LES RESTES DE L’ANCIENNE ARMEE H’MONG SOUTENUE PAR LA CIA
Un pathétique mouvement messianique dans les jungles isolées du nord du Laos, qui croit que son chef est la réincarnation de Jésus, est tout ce qui reste des combattants, appartenant au même groupe ethnique, qui furent autrefois puissants et qui connurent leur apogée il y a 30 ans avec le soutien secret de la CIA. Ils s’appellent eux-mêmes les Chao Fa, qui signifie Seigneur du Ciel. Ils vivent de pousses de bambou et de pommes de terre sauvages dans quelques-unes des régions les plus inhospitalières de l’Asie du Sud-Est, et ils continuent à se battre contre les communistes qui gouvernent le Laos.
Les hommes du Chao Fa sont des H’mongs, une ethnie qui fut enrôlée par la CIA, l’agence américaine de renseignement, pour combattre les troupes nord-vietnamiennes et le Pathet Lao lors de la guerre du Vietnam. Au plus fort de la guerre, luttant contre les communistes, on a compté jusqu’à plus de 30 000 H’mongs, troupes anonymes combattant en première ligne pour le compte des Etats-Unis. Les combats menés au Laos durèrent de 1961 jusqu’à la victoire communiste en 1975 et devinrent connus sous le nom de “guerre secrète” parce que les Etats-Unis aussi bien que le Nord-Vietnam refusèrent de reconnaître qu’ils se battaient dans le Laos, qui était officiellement neutre.
Quand les communistes prirent le contrôle du pays, les H’mongs furent l’un des rares groupes qui refusèrent d’accepter le nouveau régime. Jusqu’à aujourd’hui, ils ont poursuivi à se battre au sein d’un mouvement de rébellion. Toutefois, le nombre et la force de leurs combattants n’ont cessé de décroître, les H’mongs étant abandonnés par leurs anciens alliés, les Etats-Unis et la Thaïlande.
Un ancien membre du Chao Fa qui est passé illégalement en Thaïlande en mars dernier a déclaré à qu’il ne restait que 4 700 Chao Fa dans les collines du nord-Laos, et que ce nombre diminuait chaque année. “Je pense qu’ils seront complètement anéantis dans les dix ans”, affirme Nhia Koua Lor, qui s’est enfuit avec sa femme et quatre de ses six enfants, et qui, depuis, se cache en Thaïlande. Un autre H’mong, qui combattait dans le mouvement de résistance jusque à il y a cinq ans et qui maintenant vit en Thaïlande, se montre plus pessimiste encore. “Dans les prochaines années, ils auront tous disparu. Ils mourront tous soit au combat, soit de faim, ou par manque de soins médicaux”, dit Nao Chue Vang qui, comme Nor, refuse d’être identifié par son véritable nom. “Beaucoup de H’mongs, poursuit-il, assurent que le Chao Fa sont fous. Ils sont comme des volailles se battant contre un gros éléphant. Quant à moi, je sens violemment dans mon cœur et dans mon esprit qu’ils doivent continuer à combattre l’ennemi.”
Vang et les autres H’mongs qui prennent part à la rébellion disent que si le Chao Fa a continué la rébellion en dépit des difficultés et des nombreux aléas qu’ils ont rencontré, c’est à cause de la persécution dont les H’mongs sont victimes, du fait de la politique menée par le gouvernement laotien. “Je suis très triste et en colère, déclare Vang, parce que j’ai perdu ma sœur, mon cousin, mon frère et mon pays. J’ai tout perdu à cause des communistes. Tous les H’mongs ont des histoires semblables à la mienne.” Pour conclure, il ajoute : “Le gouvernement nous punit à cause de notre association passée avec la CIA américaine.”
Le Comité h’mong international pour la défense des droits de l’homme, basé aux Etats-Unis, qualifie le sort que connaissent les H’mongs au Laos comme un “génocide”. “Depuis 1975, plus de 40 000 H’mongs ont été tués et 60 000 autres ont été déplacés dans les jungles de Phou Bia (une région montagneuse qui est la patrie traditionnelle des H’mongs au Laos) écrivait Chuhu Xiong, le directeur du Comité, dans une lettre à la Commission des Nation Unies pour les droits de l’homme.
Le gouvernement laotien, qui cultive le secret, publie rarement des déclarations au sujet du mouvement insurrectionnel et il nie persécuter les H’mongs, ni même les discriminer. Selon Gary Lee, intellectuel h’mong respecté, qui a été étudié et vit en Australie, le mouvement de résistance au Laos est soutenu par un certain nombre des 300 000 H’mongs qui ont fui vers les Etats-Unis, l’Australie, la France et d’autres pays occidentaux après 1975.
Pendant des années, les H’mongs qui vivent en Occident ont donné de l’argent au mouvement de résistance, qui a été formé de plusieurs factions – dont le Chao Fa -, et est dirigé par le général Vang Pao, un H’mong anciennement chef de l’armée financée de la CIA, qui depuis les Etats-Unis promet qu’il retournera au Laos pour libérer sa patrie. Mais le soutien des H’mongs vivant en Occident a diminué au fil des ans et le mouvement de résistance s’est écroulé petit à petit, au point que seuls restent actifs les rebelles les plus motivés, les Chao Fa.
Le Chao Fa place ses derniers espoirs dans son chef Vak Tsswc Cim, qui vit avec ses disciples guérilleros dans les jungles et les montagnes du nord du Laos. Dans un article récent d’une publication danoise, le Journal des Affaires indigènes, Lee a écrit que le Chao Fa est un mouvement de renouveau qui est né dans les années 1970. “Au milieu des souffrances endurées par les réfugiés h’mongs au cours de la guerre civile laotienne, le Chao Fa prônait une “vraie” société h’mong, en attendant le retour du légendaire roi h’mong qui sauverait les partisans du mouvement de l’oppression des autres groupes”.
Chuhu Xiong estime que de nombreux H’mongs croyaient que Vak Tsswc Cim était la réincarnation de Jésus. “Il affirme qu’il a été réincarné pour sauver la population h’mong, déclare Xiong à lors d’une de ses derniers passages en Thaïlande l’an dernier. Il explique encore que, lors de sa précédente réincarnation, il a été réincarné pour sauver le peuple d’Israël. Maintenant, il est réincarné pour sauver les H’mongs”.
Vang prétend qu’il a connu Vak Tsswc Cim quand ils grandissaient ensemble dans un village du nord-Laos au cours de la guerre secrète et il dit que ce personnage religieux se distinguait des autres à cause de sa peau blanche et de ses cheveux clairs. “Tous ses traits étaient asiatiques mais il avait des cheveux blonds, non des cheveux noirs, comme moi-même. Sa figure, quand il était jeune, était très semblable à celle d’un homme blanc”, dit Vang qui ajoute qu’il croit que Vak Tsswc Dim a des pouvoirs religieux, mais qu’il est plus sceptique quant à ses liens avec Jésus. “C’est juste parce que les gens dans la jungle n’ont aucun pouvoir, dit-il. Ils sont pourchassés et ils n’ont aucun espoir, c’est pourquoi ils se déplacent comme des animaux et ils prient chaque jour. Ayant perdu tout espoir, Vac Tsswc Cim est la seule personne en qui ils peuvent placer leurs espérances. C’est pourquoi il a pris de plus en plus d’importance”.