Eglises d'Asie

QUELQUES REFLEXIONS SUR LA DESAFFECTION DES JEUNES A L’EGARD DES COURANTS RELIGIEUX CLASSIQUES ET LEUR ATTRAIT POUR LES NOUVELLES RELIGIONS ET LES SECTES

Publié le 18/03/2010




Technologie

Après l’écroulement du communisme et l’affaiblissement des partis politiques de gauche, la plupart des jeunes n’espèrent pas grand chose de ces partis ou de leurs groupes satellites. Des partis de l’extrême droite radicale et des pseudo-groupes religieux ont exploité cette situation. En Europe, ils semblent attirer les jeunes par leurs programmes. Des journalistes à l’affût de ces phénomènes en ont conclu que, dans beaucoup de pays d’Europe, les ex-gauchistes s’en vont maintenant vers les partis d’extrême droite. Aux Etats-Unis, les jeunes n’adoptent plus comme par le passé – un passé pas si lointain – des attitudes dirigées contre la culture dominante. Les jeunes Américains d’aujourd’hui sont plus conservateurs. Ils croient au nouveau libéralisme et aux tendances néocapitalistes en vogue.

Est-ce parce que les être humains sont toujours tentés par le pouvoir ? Un militant étudiant coréen à tendance marxiste, devenu plus tard syndicaliste, rejoignit vers les années 1980 un des plus conservateurs et des plus pro-capitalistes partis de Corée et fut deux fois élu à l’Assemblée nationale. (Entre temps, il devint aussi catholique). En fait, un certain nombre d’anciens étudiants coréens et d’anciens syndicalistes sont entrés en politique. Certains appartiennent précisément à ces mouvements politiques conservateurs qu’ils insultaient jadis lorsqu’ils étaient jeunes militants. Même les partis progressistes sont conservateurs. (Le seul parti progressiste de gauche à faire campagne pour les élections du 13 avril 2000, le Parti libéral démocrate, a mené une campagne tambour battant mais n’a pas réussi à gagner un seul siège à Ulsan et à Changwon, là où les syndicats sont très implantés du fait de la présence de grandes entreprises industrielles).

En Corée, nous sommes étonnés de voir que les jeunes étudiants et les cols blancs sont tentés par des groupes comme le Chun Jon Corp., un groupe fondé autour du qigong et les exercices de respiration. (Le leader de ce groupe a été arrêté pour fraude en février 2000). Les sectes et les nouvelles religions donnent aux jeunes un stimulant émotionnel radical parce que les expériences religieuses offertes par ces groupes sont simples et immédiatement gratifiantes. Beaucoup de ces pseudo-religions organisent de grandes cérémonies de masse comme celles de l’Eglise de l’unification [NDLR : la secte Moon] avec ces mariages arrangés.

Chaque mois, pendant le petit déjeuner où tous les responsables du Centre de pastorale ouvrière se retrouvent, l’aumônier de la communauté catholique des Philippins de Séoul nous fait son rapport. Récemment, il nous a parlé des filles philippines venues en Corée pour se marier à des Coréens dans le cadre de l’Eglise de l’unification. Ces Coréens sont pour la plupart des paysans venus des régions rurales de Corée. D’ordinaire, ils ne sont pas membres de la secte mais ont du mal à trouver une femmes coréenne qui veuille bien habiter et travailler dans une ferme. Les filles philippines s’accrochent à cette idée dans l’espoir de se procurer un peu d’argent pour leurs familles restées dans la misère aux Philippines. Après leur arrivée, elles découvrent qu’elles ne savent pas grand chose de la Corée ni de la vie avec un mari coréen. Déçues, elles s’enfuient et viennent demander l’aide de la communauté catholique philippine. L’Eglise de l’unification apparaissait être pour ces filles un moyen tout simple de résoudre leurs difficiles problèmes. Elles n’ont tout simplement pas réalisé que l’Eglise de l’unification avait son propre programme d’unification du monde avec des mariages inter-raciaux et peut-être aussi à la clé quelques intérêts financiers.

