Eglises d'Asie

DUC IN ALTUM – PRENDRE LE LARGE’ : LES PRIORITES PASTORALES DE L’EGLISE CATHOLIQUE AUX PHILIPPINES

Publié le 18/03/2010




Duc in Altum. Prendre le large – tels sont les termes que le Saint-Père a utilisés dans l’introduction de son Exhortation apostolique Novo Millennio Ineunte à la fin de l’année du Jubilée. Ils font référence à l’épisode de la pêche miraculeuse des Evangiles. Assis dans la barque de Simon-Pierre, Jésus vient d’annoncer la Bonne Nouvelle du salut à la foule rassemblée près du lac ; il envoie Simon « prendre le large » pour y jeter son filet et ramener du poisson. Confiant en Jésus, aidé de ses compagnons, Simon a fait ce que Jésus lui avait enjoint de faire et il a ramené un très grand nombre de poissons (Luc 5, 4-6).

Le défi pour nous aujourd’hui est de faire de même. Nous avons besoin de réaliser à quel point les mots de Jésus sont intimidants dans le contexte d’aujourd’hui, à la lumière de notre foi en Jésus, et ce que nous devons faire pour prendre le large, pour atteindre les profondeurs de la vie et de la société philippines.

Ma tâche est de rassembler et synthétiser les fort nombreu-ses recommandations que vous avez suggérées durant les trois derniers jours qu’a duré notre Consultation nationale sur la pastorale pour le renouveau de l’Eglise. Notre programme appelle cette synthèse de recommandations « les points centraux du renouveau pastoral ».

Je souhaiterais procéder en décrivant brièvement le contexte social du renouveau pour réfléchir à ce contexte à la lumière de la foi, et enfin présenter les points centraux du renouveau pastoral à la lumière du contexte social et de la réflexion sur la foi.

Aperçus sur la situation pastorale

En 1991, le second concile plénier des Philippines décrivait les « lumières et les ombres » de notre situation nationale. L’analyse distinguait trois rubriques : une structure économique déséquilibrée (le fossé entre riches et pauvres, la pauvreté massive comme le problème social), une structure politique déséquilibrée (une politique élitiste centrée autour de personnalités, le paternalisme et la corruption), le tout étant renforcé par des facteurs culturels ambivalents et négatifs (mentalités, valeurs). Dix ans après ce second concile plénier des Philippines, après un nouveau soulèvement populaire, les traits négatifs substantiels découverts dans l’analyse sociale continuent de perdurer. La situation sociale reste fondamentalement la même, incitant Mgr Francisco Claver, S.J., au cours de sa nouvelle analyse de la situation sociale, à citer les mots d’un défunt mais très célèbre philosophe français : « Plus ça change et plus c’est la même chose ».

Ce que nous voyons réellement à l’œuvre dans la vie de l’Eglise aux Philippines et dans la société est une réalité sociologique de base. Les valeurs et les structures sociales résistent fortement au changement et sont quasiment imperméables au changement. Si les changements se font sans transformation des valeurs et des structures, il faut s’attendre à ce que les paroles de Jésus soient une fois de plus confirmées par les faits, comme nous l’avons expérimenté après EDSA I. Nous ne devons pas mettre de vin nouveau dans de vieilles outres et, si nous le faisons tout de même, et les vieilles outres et le vin nouveau sont perdus. Le rêve porté par EDSA, celui de voir émerger une nouvelle nation, a tourné au cauchemar, les mêmes anciennes valeurs perdurant dans les mêmes anciennes structures.

Un nouvel espoir, un nouveau rêve, a émergé avec EDSA II. Cet espoir n’est pas seulement à propos de la possibilité de changer le gouvernement par l’action directe du pouvoir du peuple. L’espoir est à propos d’une réalité plus profonde. Malgré l’incapacité apparente de sortir des tendances à la corruption et l’égoïsme, dans les profondeurs de l’âme philippine se trouve comme un grand réservoir de bonté naturelle et d’aptitude à créer de la solidarité à partir de nos divisions, pour le bien de la transformation sociale. Mais nous ne pouvons pas limiter l’espoir de la transformation sociale à l’expérience de EDSA II. Avant EDSA II, et bien après cet événement, nous devons être à l’écoute des activités de renouveau des mouvements divers et variés à l’œuvre dans la société civile, mouvements qui travaillent au changement social : mouvements parmi la jeunesse, les femmes, les agriculteurs, les travailleurs, les étudiants, etc.. Ils nous enseignent l’Eglise à propos de la conscience sociale et de la solidarité.

Si, sur la route politique, il y a EDSA, alors il y a aussi sur le chemin de l’Eglise une nouvelle Pentecôte. Il y a, en effet, un espoir naissant, un espoir vibrant, un vif espoir de vie pour un renouveau total dans l’Eglise.

