Eglises d'Asie

LE DÉFI DE L’HINDUTVA

Publié le 18/03/2010




Première partie

Le défi de l’hindutva – une réponse chrétienne indienne (déclaration de l’Association théologique indienne) (EDA, Indian Theological Studies, juin 2001)

Deuxième partie

La marche de l’hindutva – stratégies et stratagèmes (EDA, North-East Thinkers’ Forum, juin 2001)

Première partie

LE DÉFI DE L’HINDUTVA (1)

Une réponse chrétienne indienne

Une déclaration de l’Association théologique indienne

[NDLR – Le texte ci-dessous a été publié dans le numéro 3/4 de septembre/décembre 2000 de Theological Studies. Cette déclaration a été publiée à l’issue de la 23ème rencontre annuelle de l’Association théologique indienne, rencontre qui s’est tenue l’an dernier entre les 26 et 30 avril 2000 au Dharmaram College, à Bangalore. La traduction est de la rédaction d’Asie.]

Introduction

1. Au cours de ces dernières années, les promoteurs de l’hindutva (2) ont intensifié leurs efforts pour faire entrer notre pays dans un moule monolithique hindou. Ces tentatives ont abouti à d’innombrables atrocités infligées aux dalits (3), aux aborigènes, aux musulmans, aux chrétiens et aux autres minorités. De tels actes de violence et l’idéologie qui tente de les légitimer menacent de détruire le tissu même de notre société démocratique, laïque et civilisée, en effaçant le pluralisme sur lequel repose l’unité de notre nation. Il est devenu impératif pour tous ceux qui se sentent concernés par l’avenir laïque de notre nation de s’unir en toute urgence pour relever ce défi. Nous sommes convaincus qu’il s’agit là d’un défi concernant notre pays dans son ensemble, mais c’est aussi question brûlante pour l’Eglise. C’est dans ce contexte que nous, les membres de l’Association théologique indienne (ITA), conscients de notre mission de service qui comporte une interprétation chrétienne des événements, avons concentré notre attention sur le phénomène de l’hindutva lors de notre 23ème rencontre qui s’est tenue au Dharmaram Vidya Kshetran, à Bangalore, du 26 au 30 avril 2000.

2. Nous considérons d’abord l’origine et le développement de l’hindutva afin de comprendre son idéologie et ses stratégies. Ce faisant, nous sommes amenés à faire nous-mêmes une introspection sans complaisance et à chercher le chemin d’une réponse authentiquement chrétienne. C’est seulement en joignant nos forces avec celles de tous les hommes de bonne volonté déterminés à préserver l’unité culturelle plurielle de l’Inde et, en particulier à éliminer les inégalités et les injustices, que nous serons à même d’apporter une contribution significative à ce défi.

Première partie : le défi de l’hindutva

I. Origine et développement de l’hindutva.

3. Divers facteurs ont contribué à l’émergence des forces de l’hindutva dans notre pays. Le plus manifeste de ces facteurs est le sentiment d’insécurité qui fut suscité parmi certains hindous des castes et classes supérieures sous le règne des musulmans et pendant la période de colonisation par les Anglais. Ces hindous se sont sentis menacés non seulement dans le domaine politique et économique, mais aussi dans le domaine culturel et religieux, parce que les Occidentaux discréditaient la religion hindoue en la qualifiant de superstitieuse et tournaient en dérision des pratiques hindoues telles que la caste, l’immolation des veuves sur les bûchers funéraires de leur mari, l’intouchabilité, le mariage des enfants, etc. Le prosélytisme des missionnaires chrétiens et l’admiration aveugle de l’élite pour la culture occidentale ont aussi contribué à troubler leur psychisme. Ceci a amené les hindous, d’une part, à réformer et à redéfinir les doctrines et coutumes hindoues à la lumière de la culture moderne et, d’autre part, à redécouvrir dans les Ecritures hindoues des ripostes pour relever le défi des religions sémitiques. Vinayak Damodar Savarkar (1883-1966), un brahmine du Maharastra, codifia une doctrine sociale et politique sous le nom de “hindutva” et en publia les principes essentiels dans un livre : Hindutva : Qui est un hindou ? (1923). Il affirme que les hindous constituent une seule nation et leur demande de bâtir un Hindu-rashtra (une nation hindoue) afin de soutenir, protéger et promouvoir les intérêts de la race hindoue.

4. Le développement du fondamentalisme musulman depuis les luttes pour l’indépendance nationale a aussi contribué à l’essor de l’idéologie de l’hindutva. Le mouvement de Khilafat (4) fut l’occasion d’une rébellion anti-hindoue et dans plusieurs endroits les hindous furent attaqués. Le fait que le parti du Congrès national accepta volontiers de négocier avec la Ligue musulmane ainsi que la politique de non-violence de Mahatma Gandhi devinrent également un sujet de préoccupation pour les forces de l’hindutva. Ils redoutaient qu’afin d’obtenir l’indépendance, Mahatma Gandhi ne capitule devant les demandes des musulmans et que les hindous n’obtiennent pas la place qui leur revenait dans l’Inde indépendante.

5. Les pionniers de l’hindutva étaient conscients de la triste situation de la société hindoue divisée en diverses castes, couleurs et sectes. Ils comprirent que si l’Inde, qui avait connu à plusieurs époques une spiritualité rayonnante, avait été maintes fois envahie par des étrangers, c’était en raison de l’absence d’une conscience collective parmi les hindous. Keshaw Baliram Hedgewar (1889-1940), qui n’était pas satisfait du fonctionnement d’organisations hindoues telles que Samaj (Société des aryens) (1875) et le Hindu Mahasabha (Grande assemblée hindoue) (1914/15), fonda le Rashtryiya Swayam Mahasabha (RSS Sangh) (Corps national des volontaires) à Nagpur le jour du Vijay Dashami (festival hindou), en septembre 1925, afin de consolider l’unité des hindous face aux religions sémitiques de l’Inde.

6. Cette idéologie hindoue fut renforcée par Mahav Sadashiv Golwalkar, le Sarsanghchalack (leader en chef) du RSS à travers ses deux principaux ouvrages : Nous ou notre nationalité définie (1939) et Un bouquet de pensées (1966). Il ne fait pas de doute que les leaders de l’hindutva, en particulier V.D. Savarkar, K.B. Hedgewar et M.S. Golwalkar, avaient beaucoup d’estime pour les mouvements nationalistes extrémistes d’Europe (le nazisme en Allemagne et le fascisme en Italie) et les ont utilisés comme modèles pour donner forme aux structures, au fonctionnement et aux stratégies du mouvement de l’hindutva.

7. Après l’assassinat de Mahatma Gandhi par Nathuram Ninayak Godse, le RSS fut banni et se retrouva isolé dans le pays. Afin de surmonter de telles périodes de crise et diffuser les principes de l’hindutva dans toutes les sections de la société, le RSS mit sur pied au cours des ans plus de cinquante importantes organisations ayant pignon sur rue et diverses autres semi-associations parmi lesquelles le Akhil Bharatiya Vidyarthi Parishad (Union des étudiants de l’Inde) (1948), le Jan Sangh (1951) qui devint plus tard le Bharatiya Janata Party (BJP) (Parti du peuple indien) (1980), le Vanasi Kalyan Ashram (1952), le Bharatiya Mazdoor Sangh (Union des fonctionnaires de l’Inde) (1955), le Vishva Hindu Parishad (VHP) (Conseil hindou mondial) (1964) et le Bajrang Dal (Parti local soutenant l’hindutva) (1984).

