REACTIONS DE Mgr MANDAGI, EVEQUE CATHOLIQUE D’AMBOINE,

Monseigneur, quel état d’esprit règne à Amboine et aux Moluques depuis l’arrestation par la police de Ja’far Umar Thalib ?

Les Moluquois – et plus particulièrement les habitants de la ville d’Amboine – ont peur et se sentent menacés. Une fois de plus, les gens sont déçus par les personnes qui ont la charge de faire respecter l’état d’urgence, c’est-à-dire par les autorités locales. Il y a une tension, un sentiment d’insécurité ; des incidents sanglants se sont même produits. Tout ceci a un lien avec la récente arrestation par la police à Surabaya de Ja’far Umar Thalib, alias Ahlus Sunnah wal Jamaah, chef du Laskar Jihad.

Cette tension croissante a-t-elle un quelconque rapport avec les hommes politiques influents qui sont en lien avec Ja’far Umar Thalib ?

La situation aux Moluques et plus spécialement à Amboine ne peut pas être comprise si on ne prend pas en compte les groupes ou les personnes influentes qui partagent les mêmes opinions, sentiments et intentions que Ja’far Umar Thalib et ses acolytes à Djakarta et ailleurs.

Comment réagissez-vous à l’arrestation de Ja’far Umar Thalib ?

En tant qu’être humain, je suis désolé pour Ja’far Umar Thalib et les hommes qui sont avec lui. Eux aussi sont des créatures de Dieu, faites à Son image. Cependant, je ne suis pas d’accord avec leurs prises de position et leurs buts qui détruisent leurs concitoyens indonésiens aux Moluques. Parce, par ce qu’ils disent et par ce qu’ils font, ils sèment la discorde entre les citoyens indonésiens ; parce que les uns deviennent des ennemis pour les autres et vice-versa, entraînant une spirale de ressentiment et de défiance, de haine et même de meurtres comme on peut le voir à Amboine. A cause de tout ce qu’ils ont déclaré, les Indonésiens aux Moluques sont profondément divisés. Cela signifie que Ja’far Umar Thalib et ceux qui sont avec lui sont des séparatistes ; ce sont eux qui ruinent l’unité de la République d’Indonésie. On peut même dire qu’ils trahissent la nation indonésienne. C’est pourquoi je ne peux qu’être d’accord avec le fait que Ja’far Umar Thalib et ses proches aient été arrêtés et soient déférés devant la justice. Ils méritent une lourde peine.

Peut-on dire que les propos et les actes de Ja’far Umar Thalib sont conformes à l’enseignement de l’islam ?

Je suis convaincu que tout ce que Ja’far Umar Thalib et ses pairs ont fait et dit – si contraire à la nature humaine et en violation des droits de l’homme les plus élémentaires – n’est certainement pas conforme à sa religion, l’islam. L’islam est une religion pacifique. La religion musulmane respecte l’homme, créé à l’image de Dieu. L’islam est pour l’amour, la justice et la vérité. Ainsi, pour moi, tout ce qui est dit et fait par Ja’far Umar Thalib et ses pairs est incompatible avec sa religion.

Est-ce que l’arrestation de Ja’far Umar Thalib intervient à un moment opportun ?

Je pense en fait que son arrestation aurait dû intervenir plus tôt, ce qui aurait évité bien des dégâts et de l’animosité entre les citoyens indonésiens aux Moluques. Mais ce que je peux dire est que cette arrestation intervient enfin. J’espère sincèrement que Ja’far Umar Thalib et ses acolytes seront maintenus en détention et jugés.

Bien que Ja’far Umar Thalib ait été arrêté, on constate que ses partisans ne cessent de diffuser des messages de provocation sur Radio Pembela Muslim Maluku. Que pensez-vous de ceci ?

Il est ahurissant que cette radio puisse continuer à émettre. Je me demande qui a pu donner l’autorisation d’émettre à une station radio aussi ouvertement provocante. Pourquoi ceux qui sont responsables de l’application de l’état d’urgence ne font-ils rien pour faire cesser ces émissions ? Sont-ils impuissants ? Ou bien craignent-ils le fait que cette radio reçoit le soutien de personnages influents à Djakarta ou ailleurs, des personnes capables de démettre certaines personnalités en poste aux Moluques ? Pourquoi ces émissions visant à la provocation ne peuvent-elles être interdites ? Les responsables locaux de l’application de l’état d’urgence n’entendent-ils pas ou ne perçoivent-ils pas la souffrance que les Moluquois endurent du fait de ces provocations radiodiffusées ? Ou bien doit-on penser que les responsables de l’application de l’état d’urgence tergiversent car ils doivent tenir compte de certaines forces qui sont derrière cette radio ?

Que pensez-vous des forces de police qui ont mené l’arrestation de Ja’far Umar Thalib ?