Ici, j’ai besoin d’une manière ou d’une autre de revoir mon présupposé initial qui a conduit à cette Consultation nationale sur la pastorale pour le renouveau de l’Eglise. Ma thèse était que l’appel du second concile plénier des Philippines pour un renouveau intégral, cet appel s’était peu à peu dissipé, après quatre ou cinq années de formidable vigueur pastorale et d’enthousiasme. Peut-être vu d’un autre angle, ce présupposé est-il inexact, comme le cardinal Ricardo Vidal l’a fait observer.

Les rapports des différentes juridictions ecclésiastiques variées racontent les efforts continus pour donner vie au renouveau, que ce soit par la voie de la formation dans le domaine de la foi ou de la construction de communautés ecclésiales de base. Ces rapports montrent les programmes pastoraux mis en œuvre pour aider à renouveler l’ordre politique par la voie de l’éducation politique et de la surveillance des opérations électorales. De toute façon, quelque part, des choses ont eu lieu. La question reste de savoir dans quelle mesure le second concile plénier des Philippines a influencé de manière vraiment explicite tant d’efforts alors que les préparations pour le grand Jubilé ont commencé à préoccuper les diocèses aux Philippines. Mais peut-être n’avons-nous pas besoin de creuser cette question.

Le problème alors n’est ni l’absence d’efforts pour le renouveau ni le manque d’engagement. Le problème est peut-être dû au manque de systèmes et de compétences, le manque de pouvoir et de structures adéquates, le manque de consistance et de constance. Maintenant, au lieu de tout cela, il est raisonnable de conclure que l’esprit et l’élan du renouveau, créé par le second concile plénier des Philippines, a, en effet, exercé quelques influences modestes, comme Mgr Leonardo Legaspi l’a dit, pour le renouveau de plus d’un diocèse. Etant un évêque qui appartient à une congrégation missionnaire, permettez moi d’ajouter un important nota bene : les rapports, limités comme ils le sont aux efforts des diocèses, ne parlent pas beaucoup du renouveau que les congrégations religieuses et leurs institutions ont entrepris avec un certain succès, dans l’esprit du second conseil plénier. Je puis dire que les supérieurs majeurs des congrégations religieuses des Philippines ont passé une année entière à réfléchir sur les implications diverses du second concile plénier des Philippines en ce qui concerne le renouveau des congrégations religieuses. Ce sont des raisons de se réjouir et des raisons d’espérer un renouveau plus intensif et plus systématique.

Les rapports diocésains sur la situation pastorale ont révélé les principaux traits suivants en ce qui concerne le succès des initiatives prises en faveur du renouveau. Je souhaiterais les présenter d’une manière plus élaborée : a) une confiance pastorale diocésaine définie clairement, un plan et un programme de l’action systématiquement appliqué en suivant et en exécutant les mécanismes initialement prévus ; b) l’engagement et le zèle des « agents pastoraux-clés », spécialement des évêques et des prêtres, et des religieux ; c) l’émergence de nouveaux « leaders » laïcs et de travailleurs pastoraux, dévoués, motivés à travers une formation aux valeurs et à la compétence ; d) la mise en place et le fonctionnement effectif des structures de l’Eglise en matière de participation, de logistique, y compris les finances, pour soutenir les efforts ci-dessus ; e) l’encouragement mutuel et la coordination dans le travail du renouveau.

Il en découle que là où il y a eu des failles dans le renouveau, un, deux ou tous les facteurs mentionnés ci-dessus ont fait défaut.

Mais l’image générale que l’on obtient en parcourant les rapports diocésains et les rapport d’ateliers du premier jour de notre réunion est celle d’une Eglise-pèlerin se déplaçant parfois lentement, quelques fois d’un pas presque épuisé, d’autre fois incertain, et quelques fois d’un pas énergique et confiant sur la route du renouveau.

Réflexion sur la foi – les signes des temps

L’analyse sociale de l’Eglise et de la société en termes de renouveau qui a été présentée d’une façon plutôt schématique et peut-être de façon simpliste nous sert d’aide à la réflexion dans la foi. Les caractéristiques de la situation pastorale désignent certaines composantes de la réalité que nous pourrions appeler « les signes du temps ». Elles nous parlent de l’action de l’Esprit divin, de la présence de Dieu et des directions que nous avons besoin de prendre pour aller vers le royaume de Dieu.