8. Les mouvements du Sangh Parivar (terme qui désigne le regroupement de l’ensemble de tous ces mouvements) diffusent ouvertement les aspects culturels, politiques, sociaux et religieux de l’idéologie de l’hindutva, mais ils camouflent avec subtilité les avantages économiques que cela représente pour les hindous de haute caste et des classes moyennes. Les développements économiques et politiques qui ont vu le jour, depuis l’indépendance de l’Inde, parmi les castes et classes reconnues comme arriérées grâce au système de discrimination positive, et parmi les musulmans et les chrétiens grâce à l’éducation et à diverses influences qui traversaient le pays, ont suscité chez les hindous des classes élevées une grande crainte de perdre leur domination économique et leurs privilèges dans le pays. Par suite, ils ont éprouvé le besoin de protéger, développer et consolider leurs propres intérêts économiques. Afin d’obtenir pour cela le soutien de l’ensemble de la population hindoue, ils utilisent la religion comme moyen de manipulation et d’exploitation. Les efforts combinés du BJP, RSS et VHP pour la construction d’un temple en l’honneur de Ram ainsi que diverses émeutes entre communautés organisées par les forces en faveur de l’hindutva dissimulent la stratégie qui consiste à obtenir les votes des hindous afin de prendre le pouvoir au Centre, ce qui les aidera à contrôler l’économie du pays.

9. L’existence de telles préoccupations économiques secrètes ressort clairement de la résistance du BJP à la mise en ouvre des recommandations de la Commission Mandal (5), de la demande du Sangh Parivar pour que soit supprimé le système de discrimination positive et les droits des minorités, ainsi que de l’oppression que subissent les castes arriérées et les aborigènes dans les Etats où le BJP est au pouvoir. Aujourd’hui, de plus en plus d’industriels hindous financent les campagnes électorales du BJP, lequel à son tour leur assure des avantages économiques. L’hindutva est donc un mouvement d’une section de la communauté pour défendre les intérêts économiques et politiques des hindous des classes supérieures au détriment des autres communautés.

10. D’après les statistiques officielles disponibles actuellement, le RSS dirige 30 333 shakkahs (branche) et 42 622 sous-branches. Il s’étend sur 18 880 cités ou villes de l’Inde et dispose de la force d’environ 2 millions de volontaires et de 2 000 Pracharakas (messagers). Dans le Sangh Parivar, le RSS joue le rôle de père et veille à ce que ses mouvements affiliés travaillent ensemble pour bâtir une identité collective hindoue basée sur l’hindutva.

II. L’idéologie de l’hindutva.

11. C’est V.D. Savarkar qui a inventé le mot “hindutva », laquelle représente à la fois un concept complexe et une philosophie. Il désigne un “nationalisme hindou” qui comporte plusieurs composantes : race, croyances hindoues, ainsi que des éléments géographiques et culturels. L’adhésion à cette idéologie demande quatre choses : (a) être né et avoir grandi sur le territoire indien ; (b) appartenir à la race indienne, c’est-à-dire avoir du sang hindou ; (c) apprécier la pratique des coutumes et des traditions de l’hindouisme sanskrit (6) et accepter seulement l’Inde comme terre ancestrale (pitrubhu), comme terre sainte (punyabhu), ses héros comme personnes dignes de vénération (virpurush) et aussi le sanskrit comme langue commune ; (d) adhérer à l’une des traditions religieuses qui ont vu le jour en Inde, telles que l’hindouisme ou le bouddhisme, le jinisme et le sikhisme étant considérés comme des ramifications de l’hindouisme. (V.D.Savarkar, Hindutva: Who is a Hindu ?, S.P. Gokhale, Pune, 1947, pp.73,92, 81-82).

12. Par la suite, les musulmans, les chrétiens et quelques autres sont exclus du bercail hindou parce que (a) du sang hindou ne coule pas dans leurs veines, (b) ils ont une foi et un culte différents, (c) ils considèrent comme villes saintes des endroits tels que La Mecque et Jérusalem et (d) leurs pratiques culturelles ainsi que les langues qu’ils utilisent (tels que l’ourdou et l’anglais) n’appartiennent pas au sanskrit des hindous.

13. Cette idéologie aura plusieurs conséquences politiques : les hindous qui se trouvent à l’intérieur du bercail hindou doivent s’unir et lutter contre leurs ennemis, les non-hindous. Ces derniers devront se convertir à l’hindouisme en abandonnant leurs croyances et pratiques culturelles. Ils doivent aussi exalter la race et la culture hindoues. S’ils ne le font pas, “ils pourront rester dans le pays totalement subordonné à la nation hindoue, mais sans rien revendiquer, sans mériter aucun privilège, encore moins un traitement préférentiel, pas même les droits d’un citoyen”, comme l’a écrit Golwalkar (M.S.Golwalkar, We, or Our Nationhood Defined, Bharat Prakashan, Nagpur, 1939, p.32).

III. Les stratégies de l’hindutva

14. Plusieurs hindous fondamentalistes et organisations sectorielles s’emploient à mettre en pratique cette idéologie jour après jour au moyen de diverses stratégies. Pour réaliser leurs objectifs, les promoteurs de l’hindutva stigmatisent les groupes religieux vis-à-vis desquels ils se sentent vulnérables. Ils estiment pouvoir surmonter cette vulnérabilité en se faisant les émules de ces groupes dans tous les domaines qu’ils considèrent comme leurs points forts et en adoptant leurs façons de faire. En même temps ils ne veulent pas montrer qu’ils empruntent cela à d’autres. Ils regardent donc dans leurs anciennes traditions pour voir s’ils ne peuvent pas y trouver quelque chose de semblable. Si certains éléments ne s’y trouvent pas, ils revendiquent néanmoins qu’ils ont existé dans leur histoire ancienne. C’est ainsi qu’ils inventent le mythe d’un âge d’or védique dans lequel ils plantent tous ces idéaux et vertus comme s’ils avaient alors glorieusement existé. Mais il ne suffit pas d’inventer un âge d’or védique, il faut aussi que tout cela soit inculqué, comme étant vrai et obligatoire, dans la conscience que les gens ordinaires peuvent avoir de leur passé. Dans ce but, ils utilisent divers mécanismes pour former cette conscience collective en manipulant les symboles culturels de l’identité du groupe. Un autre élément important de leur stratégie consiste à réécrire l’histoire et les manuels utilisés dans les écoles du point de vue de leur idéologie. De plus, ils falsifient artificiellement les données des recensements, diffusent des idées fausses à l’encontre des musulmans et des chrétiens et adoptent une attitude agressive à l’égard de ces communautés. Tout cela fait partie de leur programme. Sachant que les médias constituent le plus puissant moyen pour atteindre leurs objectifs, ils s’en sont emparés.

15. Surtout, ils sont bien conscients qu’ils ne peuvent atteindre leurs objectifs sans le soutien du pouvoir politique. Ils ont donc essayé de s’en emparer. Le RSS, prétendant être lui-même un simple mouvement culturel, a donné naissance au Jang Sangh en 1951, lequel devint en 1980 le Bharatiya Janata Party. Cette base politique leur a permis d’assumer aujourd’hui un pouvoir, encore limité mais suffisant pour leur fournir les moyens de mettre en place leurs stratégies et leur programme. Ils savent que le meilleur moyen d’obtenir la légitimité et de s’installer au pouvoir passe actuellement par une politique de coalition. C’est ce qu’ils pratiquent aujourd’hui avec beaucoup de succès.

16. L’une des stratégies des promoteurs de l’hindutva a consisté à choisir et à s’approprier quelques éléments du christianisme et de l’islam. C’est ainsi qu’ils ont incorporé dans leurs pratiques orthodoxes des formes de prosélytisme pratiquées dans les siècles précédents par les religions sémitiques. Ils ont réinventé le rituel shuddi (purification) qu’ils utilisent pour marquer la reconversion à l’hindouisme de chrétiens ou de musulmans. Ils ont adopté la façon dont les chrétiens s’adonnent aux activités de service et de travail social. Les nationalistes hindous ont aussi essayé de mettre sur pied des structures centralisées semblables à celles de l’Eglise pour guider et diriger les cérémonies religieuses, la morale et l’éthique de la société hindoue. Même dans leurs temples, il y a un changement : ils font de ce qui était des places réservées au culte individuel des centres communautaires où ont lieu toutes les fonctions religieuses, sociales et culturelles, comme cela se fait dans les paroisses chrétiennes.

