Eglises d'Asie

TRANSITIONS MONGOLES : DE LA SUZERAINETE MANDCHOUE AU COMMUNISME SOVIETIQUE ET A L’ECONOMIE DE MARCHE

Publié le 18/03/2010




Rappelons tout d’abord les principaux traits de la société mongole au cours des siècles passés. C’est à l’origine, et jusqu’à récemment, une société d’éleveurs nomades, largement convertie au bouddhisme à partir de la fin du XVIe siècle par la volonté de ses élites. Soucieux de s’appuyer sur une institution puissante, centralisée et valorisée pour retrouver l’unité et la grandeur mongoles perdues, leurs princes adoptèrent le bouddhisme tibétain ou lamaïsme et l’imposèrent à leurs sujets chamanistes. Le bouddhisme devint si prépondérant dans la société que près de la moitié de la population masculine au début du XXe siècle appartenait au clergé bouddhique.

C’était aussi une société de guerriers organisés et disciplinés qui avait su fonder un empire colossal à l’époque de Gengis Khan. A la suite des politiques de succession qui conduisirent à l’éclatement de l’empire en plusieurs khanats et après d’incessantes luttes intestines, les Mongols devinrent, dans le courant du XVIIe siècle, vassaux des Mandchous (dynastie Qing : 1644-1911), eux-mêmes héritiers des Djourtchètes (dynastie Jin : 1115-1234) qui avaient régné sur la Chine du Nord avant d’être conquis par les gengiskhanides.

Les Mongols méridionaux, ralliés les premiers (1634) aux Mandchous, formèrent la “Mongolie-Intérieure” (moins le Barga en Mandchourie) ; les Khalkhas occupant la majeure partie de l’actuelle Mongolie ne firent allégeance qu’en 1691 et leurs territoires furent dits de “Mongolie-Extérieure”. Ces deux appellations sont clairement sino-centristes, les termes mongols équivalents étant “Mongolie méridionale” et “Mongolie septentrionale”. Les Mongols occidentaux, que nous connaissons sous les noms de Oïrates, Eleuthes ou Djoungars, qui dominaient le Turkestan oriental (actuel Région autonome ouïgoure du Xinjiang, en République populaire de Chine) ne furent soumis, et quasi exterminés, qu’au milieu du XVIIIe siècle ; leurs cousins Khochoutes qui tenaient le Koukounor (actuel Qinghai ; l’Amdo des Tibétains), protecteurs des dalaï-lamas de la secte jaune du bouddhisme tibétain, avaient été soumis peu auparavant, en 1723. Il n’est peut-être pas inutile de souligner que les frontières actuelles de la Chine, qui s’étendent bien au-delà du territoire traditionnel chinois proprement dit (“Chine intérieure” ou “Chine des 18 provinces”), furent en grande part l’œuvre du conquérant mandchou. Pour le malheur des Mongols, Tibétains, Ouïgours modernes et autres peuples conquis, les gouvernements chinois successifs ont depuis fait leur cet héritage mandchou. Les Chinois, s’ils ont jugé légitime de recouvrer leur indépendance en chassant du trône une “dynastie étrangère”, n’ont pas reconnu ce droit aux autres peuples soumis par cette même dynastie et désireux de rompre les liens de suzeraineté qui les unissaient à elle.

La perte de leur indépendance par les Mongols au XVIIe siècle marque un tournant de leur histoire : celle-ci sera dès lors directement dépendante de ses deux grands voisins, Chine des Qing tout d’abord puis Russie, et, plus récemment, de la communauté internationale.

Durant les deux à trois siècles passés sous le joug mandchou, les Mongols, qu’ils soient méridionaux, septentrionaux ou occidentaux, ont vécu dans le cadre rigide, politique et administratif, qui leur était imposé. Répartis en petites unités bien délimitées (les “bannières”, elles mêmes subdivisées en “flèches”), leurs élites, civiles ou religieuses, étaient contrôlées directement par Pékin par le biais d’honneurs et d’émoluments ; la population des éleveurs, seuls producteurs dans la société mongole traditionnelle, était numériquement et économiquement épuisée par les taxes et les charges que les seigneurs mongols, l’administration Qing, les monastères et finalement les usuriers chinois faisaient peser sur elle. C’est donc très affaiblis que les Mongols entrent dans le XXe siècle. Les Mongols méridionaux, établis près des terres chinoises, commencent en outre à être particulièrement touchés par la sinisation et la colonisation han dans la seconde moitié du XIXe siècle. Au nord, la présence han est plus circonscrite : quelques zones agricoles (la Selenga, la région de Kobdo) et surtout la capitale mongole où ils sont, vers 1911, 65 000 sur une population totale estimée à environ 100 000 habitants, dont 20 000 moines.