Pour avoir une vue plus claire de la situation, j’ai interrogé le professeur Ro Kil-myung, doyen du campus Seo Chang de l’Université de Corée. Le professeur Ro est une autorité en matière de nouvelles religions. Son domaine de prédilection est la sociologie. D’après lui, trop souvent, quand les gens se tournent vers les grandes religions, ils s’y sentent écrasés par les structures. Les jeunes en particulier se sentent rebutés par les traditions et le trop d’organisation. En général, les gens ont le sentiment qu’ils doivent apprendre trop de choses s’ils veulent fréquenter les Eglises. Ils ont l’impression que l’action sociale y dépend des structures. L’Eglise ne peut et ne pourra changer l’Evangile pour mieux plaire aux jeunes ou à d’autres. Par contre, l’Eglise peut faire que ses programmes pour les jeunes soient plus dynamiques et attrayants. Jusqu’à présent, trop d’Eglises semblent avoir peur de faire les changements nécessaires pour aider les jeunes à renouer avec cette foi que les Eglises pourtant cherchent à partager avec l’humanité. Dans une société de plus en plus mondialisée et dominée par les technologies de l’information, les Eglises donnent l’impression d’être trop centrées sur l’autorité et bizarrement démodées.

Pour la défense des Eglises, il nous faut réaliser que les jeunes et dynamiques Eglises coréennes ont eu, presque toutes en même temps, à s’implanter, à grandir, à s’organiser et à construire des locaux pour le culte et les rencontres. Beaucoup de pauvres sont venus à l’Eglise catholique dans les années 1960 et 1970. Dans les années 1980, ce sont les gens des nouvelles classes moyennes et supérieures qui, nombreux, ont rejoint l’Eglise catholique. Depuis, il semble que nos paroisses, centrées sur leur développement matériel, deviennent trop dépendantes de la haute bourgeoisie et des classes riches de la société. En fait, la plupart des Eglises reflètent maintenant les valeurs et les goûts des éléments les plus aisés de notre société.

Ces dernières années, les Eglises n’ont donné ni beaucoup d’espace ni beaucoup d’importance aux jeunes comme elles ont su le faire il y a dix ou vingt ans. En dépit de tout ce qui est dit sur la priorité à donner à la pastorale des jeunes dans l’Eglise catholique, peu de choses ont été réalisées. En conséquence, les jeunes s’échappent des structures organisées et se retrouvent face à leur individualisme. Ils s’orientent maintenant vers une religion plus discrète ou des groupes aux apparences moins voyantes, en contraste avec une religion ayant pignon sur rue et forte de ses cérémonies liturgiques. Ils aiment les cours de formation discrets et être leur propre prêtre ou pasteur. Néanmoins, les Eglises traditionnelles semblent toujours et encore vouloir créer de nouvelles paroisses.

Les nouvelles religions donnent aux jeunes un sentiment de se retrouver « dans une culture asiatique bien à nous Les jeunes s’y sentent plus en harmonie parce que ces religions semblent être moins préoccupées de dualisme et d’évolution, caractéristiques d’un certain enseignement chrétien. Ils préfèrent ignorer tout le bagage intellectuel accumulé par les Eglises au cours des siècles. Ils sont plus orientés vers le qigong ou les théories de l’énergie, les méthodes de respiration, le transcendantalisme, la contemplation et la méditation zen. Les nouvelles religions en Corée donnent beaucoup d’importance à la santé individuelle, à la confidentialité de la formation, à la formation spirituelle et aux messages parapsychologiques.

En bref, plutôt que d’étudier une doctrine, chacun est invité à avoir sa propre expérience spirituelle. Personne n’est forcé d’entrer dans des moules qu’un certain style de christianisme semble avoir façonné pour y enfermer les gens.

Le professeur Ro énumère de la façon suivante les trois distinctions qui caractérisent les nouvelles religions sur la scène coréenne.

1. Les anciens-nouveaux’ mouvements religieux, comme le bouddhisme Won et le Chun do-kyo qui existent depuis des années, sont nés du malaise ressenti par les classes populaires ou tous les laissés pour compte incapables de s’adapter aux changements culturels imposés par l’esprit et le capitalisme à l’occidentale. Les adhérents de ces mouvements sont à la recherche de leur propre identité culturelle et espèrent en la venue d’une personnalité comme Miroku Bosatsu qui viendrait et balaierait les désordres de la société. Ils s’intéressent aux droits de l’homme, à la justice, à la paix et au travail bien fait. Ils veulent une vie politique apaisée et insistent sur la nécessité d’un certain ascétisme, sur la charité, le bien commun et une bonne morale.

2. Les nouveaux mouvements religieux ressemblent davantage aux groupes du New Age. Ils insistent sur l’individualisme et la nécessité d’une bonne santé physique et psychique et recherchent la sécurité et une vie paisible. Ils usent de la formation confidentielle et des méthodes de respiration.

