Eglises d'Asie

Les lépreux retrouvent leur dignité

Publié le 18/03/2010




Après des années d’isolement forcé, un ancien lépreux a retrouvé la paix malgré les blessures psychologiques que lui a infligées la société. Hiroshi Ise est catholique ; il est une de ces milliers de personnes rassemblées dans des léproseries, conformément à une loi de 1953 pour la prévention de la lèpre. La loi, en dépit des progrès de la médecine dans les années 1960 qui permettaient aux patients de recevoir des soins en consultation externe, a continué à maintenir isolés des patients pendant des dizaines d’années, sans tenir compte de la gravité de leur état. Avant l’abrogation de cette loi en 1996, ce sont des centaines d’hommes atteints de la lèpre, même ceux qui avaient été guéris, qui ont été stérilisés et des femmes enceintes avortées.

Récemment, 127 anciens patients victimes de cette loi ont vu leur préjudice reconnu par un tribunal de Kumamoto qui a accordé à chacun d’entre eux de 8 millions de yens (65 040 dollars US) à 14 millions de yens. A la suite du verdict de Kumamoto, Hiroshi Ise et 1 000 autres anciens patients ont tenté une action collective en justice, seul moyen pour beaucoup d’entre eux de faire prendre conscience au public japonais des conditions critiques où se trouvent actuellement ces anciens malades.

La biographie d’Hiroshi Ise parue en 1996, “Les yeux de l’esprit”, est devenue un texte de référence dans un certain nombre d’universités et de lycées. Le Yomiuri Shimbun en a fait la promotion et a publié plusieurs articles sur la vie d’Ise. Pour cet homme, comme pour tous, la publication de sa biographie ou les procès n’ont pas pour but de gagner de l’argent mais ils veulent s’assurer que jamais plus les Japonais ne désavoueront leur dignité d’homme ou de femme. Dans une rencontre avec quelques plaignants de Kumamoto, le Premier ministre, Junichiro Koizumi, les larmes aux yeux, a présenté ses excuses pour les injustices commises à leur égard. Un peu plus tard, le gouvernement a annoncé qu’il ne ferait pas appel du verdict. L’Eglise catholique, elle aussi, a demandé pardon pour ne pas avoir su prendre leur défense.

Quelque 4 500 malades de la lèpre, dont Ise, vivent encore dans les 13 établissements publics et les deux léproseries catholiques toujours ouverts à cause des difficultés qu’ont leurs pensionnaires à réapprendre une nouvelle vie et des séquelles de leur ancienne maladie, comme la cécité. La moyenne d’âge de ces patients est de 75 ans. Ise, paralysé des bras et des jambes, est confiné dans un fauteuil roulant. Il est aveugle – d’où le titre de sa biographie. Aujourd’hui âgé de 90 ans, Ise a su qu’il était lépreux en 1939, à l’âge de 27 ans. Après un traitement médical à Tama, la léproserie de Tôkyô, muni d’un certificat de guérison, il avait mis sur pied une petite entreprise familiale dans un chalet de montagne avec sa femme, près de chez lui. Après la loi de 1953, il fut contraint à vivre la plus grande partie de sa vie à Tama. Sa femme, qu’on lui a dit avoir été atteinte de la maladie d’Alzheimer, et lui ne se sont pas revus depuis des décennies. Excepté la famille de son neveu qui a repris le chalet après le départ de sa femme et de sa belle-fille, Ise a perdu tout contact avec sa parenté ou ses amis.

Malgré sa vie difficile, Ise a confié à des journalistes : “Je rends grâce à la Providence divine. Je voudrais que tous les lépreux, que tous les malades du sida et tous les autres marginalisés de la société aient le courage d’affronter la vie”. Ise a également dit sa gratitude envers celle qu’il appelle “maman”, la Vierge Marie, qu’il affirme avoir prié tous les jours pendant 20 ans, pour qu’elle l’aide à réaliser le rêve de toute sa vie : ériger une pierre tombale sur la tombe de ses parents à Enzan, sa ville natale. Les obsèques coûtent chers au japon et ériger une pierre tombale signifie la paix de l’esprit de quelqu’un qui n’est plus à la charge de quiconque, ni des parents ni de la société.

C’est le P. Dinh Ngo Quang qui a célébré la messe et béni la pierre tombale d’Ise sur laquelle sont gravés son nom, son prénom japonais et son prénom chrétien ainsi que ceux de sa femme et de sa belle-fille. Le P. Dinh Ngo Quang a dit combien il avait été ému : “Cette tombe est le premier pas vers le retour à la dignité perdue (d’Ise)”. Elle est la première tombe du cimetière d’Enzan à porter un nom chrétien. Quant à Ise, il a conclu : “Cinq ans se sont écoulés depuis l’abolition de la loi. J’ai pu rencontrer ma famille et prier sur la tombe de mes parents. J’ai été aussi capable de préparer ma propre sépulture. Je suis content”.