Deux éléments vont intervenir qui empêcheront une probable dilution des Mongols au sein de l’empire mandchou-chinois dans lequel ils se trouvaient englués. Le premier est l’émergence du grand voisin russe qui vient à point contrebalancer la toute-puissance de la Chine des Qing en pays mongol. Le second est la chute de la dynastie mandchoue en 1911, qui fournit l’occasion aux Mongols de rompre officiellement le lien qui l’unissait à son voisin chinois par le biais du suzerain mandchou.

Les empires russes et manchous se côtoient et signent des traités dès la fin du XVIIe siècle. En 1860, les Russes prennent officiellement pied en Mongolie du Nord, en ouvrant un consulat dans la capitale mongole, Ourga (du mongol örgöö : “demeure d’un haut personnage”) ou Khüree (“monastère”), en fait un ensemble monastique récemment sédentarisé, siège du plus important hiérarque bouddhique de Mongolie, le Djebtsoundamba khoutouktou ou Bogdo Ghegheen, autour duquel s’est formée l’une des principales agglomérations de Mongolie du Nord. Des relations commerciales se développent. Les Russes se préoccupent de ne pas laisser se poursuivre sans le moindre contrepoids le processus de colonisation engagé en Mongolie et en Mandchourie. Toutefois, la Russie s’intéresse alors davantage à la Mandchourie, économiquement et stratégiquement plus importante. La dynastie Qing est, à cette époque, en plein déclin, en proie à d’importantes difficultés économiques intérieures (famines et pression démographique grandissante expliquent d’ailleurs en bonne partie l’ouverture des territoires mandchous et mongols aux colons han), aussi bien qu’extérieures du fait de la pression économique et militaire des puissances occidentales. Dès 1862, les Russes sont exempts de droits de douanes, et, par le traité sino-russe de 1881, ils bénéficient d’une zone franche améliorant considérablement les perspectives de développement commercial russe dans la région. Sans concurrencer véritablement le commerce chinois dominant, les sociétés russes étaient cependant au nombre d’une vingtaine, dont des compagnies minières, à la chute des Qing.

Sur le plan politique, la Chine a beau être affaiblie, la Russie n’ira pas au-delà d’une aide diplomatique lorsque des princes mongols se tourneront vers elle dès 1895 en la pressant de les aider à recouvrer leur indépendance. La Russie tsariste est retenue dans ses ambitions par le souci des réactions des puissances européennes et du Japon. En 1899, elle signe un traité avec les Anglais par lequel ces derniers reconnaissent la Mandchourie et la région située au nord de la Grande muraille comme une sphère d’intérêt russe. Après la guerre russo-japonaise de 1904-1905, elle négocie à plusieurs reprises secrètement avec le Japon, et ce jusqu’en 1912, pour délimiter leurs zones respectives d’intérêts : la Mongolie-Extérieure et le Turkestan chinois à la Russie, la Mandchourie et la Corée au Japon.

A partir de la fin du XIXe siècle, on peut parler de nouveau tournant dans la situation des Mongols, désormais placés entre deux grands empires. Les bases de leur histoire moderne, indissociable des relations russo-chinoises, et, jusqu’en 1945, des relations russo-japonaises, sont jetées. Dans ces relations, il est clair que les rapports avec la Chine ou le Japon sont pour la Russie le facteur dominant. L’enjeu de la présence russe n’est pas le sort des Mongols, mais des impératifs de sécurité : il faut à la Russie une zone tampon. Ainsi envisagée, la situation ne laisse guère de liberté de manœuvre aux Mongols : ces derniers ne peuvent qu’opter pour la moins mauvaise des solutions qui leur est, en fait, imposée. Notons aussi que ce changement dans la situation géopolitique des Mongols concernera en particulier ceux du Nord, les Khalkhas, qui seront seuls en mesure de choisir, et non l’ensemble des groupes mongols.

