Eglises d'Asie

GARE AU PROPHETE !

Publié le 18/03/2010




Plus rien n’est-il sacré ? A Singapour, même Dieu

se heurte à la politique du gouvernement

Selon vous, Dieu n’a pas besoin d’être présenté. C’est peut-être vrai à peu près partout mais à Singapour, il en va autrement. Là-bas, Il est présenté de la façon la plus contemporaine qui soit : par la publicité et le marketing. Et cela n’a pas eu l’heur de plaire au gouvernement de Singapour : que ce soit par voie d’affichage ou à la télévision, il a interdit toute publicité pour Dieu.

Un groupement de 150 Eglises (protestantes), qui se présente sous l’intitulé “le Mouvement pour l’Amour à Singapour”, était à l’origine de ces publicités. Cette association avait pour objectif de changer l’image de Dieu : du grand “maître d’école rébarbatif”, elle voulait le présenter comme “quelqu’un à qui vous penseriez s’il vous fallait dresser une liste d’invités pour un dîner à la maison”. Imaginée par l’agence de pub Ogilvy et Mather, agence réputée dans le monde entier, la campagne était centrée autour de citations de Dieu, un Dieu irrévérencieux et plein d’esprit : “J’étais en train de penser à créer le monde en noir et blanc. Et puis, je me suis dit. pouah” ou bien “Que dois-je faire pour attirer votre attention ? Passer une annonce dans un journal ?”

“Pour reprendre le jargon utilisé dans le métier, nous souhaitions repositionner Dieu dans l’esprit des gens”, explique Eugene Cheong, responsable de ce projet chez O&M. Le sujet n’était pas totalement inconnu pour Cheong, chrétien depuis toujours ; il a écrit tout le projet pour cette campagne. “Disons que je connaissais très bien le produit”, précise-t-il, en ajoutant : “Après bientôt 20 ans dans la pub, enfin, je pouvais travailler sur un produit en qui je pouvais croire.”

Certaines des propositions retenues apparaissent comme des citations de simples mortels. Une des expressions favorites de David Ogilvy, qui est considéré comme un demi-dieu au sein de l’agence qu’il a fondée, était : “Je déteste les règlements.” Cheong a mis ces mots sur les lèvres de Dieu : “Je déteste les règlements. C’est pourquoi je n’en ai fait que dix.” D’autres spots mettent en scène un Dieu bienveillant : “Sortez vos parapluies. Il se pourrait que j’arrose les plantes aujourd’hui.” D’autres le décrivent comme joueur comme ces affiches placardées dans les zones d’attente du métro et sur lesquelles on peut lire en grands caractères gras “Je suis là”.

Nulle part peut-on voir le halo de lumière vaguement irréelle censé représenté les cieux, les grands hommes barbus chaussés de sandalettes, avec des anges en arrière-plan. En lieu et place de ces représentations classiques, on trouve des “visuels” résolument modernes : des affiches minimalistes en noir avec de grandes lettres blanches, de saisissants gros-plans et de longs mouvements de caméras au ralenti.

“Hé, ils m’ont interpellé et ils ont attiré mon attention”, rapporte Rob Martin Murphy, directeur exécutif de la création à la branche singapourienne de l’agence de pub Euro RSCG. “L’interdiction prononcée par le gouvernement signifie simplement que ces pubs ont provoqué une réponse – et ça, c’est déjà la moitié du travail dans la publicité.”

Et ce peut sans doute aussi être le problème : les Eglises du Mouvement pour l’Amour à Singapour ont simplement trop bien réussi leur coup à rendre ainsi Dieu omniprésent dans les médias. Elles avaient prévu un budget de deux millions de dollars de Singapour (soit 1,1 millions de dollars américains) pour placer 17 spots de publicité à la télévision et 24 annonces différentes dans les journaux ; avec cela, il était prévu qu’en trois mois la totalité de la population de la cité-Etat soit touchée. Les spots et les annonces avaient été approuvés par le Television Corporation of Singapore and Singapore Press Holdings, l’organisme public qui contrôle la plupart des stations de télévision et des journaux à Singapour. Mais une semaine ne s’était pas écoulée après le début de la campagne que les autorités ont ordonné son arrêt.

A la tête d’une ville multiculturelle où vivent des bouddhistes, des musulmans, des chrétiens et des hindous, les autorités de Singapour sont hyper sensibles aux questions qui touchent au domaine religieux. Répondant à des questions au sujet de cette campagne pour Dieu, Felicia Toh, porte-parole de l’Autorité de télédiffusion de Singapour, a déclaré ceci : “Les publicités religieuses ne sont pas autorisées à la télévision étant donné que Singapour est une société multiraciale et que de telles publicités seraient interprétées comme des actes de prosélytisme.”

Les grands médias traditionnels étant interdits, les équipes d’O&M ont dû se montrer créatives. Elles ont recouvert des bus avec des affiches spéciales, imprimé des T-shirts, distribué plus d’un million de cartes postales et prévoient de publier un recueil de citations tirées de la campagne. Mais, plus encore, l’agence a investi les nouveaux médias, mettant sur pieds un site Internet à la pointe du progrès où la campagne est visible : www.god.org.sg

Plus innovant encore a été le recours au système des messages écrits transmis par téléphone. Par le SMS – c’est le nom du système -, Dieu “envoie” des messages éclairs et ultra-courts sur les portables des personnes qui ont souscrit à ce service. Ces personnes peuvent à leur tour répercuter ces quelques mots à leurs amis, se faisant ainsi les alliés objectifs du “marketing viral”. Ces messages sont nettement plus ajustés et ciblés que les annonces imprimées sur les affiches ou dans les journaux. A titre d’exemple, les dimanches matin, des messages tels que “Viens-tu chez moi aujourd’hui ?” apparaissent sur les mini-écrans des portables. “Le point central de cette campagne est de montrer que Dieu n’est pas lointain, qu’Il est proche de vous”, explique Graham Kelly, directeur régional pour la création chez Ogilvy Interactive, la branche de publicité en ligne d’O&M. L’ironie de la chose est que, par ces biais interactifs, la campagne est bien partie pour toucher un bien plus grand nombre de gens qu’il eut été possible de le faire à partir des seuls médias traditionnels.