17. Les événements principaux utilisés pour mobiliser les hindous afin de susciter une identité collective dans un Hindu-rashtra (nation hindoue) sont les suivants : le problème de Ayodhya (7) et la construction dans ce lieu d’un temple en l’honneur de Rama à travers le mouvement de Ramjanmaboomi, le mouvement pour la protection de la vache, la marche d’Ekamata en 1983, la représentation de Ram comme héros national pour le militant hindou, le Shilanyas (pose de la première pierre) de novembre 1989 et le Ram Shila Puja (sacrifice offert à l’occasion de la pose de la première pierre d’un temple en l’honneur de Ram), le Rath Yatra (marche avec chars) de 1990, le Ekata Yatra de 1991, l’organisation du Kar Seva et la création du culte des martyrs.

IV. Pour comprendre l’hindutva

18. Le comportement humain d’une personne est façonné par des peurs, des besoins et des préjugés subconscients, lesquels sont eux-mêmes des restes d’expériences passées. Ceci est également vrai des communautés et peut nous aider à comprendre, au moins en partie, l’hindutva.

19. De nombreux envahisseurs et souverains se sont comportés en vandales dans des lieux de culte hindous les détruisant complètement ou y volant l’or et autres biens précieux. D’autres ont eu recours à la violence physique ou à diverses formes de moyens de pression pour convertir les hindous à leur religion. Les croyances religieuses et les pratiques des hindous ou bien des personnes qu’ils vénéraient ont été ridiculisées en public. Deux événements du XXe siècle ont laissé des cicatrices profondes chez nos amis hindous et dans notre nation : le Jallianwala Bagh (8), épisode de 1919, et la rébellion de Mappilla (9), en 1921. Les dirigeants britanniques et leurs alliés ont fait preuve d’une épouvantable absence de sensibilité à l’égard de la population locale.

20. La politique des Anglais consistant à “diviser pour régner” a été perçue comme favorisant les musulmans. De même déjà au XIXe siècle, au Pendjab, le gouvernement anglais avait choisi ou bien des Brahmos (considérés comme non-hindous par beaucoup d’habitants de cet Etat) ou bien des chrétiens pour des emplois dans l’administration. Gandhi aussi avait tendance à choyer les musulmans. Son rôle dans le mouvement de Khilifat et ses réactions au moment de la rébellion de Mappilla suscitèrent des questions dans l’esprit de certains hindous. Il semble que le Congrès national était trop sensible aux pressions de Ligue indienne musulmane et cédait assez facilement à certaines de leurs demandes, injustifiées.

21. Pendant plus de mille ans, les non-hindous ont essayé d’attirer les hindous dans leur bercail. A présent, au niveau international, les hindous sont une minorité. Ils sont conscients de l’augmentation du fondamentalisme musulman militant dans le monde. La population musulmane semble augmenter beaucoup plus rapidement que celle des hindous. Les hindous ont donc peur de devenir une minorité même dans leur pays.

22. Dans notre pays, les Brahmines contrôlaient le domaine religieux. Les propriétaires terriens et les prêteurs d’argent dominaient l’économie. La direction de la société était entre les mains des hommes. Tous ces élites faisaient travailler pour eux à très bas prix les sections les plus faibles de la société : les dalits, les aborigènes et les femmes. Le travail des missionnaires et autres organisations sociales, combiné avec l’éducation et la modernisation, constitue une sérieuse menace pour ces élites.

23. Les promoteurs de l’hindutva perçoivent une certaine menace à l’unité et à l’intégrité de notre nation et y répondent avec leur idéologie. Bien que cinquante années se soient écoulées depuis notre indépendance, nous ne sommes pas encore suffisamment unis. Avant l’indépendance beaucoup de musulmans voulaient le Pakistan, et le Draviland Munnetra Kazhagam (parti local dans l’Etat du Tamil Nadu) revendiquait une terre pour les Dravidiens. Récemment des sikhs vociféraient pour obtenir un Khalistan séparé. De nombreuses ethnies minoritaires demandent également des Etats séparés dans le Nord-Est du pays, où les chrétiens dominent. Tous ces événements, perceptions et interprétations expliquent, au moins en partie, l’origine et le développement de l’hindutva ainsi que sa résonance dans une partie des masses hindoues.

V. Une évaluation critique

24. Le mouvement pour l’hindutva a publié des volumes sur son idéologie. Après les avoir étudiés d’un point de vue analytique, nous soulevons les questions et faisons les critiques ci après : les explications de ce mouvement au sujet de la culture indienne peuvent être appelées du réductionnisme. Savarkar utilise des mots tels que hindou, Etat, nation et culture de façon très personnelle, en ignorant le contexte multiculturel, pluri-linguistique et plurireligieux de l’Inde. Alors que cette diversité est un élément positif et manifeste la richesse de l’Inde, elle est réduite à une monoculture par l’idéologie de l’hindutva. Peut-on appeler cela une approche scientifique et légitime ?

25. Il n’est pas honnête de faire des choix dans le rappel du passé. Le déformer est encore pire. Dire que les Aryens ont été les habitants de cette terre depuis des temps immémoriaux et qu’ils ne sont pas venus d’ailleurs est un point d’histoire très contesté. Bien que d’une façon générale l’hindouisme ait été tolérant, on ne peut pas dire qu’il n’y ait jamais eu, dans son histoire, persécution des autres. Le nier revient à ignorer l’histoire ou à déformer la vérité. Tous les étudiants d’histoire savent que le bouddhisme, bien que né dans notre pays, ne fut jamais autorisé à s’y épanouir et en fut chassé par la violence.

26. Il est malhonnête de stigmatiser les autres et de les présenter comme mauvais sans s’appuyer sur une base objective, ou de falsifier les faits et les données concernant les chrétiens et les musulmans et de présenter tout cela comme la vérité. Les avocats de l’hindutva vont-ils réussir longtemps avec leur stratégie de la haine d’autrui et avec cette technique de falsification des faits ? L’histoire montre que le fascisme italien et le nazisme allemand ont eu une histoire très courte. Ceux qui n’apprennent rien de l’histoire ne peuvent que répéter les mêmes erreurs.

27. Le mouvement de l’hindutva n’a pas proposé une théorie viable de la nationalité sur laquelle nous puissions ensemble bâtir une nation. Au contraire, il met en avant une notion étroite, raciale et exclusive qui ne peut que diviser le peuple (Cf. à ce sujet la seconde partie). Comment l’Inde pourrait-elle être unie par l’hindutva ?

28. De nos jours des milliers d’hindous s’installent à l’étranger avec leurs familles. Ils ont dans ces pays là un travail permanent ou y font des affaires. Ils adoptent une nationalité étrangère en abandonnant la nationalité indienne et parlent une langue qui n’est pas indienne. Ils ne participent que rarement à un culte hindou ou à des festivals comme le font les hindous en Inde. Actuellement bien des membres des familles des dirigeants du VHP, du Shiva Sena (parti local de Bombay soutenant l’hindutva) et du RSS appartiennent à cette catégorie. D’après les critères énoncés par les avocats de l’hindutva, ils n’appartiennent plus au bercail hindou. Néanmoins, le VHP revendique être une organisation internationale s’efforçant d’unir tous les hindous de la diaspora. C’est une contradiction flagrante.

29. Normalement l’authenticité d’une religion peut se mesurer à la façon dont elle fournit des valeurs libératrices et aide à remettre en question la réalité sociale lorsqu’elle perçoit une déviation par rapport à ces valeurs. Une religion authentique devient la conscience et la voix des opprimés. D’après la conception même de l’hindutva, il est clair que ce mouvement sert à opprimer plusieurs parties de la population indienne, en particulier les groupes subalternes. De plus, les promoteurs de l’hindutva, tels que le VHP et le BJP, n’ont pas de scrupule à défendre leurs propres intérêts et ambitions politiques et même à susciter des conflits entre les communautés pour arriver à leurs fins. On peut rappeler les suites de la démolition de Babri Masjid et la performance du Ramshila Puja. Où est l’aspect spirituel et libérateur dans la religion que les avocats de l’hindutva proposent ?