C’est pourquoi, lorsqu’en 1911 intervient le deuxième élément favorable aux intérêts des Mongols, c’est-à-dire la chute des Qing au profit d’une république nationale chinoise, et que les Khalkhas, proclament leur indépendance et mettent sur le trône de la Mongolie le pontife lamaïque mongol sous le titre de Bogd Khan, la Russie se contentera de soutenir un statut d’autonomie de la Mongolie du Nord qui ménage la souveraineté nominale de la Chine, alors impuissante. Il s’agit de confirmer l’influence russe en Mongolie et au Tannou-Touva sans exiger ni l’indépendance, ni la réunification avec les Mongols du Sud et du Barga réclamées par les Mongols ; en fait, la Mongolie peut être alors assimilée à un protectorat russe, qui joue le rôle d’Etat-tampon.

De longues négociations triparties entre Russes, Chinois et Mongols amèneront au traité de Khiagt en 1915 par lequel la Russie reconnaît la suzeraineté chinoise, la Chine reconnaît les droits à l’autonomie de la Mongolie, et l’un comme l’autre des deux grands voisins s’engagent à ne pas installer de troupes ni de colons en Mongolie-Extérieure. Les Mongols sont obligés d’accepter les conditions qui leur sont faites ; les autres alliés occidentaux ont des ententes avec la Russie et ne sont d’aucun secours.

Un protectorat soviétique

La révolution de 1917 et la guerre civile en Russie affaiblissent cette dernière. La Chine en profite pour abolir l’autonomie mongole en 1919. Malgré les déclarations attrayantes du tout jeune régime bolchevique (1919) de nature à s’attirer les bonnes grâces des peuples ayant des revendications nationales (annulation des traités inégaux), sa politique se situe dans le prolongement, sous des formes différentes, de la politique tsariste : face aux exactions des Chinois, l’aide soviétique ne viendra pas immédiatement et il faudra attendre le stationnement sur le territoire mongol des troupes blanches de celui qu’on a appelé le Baron fou, Ungern-Sternberg, pour que les bolcheviques interviennent en 1920-1921. Le souci des relations avec la Chine reste prédominant, et la Mongolie considérée par Lénine comme un élément important pour la sécurité nationale russe.

Face à l’annexion chinoise, les Khalkhas préfèrent se tourner vers la Russie, tandis qu’une partie des Mongols du Sud se laissent séduire par les sirènes pan-mongolistes des Japonais. Les Mongols bouriates, russifiés, forment une élite occidentalisée qui joue alors un rôle important de courroie de transmission entre le Komintern et les partisans de l’indépendance mongole qui, à l’instigation du Komintern, s’organiseront en “Parti populaire mongol” en 1921 : simples éleveurs, mais aussi moines ou nobles, ils placent encore la lutte contre l’occupant chinois “menaçant la religion et la nation” avant la défense des intérêts des plus démunis.

Le gouvernement mongol instauré la même année, avec l’aide de 10 000 hommes de troupes bolcheviques, laisse à la tête de l’Etat le monarque religieux, après l’avoir dépouillé de ses pouvoirs. En novembre, le traité russo-mongol par lequel la Russie soviétique reconnaît diplomatiquement la Mongolie n’est pas publié, pour ne pas indisposer Pékin. L’heure n’est pas encore à la transformation sociale et économique du pays. La pays est trop arriéré économiquement, et la Russie a besoin des ressources mongoles à moindre coût. Les mesures du gouvernement sont encore limitées. Le premier programme économique adopté en 1923 vise essentiellement à développer l’élevage. Il place aussi les ressources naturelles et minières sous le contrôle de l’Etat. Le cheptel s’élevait alors à 13 millions de têtes, et il augmente au cours des années 1920 pour atteindre près de 24 millions de têtes en 1930. Le cheptel n’est pas encore nationalisé. Le clergé et les nobles ne sont pas encore dépossédés de leurs biens.

Le contrôle du pouvoir politique est en revanche à l’ordre du jour. Un terrorisme politique s’établit très rapidement et les premières purges ne tardent pas : dans l’année qui suit quinze personnalités importantes dont Bodoo, le Premier ministre, sont fusillées et 26 autres arrêtées. En 1924, c’est au tour de Dandzan, successeur de Bodoo, d’être exécuté, et cette même année meurt aussi le Bogd Khan, ce qui ouvre la voie à la fondation d’une république populaire dont la constitution est calquée sur la constitution soviétique. En 1928, trois autres dirigeants mongols sont remplacés. Les accusations concernent des complots contre la sécurité nationale.