3. Les groupes qui font appel au désir des jeunes de recherche d’une vie trépidante et de liberté d’action. Ce qui, quelquefois, les conduit à une certaine dépravation. Ils veulent être libres de toutes contraintes. Dans leur recherche de liberté, ils vont quelquefois et de façon paradoxale, jusqu’à une sorte d’aliénation de la liberté. Ils rejoignent des groupes qui la restreignent et les introduisent dans des organisations étanches et des structures rigides comme l’Eglise de la réunification et les Témoins de Jéhovah (ou la secte Aum japonaise !) (2).

A ce chaos religieux, nous pouvons ajouter le fait que nos Eglises ne sont pas toujours ouvertes, chaleureuses et accueillantes. Dans un monde impersonnel, clergé et religieuses ont oublié que “.côte à côte, avec la proclamation de l’Evangile, l’autre forme de transmission, de personne à personne, restait valable et importante. Le Seigneur l’a utilisée (par exemple avec Nicodème, Zacchée, la Samaritaine, Simon le pharisien et ce qu’on fait les apôtres)”. (Cf. Evangelii Nuntiandi, 46).

Les jeunes pensent surtout qu’il n’y a rien de nouveau dans les grandes religions traditionnelles. Leur attitude la plus typique pourrait être “Pourquoi s’embêter, pourquoi perdre son temps ?”. Si les prêtres et les religieuses sont peu enthousiastes, n’accueillent pas bien les gens et ne leur sont pas dévoués ni à eux ni à leurs problèmes, nos Eglises ne grandiront pas. Si nous sommes seulement administrateurs des biens de l’Eglise et de programmes ou pire encore, si nous sommes seulement des organisateurs d’événements spirituels, les Eglises feront du sur place ou bien déclineront. La majorité des prêtres et des religieuses sont heureux d’être au service de ceux qui viennent à l’église. Mais il n’y a pas beaucoup de “bons pasteurs” actifs. Se considérant eux-mêmes comme déjà bien occupés, les prêtres et les religieuses, pris dans le travail paroissial, vont rarement à la rencontre de la brebis perdue ou errante. Très souvent, aller vers les masses ou “en terrain inconnu” est considéré comme la tâche de ce que souvent nous désignons comme étant du ressort des “ministères et apostolats spécialisés”. Néanmoins, la formation d’apôtres laïcs en vue de cette tâche n’est pas non plus notre fort. Alors comment répondre aux pieux besoins de nos ouailles nous préoccupe beaucoup !

Le Décret sur l’apostolat des laïcs de Vatican II est “le premier document dans l’histoire des conciles œcuméniques à s’adresser à d’autres qu’aux clercs. Ce document déclare que, par la vertu de leur baptême, les laïcs ont un ministère, distinct du ministère ordonné” (1). Qu’avons-nous fait de ce Décret sur l’apostolat des laïcs ? Un genre de lettre morte. La plupart de nos Eglises se contentent de laisser les laïcs simplement mener une vie sacramentelle et s’engloutir dans des dévotions de toutes sortes.

Du moins, d’après ce que j’ai vu en Corée ces dernières trente années, des vagues de pratiques pieuses ou de ce qui avait commencé comme des “cursillos”, cours ou retraites très courts, sont devenus des mouvements. En bien des cas, ces nouveaux mouvements ou ministères semblent satisfaire la faim de dévotion des fidèles. Les laïcs ne sont pas formés à être apôtres et à avoir un ministère. Ce qui réussit à attirer beaucoup de gens, c’est d’être formé à devenir missionnaire. Le cardinal Cardjin, fondateur de la Jeunesse ouvrière chrétienne et un des principaux auteurs du Décret sur l’apostolat des laïcs de Vatican II, reconnaît, par expérience, que les prêtres et les religieux ne peuvent pas entrer dans le monde du travail, usines, bureaux, marchés, etc. Il veut que l’Eglise forme des apôtres laïcs déjà présents dans ces milieux, ce qui est désigné comme étant “l’apostolat du semblable envers son semblable”. (Décret sur l’apostolat des laïcs, 13).

Apprendre par cœur (méthode classique) ou dans le cadre d’un groupe interactif ?

