Eglises d'Asie

“LE PROBLEME DES SECTES NOUS OBLIGE A NOUS INTERROGER SUR NOUS-MEMES”

Publié le 18/03/2010




Introduction

Jamais depuis l’attaque au gaz sarin par les membres de la secte Aum-shinrikyô dans le métro de Tôkyô en 1995, celles qu’on appelle sectes religieuses n’ont provoqué autant de détresse et d’anxiété dans tout le Japon. La religion en tant que telle est devenue le point de mire jusqu’à un point alors inconnu jusqu’ici. Alors que les religions reconnues depuis longtemps disparaissent de la vie quotidienne, de nouvelles religions équivoques font leurs affaires en plein jour. Nous pourrions sur-le-champ désigner les soi-disant religions qui préparent des crimes contre la société et les autres qui font un commerce douteux déguisé en religion. Elles enseignent d’étranges méthodes de méditation, gages de mystérieuses illuminations, ont des exercices d’ascèse pour guérir toutes les maladies possibles et tiennent des séminaires pour le développement personnel et l’édification du caractère – tout cela représente le fond de leur négoce. Mais comment interpréter ce phénomène ? Que de telles pratiques immorales et de telles cérémonies vides de sens soient capables d’attirer tellement de monde ?

La tragédie des victimes de leurs mensonges a été décrite dans les journaux et doit être connue. Comment alors expliquer le nombre de ceux qui, maintenant encore, rejoignent les sectes ?

Les méthodes qu’elles utilisent sont spéciales au Japon. Elles abusent des superstitions des gens et de leurs idées de rétribution, du concept de transmigration et du culte de la nature. Quelques-uns de leurs fondateurs tiennent du shaman ; d’autres débutent sur la brillante idée commerciale qui leur est venue un jour. D’autres encore utilisent un mélange de yoga, de zazen et de Bible. Tous semblent privilégier l’utilisation d’images apocalyptiques et mystérieuses. Ils attachent en effet une grande importance à leur apparence extérieure, à leur style et à l’image qu’ils donnent, alors que leur enseignement est vague et ne montre que peu d’espoir de pouvoir un jour perdurer comme religion. Mais la question demeure de savoir pourquoi il y a encore tant de gens pour les suivre ? Certains en rejettent la responsabilité sur les religions traditionnelles reconnues qui, disent-ils, à part leurs cérémonies, ont cessé de fonctionner au niveau de la foi, la foi pourtant si étroitement liée à la vie des gens.

Tetsuo Yamaori est un professeur très connu dans l’étude des religions. Il a donné une conférence à l’Université citoyenne (NHK) au printemps 1996 sous le titre Perspectives d’avenir au Japon pour la religion. Faisant référence à l’attaque d’Aum dans le métro il a demandé : “Pourquoi un tel radicalisme extrême ?. C’est quelque chose qui nécessite un examen des plus minutieux. Pourtant sur ces événements nous pouvons dire une chose : ils attirent l’attention du public sur le fait que les religions traditionnelles au Japon sont devenues inefficaces”. Il continue : “Si nous regardons ce qui se passe chez nous, ni le shintoïsme, ni le bouddhisme, ni le christianisme n’ont été capables de s’opposer à un mouvement religieux comme celui de Aum. Ils sont complètement impuissants. L’état du monde ne vaut pas mieux. La planète est submergée de problèmes et de crises : pollution de l’environnement, explosion démographique et manque de ressources naturelles, pour n’en citer que quelques-uns. Il est clair que ni le christianisme, ni l’islam, ni le bouddhisme ont des solutions d’ordre spirituel efficaces à proposer. Serait-ce que, dans l’histoire du monde, les rôles joués par le christianisme, l’islam et le bouddhisme toucheraient à leur fin ? Si nous laissons aller notre pensée en ce sens, nous pouvons imaginer que la religion du XXIe siècle sera toute autre”. C’était là une mise en garde. La position du professeur est différente de la nôtre, bien sûr, mais en tant que prévision de l’histoire à venir, nous ne pouvons pas y être indifférents.

Quand les gens commencent à regarder les religions traditionnelles comme des coquilles vides, ils vont alors chercher du religieux dans quelques autres formes d’organisation, si possible quelque chose de très proche ou dominé par un fondateur religieux exceptionnel. C’est une des raisons pour lesquelles nous trouvons de nouvelles et toujours plus nouvelles religions émerger les unes après les autres. Parmi nos chrétiens nouvellement baptisés il semble qu’au lieu de chercher la voie’ au sein de l’Eglise, certains sont prêts à goûter à ces nouvelles religions. Je note ici ce que j’ai appris de mes rencontres et mes entretiens avec ceux qui ont été leurs victimes.