Le premier signe des temps est l’impératif de conversion en ce qui concerne les individus et de transformation sociale en ce qui regarde la communauté. Le second concile plénier des Philippines situait le processus de la conversion au début du voyage spirituel (voir PCP-II, n° 262-275). Cela commence par une rencontre avec la grâce divine. C’est à propos du fait d’avoir un péché personnel et social et de dire : « Délivre nous, Seigneur, nous qui sommes pécheurs ». Il s’agit de l’ invitation de Dieu à pardonner et à vivre une nouvelle vie, une vie renouvelée. Cela implique un partage du don de la conversion, un don de Dieu, un engagement à aider le renouvellement des autres personnes, de nos familles, et de la communauté au sens large. Ce que nous avons entendu et touché, nous pouvons maintenant le communiquer et le partager (voir 1 Jean).

Le second signe des temps est le caractère permanent de la conversion et de la transformation sociale. La tâche du renouveau est en cours, jamais achevée. Parce que le renouveau est une condition préalable pour accéder au royaume de Dieu (Repentez-vous. le royaume de Dieu est proche !). Mais le royaume de Dieu est à la fois là et pas là, à la fois maintenant et pas maintenant. Jusqu’à la fin de l’histoire temporelle du genre humain, nous devons toujours prier : « Que ton règne vienne ».

Mais le troisième signe des temps est le fait que la conversion, la transformation sociale ou le renouveau, en effet, ont des moments réguliers d’achèvement transitoire et séquentiel. Il y a beaucoup d’histoires réussies du renouveau dans bien des diocèses, de hauts points du triomphe de la grâce de Dieu sur la faiblesse et le péché, individuel ou social. Nous devons apprendre des histoires si réussies comme le travail de CIMPEL à Cebu et les Citoyens concernés d’Abra, le renouveau pastoral de la pauvre et rurale prélature d’Infante bien avant le second concile plénier des Philippines, de l’écroulement de l’archidiocèse de Caceres ou bien de celui de l’ancien et traditionnel archidiocèse de Nueva Segovia, des dizaines de milliers de communautés ecclésiales de base à Mindanao (une priorité pastorale dans cette région qui remonte à vingt ans avant le second concile plénier des Philippines), des diverses communautés de foi de la région de Manille et de ses diocèses voisins.

Le quatrième signe des temps est l’émergence de nouvelles et dynamiques communautés de foi telle que je les ai mentionnées, l’omniprésence des BECs au sein des communautés de foi pauvres et trans-paroissiales. Elles s’efforcent de refléter la communauté des débuts, celle de Jérusalem, et la vision du second concile plénier des Philippines d’une Eglise participative. En faisant cela, elles révèlent également l’émergence d’un nouveau type de direction de terrain dans l’Eglise, dévouée, zélée, engagée, au service. Dans beaucoup de diocèses, de nouvelles structures de grâce sont apparues qui permettent à la dignité et à la liberté humaines de s’épanouir au travers de processus de prises de décisions partagées, menés en accord avec le principe de subsidiarité.

Le cinquième signe des temps est la demande pour une sagesse évangélique, le courage et l’espoir dans une période de résistance parfois têtue à la conversion et à la transformation sociale. Ici les mots du Livre sacré (Cf. Eccl) sont remarquablement appropriés : « Il y a un temps pour arracher et un temps pour construire ». La question cruciale est de savoir quand il faut arracher et ce qu’il faut arracher, et quand il faut construire et ce qu’il faut construire. La tâche du renouveau requiert de la sagesse et du courage. La prière du célèbre théologien protestant (R. Nieburh) exprime joliment et avec beaucoup d’éloquence nos propres pensées : « Seigneur, donne moi le courage de changer ce que je peux changer, la sérénité d’accepter les choses que je ne peux pas changer, et la sagesse de voir la différence ».

Les points centraux du renouveau, les priorités pastorales

Dans la lumière de ce qui a été dit plus haut et des rapports d’ateliers de réflexion, puis-je vous donner une synthèse préliminaire qui soit également une interprétation des recommandations variées que vous avez suggérées pour aider à atteindre l’état de mission-vision de l’Eglise aux Philippines.

Au cours des dix prochaines années, l’Eglise toute entière aux Philippines devrait s’attacher aux priorités pastorales majeures suivantes, planifiées, programmées et mises en pratique de manière systématique dans chaque diocèse.

1.) Une formation intégrale à la foi, c’est-à-dire, y compris dans les dimensions sociales de la foi, ou la formation de la « foi dans le contexte ». Ceci est au cœur du renouveau pastoral. Je pense que l’utilisation du Catéchisme national pour les catholiques philippins serait nécessaire dans les écoles et les séminaires, dans les sessions de formation des communautés ecclésiales de base et des autres communautés de foi, dans la formation des leaders et des travailleurs pastoraux, etc.

2.) Transformation sociale dans la lumière de la foi et, pour parvenir à cette tâche, renforcement du rôle des les laïcs par la vertu de la grâce reçue des sacrements du baptême et de la confirmation. De plus en plus, les religieux, les prêtres et les évêques devraient se tenir au second plan tandis qu’ils continueraient d’apporter et d’enseigner les principes moraux qui gouvernent la vie et la société chrétienne.

