”, l’Eglise ne peut plus être appelée à jouer un rôle de médiateur. En 1986, a-t-il encore précisé, l’appel à la radio du cardinal Sin a certes empêché qu’un bain de sang ne se produise, mais, depuis cette date, le cardinal n’est plus perçu comme un arbitre mais comme un partisan. Pour Mgr Legaspi, “les visages en colère, plein de haine, des jeunes qui ont manifesté” devant le palais présidentiel le 1er mai “ont été comme un rappel à l’Eglise, perçue comme élitiste, à devenir aux yeux de tous la servante des pauvres”.
Les évêques philippins ne sont toutefois pas unanimes. Certains d’entre eux replacent la semaine du 25 avril au 1er mai dans le contexte pré-électoral actuel, deux semaines avant les élections du 14 mai, des élections-test d’où la légitimité de la présidente Arroyo sortira renforcée ou bien qui verront la confirmation de la popularité de l’ancien président Estrada, aujourd’hui emprisonné (3). Mgr Francisco Claver, évêque de Bontoc-Lagawe, a ainsi déclaré le 8 mai que “le problème est que les manifestations ne visaient pas directement le gouvernement ou l’attitude de l’Eglise envers les pauvres, mais qu’elles visaient avant tout à remettre un voleur et un incompétent à la tête de l’Etat”, allusion aux accusations de corruption et de pillage économique qui pèsent sur Joseph Estrada. Mgr Claver rappelle que les équipes de radio et de télévision de l’Eglise du Christ (Iglesia Ni Kristo, secte chrétienne qui revendique cinq millions de fidèles aux Philippines) étaient présentes sur les lieux de ces manifestations et que leurs commentateurs attaquaient le cardinal Sin, conspué par les manifestants comme le “diyablo” ( le diable’). Les sénateurs Juan Ponce-Enrile et Gregorio Honasan ainsi qu’un des fils de Joseph Estrada et d’autres hommes politiques se relayaient au micro pour attaquer la présidente Arroyo. “Que pouvaient faire le clergé ou des religieuses parmi eux dans un tel contexte, si émotionnel ?”, commente encore Mgr Claver, ajoutant que ces manifestations confirment l’analyse faite en janvier dernier par le Conseil pastoral national sur le renouveau de l’Eglise dont la conclusion était que “les pauvres ne sont pas avec nous car nous ne sommes pas avec eux” (4).