De telles religions sont l’objet d’un certain mépris et n’ont pas un grand nombre d’adhérents mais, malgré tout, ne disparaissent pas. L’explication tient dans une stricte organisation et un esprit de corps passionné. Pourtant, bien que ce qu’on y enseigne soit très insuffisant et les pratiques souvent frauduleuses, hommes et femmes viennent à eux parce que les concepteurs’ de derrière les coulisses sont capables de leur donner quelque chose d’assorti aux nécessités du temps.

Ceux qui sont attirés

Prenons le cas des jeunes qui n’ont jamais été en contact avec la religion. Parfois, à la fin de leur adolescence peut-être, prennent-ils conscience des premières apparitions au dedans d’eux-mêmes du sentiment religieux. A leur insu, ils cherchent une foi, un chemin de vie, mais ils ne savent pas où aller. Alors, pour les jeunes de notre temps, la première organisation capable, avec assurance, de leur promettre le salut leur semble être un havre dans la tempête. Ils sont incapables de distinguer entre le vrai et le faux. Et il y va de notre responsabilité : nous devrions être capables de donner à ces jeunes les informations dont ils ont besoin. La vérité est, cependant, que les vieilles religions traditionnelles, à part leur intérêt pour les funérailles et les mariages, ne leur sont d’aucun recours.

Certains disent que les jeunes aussi sont à blâmer : immatures, ignorants des choses du monde et probablement trop égoïstes. Mais la critique vient mal à propos de la part de ceux qui sont bien installés dans une religion qu’ils savent être vraie.

Ces jeunes sont tout autour de nous, silencieux, à quémander de l’aide. Ils sont spirituellement affamés au milieu de cette civilisation matérialiste que nous leur avons bâtie. Ils veulent nous parler de leurs jours de solitude passés, à travers le temps et l’espace, dans l’angoisse de n’être pas reconnus et acceptés. Et prêts à remplir ces cœurs vides et affamés, il y a des hommes armés des ruses de Satan. “Leur comportement est dépravé et leurs chemins tortueux” (Proverbes 2, 15). Vous les trouverez aux coins des rues, avec une invitation chuchotée toute prête, ou vous les découvrirez tapis sur un chemin écarté proche de la gare, armés de leurs promesses, attendant leur victime.

Ce qui suit est un poème écrit pas une jeune femme, il y a plusieurs années déjà, mais qui décrit les jeunes auxquels je pense et l’angoisse qu’ils éprouvent. Il a été écrit par Kaneko Misuzu qui s’est suicidée à l’âge de 26 ans.

Quand je suis seule,

Qui d’autre le saurait ?

Quand je suis seule,

Mes amis rient.

Quand je suis seule

Mais mère est toujours avec moi.

Quand je suis seule

Bouddha aussi est seul.

Ce poème dit bien la solitude d’un cœur qui cherche quelqu’un avec qui partager. On peut imaginer beaucoup de raisons à ce pourquoi vouloir mourir, mais les réponses seraient à peu près les mêmes. Au lieu d’analyser les causes, nous ferions mieux de laisser nos pensées errer à travers ce monde d’où nous est venu ce poème.

Les méthodes employées par les sectes

Les bâtisseurs de sectes ne sont pas gênés de se déclarer eux-mêmes Dieu. Ils sont centrés sur la faiblesse d’une personne et, par d’adroites et très honnêtes méthodes, commencent à préparer une place dans le cœur de la personne pour les dieux dont ils sont les colporteurs. Voyons le déroulement du processus et comment les gens sont trompés.

a) Ils font en sorte que les gens se sentent bien. Différents groupes emploient différentes techniques, mais ils ont un manuel qu’ils utilisent pour choisir quelqu’un et l’approcher. Normalement, ils évitent toute publicité détaillée, préférant la technique de vente non agressive.

.Ils vous donnent un questionnaire au coin d’une rue avec l’air de celui qui n’est pas vraiment concerné ;

.Ils viennent chez vous et vous invitent à changer de vie ou de religion ;

.Ils essaient de vous vendre une brochure ou de vous la faire envoyer. Si vous montrez de l’intérêt ou posez des questions, ils vous suggéreront de venir pour causer ;

.Ils rassemblent des informations personnelles et privées sur des gens qu’ils approchent ensuite comme par hasard, insistant sur le point faible de la personne et expliquant qu’ils ont le salut que la personne attend.