3.) La présence active des pauvres dans l’Eglise comme une Eglise des Pauvres. Cela requiert certainement des changement de valeurs, de comportement et de relations dans tous les secteurs de l’Eglise. Pour le clergé et les religieux, cette priorité pastorale demanderait un modèle de style de vie et de rôle nécessaire qui leur permettrait d’être efficaces et crédibles dans leur ministère de présence active parmi et avec les pauvres. Il serait impératif de sélectionner une ou deux choses parmi les recommandations pour plusieurs secteurs. Par exemple, des programmes d’immersion et d’exposition pour les séminaristes, l’abolition de pratiques discriminatoires dans la célébration des sacrements, l’introduction d’un système de soutien plus participatif pour les paroisses, l’installation d’une nouvelle structure de prise des décisions dans les paroisses, décisions qui pourraient être prises avec l’active participation des pauvres des barangays, etc.

4.) La famille comme point central de tous les efforts d’évangélisation, objet autant que sujet de l’évangélisation. Son rôle comme celui de la cellule de base des communautés ecclésiales de base doit être explorée et maximisée en termes de formation intégrale à la foi pour les enfants, les jeunes et les parents. Depuis le début, l’éducation à la transformation sociale et une formation missionnaire, au moins le développement d’un sens de la mission, doivent être imparties à la famille.

5.) Après la famille, vient forcément la construction de communautés participantes qui font de la paroisse une communauté de communautés. Les rapports diocésains pour la plus grande part se réfèrent aux communautés ecclésiales de base comme leur priorité pastorale. Pour la grande majorité de ces diocèses, les BEC ont été choisies comme le véhicule principal pour le renouveau de la communauté, et à long terme, pour celui de l’Eglise et de la société. Nous devons prendre en considération l’expérience de renouveau d’un bon nombre d’autres diocèses avec d’autres formes de communautés de foi comme véhicules du renouveau. Le principal but est de vraiment parvenir à une évangélisation intégralement renouvelée dans la lumière de la vision de l’Eglise au Philippines.

Nous pouvons aisément remarquer que ces priorités majeures impliquent une foule de changements radicaux dans les processus et l’accent porté à la formation de la foi, la formation et les styles de vie (valeurs, comportement, relations, etc.) des agents du renouveau, dans l’orientation, la direction et la coordination des programmes pastoraux, reposant sur les mouvements et les organisations de laïcs, dans les structures des prises de décision, les programmes de soutien et l’importance pastorale dans les paroisses et les diocèses. Il est important, pour que le renouveau soit maniable et faisable, que les priorités principales soient dégagées au travers d’un planning pastoral stratégique dans le contexte de situations diocésaines particulières et de leur compréhension respective de la mission.

Conclusion

Au début de cette intervention, j’ai souvent eu recours à l’icône biblique de Jésus, Simon et de ses compagnons partant au large pour jeter leurs filets. Duc in Altum, dit Jésus. Simon est sceptique. Ce n’est pas le bon moment pour pêcher. Ils ont essayé de pêcher toute la nuit et n’ont rien attrapé. Mais le scepticisme cède le pas à la confiance. La confiance en le Seigneur rapporte une grande surprise.

La tâche du renouveau est un chemin de confiance en le Seigneur, une aventure avec le Seigneur, pourtant non sans scepticisme au sujet des plans et des projets des hommes et de l’inertie des valeurs et des structures. Nous devrions être surpris par l’Esprit du Seigneur. Nous devrions être surpris que certaines de nos bonnes vieilles croyances à propos de la réticence des agents-clé à changer puissent être fausses. Nous devrions être surpris que des structures traditionnelles implantées depuis des lustres ne sont après tout pas imperméables au changement, que arancel pourrait en fait être aboli, que certaines formes de dîmes pourraient être établies, et que les cent et un obstacles possibles au renouveau pourraient se transformer en autant d’opportunités pour changer. Partez au large, dit le Seigneur, et vous serez surpris.

Et, dans l’analyse ultime, c’est cela qui est la réalité de la conversion et de la transformation sociale, du renouveau intégral – c’est le travail de la grâce de Dieu, et non pas de la nôtre. Nos résolutions, notre déclaration à propos de la vision-mission, nos plans, programmes et projets de renouveau, tout cela nous dispose à écouter et à tenir compte des commandements de Dieu. Nous sommes de l’argile dans les mains d’un potier. Nous sommes des pêcheurs jetant nos filets sur l’ordre de Dieu. Nous devons faire maintenant de la sorte dans les eaux troubles de la vie philippines. Duc in Altum – Prenez le large, jetez vos filets et laissez vous surprendre.