Deuxième partie : une réponse indienne chrétienne

30. Avant de formuler notre réponse à l’idéologie de l’hindutva, nous aimerions préciser très clairement que nous faisons la distinction entre l’hindouisme et l’hindutva. Tandis que l’hindouisme est l’une des religions du monde bien connue pour la profondeur de ses Ecrits, ses traditions de contemplation et de haute spiritualité, son esprit de tolérance, la pérennité de ses valeurs et ses intuitions philosophiques, l’hindutva est une idéologie fermée et excessive. En tant que chrétiens indiens, nous sommes fiers du patrimoine de l’Inde, de ses religions, de ses traditions morales et philosophiques dans lesquelles nous puisons nourriture et énergie vitale pour notre vie quotidienne, notre expérience spirituelle et nos réflexions théologiques. Nous invitions tous les chrétiens à construire des relations positives avec nos frères et sours hindous et ceux de toutes les autres religions, en s’engageant dans un sain dialogue et une saine collaboration. De plus, nous voudrions nous dissocier très fermement de ces groupes de chrétiens fondamentalistes qui ne manifestent aucune appréciation pour les valeurs positives de l’hindouisme et des autres religions, ni pour la culture de notre pays, et s’adonnent à des pratiques missionnaires agressives qui rappellent les méthodes coloniales.

31. On peut répondre à l’hindutva de plusieurs points de vue. On peut répondre en tant que sociologue ou en tant qu’historien ou en tant qu’économiste ou en tant que politicien. Nous voudrions préciser ce que nous entendons par une réponse chrétienne indienne – une réponse à la lumière de notre tradition chrétienne et de notre patrimoine indien. En d’autres termes, en tant que croyants chrétiens, nous voulons répondre à l’hindutva d’une façon à la fois authentiquement indienne et authentiquement chrétienne.

I. Promouvoir une culture de l’harmonie

32. L’unité dans la diversité constitue la caractéristique du tissu culturel indien. Ekam sat bahudha vadanti (‘La vérité est une, mais il y a plusieurs façons de la percevoir’). Cet axiome védique est au cour de la culture indienne. Un recherche inlassable (sadhana dharma) de la Vérité, de l’Ultime, du Divin pénètre tous les aspects de notre vie et de notre pensée. En même temps, nous respectons les diverses voies de cette recherche (samaj dharma). Par suite, au cours des siècles, l’Inde a développé une culture de l’harmonie qui reconnaît l’unité et promeut la diversité dans les recherches religieuses et les expressions culturelles. Ce noble patrimoine fait de notre terre une terre sacrée (punyabhumi) pour les croyants de toutes les religions. Ce patrimoine garantit notre avenir et assure la coexistence pacifique de diverses religions.

33. L’hindutva préconise, explicitement ou implicitement, l’idéologie d’une culture monolithique fondée sur une seule tradition religieuse. Ceci est un désastre pour l’avenir de notre nation. Il ne faut épargner aucun effort pour faire échec à cette tentative en défendant les valeurs universelles de la sincérité (satyam), de la justice (dharma), de la sérénité (samabhavana), de la non-violence (ahimsa), de l’amour (maitri) et de la compassion (karuna). Dans les écoles, les universités et autres centres de formation, ces principes fondamentaux et les valeurs nobles de toutes les religions doivent être enseignés à tous les étudiants afin que la prochaine génération puisse se développer dans une culture vraie de l’harmonie. Les principales fêtes religieuses et les festivals locaux pourraient être célébrés de façon à promouvoir l’harmonie de toutes les communautés. Toutes les religions doivent travailler ensemble en vue du respect des rythmes de la nature et de la protection de notre environnement pour l’amélioration continue des conditions de vie de chacun. La théologie chrétienne doit développer des perspectives qui puissent aider les gens à réaliser que les croyants de toutes les religions sont “ensemble des pèlerins qui se guident l’un l’autre vers le même but transcendantal” (Jean-Paul II à Assise, en 1986)

34. C’est au cours de ce pèlerinage en commun que nous devons partager entre nous nos expériences spirituelles, collaborer à la construction de notre nation et à la promotion de la paix, de la justice et des droits de l’homme, montrant ainsi notre détermination à ouvrer pour l’intégration nationale. C’est ainsi que les croyants de différentes religions entreront dans un processus continu de dialogue, grâce auquel chaque religion sera aidée en permanence à découvrir son potentiel de libération pour le bien-être intégral de l’ensemble de l’humanité (Le royaume de Dieu / Yogakssheman / Lokasamgraha / Vasudhaisva Kutumbakam).

35. Nous constatons que les critiques que fait le mouvement de l’hindutva au sujet de la chrétienté sont dans une large mesure une critique de l’élément colonial des communautés chrétiennes. Nous sommes fiers d’être des chrétiens indiens et nous sommes conscients de la nécessité pour nous de nous insérer plus profondément et de façon plus authentique dans la culture indienne. Notre foi dans le Dieu qui s’est révélé en Jésus-Christ nous invite à voir dans les réalités religio-culturelles de l’Inde la révélation de la Parole de Dieu et la présence transformante du Saint Esprit. Il s’ensuit qu’en tant que chrétiens nous devons récupérer l’élément indien de l’expérience et de l’expression dans notre recherche religieuse. Nous nous inspirons des Ecritures et symboles de l’Inde ainsi que de ses sages et de ses traditions. Nous comprenons et exprimons notre foi chrétienne à l’aide des nombreuses formules que nous trouvons dans les cultures locales. Les institutions chrétiennes et les structures administratives de l’Eglise devraient être rendues plus conformes à la sagesse et aux valeurs de l’Inde. Ce processus d’inculturation impliquerait que l’Evangile éclaire les cultures et que les cultures interprètent l’Evangile dans le contexte indien en question. Nous devons réinterpréter le message de Jésus dans le dialogue avec les religions de l’Inde, ce qui demande une immersion plus profonde dans la vie et les luttes de notre peuple.

II. Nos engagements vis-à-vis de la nation

36. Le nationalisme que le mouvement de l’hindutva met en avant est déformé, non démocratique et simulé. C’est un nationalisme fondé sur une culture et une religion centrées sur le brahmanisme. Il rejette l’identité des populations autres que hindoue. D’après ce mouvement, les autres n’ont pas de place dans notre pays et sont même qualifiés d’anti-nationaux. L’ancienne civilisation de l’Inde est plurielle et l’Inde a toujours été formée et s’est toujours développée grâce à une diversité de peuples, de races, de cultures religieuses, de traditions et de langues. Tout cela fait partie intégrante de notre nation. L’esprit si diversifié de la civilisation indienne ne peut être sacrifié sur l’autel d’un nationalisme religieux monolithique. Un nationalisme mono culturel et mono religieux peut devenir fasciste et s’avérer extrêmement dangereux au point d’exterminer des peuples et des diversités culturelles et raciales, comme on a pu le constater pendant les deux dernières guerres mondiales. Tagore avait prévu où pouvait nous mener un nationalisme non contrôlé et a exprimé sa vision de l’Inde ainsi : “Bien que depuis mon enfance on m’ait enseigné que la vénération de la nation était presque mieux que la vénération de Dieu et de l’humanité, je crois que j’ai dépassé cet enseignement. Je suis à présent convaincu que mes concitoyens réussiront à faire l’Inde en combattant l’enseignement qui consiste à dire qu’un pays est plus grand que les idéaux de l’humanité. [.] En Inde, nous devons comprendre que nous ne pouvons pas emprunter l’histoire des autres peuples et que si nous étouffons la nôtre, nous nous suicidons” (Nationalisme 1917, 1992, pp. 82-83). Un nationalisme sans l’esprit d’universalité et sans un humanisme intégral doit être rejeté. Un nationalisme qui ne respecte pas, ne reconnaît pas et n’entretient pas les identités des divers peuples, cultures et religions de l’Inde, en particulier des groupes et minorités subalternes, doit être exposé, dénoncé et rejeté.

