Eglises d'Asie

Kerala : les appels des évêques catholiques avant les élections législatives de la mi-mai ont provoqué des réactions variées

Publié le 18/03/2010




Voilà longtemps que, lorsque s’approchent les élections dans le Kerala, Etat où les chrétiens représentent 20 % d’une population de 31,83 millions d’habitants, les évêques lancent des appels aux fidèles pour guider leurs votes. Ils n’ont pas manqué à cette coutume avant les récentes élections à l’Assemblée législative de la mi-mai dernier, qui avaient lieu également dans les Etats du Bengale occidental, d’Assam, du Tamil Nadu et à Pondichéry. C’est ainsi que le 7 mai avant les élections, le cardinal Varkey Vithayathil, archevêque majeur de l’Eglise syro-malabar, a invité la population chrétienne à voter, avec un total esprit de responsabilité, pour ceux qui soutiennent la démocratie et la liberté religieuse. Il a, de plus, reproché au Front démocratique de gauche conduit par les marxistes les actuelles difficultés agricoles et industrielles de l’Etat. Le jour suivant c’était au tour d’un autre dirigeant de l’Eglise syro-malabar, Mgr Powathil, archevêque de Changanacherry, de se prononcer publiquement. Il appelait les fidèles à donner leur vote aux candidats qui s’étaient engagés à protéger les droits des minorités et des basses castes.

En s’en tenant à une lecture superficielle des résultats, on pourrait conclure que les chrétiens avaient écouté les directives de leur hiérarchie, puisque la plupart d’entre eux ont voté pour le Front démocratique unifié, conduit par le parti du Congrès, qui a vaincu la coalition marxiste jusque là détentrice du gouvernement du Kerala. Les communistes n’ont totalisé que 40 sièges contre 99 au parti du Congrès de Mme Gandhi. On estime à 50 les sièges gagnés par les chrétiens. Jamais encore le nombre de voix séparant les deux formations concurrentes n’avait été aussi important. Le Front démocratique unifié l’emporte avec 1 585 607 voies d’avance. Aux élections de 1977, largement en faveur du parti du Congrès, l’écart des voix n’avait été que de 815 266. Le Bharatiya Janata Party (Parti du peuple indien, BJP) et ses alliés qui avaient constitué une troisième formation n’ont pas remporté un seul siège et ont perdu 0,47 % de leurs voies par rapport aux élections de 1997.

Cependant contrairement à ce qui avait été dit au cours des élections précédentes, la plupart des commentateurs et des analystes ont minimisé l’influence des déclarations épiscopales sur les résultats finals. Certains sont même allés beaucoup plus loin en qualifiant les directives épiscopales de ridicules et contre-productives. Un démographe spécialisé dans les élections, Jogender Yadav, attribue la défaite du Front démocratique de gauche, à la corruption de ses membres, à sa pratique de la violence politique et à la ligne politique tenue par lui en ce qui concerne la consommation de l’alcool. Un commentateur politique, Krishna Iyer, certifie, lui aussi, que la victoire de la coalition du Congrès est due beaucoup plus à l’inefficacité de la gestion gouvernementale du Front démocratique de gauche qu’aux directives de la hiérarchie catholique. Il affirme même à l’issue d’une analyse rigoureuse des élections, que, dans le Kerala, les religions n’exercent aucune influence sur la politique et que les évêques entretiennent une notion illusoire de l’influence de l’Eglise. Celle-ci pouvait être réelle il y a quelques décennies dans un Kerala largement illettré. Mais la situation culturelle a grandement changé depuis. Le Kerala est devenu l’Etat de l’Inde où le taux d’analphabétisme est le moins élevé. Les habitants y sont particulièrement au courant des grands problèmes nationaux et internationaux. La vérité serait que les électeurs chrétiens ignorent les appels de leurs évêques. Lors des élections d’il y a cinq ans, les électeurs chrétiens ont soutenu la coalition communiste en dépit de l’appel des évêques invitant à faire confiance “aux gens qui craignent Dieu”.

De plus, dans les milieux chrétiens, on se montre particulièrement irrité de voir la hiérarchie catholique solliciter des partis politiques un certain nombre de sièges pour leurs fidèles. En 1999, une demande de la Fédération catholique du Kerala sollicitant pour les catholiques quatre des vingt sièges parlementaires avait été rejetée par les partis politiques. Cette année une demande similaire provenant de membres de la hiérarchie, parmi lesquels se trouvait Mgr Cyril Baselios, archevêque de Trivandrum, a provoqué un flot de critiques, même de la part d’hommes politiques catholiques. Un catholique, Mathew Jacob, a qualifié ces pratiques de reliquat du passé, de l’époque où, en 1957, l’Eglise appelait à chasser le premier gouvernement communiste du Kerala.

Cependant, on peut entendre d’autres jugements plus indulgents pour le comportement épiscopal en période électorale. Le vicaire général de l’archidiocèse de Trichur, fait remarquer que les demandes de sièges par les évêques, plus qu’une pression exercée par eux, sont une façon de protéger les intérêts d’une minorité. D’ailleurs en cette affaire, les évêques sont moins demandeurs que les partis politiques qui ne se privent pas d’exploiter autant qu’ils le peuvent les sentiments religieux de leurs électeurs. C’est ainsi que l’on a pu voir le portrait du cardinal Vithayathil sur des tracts de propagande électorale de la coalition de gauche.