Parallèlement, par un traité russo-chinois en 1924, les Russes reconnaissent la souveraineté de la Chine sur la Mongolie, même si, dans les faits, la Chine n’a toujours pas les moyens d’intervenir en Mongolie. Les Russes reconnaissent à la Mongolie une autonomie dans la conduite de ses affaires intérieures et une aptitude à poursuivre une politique étrangère autonome.

Les Chinois présents économiquement à Oulan-Bator (“Héros-rouge”, nouveau nom d’Ourga) furent jusqu’en 1931 progressivement chassés. Les Russes parviennent à inverser la domination économique chinoise. En 1925, 86 % de la laine allait en Chine, en 1926, 78 % vont en Russie. La politique d’opposition au capitalisme servit en fait à exclure les Chinois et les autres compétiteurs non russes du marché mongol (Rupen 1979, 37). Les étrangers qui ne sont pas partis seront renvoyés en 1929, et les étudiants partis étudier en Allemagne et en France sont rappelés en 1930.

On voit que si l’aide soviétique a permis aux Mongols de se débarrasser de la présence chinoise et du risque très réel de colonisation, elle s’est assortie d’une mise sous tutelle qui se prolongera jusqu’à l’effondrement de l’URSS elle-même. Jusqu’en 1928, la soviétisation concerne la politique et l’administration, non les structures sociales et économiques. Puis, entre 1929 et 1939, le clergé, la noblesse et les riches éleveurs sont éliminés. Les mesures de confiscation du bétail de ces derniers (1929-1932), suivies de la première tentative de collectivisation au début de 1932, provoqueront un état de guerre civile et seront suivies d’une politique économique plus libérale. En 1937 commencent les grandes purges qui voient l’élimination radicale du clergé et de l’intelligentsia mongols.

L’intérêt soviétique, comme celui de la Russie, est de préserver un état tampon protégeant la Russie et le transsibérien. Comme l’avait fait la Russie tsariste, l’Union soviétique maintient la Mongolie isolée des autres puissances. A Yalta, en février 1945, le statu quo de la Mongolie est reconnu par la Chine (nationaliste). Un référendum est organisé pour la forme et le parlement chinois reconnaît l’indépendance de la Mongolie (ex-“Mongolie-Extérieure”) début 1946.

La soviétisation de l’économie ne démarre véritablement qu’après la guerre. Le premier plan quinquennal débute en 1948. La collectivisation commence en 1958 ; un secteur agricole se développe dans le cadre de fermes d’Etat. De 27 000 hectares en 1941, la surface cultivée était passée à 1,2 millions d’hectares en 1985, et le pays était devenu auto-suffisant en céréales. L’adoption d’une nouvelle constitution fixe en 1960 le cadre du socialisme, “devenue une réalité en Mongolie” comme il est déclaré en 1966 lors du 15e congrès du parti. L’industrialisation du pays prendra son essor dans les années 1960-1970 : tout l’équipement, matériaux de construction, outils, etc., devra être importé d’URSS ou des pays du COMECON à des prix toujours plus élevés (+ 220 % entre 1975 et 1990, les prix des produits mongols d’exportation n’augmentant parallèlement que de 36 %). A côté des mines, centrales électriques, cimenteries, usines de laine et de cuir, le fleuron de cette politique reste la construction d’Erdenet (cuivre, molybdène) qui doublera les capacités d’exportation du pays. Ce sont les années Tsedenbal (1952-1984), qui verront la production industrielle prendre le pas sur la production agricole. Le pays restera toutefois un exportateur de matières premières.

On assiste aussi à une urbanisation croissante de la population, de nombreux éleveurs ayant choisi en 1958 de rejoindre les villes et centres de province ou de district plutôt que de s’enrôler dans les coopératives d’éleveurs (Namjim 2000, 46).

Vers la démocratie et l’économie de marché

Les Mongols sont rapidement informés par la télévision Orbit et les journaux russes des changements en URSS à compter de 1986 ; de même, les nombreux étudiants formés en Russie et dans les pays de l’Est véhiculent-ils en Mongolie les idées nouvelles liées à la glasnost. En 1988, on voit apparaître dans les journaux du parti des critiques portant sur la stagnation économique des décennies précédentes, sur le dogmatisme politique, le retard culturel. Batmönkh, successeur de Tsedenbal, promeut quelques réformes économiques à l’image des efforts de restructuration (perestroïka) de Gorbatchev et évoque la nécessité de restructurer la façon de penser.

Comme on le voit, si le discours politique mongol montre alors une plus grande ouverture, il ne sort pas du cadre soviétique : il est le reflet direct de l’évolution en cours dans les pays socialistes du Comecon, non une expression indépendante.