37. On ne doit pas oublier que la réalisation de l’indépendance de l’Inde fut le résultat d’innombrables efforts et luttes menés par divers groupes en Inde, paysans, aborigènes, ouvriers et divers autres groupes subalternes, qui atteignirent leur apogée dans les mouvements pour la libération nationale. Un nationalisme qui ignore l’identité de ces groupes et leurs luttes ne peut être accepté comme un nationalisme authentique.

38. Notre lutte pour la liberté ne s’est pas terminée avec l’indépendance politique. Même si le rôle des communautés chrétiennes dans la lutte pour l’indépendance fut fonction de divers facteurs historiques, on ne peut ignorer leur remarquable contribution à la construction de la nation grâce à leurs institutions dans le domaine de l’éducation et de la santé, à leur contribution au développement et à leurs engagements au service des pauvres et des exclus. En dépit de leurs engagements au service de la nation, les chrétiens ne peuvent cautionner un type de nationalisme qui est diamétralement opposé à la cause des pauvres et des exclus. Les intérêts de ces groupes doivent être défendus. Le fait de s’engager au service de telles causes ne peut être considéré comme anti-national ; c’est au contraire promouvoir un nationalisme authentique.

39. Le Dieu de la Bible et le cour de son message invitent les chrétiens à défendre l’identité de ceux qui sont opprimés et exclus. La vision et le message de Jésus ainsi que son action convergent dans la défense des sans voix, des opprimés et des exclus. Les chrétiens ne peuvent que continuer cette mission de Jésus. C’est au milieu des opprimés et des exclus qu’ils découvriront la présence et la puissance de Dieu. La vocation des chrétiens les appelle à se situer en permanence du côté de Dieu et des exclus. Par suite, les chrétiens ne peuvent s’effaroucher à l’idée d’affronter la question épineuse des identités diverses et du nationalisme. Ils doivent clairement soutenir toute mesure politique, légale ou sociale en faveur des opprimés, des exclus et autres groupes subalternes, y compris les minorités religieuses dont ils doivent défendre la liberté.

III. Engagement dans la lutte pour les droits de l’homme

40. Les avocats de l’hindutva estiment que l’Inde est la terre des hindous. Par suite, ils considèrent les non-hindous (en particulier les musulmans et les chrétiens) comme des non-personnes qui devraient être privées de leurs droits de citoyens. Elles ne peuvent être considérées comme faisant partie de la nation puisqu’elles sont supposées refuser d’accepter l’Inde comme leur pitrubhumi (terre ancestrale) et leur punyabhumi (terre sacrée). Ceci est manifestement un rejet des droits de l’homme en violation de la déclaration universelle de ces mêmes droits.

41. Selon notre foi chrétienne, chaque personne humaine, créée à l’image de Dieu, est dotée d’une dignité et de droits inviolables. Défendre la dignité de chaque homme, chaque femme et chaque enfant et défendre leurs droits est une obligation sacrée pour les chrétiens indiens. Ils sont tenus de le faire non seulement en tant que croyants chrétiens, mais aussi en tant que citoyens de ce pays. La Constitution de l’Inde a affirmé solennellement les droits fondamentaux de tous les citoyens, y compris ceux des citoyens appartenant à des minorités.

42. Pour les chrétiens de l’Inde, un moyen pratique de promouvoir efficacement les droits de l’homme consiste à joindre leurs forces avec celles de tous les peuples, mouvements et associations qui luttent pour la défense des droits de l’homme et des libertés civiles. Sans cette collaboration, nous ne pouvons guère réussir puisque nous ne sommes qu’une petite minorité. Il est bon de se souvenir que tout engagement sérieux dans la promotion des droits de l’homme comporte des risques. Les riches et les puissants qui violent les droits des autres et les exploitent pour leurs avantages personnels ne vont pas apprécier ceux qui se tiennent du côté des opprimés et des exploités. Ils s’opposeront à ces tentatives, même par la violence. Les chrétiens indiens sont-ils prêts à payer le prix de leur engagement pour la défense des droits de chacun ?

IV. Solidarité avec les groupes subalternes

43. L’hindouisme que défendent les promoteurs de l’hindutva est en fait un brahmanisme qui protège le système des castes et justifie ainsi l’oppression des dalits et des aborigènes. Les avocats de l’hindutva s’en prennent aussi aux pauvres même s’ils arrivent à les manipuler. En fait, ils représentent les intérêts d’une petite minorité : une petite classe supérieure et la caste supérieure. C’est pour cela qu’ils préconisent avec enthousiasme la politique de la libéralisation économique et de la mondialisation – une politique qui avantage un petit groupe et aggrave les conditions de vie de la majorité. Des études récentes semblent montrer que la pauvreté a augmenté dans notre pays au cours de la dernière décennie.

44. De par ailleurs, nous avons constaté l’éveil et la montée de groupes subalternes au cours des dernières années. C’est ce que montrent les mouvement des dalits, des aborigènes et des castes arriérées. Ils essaient d’utiliser la politique comme moyen de libération.

45. Dans un tel contexte, le choix des chrétiens est clair. Ils doivent se tenir du côté des groupes subalternes. Leur foi chrétienne demande qu’ils collaborent avec les pauvres et les exclus dans leur lutte pour leur libération et leur participation au pouvoir. Marchant sur les traces de Jésus, ils doivent vivre et travailler dans la solidarité avec les groupes subalternes. C’est ainsi que l’Eglise sera effectivement l’Eglise des pauvres et des exclus.

V. Rejoindre les mouvements des femmes

46. Dans le nationalisme religieux de l’hindutva qui repose sur la hiérarchie brahmanique, il n’y a pas de place pour l’égalité et la justice à l’égard des exclus. De plus, ce mouvement divise les femmes en développant une forte aile de droite. En réutilisant les tactiques de l’élite patriarcale, au temps de la colonisation, pour promouvoir l’unité nationale contre les dirigeants étrangers, l’hindutva cherche à créer une identité nationale “hindoue” en ranimant l’ancien rôle des femmes en tant que femmes chastes et bonnes mères, et rien de plus. Dans ce procédé qui consiste à faire des femmes des objets appartenant aux hommes, celles-ci seront privées non seulement de leur autonomie mais aussi de leur dignité humaine et des droits qui vont de pair avec la dignité humaine.

47. En tant que chrétiens indiens, nous sommes appelés à promouvoir la solidarité avec toutes les femmes. Un élément essentiel de nos programmes sociaux consiste à entrer dans le réseau des mouvements laïques des femmes et des organisations non gouvernementales qui travaillent avec les femmes pour obtenir les droits qui leurs sont dus. Ce soutien ne consiste pas seulement à sympathiser, mais aussi à prendre conscience des liens humains qui transcendent la différence des sexes. Même la subordination de la dignité d’un seul groupe humain obstrue la vision évangélique de la vie dans toute sa plénitude, car nous sommes tous unis par le péché social et la grâce sociale.

48. Afin que soit crédible notre réponse au défi que l’hindutva pose aux femmes, il est essentiel que soit sérieusement prise en compte et éliminée l’oppression des femmes dans les structures patriarcales et andro-centriques de l’Eglise. Compte tenu de son rôle prophétique qui lui fait une obligation de transformer les structures injustes, il est du devoir de l’Eglise de s’employer activement à éliminer tout qui ce qui est discriminatoire à l’égard des femmes, qu’il s’agisse des lois indiennes personnelles qui régissent le droit des chrétiens (10) ou du droit canon. Puisque les droits des femmes sont au centre de la plupart des controverses qui ont lieu autour du problème des lois personnelles, toute tentative visant à les changer ou à les abolir en faveur d’un code de loi civile uniforme doit prendre en compte les vues des groupes représentant les femmes. Il faut aussi veiller à empêcher l’hindouisation de la loi comme extension de la “culture nationale” qui aurait pour objectif de maintenir la femme chez elle et la tiendrait à l’écart de l’éducation et autres avantages qu’elle peut tirer de sa participation à la vie publique.