J’espère que la police et tous ceux qui sont responsables de l’application de la loi, ayant arrêté Ja’far Umar Thalib, vont se montrer conséquents et œuvrer pour la justice et la vérité. Ce n’est qu’à cette condition qu’ils pourront être considérés comme des agents de paix en Indonésie et être pleinement dignes de confiance, particulièrement de la part des Moluquois qui attendent depuis si longtemps la paix, la justice et la vérité.

Pourquoi la police et tous ceux qui sont responsables de l’application de la loi doivent-ils se montrer fermes ?

Bien sûr, après cette arrestation, les pressions ne manquent pas de la part des personnes qui ne veulent pas de la paix et de la sécurité aux Moluques et dans la ville d’Amboine. Ils cherchent et trouvent un soutien en faisant appel aux motivations religieuses. Mais en fait, ils ne devraient pas rencontrer de succès auprès des musulmans tant il est vrai que l’islam est une religion de la paix, une religion qui s’oppose au recours à la violence, une religion qui insiste sur l’amour, la vérité, la paix et la justice. Ainsi on peut considérer que ceux qui ne sont pas d’accord avec cette arrestation sont des personnes qui recherchent avant tout le pouvoir et l’argent. Pour parvenir à leurs fins, ils utilisent la religion. Par conséquent, la police et ceux qui sont responsables de la loi doivent se montrer fermes dans la recherche de la justice et de la vérité. Evidemment, des pressions sont exercées, que ce soit des Moluques ou de Djakarta. Ceci est particulièrement évident de la part de personnalités qui sont en accord total avec Ja’far Umar Thalib ; je pense par exemple ici à Ustad Atamimi à Amboine.

Si de fait Ustad Atamimi partage la même ligne que Ja’far Umar Thalib, cela signifie-t-il qu’il doive aussi être arrêté ?

A mon sens, Ustad Atamimi doit être arrêté sans délai et traduit immédiatement devant la justice. Comme je disais un jour à Ja’far Umar Thalib : “Votre sort ne sera pas différent de celui d’Eurico Gutteres” (1), je peux dire aujourd’hui à Ustad Atamimi : “Votre sort ne sera pas différent de celui de Ja’far Umar Thalib”. Je dis cela car les intentions d’Ustad Atamimi sont les mêmes que celles de Ja’far Umar Thalib, à savoir la lutte dans la violence et la barbarie.

Pouvez-vous nous préciser votre opinion au sujet d’Ustad Atamimi ?

Mon opinion à son sujet est la même que celle que j’entretiens à l’égard de Ja’far Umar Thalib. J’espère que ce monsieur Ustad Atamimi va mettre un terme à ses activités de provocation car il détruit l’unité de l’Indonésie. Ou tout au moins ses activités sont entreprises dans ce but. Il peut être jugé pour séparatisme et désintégration de la nation. En fait, il trahit son pays. Utilisant la religion, il prêche la désintégration, ignorant le fait que l’islam est une religion de paix, d’unité et de fraternité. A titre d’exemple, il demande aux musulmans de ne pas faire de commerce avec les chrétiens. Il désigne toujours du doigt le Front Kedaulatan Maluku comme étant séparatiste, mais, en fait, lui-même n’est pas moins qu’un séparatiste, traître à la nation.

Pensez-vous que Ja’far Umar Thalib et Ustad Atamimi sont en fait manipulés ?

Selon moi, Ja’far Umar Thalib et ses pairs ainsi qu’Ustad Atamimi sont utilisés par certains groupes ou hommes politiques influents à Djakarta, des groupes ou des hommes qui cherchent certains avantages politiques et pouvoirs. Cependant, il n’est pas certain que Ja’far et Atamimi aient conscience de cela. Et c’est bien triste si c’est le cas. Parce que, une fois que ces groupes ou ces personnes auront atteint leurs buts, Ja’far et Atamimi seront arrêtés, maintenus en détention et jugés. Mais ces hommes politiques s’en laveront les mains et resteront impunis, à l’image de ce qui s’est produit lors de la tragédie de Trisakti où bon nombre de militaires gradés ont échappé aux poursuites. Ja’far et Atamimi sont des instruments utiles du fait de leur zèle religieux, de leur pensée anti-communiste et de leurs sentiments anti-séparatistes. Mais ce sont d’autres qui sont les vrais séparatistes et les vrais communistes. Leurs actes de violence et les violations iniques des droits de l’homme dont ils se rendent coupables en témoignent.

Etes-vous d’accord avec ce changement apparent d’attitude de la part de la police, des personnes responsables du maintien de la loi et de celles qui sont responsables de l’application de l’état d’urgence ?