Toutes les sectes attachent la plus grande importance à la première rencontre, observant la personne intéressée mais sans aller plus loin. Quand elles ont réussi à calmer ses craintes, alors seulement elles préparent l’étape suivante, en leur disant qu’elles ont une place pour lui ou elle. Quand elles ont réussi à convaincre la personne d’avoir une vraie rencontre, elles proposent un second rendez-vous.

Pour cette seconde étape, le hall ou le gymnase est convenablement préparé et la victime reçoit un accueil chaleureux. Quand une personne ressent un vide spirituel et commence à en parler, on la laisse en paix pour un moment. Il semble que ce soit là le point clef – la victime doit se sentir à l’aise, en sécurité.

L’étape suivante est l’arrivée du maître. Elle peut avoir lieu plusieurs jours ou même plusieurs mois plus tard, mais la règle dit qu’elle ne saurait être reportée plus longtemps. Le rôle du maître est d’éveiller un grand désir d’être délivré de sa mélancolie ou de ses soucis ou de ce sentiment d’isolement qui détruit la vie. Il donne de la confiance en soi, de l’espoir, de l’ambition et de la force. Si la personne persévère, on lui conseillera de mettre sa foi dans le groupe et de se joindre à lui. On lui donne des tâches à remplir. La personne sera très heureuse et, après un certain temps, commencera à penser que la vie, après tout, vaut la peine d’être vécue. Chez eux, à l’école, parmi les amis, il semble alors que les néophytes éprouvent une chaleur qu’ils n’avaient jamais ressentie auparavant, joie et sentiment de plénitude.

b) Qu’est-ce qu’ils enseignent ? Que donnent-ils à leurs adhérents ? Pour les sectes, les pratiques ascétiques et les prières sont importantes. On n’insiste pas sur l’enseignement. Le but est-il atteint ou non – c’est ce qu’ils surveillent. Après un certain temps de pratiques, dans le but de prouver leur maturité, ils leur demanderont de payer leurs cours de formation. Puisque l’enseignement est un moyen en vue d’une fin, il est adapté pour répondre à plusieurs fins, aussi variées que les motifs humains. Quel est le problème ? Ce peut être un manque de confiance en soi, dans les relations humaines ou un sentiment d’isolement, la peur de la mort, le désir d’une longue vie, etc. D’autres se préoccuperont de santé ou de prospérité.

Il faudra un certain temps avant que l’adhérent découvre qu’il est escroqué. Dans le cas des gens passionnés dont les motifs sont les profits et le gain, ils continueront à dire qu’ils ont de la chance jusqu’à ce qu’ils aient perdu des sommes importantes, se réveillent et comprennent ce qu’il leur arrive. Dans ces cas-là, cependant, le lien entre le motif et les résultats est simple et la victime ne peut obtenir réparation.

Quelle que soit la cause éloignée des ennuis du candidat, la secte profitera des pertes que la personne a essuyées. Ils essaieront de découvrir le point faible de la condition mentale présente de la personne. Si c’est la solitude et le sentiment d’avoir besoin d’amitié et de parenté, ils seront pleins de sollicitude. L’attitude bienveillante du maître est déjà en elle-même un enseignement. Quoi qu’il arrive, l’objectif est de suppléer à toutes les années perdues ressenties par les victimes. Le maître essaiera d’éveiller en elles un goût pour la vie, de découvrir pour elles de nouvelles raisons de vivre, de leur donner le sentiment de contentement de soi et de satisfaction. Il est là pour ouvrir la route à la réalisation de tout désir humain. Autrement dit, les méthodes sont celles de tout vendeur astucieux.

On peut se demander pourquoi les gens se laissent si facilement tromper et escroquer, et les fondateurs de sectes, comme leurs instructeurs, ont bien conscience que la vérité sortira un jour et qu’il leur faut donc être très prudent. Il faut beaucoup de temps à quelqu’un enclin normalement à la religiosité pour voir clair dans leur jeu.