49. Afin de contrecarrer les objectifs d’une aristocratie patriarcale telle qu’envisagée par l’hindutva, l’Eglise doit promouvoir le sens de la dignité de la femme dans l’enseignement qu’elle donne dans les écoles et les universités. Ceci doit inclure une critique de toutes les formulations religieuses qui brimeraient les femmes.

50. Et finalement, tandis que nous cherchons à fortifier nos racines indiennes et à identifier notre culture nationale, il est nécessaire que nous soyons conscients de tout ce qui est déshumanisant dans la religion, en particulier en ce qui concerne les exclus. Les coutumes traditionnelles rétrogrades doivent être identifiées et éliminées du psychisme indien. En tant que disciples du Christ, sous aucun prétexte, nous ne pouvons transiger avec l’égalité que le Christ nous a léguée.

VI. La mission de l’Eglise en Inde aujourd’hui

52. L’Eglise est la communauté des disciples de Jésus qui sont appelés par sa Parole et animés par son Esprit afin de continuer sa mission dans tous les pays et auprès de tous les peuples du monde. La mission de l’Eglise n’est autre que celle de Jésus lui-même. Il se déplaçait faisant le bien et proclamant la Bonne Nouvelle selon laquelle Dieu est présent avec sa puissance et transforme le monde, en proposant son règne à tous et en particulier aux pauvres, aux faibles, aux exclus et aux exilés. Son règne signifie la plénitude de l’humanité et de la grâce pour tous. C’est la nouvelle communauté humaine qui a ses racines en Dieu, est caractérisée par l’amour, la liberté, l’égalité, la justice et la paix et vit dans une harmonie cruciale et créative de toutes les religions et cultures, en communion avec la nature.

53. Ce n’est pas seulement en prêchant la Bonne Nouvelle du royaume, mais aussi, et même plus efficacement, en étant signe authentique et témoin vivant de ce règne que l’Eglise réussira à accomplir sa mission. Toute préoccupation de sa part concernant l’expansion numérique va à l’encontre de sa mission de témoin du règne de Dieu, lequel transcende les frontières de toutes les religions. Pour être authentique, une conversion doit comporter un changement de cour, ayant comme résultat l’oubli de soi-même pour se tourner vers Dieu et vers le prochain, en particulier vers ceux qui sont dans le besoin. Prêcher et témoigner de l’Evangile est le travail de l’Eglise, mais les conversions sont le travail de Dieu. Dans toutes ses activités, l’Eglise doit faire sienne l’attitude de St Paul qui dit : “J’ai planté, Apollon a arrosé ; mais c’est Dieu qui a donné la croissance” (1 Co 3,6). Nous devons aussi accepter la possibilité que l’Eglise soit providentiellement destinée à rester “un petit troupeau” dans notre pays. L’accomplissement de sa mission ne réside pas dans la force de ses effectifs mais dans la puissance de l’amour et de la vérité de Dieu travaillant à travers l’Eglise.

54. Nous reconnaissons aussi le fait que l’Inde est un pays avec de multiples religions et de multiples cultures. Une telle diversité est une bénédiction et une grâce du ciel. Dans ce contexte, la mission de l’Eglise demande qu’elle soit une communauté vraiment ouverte au dialogue. Elle doit d’abord accepter et entretenir la diversité en son sein – tout en restant enracinée, bien sûr, dans la foi unique au Christ – et éviter à tous les niveaux toute tendance à devenir une institution monolithique et mono culturelle. Elle doit aussi entretenir le dialogue avec les autres religions, idéologies et mouvements, appréciant, protégeant, promouvant et assimilant la richesse de vérité et de grâce qu’elle y trouve.

55. Cette diversité a été également la cause d’innombrables conflits dans notre pays, souvent avec des conséquences tragiques. La mission de dialogue de l’Eglise comporte aussi qu’elle devienne un agent de réconciliation et de paix entre les divers groupes. Même lorsqu’elle devient elle-même une victime de la violence entre ces groupes, elle doit éviter soigneusement de se retrancher dans une psychose de peur paralysante ou d’adopter, pour se défendre, des attitudes agressives et improductives. Elle doit plutôt se souvenir qu’elle est appelée à être “la lumière du monde” et le “sel de la terre” et s’efforcer de pénétrer de plus en plus au cour de la société en y infusant le visage toujours nouveau de l’amour du Christ. Elle doit s’allier avec la majorité des citoyens du pays, lesquels, dans leur ensemble, sont des personnes de bonne volonté qui aiment la paix. Nous devons créer un forum commun de dialogue et d’action libératrice grâce auquel on pourra mettre fin aux incompréhensions mutuelles, aux discordes et aux discriminations, et bâtir ensemble une nation dans la justice, la paix et l’harmonie.

56. L’Eglise devrait aussi s’efforcer de mettre fin à toute trace de triomphalisme, d’exclusion et à toute attitude de supériorité dans son enseignement, dans ses structures, dans ses activités évangélisatrices et dans le style et le fonctionnement de ses institutions. En particulier, elle doit veiller à ce que ses entreprises dans le domaine de l’éducation et des ouvres de charité, les services qu’elle rend dans le domaine de la santé et ses engagements au service du développement soient vraiment orientés vers la promotion du bien-être et du progrès du peuple et ne visent en aucune façon à les détourner de leur religion. Il importe de remarquer cependant que l’Eglise défend toujours le droit des personnes de professer la religion de leur choix. En même temps, elle dénonce tout prosélytisme qui utiliserait des moyens douteux, tels que la tromperie, la force ou la séduction. “Mais, dans la propagation de la foi et l’introduction de pratiques religieuses, on doit toujours s’abstenir de toute forme d’agissements ayant un relent de coercition, de persuasion malhonnête ou peu loyale, surtout s’il s’agit de gens sans culture ou sans ressources. Une telle manière d’agir doit être considérée comme un abus de son propre droit et une entorse au droit des autres” (Vatican II, Déclaration sur la liberté religieuse, N° 4). C’est seulement lorsque l’Eglise, avec toutes ses institutions et structures, cessera de chercher la puissance, le prestige, la richesse et la croissance pour elle-même, et lorsqu’elle deviendra une servante marchant dans les pas du Christ, engagée au service de la vie et de la libération des peuples de ce pays, particulièrement des derniers et des plus petits, et également au service de l’harmonie de tous les groupes basée sur un amour et une justice authentiques, qu’elle se développera vraiment comme l’Eglise du Christ.

Conclusion

57. Nous, les théologiens indiens catholiques, réunis ici pour le 23ème rassemblement annuel de l’Association théologique indienne, afin d’étudier le phénomène et l’idéologie de l’hindutva, sommes convaincus que c’est une idéologie dangereuse. C’est une falsification et une distorsion de l’hindouisme à laquelle devraient s’opposer tous les vrais hindous de notre pays. Nous en appelons à tous les peuples de l’Inde pour qu’ils s’unissent et relèvent ce défi, dénoncent les dangers de l’hindutva, ses distorsions et ses contrevérités. Nous nous engageons à travailler ensemble avec tous ceux qui s’opposent aux forces de l’hindutva. Nous n’avons pas peur de leurs menaces parce que nous croyons à la sagesse du peuple indien et à l’adage selon lequel la vérité prévaudra – satyameva jayate. Nous savons bien que c’est seulement une petite minorité qui préconise et propage l’hindutva afin d’accaparer le pouvoir pour ses intérêts égoïstes. Nous affirmons notre solidarité avec tous ceux qui ont été affligés, torturés, tués ou brûlés vifs par les forces militantes fondamentalistes de l’hindutva. Cependant, en tant que disciples de Jésus Christ, nous leur offrons notre pardon et notre réconciliation et nous invitons les promoteurs de l’hindutva à un dialogue sérieux et ouvert. Notre force, c’est le pardon. Notre engagement est un engagement au service de la vérité, de la dignité humaine et de la liberté pour tous. Nous faisons nôtre le manifeste proclamé par Jésus à Nazareth : “Apporter la Bonne Nouvelle aux pauvres,. proclamer la libération des prisonniers,. rendre la liberté aux opprimés” (Lc 4,18).