Je soutiens pleinement l’action de la police aux Moluques et en Indonésie, ainsi que ceux dont la tâche est d’assurer le respect de la loi, particulièrement en ces domaines précis. J’approuve également l’action des responsables de l’application de l’état d’urgence en ce qui concerne la détention de Ja’far Umar Thalib – même si celle-ci advient un petit peu trop tard. Cependant, le gouverneur en tant que personne responsable de la mise en œuvre de l’état d’urgence devrait se montrer plus ferme envers ceux dont le seul but est de détruire notre nation ou de détruire le peuple des Moluques et qui camouflent leur véritable dessein derrière le paravent de la religion et de l’anti-communisme.

Nous avons appris que vous vous êtes récemment rendus en visite dans la province des Moluques septentrionales. Pouvez-vous comparer ce qui se passe là-bas avec ce qui se passe aux Moluques et plus particulièrement à Amboine ?

J’ai constaté qu’aux Moluques septentrionales, le gouverneur et son équipe, civils et militaires confondus, agissent fort bien. Ils ont une ligne claire, ils sont déterminés, unis et disciplinés dans le but de restaurer la sécurité dans leur province. C’est pourquoi le retour à une situation normale est là-bas plus rapide qu’aux Moluques ou à Amboine. Les responsables de la mise en œuvre de l’état d’urgence, et plus spécifiquement le gouverneur, pourraient tirer des enseignements de ce que font leurs collègues aux Moluques septentrionales. Les émeutes aux Moluques et à Amboine ont précédé les émeutes dans les Moluques septentrionales, mais la réconciliation – contrairement à ce qui se passe aux Moluques septentrionales – est très lente ici. Les dirigeants là-bas sont unanimes et ne subissent pas l’ingérence de forces extérieures aux Moluques, en provenance de Djakarta pour être précis ; ils mènent simplement à bien ce qu’il leur a été ordonné de faire. Ils administrent la région dont ils ont la charge et ne s’accrochent pas à leurs postes, ne se souciant pas de savoir s’ils seront maintenus en place ou non. Se pourrait-il que le responsable de l’application de l’état d’urgence soit trop accommodant ? Ou bien que lui et son équipe soient trop soucieux de préserver leur statut, statut qui pourrait être remis en cause par certaines forces à Djakarta ? En ce cas, on peut craindre qu’ils ne craignent ces forces plus qu’ils ne craignent Dieu.

Si le gouverneur décidait de se retirer, approuveriez-vous sa décision ?

Je ne dis pas que le gouverneur doit se retirer. J’espère simplement que ma voix puisse aider le gouverneur à mener un travail d’introspection et de réflexion, voire même à se repentir. Cela ne signifie pas que je sois un opposant au gouverneur. A vous dire la vérité, je me sens plutôt proche de lui étant donné la situation. Mais je me dois de parler car je suis désolé pour lui. Je le respecte et espère qu’il peut devenir un gouverneur capable.

Vous avez mentionné le Front Kedaulatan Maluku comme étant un mouvement séparatiste. Que voulez-vous dire par là ?

Pour ce qui me concerne, je ne partage pas le point de vue de ce FKM (Front pour la souveraineté des Moluques), ni celui de son chef, le docteur Alex Manuputty. Sur ce point, je place M. Manuputty sur le même plan que Ja’far Umar Thalib. Son attitude et ses actes créent de la division. Ainsi, lui aussi doit être qualifié de séparatiste, trahissant la nation, trahissant les Moluquois qui veulent l’unité et la fraternité, qui veulent vivre en paix. Je ne peux qu’approuver l’arrestation et la mise en examen d’Alex Manuputty et de ses pairs. Justice doit être rendue, quelles que soient la religion ou les opinions des personnes jugées.

Quelle conclusion tirez-vous des derniers développements qu’ont connu les Moluques ?

Il faut d’abord noter que tout ce que je viens de dire doit être compris dans le contexte de l’arrestation de Ja’far Umar Thalib. J’essaie de me montrer impartial dans l’analyse de la situation. Je ne soutiens pas plus le docteur Alex Manuputty que je ne m’oppose à Ja’far Umar Thalib. Je suis du côté de l’honnêteté et de la justice. La paix sans que justice soit faite est impossible. La paix sans la vérité est inconcevable. Le présent conflit aux Moluques existe parce que ni la justice ni la vérité ne prévalent. Il y a beaucoup d’injustice ; de nombreux mensonges sont répandus et les faits sont rapportés sens dessus-dessous. C’est particulièrement cette constante distorsion des faits qui fait que ce conflit perdure. Il est triste de voir comment aujourd’hui à Djakarta les faits à propos de Ja’far Umar Thalib sont déformés.

(1)Eurico Gutteres est le chef d’une milice pro-indonésienne qui s’est tristement illustrée lors des événements qui ont suivi le référendum d’août 1999 au Timor-Oriental. Resté longtemps impuni et libre de ses mouvements au Timor occidental, Eurico Gutteres a été finalement arrêté par les autorités indonésiennes et condamné le 30 avril à six mois de prison – une peine dont la légèreté a soulevé la vive réprobation des Nations Unies.