Il existe un grand nombre de gens qui ne peuvent distinguer entre la religion et ce qu’on appelle le folklore ou les anciennes traditions. C’est ceux-là qui insisteront sur le fait que les religions traditionnelles sont si préoccupées par leurs cérémonies qu’il serait absurde d’aller leur demander conseil. Les gens en difficultés n’iront vers les sectes que si celles-ci peuvent arborer quelques caractères distinctifs et montrer un certain empressement à vous aider. C’est pourquoi il n’est pas difficile pour des gens entreprenants et sans scrupules de se poser en maîtres de religion et de tromper les gens.

De plus, les Japonais ont un certain penchant pour le décorum et les cérémonies. Ils peuvent être fascinés par les cérémonies solennelles et les rituels. Quand il s’agit des sectes, ces cérémonies ne sont rien d’autre que des canulars, mais qui inspirent quelque chose de mystérieux, une image apocalyptique du futur d’un genre convaincant difficile à expliquer.

c) Promouvoir une impression d’identité avec le fondateur : la phase la plus à craindre

Quand les membres sont dans la secte depuis un certain temps, ils atteignent le stade où ils commencent à se sentir reconnaissants envers la secte. “Le groupe m’a accepté alors que j’étais non reconnu, rejeté par mon entourage. Maintenant, grâce à eux tous, j’ai commencé à m’épanouir et suis devenu quelqu’un de confiant !”. C’est à ce stade que, à coup sûr, les yeux du fondateur s’arrêteront sur le nouvel adepte. Il ou elle deviendra l’un des membres de la clique des inconditionnels de confiance. Mais au lieu de la liberté de choix qu’il pense avoir, sans qu’il s’en aperçoive, des liens se sont développés qui le privent de toute liberté, même pour vivre sa propre vie.

Echelle de valeurs dans l’arrière-plan historique

Une autre raison pour laquelle les Japonais se laissent si facilement abuser par les fausses religions peut être aperçue dans l’échelle des valeurs matérialiste qui gère nos coutumes et notre culture. Plutôt que de trouver sa raison d’être dans l’adoration de l’Un qui est au-dessus de tout, la religion est conçue au service de l’homme et du profit. C’est un outil qu’on utilise pour soi-même et sa propre satisfaction. C’est cette conception qui se trouve en arrière-plan de notre vie quotidienne et qui la régit.

Par conséquent, le raisonnement abstrait, les concepts moraux et les notions spirituelles de salut ne leur sont pas naturels. Au fond de leur subconscient, ils croient en un certain nombre de dieux qui existent pour le bénéfice de ceux qui y ont recours. Ces dieux ont le pouvoir de guérir des maladies, d’apaiser douleurs morales et ennuis, d’aider à gagner de l’argent ou d’avoir raison d’un rival. La religion est là pour la réalisation de nos désirs. C’est l’idée qu’en ont les Japonais ordinaires. C’est une mentalité cachée mais profondément ancrée dans les habitudes et les conventions qui façonnent leur vie. Ce pourrait être l’exemple japonais du “péché du monde Il n’est pas limité aux adultes. Il s’étend aux jeunes et même aux enfants.

L’ancienne religion traditionnelle du Japon était très négative en ce sens que l’organisation religieuse elle-même s’est rarement trouvée impliquée dans des mouvements sociaux ou politiques. Ainsi, pendant la guerre du Pacifique, le shinto était utilisé par le gouvernement, mais ce n’était pas la volonté de l’organisation religieuse elle-même. Une facette de la philosophie shinto était utilisée à des fins détournées. Les instances religieuses diraient probablement qu’elles avaient été mises en porte à faux.

L’un dans l’autre, pour la grande majorité des Japonais, la religion est quelque chose qui existe au service de la faiblesse humaine. Prières, divinations, prophéties, pratiques ascétiques, etc. sont faites pour la réalisation des désirs des hommes.

Cette mentalité fait que certains cherchent à deviner le cours des événements à venir de la journée. Ils ne peuvent quitter leur domicile le matin sans avoir consulté l’horoscope télévisé : comment les rapports humains seront-ils au travail ? avec quel homme ? avec quelle femme ? y a-t-il des chances de faire de bonnes affaires ? Dans la même perspective, la religion est là pour servir et accroître les intérêts matériels : il ne s’agit pas de “Ce que je dois faire moi'”. C’est certainement la conception de la majorité de la population japonaise. C’est presque comme s’ils disaient au Christ : “Epargnez-nous vos conseils”.

Nous devrions attaquer notre journée missionnaire seulement après une bonne connaissance de nous-mêmes et être devenus tout à fait conscients du “péché du monde” tel qu’il existe dans les habitudes et les usages de notre propre pays.