L’arrière-plan confucéen de bien des pays de l’Asie du Nord-Est insiste beaucoup sur l’apprentissage de la sagesse des anciens et sur l’utilisation de la mémoire. En Corée, tout ce qui est lié aux études est hautement considéré. Le catéchuménat mis à part, quand une Eglise locale veut enseigner à des non-croyants les rudiments de la foi chrétienne, elle multiplie les occasions d’apprendre. Il y a des séminaires sur La vie dans l’Esprit’, des séminaires sur la dévotion au Saint Sacrement ou la dévotion à Notre Dame. Des cours bibliques variés sont ouverts aux fidèles. Tout ce qui est lié à l’étude de quelque chose est très populaire. Les groupes d’Action catholique des milieux qui fondent leurs rencontres sur la révision de vie au cours desquelles ils regardent la réalité concrète, l’évaluent à la lumière de l’Evangile pour passer ensuite à l’action selon l’évangile de Jésus, ne sont pas “dans le vent » dans nos Eglises. Avons-nous seulement à pousser les gens à apprendre et ensuite à ne rien faire ?

Une expérience personnelle

Avant de dire quelque chose sur le discernement et la méthode de la révision de vie, j’aimerais partager avec vous quelque chose de mon expérience. Pendant 21 ans, ma propre congrégation salésienne m’a confié l’Association salésienne des coopérateurs, un groupe de notre famille salésienne, composé surtout de laïcs. De 1976 à 1997, ensemble, aidé d’un noyau de laïcs intéressés par les problèmes des jeunes et le ministère auprès d’eux, en nous appuyant sur les bases de la vie spirituelle telle qu’elle est pratiquée chez les toujours très actifs salésiens, j’ai essayé de développer les coopérateurs salésiens en Corée. Pendant cette période, j’étais le délégué des coopérateurs coréens. Le P. José Reinoso, originaire d’Espagne mais membre de la province des Philippines, était le délégué à Rome du Conseil mondial de ces coopérateurs salésiens. José et moi étions des amis. Nous avions étudié ensemble à l’Ecole salésienne de théologie de Lyon, en France dans les années 1960.

José m’a toujours encouragé à entretenir un esprit de responsabilité personnelle chez nos coopérateurs coréens. Un moyen pour y arriver était de les aider à utiliser une certaine forme de révision de vie. Dans notre association, nous utilisions une méthode de partage de vie plus informelle que celle utilisée habituellement dans les groupes d’Action catholique. Il a fallu 21 ans pour mettre sur pied un groupe solide de quelque 200 personnes. Au début, dans ces groupes, les coopérateurs étaient peu nombreux mais quand nous commençâmes à nous en occuper et à les encourager, ils vinrent aux réunions régulièrement et devinrent plus nombreux.

Beaucoup de coopérateurs salésiens s’engagèrent d’eux-mêmes pour enseigner le catéchisme aux jeunes de leurs paroisses. D’autres, dans leurs conseils paroissiaux, s’offrirent d’eux-mêmes à travailler pour eux. Le propriétaire d’une petite affaire de plomberie et de chauffage prit chez lui des jeunes orphelins de notre Foyer salésien d’apprentissage, leur apprit le métier et comment gérer leur argent.

Le programme de formation de l’Association où je travaillais avec les coopérateurs était fondé sur une lecture approfondie des Evangiles, Les règles de la vie apostolique de l’Association, la doctrine sociale de l’Eglise (Gaudium et spes, Christifideles laici, Laborem exercens), l’étude d’un ouvrage catéchétique de pointe (Le catéchisme hollandais) et quelques ouvrages salésiens (La vie de Don Bosco, Mamma Margarita). Les groupes étaient vivement encouragés non seulement à lire des documents et des livres mais à en discuter et à discerner dans le contexte de leur propre vie quotidienne les situations qui se rapportaient à ce qu’ils avaient lu.

Quand nous avons changé de provincial et que davantage de confrères coréens prirent en charge l’Association salésienne des coopérateurs, la nouvelle direction composa aussitôt un manuel à lire au cours des réunions mensuelles. Ici, je dois dire, nous découvrons un autre trait propre aux milieux cléricaux coréens qui consiste à faire des changements sans d’abord vérifier si ce qui a déjà été fait était valable ou non. Un prêtre coréen ami relie ce trait à l’idée que “l’histoire commence avec moi Juste lire d’un bout à l’autre un texte obligatoire dans une simple réunion d’au moins une heure, laisse très peu de temps à la réflexion et au discernement. Les groupes, pour l’heure, apprennent ce qui est écrit dans le livre. Dans le seul groupe où je travaille en ce moment, la plupart des membres, (même les nouveaux arrivés) préfèrent moins utiliser le manuel et passer plus de temps à discuter des événements de leur vie personnelle et de la société où ils vivent. Malheureusement, discuter de nos vies n’est pas considéré comme une étude pouvant aller de pair avec l’étude d’un livre ou la participation à une conférence où une ou plusieurs personnes sont sensées en savoir plus que les autres.