(1) Les notes ci-dessous sont du traducteur. Le traducteur a aussi inséré parfois dans le texte, entre parenthèses, des traductions ou explications de certains termes sanskrit/hindi.

(2) Le mot hindutva (“hindouisation”) est utilisé pour désigner à la fois la doctrine et les activités du mouvement dont il est question tout au long de ce document.

(3) Terme qui désigne l’ensemble des classes opprimées.

(4) Mouvement de résistance formé par deux frères musulmans indiens (Mohammad Ali et Shaukat Ali), avec le soutien de Mahatma Gandhi, pour protester contre la façon dont le gouvernement anglais avait traité le sultan (Kahlife) de Turquie, lors de la première guerre mondiale. Ce mouvement occasionna de sanglantes répressions dont furent victimes à la fois des musulmans et des hindous.

(5) Commission crée par le Premier ministre Charan Singh en 1978, et présidée par B.P. Mandal, pour étudier les besoins des classes arriérées et proposer des moyens de les aider.

(6) Les sources les plus connues de l’hindouisme ont été écrites en sanskrit, mais il existe aussi une littérature hindoue écrite dans d’autres langues de l’Inde.

(7) Destruction de la mosquée Babri Masjid à Ayodhya en 1992.

(8) Répression brutale d’une révolte des sikhs par le général anglais R.E. Dyer à Amritsar, dans les jardins de Jallianwala.

(9) A l’occasion d’une révolte musulmane, massacre de nombreuses familles hindoues au Kerala.

(10) Dans la législation actuelle, le droit personnel indien prend en compte la religion des personnes. Depuis quelques années, on envisage la formulation d’un code civil uniforme.

(EDA, Indian Theological Studies, juin 2001)

Deuxième partie

LA MARCHE DE L’HINDUTVA

Stratégies et stratagèmes

Réflexions à propos des ouvrages d’Arun Shourie et de la littérature ‘anti-autres’

avec une mention spéciale au Nord-Est de l’Inde

[NDLR – Arun Shourie, journaliste connu, ancien directeur du journal Indian Express, est une des personnalités les plus en vue parmi les théoriciens et les propagandistes de l’hindutva. En réponse aux remises en cause de la présence chrétienne en Inde, un North-East Thinkers’ Forum, rassemblant des catholiques et des protestants du Nord-Est (Jorhat, Kohima, Nowgong, Tura, Kokrajhar, Shillong Aizawl, Imphal), a publié un livret intitulé The March of Hindutva. Nous en publions ci-dessous de larges extraits. La traduction est de la rédaction d’Asie.]

Avant propos

Pendant plus d’une cinquantaine d’années, les cercles chrétiens ne disaient rien d’autre que le Hindu-Christian Bhai Bhai. Les contacts mutuels se faisaient de plus en plus fréquents et le dialogue interreligieux était à l’ordre du jour. Les chrétiens cherchaient à renforcer leur enracinement culturel sur le sol indien, explorant de nouvelles voies pour exprimer leur foi et se faire comprendre, utilisant des formes culturelles et des concepts philosophiques véritablement indiens. Les chrétiens éduqués rivalisaient avec leurs frères et sours hindous pour mieux connaître l’histoire de leur pays et celle de ses heures de gloire. Nombreux étaient les responsables chrétiens, ayant étudié de façon approfondie la religion hindoue, qui se sentaient à même de débattre avec leurs collègues hindous de quasiment tous les sujets ayant trait à l'”indologie”. Les échanges étaient fréquents et les deux parties étaient d’accord pour en accroître encore la fréquence pour les approfondir et les élargir toujours plus. C’était même devenu en quelque sorte un jeu, chacun observant l’autre, à l’affût d’une initiative ou d’une inspiration nouvelle. Ils travaillaient ensemble, avec les membres des autres communautés composant la nation, pour construire le pays, les chrétiens faisant de leur mieux pour offrir, hors de leur communauté, leurs services dans les domaines de l’éducation, de la santé et du développement social et économique. Chaque jour apportait son lot de succès, fruits de leurs efforts communs dans ces différents domaines. Les deux groupes pensaient qu’il y a avait de la joie à vivre, travailler, partager ensemble et à tourner toute leur énergie pour le bien de leur pays et de son peuple.

Cela a été comme un coup de tonnerre pour les chrétiens lorsqu’ils entendirent pour la première fois des propos agressifs à leur encontre, lorsque furent mis en question non seulement leurs motivations premières pour tout ce qu’ils faisaient à travers le pays mais aussi lorsque fut dénigré tout ce qu’ils avaient entrepris jusqu’alors. Comment était-il possible que tant d’accusations sans fondement émergent soudainement et soient proférées par ceux dont on n’attendait pas cela ? Cela fit l’effet d’une explosion nucléaire dans un ciel serein. Un véritable Pokhran. Tu quoque brute !

Les attaques contre les chrétiens ne sont pas venues de la part d’ennemis mais elles ont été lancées par des amis., des étudiants qu’ils avaient enseignés, des personnes qui avaient bénéficié de leurs services, de gens qui avaient travaillé avec eux durant des décennies. Cela faisait déjà l’effet d’un choc, mais il y avait plus encore. Des informations faisant étant d’attaques portées contre du personnel chrétien ont commencé à apparaître. Chaque jour apportait sa triste moisson. Cela pouvait-il être bien réel ? Cela aurait été impensable en Inde même au cours des moments les pires de l’histoire récente. Mais le pire était à venir. Des bibles ont été brûlées, des églises détruites, des prêtres assassinés, des pasteurs et leurs enfants brûlés vifs, des religieuses violées. Et cela sur la terre de Bouddha, Asoka et Gandhi ? Quelle est la signification de bhai-bhai ? Est-ce ce que l’on attend en retour de tant de bien donné d’un amour désintéressé ? Ou bien est-il vrai que tous les travailleurs chrétiens sont devenus du jour au lendemain des criminels ou bien encore qu’ils aient caché leur identité de criminels pendant tout ce temps où ils étaient amis et proches de toutes ces personnes avec qui ils ouvraient ?

Que s’est-il passé ? Sous le régime nazi, les gens ont perdu toute sensibilité humaine. Ils ont appris à dénoncer jusqu’à leurs parents ? Il n’y avait pas d’amis ou d’ennemis, seulement des intérêts à préserver ! Une fois que les gens ont été conditionnés, ils sont capables de s’en prendre à n’importe qui, même à leurs plus proches associés ou voisins, leurs frères et sours. L’Allemagne de Hitler, la Russie de Staline et la Chine de Mao ont montré que de telles choses sont possibles. On y apprend que la sensibilité humaine peut être étouffée, niée, ou, à tout le moins, mise entre parenthèses. Les sentiments n’y ont pas de place. La recherche pour la vérité dans les faits, l’objectivité scientifique et la vérité historique disparaît. Ce qui compte est de rapprocher des éléments qui n’ont rien à voir entre eux et de construire une démonstration qui sonne suffisamment juste pour paraître convaincante. L’histoire est fabriquée et non plus étudiée et documentée. La vérité est fabriquée et non acceptée et respectée. La moralité est fabriquée, torturée en tous sens afin de s’adapter à l’objectif recherché. Tout est légitime du moment que cela permet d’atteindre le but voulu. Tout est sacrifié à cette fin.