Semer le grain dans les cœurs affamés

1.) Dans une civilisation matérialiste, où donc est passé l’amour ?

Le Japon a importé la civilisation scientifique moderne de l’Occident, mais non pas le christianisme, et est devenu aussitôt une puissance économique à la progression la plus rapide du monde. Au sein de sa population, il y a ceux qui en ont profité et ceux qui en ont souffert. Une des plus récentes avancées technologiques a donné à presque tous les jeunes du Japon un téléphone portable, une aubaine pour ceux qui veulent rester en communication les uns avec les autres. Mais cet engin peut aussi limiter les contacts d’une personne à une autre. Si ce genre de communication continue, comment pouvons-nous espérer des rapports sociaux normaux ?

Dans le sillage de notre développement économique et de nos programmes scolaires très avancés, nous trouvons maintenant de plus en plus de laissés pour compte. D’après les statistiques du ministère de l’Education nationale pour 1998, 180 000 enfants, de l’école primaire au lycée, refusaient d’aller en classe. Dans un domaine différent, la moyenne d’âge des enfants coupables de crime s’est abaissée et la nature de leurs crimes s’est aggravée. Il serait téméraire de supposer qu’il n’y a pas de lien entre ces phénomènes et l’émergence des sectes religieuses. Nous avons un motif pour pouvoir l’affirmer. La compétition pour obtenir les meilleures notes a volé aux enfants le temps qui devait se passer à jouer. S’amuser et jouer sont considérés désormais comme du gaspillage de temps. Dans le même sens, le goût naturel pour la religion qui existe dans le cœur des jeunes est anéanti avant d’avoir eu le temps de mûrir. La foi qui d’habitude fait partie de la vie des étudiants des écoles primaires et secondaires dans nos églises n’est pas plus évidente. Les prières avant et après le repas, comme simple exemple, ont disparu, même dans nos familles catholiques. Dans les maisons où c’est encore la coutume, elles ne semblent ne plus être que des formules vides. Les enfants n’y mettent plus leur cœur. Les membres de la famille n’ont même pas le temps de connaître leur existence réciproque et les parents n’ont plus le contrôle de rien.

Depuis leur naissance les nouvelles générations du Japon n’ont manqué de rien, jamais. Si on veut quelque chose de spécial à boire ou à manger, on l’obtient presque toujours immédiatement. Mais le rythme de vie est si rapide qu’on est presque toujours essoufflé et que tout contact humain réel est voué à l’échec. En dépit du confort matériel, les enfants ont grandi dans une sorte de frustration innée, une tension qu’ils ne peuvent cerner. Certains se renferment en eux-mêmes. D’autres évacuent leur ressentiment par des actions violentes. Mais ce sont là deux extrêmes. Le plus grand nombre souffre en silence, sans défense, continuant jour après jour, le cœur vide. Ils peuvent être rassasiés de pain mais ont encore faim de quelque chose de spirituel. Ils sont des proies faciles pour les nouvelles religions.

S’étonner que notre société soit polluée par la prospérité matérielle, c’est avoir oublié ce qu’est la spiritualité. Ou serait-ce avoir simplement fermé les yeux ? La plus grande partie de la société certainement ne se sent pas concernée par l’existence de Dieu. C’est pourquoi dans notre évangélisation nous devons aider les gens à découvrir que Dieu est à la fois mystérieux et proche. Il nous faut prier pour convaincre les gens que Dieu habite en chacun et nous guide. Nous avons aussi besoin d’une liturgie qui en témoigne. Plutôt que l’explication idéologique de l’existence de Dieu, nous avons besoin d’une communauté chrétienne, capable, sans parole aucune, d’annoncer à tous un Dieu qui donne appui et force pour survivre. Il y a un mystère dans le fait d’être vivant. L’Eglise chrétienne doit être capable de provoquer une foi consciente de cette réalité. Cela aussi devrait être aussi l’occasion d’une prière qui ne peut être faite qu’ensemble avec d’autres.

