Eglises d'Asie

Manipur : l’assassinat de trois religieux salésiens a suscité une très vive émotion dans l’Inde entière

Publié le 18/03/2010




L’assassinat par balles de trois religieux salésiens, survenu le 15 mai dernier, dans le noviciat de Ngarian Hills, près d’Imphal, capitale de l’Etat du Manipur, a très vite suscité une vive émotion dans l’Inde toute entière. Dans les jours qui ont suivi le meurtre, du 16 au 19 mai, la presse indienne dans sa quasi-totalité s’en est fait l’écho. Il faut noter cependant que, d’une façon générale, les journaux du pays se sont contentés du récit des faits et ont été avares de commentaires d’ordre général. Dans les milieux chrétiens, très nombreuses ont été les manifestations de solidarité mais aussi d’inquiétude sous des formes individuelles et collectives.

Presque deux semaines après les événements, le récit des faits, un peu confus au début, s’est précisé davantage. Le drame a eu lieu dans le noviciat des religieux salésiens pour la province de Dinapur qui couvre les Etats du Nagaland et du Manipur. On était en train d’y préparer la première profession religieuse de douze novices, prévue pour le 24 mai suivant. L’établissement qui abritait 27 novices était dépourvu de téléphone et passablement isolé. Le 15 mai, vers 18 h 45, deux jeunes gens armés et vêtus d’uniformes militaires se sont présentés à la porte de l’établissement. Tandis que l’un gardait l’entrée, le second a pénétré dans le quartier des employés. Sous la menace de son fusil, il s’est fait conduire auprès de l’administrateur de la maison, le P. Andreas Kindo, âgé de 32 ans et originaire du Jharkhang oriental. Sommé par le jeune homme de lui verser une somme d’argent, le prêtre lui a présenté 30 000 roupies (641 dollars), somme jugée très insuffisante par l’agresseur qui a alors demandé à rencontrer le maître des novices, le P. Raphaël Paliakara, un prêtre de 46 ans, natif du Kerala, qui trois jours plus tôt, le 12 mai, venait de fêter le jubilé d’argent de sa profession religieuse. Celui-ci est accouru et pendant environ 45 minutes s’est entretenu avec le demandeur de rançon sur le terrain de volley-ball. Des employés de la maison ont rapporté que le maître des novices refusant d’obtempérer à la demande de son interlocuteur, celui-ci a exigé de lui qu’il fasse venir l’ensemble des novices et les place en ligne devant lui, en séparant des autres les novices appartenant à l’ethnie Naga. L’agresseur a alors fait feu sur le P. Paliakara qui est mort sur le coup. Le P.Kindo a été tué ensuite alors qu’il tentait de venir en aide à son confrère. Accouru au bruit des détonations, l’assistant du maître des novices, le séminariste Shinu Joseph, âgé de 23 ans et originaire du Kerala, a également été tué. Après leur triple meurtre, les deux agresseurs se sont enfuis en camionnette.

Quatre jours après le meurtre, l’incertitude régnait encore sur l’identité des meurtriers. Bien qu’il ne fasse de doute pour personne qu’ils appartiennent à un groupe indépendantiste de la région, l’identification précise du groupe reste encore à établir. Plus de vingt mouvements de guérilla opèrent dans l’Etat et luttent tous pour la cause de l’indépendance des ethnies minoritaires. Tous prélèvent l’impôt auprès de la population pour soutenir leur lutte armée, mais aucun jusqu’à présent n’a revendiqué l’assassinat des trois religieux salésiens. Les soupçons de la police de l’Etat se portent sur deux groupes clandestins, le Kanglei Yawol Kunna Lup (KYKL) et l’Armée de libération populaire (PLA). Voilà déjà longtemps que les groupes indépendantistes réclament la contribution financière des établissements religieux de l’Etat, en particulier des écoles, et menacent de mort ceux qui se dérobent à cette exigence, une menace souvent mise à exécution. En 1990, le P. Mathew Manianchira, principal d’une école, avait été tué alors qu’il présidait une réunion matinale dans son établissement. En 1992, le P. Sebastian Vadakkethannikal avait été blessé par balles alors qu’il refusait de verser les 700 000 roupies qui lui étaient demandées. En 1994, deux prêtres avaient été kidnappés par les rebelles puis relâchés sans qu’une rançon ait été versée. Il y a trois ans, le 22 novembre 1997, le P. Jose Nedumattathil a été tué par balles dans son bureau du Collège Don Bosco de Mara. Une résolution des responsables des églises catholiques en avril 2000 demandant de ne pas céder aux exigences des extrémistes est venue porter la tension à son comble. Le 13 décembre 2000, le P. Jacob Chittinapilly, vicaire de la paroisse de Sugnu, de l’archidiocèse d’Imphal avait été tué à bout portant, apparemment en représailles pour ce refus de l’Eglise de répondre favorablement aux demandes d’argent formulées par la guérilla locale (1). Le 2 février de cette année, le P. Tommy Manjaly, échappait de justesse à la mort, lors d’une expédition punitive des guérilleros (2).

Par ailleurs, les menaces de mort que font peser les guérilleros sur toutes les écoles catholiques ont provoqué un large déplacement des membres du personnel enseignant. Ceux-ci, pour la plupart originaires d’autres Etats, sont partis à la recherche de postes où la sécurité soit plus assurée. Quant aux directeurs des écoles salésiennes, plusieurs d’entre eux ont aujourd’hui quitté leurs institutions et se contentent d’en guider de loin la marche quotidienne (3).

Les chrétiens de l’Etat du Manipur et des Etats voisins ont douloureusement ressenti ce triple assassinat. Le lendemain du drame, à New Delhi, Mgr Vincent Concessao, premier vice-président de la Conférence épiscopale indienne, a déclaré : “Alors que l’on accuse les chrétiens de soutenir la rébellion dans le Nord-Est, Il est tragique de voir que ce sont eux qui tombent sous les coups des rebelles !” Le jour de l’enterrement, le 17 mai, les témoignages de sympathie se sont multipliés en provenance du pays et de l’étranger, chacun d’entre eux insistant sur le sacrifice des trois religieux. Le 18 mai, en guise de protestation, plus de 5 000 écoles chrétiennes de la région du Nord-Est de l’Inde ont fermé leurs portes. Un prêtre salésien a expliqué qu’il s’agissait là d’une marque de respect pour les victimes ayant donné leur vie “pour la cause de l’éducation, de la paix et de la justice sociale 

Une semaine après l’assassinat des trois religieux, la vie continue et les divers responsables chrétiens essaient de surpasser le traumatisme causé par l’événement. Ainsi, on remet en cause l’attitude intransigeante de l’Eglise face aux demandes de rançon. Le P. Jose Pampackal, économe de la province salésienne de Dimapur, affirme qu’elle a conduit à une tension insupportable. D’ores et déjà, des négociations sont engagées avec les mouvements dissidents grâce à des intermédiaires. Selon le religieux, les négociateurs ont déjà réussi à faire baisser les exigences des séparatistes qui ont réduit la taxe de 2,5 millions roupies à 1,5 millions.