L’homme d’aujourd’hui est-il devenu un “animal économique” allergique au spirituel ?

L’homme d’aujourd’hui semble être devenu un “animal économique” intéressé peut-être, mais sans doute pas très profondément absorbé, par le spirituel. Les difficultés économiques dues à la crise financière en Asie ont fait que beaucoup de Coréens sont affectés par ce qu’on appelle la crise-FMI’, réalisant que l’argent ne fait pas tout. Qu’est-il arrivé ? Que beaucoup d’argent a tout simplement disparu en une nuit ! Bien des gens qui vivaient une vie relativement confortable se sont retrouvés sans travail et presque sans ressources. Une minorité, surtout des hommes, ne sont jamais revenus chez eux. Ils forment maintenant une classe de clochards en errance dans les rues.

Les jeunes des familles aisées n’ont pas fait l’expérience de la crise financière de la même façon que ceux des classes moyennes ou des familles pauvres. Les familles très aisées et dotées de fortes capacités d’épargne ont gagné encore plus d’argent. Le FMI a obligé le gouvernement coréen à augmenter les taux d’intérêt. Les riches ont fait de beaux bénéfices avec les intérêts élevés qu’ils ont touché de leur capital placé dans les banques d’affaires. Pour certains jeunes des classes aisées, la mystique que leurs offrent les nouvelles religions est une nouvelle manière de “jouer” ou de s’amuser. Un jeune prêtre a décrit cette mode comme “une nouvelle manière d’aller très vite nulle part”.

La spiritualité telle qu’elle est pratiquée dans nos Eglises rebute les jeunes. Cela ressemble un peu trop à un travail : apprendre quelque chose et se renier soi-même. Les possibilités et les fantasmes que permet la mystique attirent, comme les papillons sont attirés par la lumière électrique dans les nuits chaudes. Ils s’intéressent d’autant plus aux questions mystiques qu’ils sont opposés à la vie mystique ! En fait, il y a une grande faim de spiritualité chez les masses mais peut-être qu’il n’y a pas assez de maîtres spirituels chrétiens capables d’accompagner les gens jusqu’au “Septième degré de la montagne”. Les jeunes aiment les romans fantastiques et écoutent facilement des conférences sur d’anciens maîtres de la vie mystique ou de la philosophie.

J’en veux pour preuve le programme télévisé intitulé Pour bien comprendre les classiques orientaux : Lao-tseu au XXIe siècle, présenté par un érudit charismatique, le professeur ( Do-ol’) Kim Yon-oak qui a fait sensation en Corée au début de l’année. La série de 56 savantes et quelquefois pétillantes conférences quatre fois par semaine du professeur Kim sur la chaîne de télévision éducative EBS était populaire et a attiré des centaines de milliers de téléspectateurs. EBS atteint rarement plus de 1 % d’audience. Le professeur Kim atteignait 6 % et même certains jours 10 %. Le livre du professeur Kim, Lao-tseu au XXIe siècle, a pratiquement disparu des étalages des libraires. Personnalité charismatique et excentrique, c’est un spécialiste du taoïsme. Au cours de ses conférences, il utilise souvent des expressions grossières et vulgaires qui détournent certains téléspectateurs et lui aliènent bien des cercles académiques. Le succès de ces programmes semble être dû au fait qu’ils arrivent au bon moment. Historiquement, le taoïsme suscite de l’intérêt quand la société, en attente et pleine d’espoir, se trouve face à des temps nouveaux. Le nouveau millénaire dont on a beaucoup parlé a suscité de grandes espérances.

Tous les grands penseurs chinois ont voulu faire de ce monde un pays où bien vivre. Confucius lui-même y était acquis. Il voulait un peuple heureux de vivre une vie équilibrée. Le néo-confucianisme, dans le contexte coréen, au cours des ans, s’est transformé de plus en plus en un code d’action rigide utilisé par l’élite Yangban pour exercer son contrôle sur ses sujets.