2.) De termes abstraits en symboles, nos émotions peuvent établir des contacts

L’âme n’est pas faite pour une explication abstraite de l’amour mais pour une preuve que le cœur, lui, peut la comprendre. Où la trouver ? L’amour des parents peut être trop gentil ou bien mêlé d’égoïsme. Les enfants peuvent s’en apercevoir et ainsi donc aller à l’école pour plaire aux parents, étudier pour améliorer leurs notes et donc la réputation des parents. En d’autres termes, ils deviennent des machines à développer l’ego des parents. A la place d’une certaine considération, ils lisent dans l’amour des parents une demande de résultats. Malgré d’étroites relations entre parents et enfants, l’identité des uns et des autres peut être non reconnue de sorte que chacun de son côté décide unilatéralement ce qui est bon ou juste. Un côté applique à l’autre son échelle de valeur. Le même phénomène peut se produire entre mari et femme. Où faut-il aller pour trouver un témoignage pratique d’amour ? Le dialogue pourra être un autre exemple. Mais il faudrait noter en passant que les Japonais sont vraiment peu doués pour le dialogue. Quand ils viennent à dialoguer avec Dieu qu’ils n’ont jamais reconnu comme étant une personne, cela peut être effrayant.

Comme nous l’avons vu pour les relations entre parents et enfants, dans le dialogue également, même dans l’Eglise, avec la meilleure apparente intention de vouloir échanger des idées, on peut aussi imposer sa propre personnalité. Secrètement et inconsciemment, on peut se servir du Christ pour se réaliser soi-même. On peut seulement prier qu’un jour notre dialogue se modèle sur l’amour entre le Père, le Fils et l’Esprit.

La culture du Japon était à l’origine une culture du silence. Nous avons un dicton : “Dans la paix et le silence : calme et vénération”. Un autre proverbe dit : “Les yeux peuvent être aussi éloquents que la langue et la tradition dit que, souvent, expliquer les choses avec des mots les abîme. C’est pourquoi il existe des symboles. Les symboles poussés à leur limite peuvent prendre la place des mots. Ils instaurent un dialogue sans utiliser les mots. Au milieu de nos hymnes, nous devrions avoir un intervalle de silence. Dans une cérémonie, il devrait y avoir une place pour du gestuel et du mime. Nous avons besoin d’un style d’église doté d’une atmosphère de mystère. Nous avons à créer des symboles auxquels le cœur puisse répondre.

3.) Briser la barrière du silence

Avant tout, il nous faut des mots pour exprimer nos sentiments mais, depuis peu, les gens en sont devenus beaucoup moins capables. L’environnement que nous avons créé en est partiellement responsable. Les programmes scolaires, par exemple, donnent une fausse importance à l’acquisition du savoir et peu d’occasion d’apprendre à l’exprimer. C’est un sous-produit de la trop grande place donnée au côté matériel des choses qui fait que nous avons perdu le « senti” des mots, la vie qui leur est attachée et leur profondeur de sens. Il en résulte que beaucoup n’ont pas la capacité d’extirper ce qui est enfoui en eux. Pour ceux-là manque un mode d’expression au-delà des mots. Les organisateurs des sectes savent comment utiliser ce défaut à leur avantage.

Si vous demandez quel type de personne est censée rejoindre une secte, la réponse est toute simple. Jusqu’à ce qu’ils rejoignent une secte et commencent leurs étranges activités, ils étaient des citoyens ordinaires pleins de bon sens. Mais ils ont un point faible en commun, une incapacité à communiquer leurs sentiments : ils sont immatures dans leurs relations avec les autres. Ils ont manqué de pratique au début de l’âge adulte ou quelque chose est arrivé entre eux et leurs parents quand ils étaient très jeunes. Un certain nombre de facteurs ont fait s’élever le niveau de frustration jusqu’à ce que, à leur insu, naisse un secret désir de Dieu. Alors, avant qu’ils ne puissent le comprendre, ils sont prêts pour entrer dans une de ces sectes.

Exactement comme le serpent dans le Jardin du Paradis, qui affirme que vous serez des dieux, les sectes cultivent ce désir chez les futurs membres. C’est pourquoi je répète que nous avons le devoir de les protéger pour qu’ils ne deviennent pas victimes de ces organisations. C’est un devoir qui découle de notre foi. Même si nous savons que ce problème des religions nouvelles n’est pas récent, ne sommes-nous pas trop complaisants à ce sujet ? Elles sont officiellement reconnues comme religions, utilisent des termes et un vocabulaire religieux, prétendent agir au nom de Dieu ; non seulement elles trompent les gens et prennent leur argent, mais elles volent la santé physique et morale de plus d’un. Les braves gens sont des proies faciles pour des dieux qui promettent des biens terrestres en récompense. De faux prophètes et de faux docteurs de la loi se lèveront, nous dit l’Ecriture, et nous avons en nous tellement d’orgueil et de tentations qu’ils peuvent même assujettir Bouddha.