Le Sangh Parivar a formé des faiseurs de mythe

Le Sangh Parivar (1) a recruté, payé, formé, conditionné et organisé des milliers de penseurs, d’écrivains, de travailleurs, d’organisateurs, de combattants. des personnes douées pour manier des bombes, exacerber les passions communautaristes, manipuler les foules, choisir les cibles, contourner les lois et travailler à un but précis : une seule nation, un seul peuple, une seule culture, une seule religion avec l’hindutva au centre. Le Sangh Parivar a formé des philosophes pour enseigner ses théories, des propagandistes pour faire passer le message aux masses, des hommes d’avant-garde pour exécuter ses basses ouvres. La presse et le reste des médias ont fourni la couverture nécessaire pour créer un environnement et une atmosphère favorables à ses thèses dans la société (Arun Shourie). Ses troupes ont frappé quand les conditions étaient réunies, elles l’ont fait simultanément, si possible en différents lieux (Dara Singh). des explosions de bombes dans des églises par exemple. En même temps, ils font tout ce qu’il faut pour qu’un crime de nature communautariste apparaisse comme un problème sans aucun lien avec la religion ; les agressions religieuses sont décrites comme des problèmes relevant du maintien de l’ordre. La presse est mise à contribution pour détourner l’attention du public des vrais problèmes ; elle recourt aux amalgames, avance de fausses assertions, crée les nouvelles et dissuade de toute poursuite judiciaire. Une histoire fabriquée et non étayée de preuves solides est introduite parmi les nouvelles du jour, une lettre de commentaires la confirme, un autre article l’inscrit dans les esprits de tous.

Une fois que la jeunesse allemande a été endoctrinée de l’idéologie nazie, elle a été capable de tout. Lorsque les hommes de main des nazis ont brûlé les premières boutiques appartenant à des juifs, le pays a été choqué et peiné. Lorsque les boutiques ont été nombreuses à être incendiées, la surprise et la peine ont été moindres. La propagande avait transformé l’esprit des gens. Quand les incendies ont été plus nombreux encore et qu’il y a eu des morts, des citoyens ont estimé que c’était inévitable. Lorsque des juifs ont été mis à mort, des gens ont commencé à penser que c’était de leur devoir de soutenir cette cause devenue nationale. (Le viol de religieuses en Uttar Pradesh a été perpétré par “de jeunes patriotes hindous”, a ainsi déclaré le porte-parole du VHP.) Lorsque six millions de juifs ont été conduits dans les chambres à gaz, les bourreaux pensaient qu’ils servaient la nation allemande.

Arun Shourie, allié objectif du plan nazi du VHP

Le dernier livre d’Arun Shourie, Harvesting Our Souls, ne doit pas être examiné isolé. La plupart des points qu’il y soulève sont conçus pour vous distraire des vrais problèmes. Essayer de les réfuter serait puéril. Ce qu’il souhaite est que nous consacrions notre énergie à cet exercice inutile. Nous ne devons pas nous laisser embarquer là où il veut nous mener. Nous souhaitons en revanche exposer la stratégie du Sangh Parivar pour conquérir la nation. Lui et d’autres, tels que M. V. Kamath, n’en sont que des rouages, de petits rouages, dont le destin est d’être utilisés. Pour l’heure, ce sont ceux que l’on entend le plus. Ils ont des slogans tout prêts, tels que la nécessité d’adopter la politique des communistes chinois à l’égard des missions chrétiennes. Ils préparent la société à une évolution allant dans le sens d’un gouvernement totalitaire. Ces champions de la liberté ont mis tout leur poids dans la balance ! Ce qui est intéressant dans ce livre, Harvesting Our Souls: Missionaries, their designs, their claims, est l’impression globale que Shourie tente de produire : l’horreur du Dieu des chrétiens, la terreur de l’Eglise chrétienne, l’erreur de la mission chrétienne !

Shourie affirme le caractère fallacieux du christianisme

Le dernier ouvrage de Monsieur Shourie est le meilleur. Il s’y surpasse. Dans chaque aéroport, dans chaque gare, vous pouvez trouver ce best-seller. Avec sa couverture représentant un monstre, le simple aspect du livre en dit long. Une femme à l’allure inquiétante et vêtue d’un habit de prêtre brandit une croix dans un geste qui ressemble plus à une menace qu’à un signe de rédemption. Le message est clair avant même que vous n’ayez ouvert le livre. Ce chef-d’ouvre de Monsieur Shourie n’a pas trait simplement à la recherche d’erreurs en utilisant les affirmations de missionnaires ou en exposant leurs méthodes erronées. Il ne se contente pas de dénoncer les plus hauts Conseils chrétiens ou les autorités les plus importantes de l’Eglise. Il cherche à démontrer le caractère fallacieux du christianisme. Rien de moins.

Monsieur Shourie ne se satisfait pas de ridiculiser la naissance virginale du Christ et le récit de sa résurrection, centrales pour tant de chrétiens. Avec un art consommé de la citation biblique, il décrit un Dieu chrétien assoiffé de sang, un Jésus-Christ semblable à un imbécile étroit d’esprit et le christianisme comme l’appareil de l’inquisition. Ses références ultimes sont constituées de Companion to the Bible. Lorsqu’il tâtonne, il a recourt au Cambridge Companion to the Bible. Une hésitation supplémentaire et il cite Britannica et Americana. N’est-il pas un grand connaisseur des Ecritures ? Il cherche à nous impressionner par la profondeur de ses connaissances, recourant fréquemment à des références puisées dans ces résumés succincts.

Monsieur Shourie ne fait pas seulement une erreur. Il en fait trop. Toute personne un peu honnête ne peut que s’arrêter et se demander : “Est-il vrai que la totalité de l’histoire chrétienne n’est qu’une vaste plaisanterie ?” Lorsque Christopher Hitchins a appelé Mère Teresa “un ange du démon”, les observateurs critiques ne se sont pas précipités au 54 A, A.J.C. Bose Road, Calcutta-16, pour vérifier par eux-mêmes si la religieuse albanaise avait vraiment réussi à tromper le reste du monde avec son aimable sourire et sa voix mesurée. Mère Teresa n’a pas besoin d’être défendue. Les gens, en revanche, souhaiteraient sans doute jeter un coup d’oil sur la personne qui porterait de telles accusations pour voir s’il est sain d’esprit et pour savoir si un tel accusateur insensé peut être poursuivi devant la justice.

Arun Shourie, le pamphlétaire

Nous ne voudrions pas qualifier ainsi Monsieur Shourie. Nous ne voudrions pas soupçonner chez cette éminente personnalité d’intentions malignes. Ce que vous voulons savoir est la chose suivante : pourquoi l’équipe qui est autour de cet auteur si reconnu le rabaisse au niveau d’un vulgaire pamphlétaire ? pourquoi lui attribuent-t-ils tant d’écrits et impriment-ils que “L’auteur est seul responsable des propos exprimés dans cet ouvrage” ? Mais, étant donné que Monsieur Shourie permet cela, nous disons “Amen. Ainsi soit-il”. Nous le tenons pour responsable. Il est seul à répondre devant des millions de chrétiens de par le monde et devant le reste de l’humanité pour les blasphèmes qui truffent ces 432 pages. [.] Nous avions une meilleure idée de lui. Mais il en fait trop, cherche à trop prouver, il argumente trop, il s’agite trop. et, ce faisant, il s’expose : incohérences historiques, contradictions évidentes, expressions de haine, erreurs grossières. [.]

Pas de regrets pour le meurtre de Staines

Dara Singh, après son arrestation, s’est déclaré désolé pour le meurtre du missionnaire et de ses enfants. Monsieur Shourie n’aborde pas une seule fois le sujet. Dara Singh a dit qu’il haïssait les chrétiens mais ajoute qu’il sait qu’il a tort. Monsieur Shourie pense qu’il a raison. Ses écrits ont poussé de nombreux Dara Singh à passer à l’action. M. Singh est coupable de meurtre et il confesse son crime. Monsieur Shourie et les intellectuels qui l’entourent ont préparé les esprits à ces meurtres mais ils n’éprouvent aucun sentiment de culpabilité. Tous, ils contribuent à ruiner le mythe de la “tolérance hindoue”. Nous précisons tout de suite que les hindous sont les gens les plus tolérants au monde mais les partisans de l’hindutva ne le sont pas.

Salman Rushdie, pour avoir écrit les Versets sataniques, a reçu une fatwa.