Sur le plan économique, on assiste de même à un relâchement progressif de la réglementation socialiste à partir du milieu des années 1980. Des mesures permettent ainsi aux éleveurs d’augmenter leur part de bétail privé, qui atteint 32 % du cheptel en 1990, contre 17 % dix ans plus tôt.

L’heure n’est pas encore au multipartisme ni aux élections libres, mais l’ouverture vers l’extérieur est réelle : le retrait des troupes russes (30 000 installées en 1967) est annoncé dès 1987 et réalisé en 1989 ; des relations diplomatiques sont établies avec les Etats-Unis ; une visite officielle mongole de haut niveau en Chine, la première depuis 1962, a lieu en 1987. En 1989, le Premier ministre japonais se rend en Mongolie.

La chute du mur de Berlin et le désengagement de la Russie vont accélérer le processus. Sur le plan politique, une opposition authentique voit le jour, hors du parti unique, réclamant l’instauration d’une véritable démocratie. En décembre 1989, la première manifestation pour la démocratie se tient à Oulan-Bator à l’occasion de la journée internationale des droits de l’homme. Le Mouvement démocratique mongol est fondé. Le printemps qui suit verra la multiplication de manifestations non violentes demandant des élections libres. Les instances dirigeantes du Parti populaire révolutionnaire mongol (PPRM) démissionnent rapidement. Le monopole du pouvoir par un parti unique est aboli par le PPRM et, dès mai 1990, le multipartisme est introduit, ouvrant la voie aux élections libres et pluralistes de juillet.

Le PPRM, bien implanté dans tout le pays, est sorti naturellement vainqueur de ces élections, mais c’est un parti désormais ouvert aux réformes et partiellement converti aux vertus de la démocratie. Il est en fait divisé entre une vieille garde conservatrice, encore très présente, et des réformateurs. Dans l’opposition, le Parti national démocratique et le Parti social-démocrate sont les plus représentatifs.

La chambre basse issue des élections de juillet 1990 adopte de nombreux textes de lois qui confirment l’évolution démocratique et la transition du pays vers une économie de marché, qualifiées d'”irréversible” par les autorités.

En février 1992, le pays adopte une nouvelle constitution : la RPM devient la Mongolie, garantit la liberté religieuse (tout en interdisant aux congrégations et institutions de poursuivre une activité politique), le droit de propriété (la terre est déclarée propriété du peuple, et les pâturages sont exclus de la privatisation), l’indépendance de la justice. Le texte insiste sur les droits de l’homme et sur l’environnement qui est légué aux générations futures. La Mongolie a fait le choix d’un régime parlementaire qui présente un risque d’instabilité plus grand. Le président est élu au suffrage universel, mais c’est le Premier ministre, choisi dans la majorité parlementaire, qui assure la direction du pays.

Sur le plan économique, la Mongolie qui dépendait à plus de 85 % de l’Union soviétique a dû faire face à une crise économique redoutable lorsque cette dernière a exigé des paiements en devises convertibles. Les pénuries alimentaires et de médicaments se sont aggravées, le secteur énergétique a été frappé de plein fouet en raison de la baisse de la production de charbon mongol, la production a chuté, le pays n’ayant plus les moyens d’acheter les pièces détachées pour ses infrastructures industrielles, ni de payer ses factures de pétrole acheté à la Russie (près de 30 % du budget), les industries ne tournaient plus ou mal, l’inflation était galopante. Rapidement, les coopératives sont démantelées et le bétail privatisé : 50 % l’était dès 1991, et 91 % fin 1994. En mars 1992, le gouvernement introduit la liberté des prix, et a combattu efficacement l’inflation dans les années qui ont suivi, avec un coût social toutefois très élevé.

Ce n’est qu’à partir de 1993-1994 que l’économie mongole a cessé sa chute libre. Le secteur de l’élevage s’est redressé le plus rapidement, et le cheptel a augmenté au cours de la décennie. On a assisté à un regain d’intérêt pour l’élevage dans la population qui s’en était détournée. Après avoir stagné pendant près de 50 ans autour de 20-24 millions de têtes, le cheptel dépassait, à la fin de la dernière décennie, 33 millions de têtes. Notons toutefois que cette croissance s’explique en partie par la réduction des exportations vers la Russie. En outre, les tâches de production de fourrage, d’entretien des puits, etc., n’étant plus assurées collectivement comme à l’époque des coopératives, les éleveurs sont moins à même d’affronter des conditions climatiques exceptionnelles, comme on l’a vu ces deux dernières années. Signe de l’influence des relations de marché sur l’économie, les chèvres, qui fournissent le cachemire, représentent une part grandissante des troupeaux, mais au détriment de la qualité des pâturages.