Un roi de l’Ancien Testament a demandé au prophète Balaam de maudire le peuple de Dieu. Nous ne valons guère mieux. Notre liberté est tellement dominée par la convoitise que nous essayons même d’utiliser Dieu à notre profit. Appliquez ce modèle à vous-mêmes et voyez si vous n’êtes pas concernés. Même si quelqu’un ne va pas jusqu’à tromper et utiliser les autres à son profit, il y a des jours où on agit contre Dieu, et même jusqu’à songer prendre sa place. Si, à ce moment-là, quelqu’un se souvenait des liens qui unissent Créateur et créatures, peut-être qu’un changement intérieur s’opérerait. Sinon, son choix le conduira à devenir son propre dieu. Situation effrayante. C’est pourquoi nous ne pouvons pas rester là à ne rien faire et à permettre à ces groupes religieux de tirer avantage de la faiblesse humaine et de l’utiliser pour leur plus grand profit.

Ce n’est pas un problème qui puisse se prêter à une solution facile ; il n’y a pas de mesures immédiates à prendre. Il nous faut serrer les rangs et tenter de combattre le danger. Si nous fermons les yeux sur la situation, nous perdrons la confiance de notre peuple. La foi deviendra obscure et vague et la route ouverte au démon et à son étrange pouvoir de travailler parmi nous.

L’existence de ces nouvelles religions est en soi un problème de société mais je ne cesse de penser à ces malheureux pris dans leurs filets. Comment peut-il y avoir des gens si immatures qu’ils peuvent se laisser tromper au point de croire qu’ils sont sur le chemin du salut ? Mon idée est qu’ils ont perdu ce qui devrait être un goût inné pour la vie ; leurs cœurs sont faciles à prendre. C’est la tragédie de ceux qui ont perdu le contrôle de leurs désirs et ne savent pas qui ils sont. Mais c’est notre responsabilité de chrétiens de les éveiller à ce qui se passe et leur tendre une main secourable.

Pour terminer, voyons ce qu’il en est au Japon des liens entre religion et culture. A strictement parler, selon mon point de vue, la foi n’y est pas considérée comme partie prenante de la culture. Dans notre civilisation polythéiste, les critères et les valeurs de la vie ne sont pas déterminés par Dieu ou les dieux. Les modèles d’action et les critères de jugement sont déterminés par tout ce qui se vit au sein de la communauté en rapport étroit avec une échelle relativiste des valeurs. Il nous semble difficile de croire en des dieux qui habitent loin. Qu’ils soient Dieu ou kami, ce que nous en attendons, c’est leur capacité à réaliser nos désirs. Les dieux du Japon devraient être gentils pour leurs dévots et capables de promettre les biens terrestres. Au lieu de doctrines difficiles, ils nous engagent à des pratiques ascétiques grâce auxquelles nous pouvons devenir nous-mêmes des dieux. C’est une attitude générale. Il s’ensuit donc que, pour ceux qui n’ont par trouver leur place dans la vie ou pour les jeunes qui cherchent leur “Voie” et le sens de la vie ou se trouvent dans une impasse, la réponse doit être quelque chose de facile à comprendre. Ils sont attirés par une atmosphère de mystère ou par des pratiques ascétiques qui semblent prometteuses.

L’Eglise que nous avons construite ici au Japon doit beaucoup à la culture chrétienne occidentale. C’est cette Eglise qui est confrontée à ce que nous avons décrit plus haut. Pour transmettre le vrai message de l’Evangile comme culture spirituelle, nous avons besoin d’un plus grand développement de notre théologie, de notre prière et de notre ascétisme. Nous devons non pas regarder les séries d’événements pénibles liés aux sectes et à leurs activités comme des exemples extrêmes mais plutôt comme d’importants problèmes que rencontre l’évangélisation de ce nouveau millénaire. Dans la société laïcisée, ces problèmes sont enfouis. Nous ne pouvons pas faire cela. Ces problèmes doivent être matière à réflexion, motif de repentir et de vérité. Nous ne devons pas non plus osciller au gré des vents changeants. Il s’agit pour nous de nous accrocher au salut en Jésus-Christ et à la Tradition, à proclamer le mystère de la foi et à semer le grain.