Le secteur céréalier, mécanisé et étatisé, est sorti totalement sinistré de ces années de transition et d’une privatisation trop hâtivement menée ; la Mongolie a dû importer à nouveau du blé. En 2001, seuls 170 000 hectares ont été cultivés. Pour l’agriculture mongole, tout reste à reconstruire, et les producteurs attendent beaucoup de la loi, actuellement discutée au parlement, sur la privatisation de la terre.

L’industrie, sans retrouver sa productivité des années 1980, tend à se stabiliser, bien que plusieurs secteurs restent bien en-dessous de leur production des années 1980. La production de cuivre, d’or, de cachemire, fournissent aujourd’hui les principaux produits d’exportation. Les infrastructures du pays sont en cours de rénovation, et une grande partie de l’aide reçue y est affectée.

Pour la Mongolie, il était donc indispensable de trouver de nouveaux partenaires et d’obtenir une aide financière internationale. La Chine avec laquelle les échanges, repris seulement dans les années cinquante, étaient tombés très bas après le conflit sino-soviétique de 1962, est redevenue un partenaire commercial important au point d’être aujourd’hui son principal client. Les Américains encouragent l’évolution mongole, mais ce sont les Japonais qui sont les promoteurs actifs de l’aide internationale. Ils ont organisé la majeure partie des réunions de donateurs. Un programme de transition à l’économie de marché a été établi en 1991 avec l’aide du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale ; des prêts ont été accordés. Six réunions des pays et organismes donateurs (dont les principaux sont le Japon, l’Allemagne, la Banque mondiale, la Banque asiatique de développement et le Fonds monétaire international) ont eu lieu au cours desquelles la Mongolie s’est vu promettre 2,6 milliards de USD de dons et prêts pour le développement ou à la rénovation de ses infrastructures (énergie, routes, communications), la mise en place de réformes économiques structurelles et, pour 15 % environ, pour le secteur social. Si l’on ramène ce chiffre au nombre d’habitants, la Mongolie se place au rang des pays les plus aidés par ces organismes internationaux.

On peut donc parler d’une transition réussie, politiquement et économiquement, sinon socialement : comme dans les anciens pays socialistes, la pauvreté s’est largement accrue au cours de la décennie passée. Dans la nouvelle conjoncture dessinée par l’effondrement de l’URSS, la Mongolie a pu nouer des liens avec d’autres puissances que ses grands voisins, partenaires importants, privilégiés, mais qu’il convient de contrebalancer par un troisième groupe de partenaires réunissant les Occidentaux (Japon, Etats-Unis, Europe). Aujourd’hui encore, sa marge de manœuvre reste toutefois réduite : ce n’est plus un des deux grands voisins de la Mongolie qui lui impose une ligne de conduite, mais la communauté internationale à travers ses institutions financières, nouveaux bailleurs de fonds de la Mongolie.

Les premiers à l’avoir compris et à en avoir tiré parti sont sans doute les anciens cadres communistes, détenteurs des compétences et des postes de responsabilités aux moments cruciaux de la transition, qui sont revenus au pouvoir aux législatives de 2000 après leur écartement (1996-2000) au profit d’une coalition des principaux partis d’opposition démocratique. Les élections présidentielles de mai 2001 devraient confirmer ce retour du Parti populaire révolutionnaire mongol : si ce parti ne se résigne pas encore à changer d’appellation, il a, de fait, définitivement tourné la page avec le communisme et mène activement la transition de la Mongolie à une économie libérale de marché, cadre pleinement accepté et cultivé de son nouveau pouvoir.

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Sources et bibliographie :

Bawden Ch., The modern History of Mongolia, 1965

Rupen R., Mongols of the XXth Century, 1964

Rupen R., How Mongolia is really ruled, 1979

Baabar (Bat-Erdeniin Batbayar), Twentieth century Mongolia, 1999

Dessberg Fr., La politique russe et soviétique en Mongolie, mémoire de maîtrise, sept. 1996, Université Paris IV (sous la direction de Georges-Henri Soutou)

Namjim T., The Economy of Mongolia, 2000

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