En Chine, le taoïsme est le résultat d’une rébellion du peuple contre la rigidité confucéenne. La tendance de la pensée taoïste est caractérisée par un certain désenchantement ou même un dégoût pour la vie humaine telle qu’elle est ordinairement vécue. La tendance de la pensée taoïste veut que l’on jouisse de chacun des jours tels qu’ils nous sont donnés. Jouir de la nature. Se méfier du piège d ‘une ambition grandissante. Quand nous mourrons, le je’ disparaît. Et alors ! La conscience est douleur et, quoiqu’il en soit, un mal.

Regardant la nature avec les yeux ravis d’un enfant, les taoïstes trouvent que “toute perspective d’avenir est un plaisir et que l’homme, seul, est vil”. Trouvant le monde des hommes écœurant, ils conseillent de l’abandonner. C’est pourquoi, parmi ceux qui figurent en premier dans les écrits taoïstes nous trouvons des solitaires, des pêcheurs, des paysans, des gens qui vivent à part, en communion avec la nature (3).

Ainsi, le Chuang Tzu nous dit : “L’univers est l’unité de toute chose. Si quelqu’un reconnaît son appartenance à cette unité, les parties de son corps ne signifient pas plus pour lui que beaucoup de crasse, et la mort et la vie, la fin et le commencement, ne dérangent pas plus sa tranquillité que la succession des jours et des nuits”. Pour Lao-tseu, la vraie longévité est dans le fait que “même si quelqu’un meurt, il n’est pas perdu pour l’univers” (4). Devenu un avec l’univers il est le Tao – la voie !

En ce moment, tout ceci revit dans le bouddhisme coréen et les autres philosophies traditionnelles asiatiques. Les essais poétiques bouddhistes sur la nature, et le style de vie traditionnel coréen sont très populaires. Quoique beaucoup de gens lisent ces essais et que quelques uns semblent attirés par la vie rurale et traditionnelle, il n’y a pas d’exode massif de jeunes pour retourner à la campagne vivre la vie coréenne traditionnelle. Même les films d’Hollywood vendent du mysticisme asiatique. Voyez combien de manifestations ont lieu à propos du bouddhisme ou du Dalai lama en Occident. Je n’ai pas l’intention de dénigrer le Dalai lama ou ces enseignements. Il est très certainement une figure religieuse inspirée, exemplaire et admirable. Pour l’instant, le bouddhisme tibétain est nouveau et encore exotique. Romans et sujets exotiques appellent nos contemporains à chercher des solutions à leurs peines et à leurs épreuves.

Le christianisme a sa part de responsabilité dans la discorde, les intrigues et l’hypocrisie. Cependant, malgré la popularité du bouddhisme tibétain en Occident, je suis sûr que la plupart des Occidentaux ignorent les divisions, intrigues et rivalités que l’on trouve parmi les sectes bouddhistes. Même le Dalai lama a dit que le bouddhisme, le christianisme et les autres religions prêchaient la paix, l’amour et l’harmonie mais que tous leurs croyants allaient à la guerre et s’entretuaient au nom de leur foi !

En tant que pasteurs, nous avons plusieurs options :

1. Nous pouvons obstinément adhérer à ce que nous considérons comme la tradition malgré tout ce qui survient de nouveau dans notre société contemporaine. Si c’est là notre politique, nous ne serons pas ouverts et bienveillants à l’égard de ceux qui fréquentent ou commencent à chercher nos églises. Nous n’avons pas à rechercher de nouvelles manières de retenir et d’attirer les gens mais nous n’avons qu’à nous en tenir aux bonnes vieilles méthodes. Dommage pour eux s’ils ne viennent pas à nous !

2. Nous pouvons essayer d’être attentifs aux désirs des jeunes même jusqu’au point de tenter de nous adapter à chacune de leurs lubies. Des prêtres suggèrent même de programmer les événements de nos paroisses comme le fait la télévision pour la musique et les concerts de danses, etc. Nous pourrions trouver difficile d’y mettre quelque chose de chrétien, mais c’est comme ça ! En d’autres termes, ce qui compte, c’est d’organiser une bonne soirée !

3. Et qu’en est-il de notre troisième option ? Pouvons-nous présenter la tradition et être encore modernes, ouverts aux désirs des jeunes ? Notre lourd équipement est-il compatible avec l’équipement léger des jeunes d’aujourd’hui ? Je le pense, mais ce ne sera possible que si nous réalisons qu’il nous faut aller au devant du troupeau harcelé, sans défense et sans berger (Mtt 9/36.38). Qui ne risque rien n’a rien !

Je crois que nous avons été très laxistes et hésitants dans la transmission des richesses de notre tradition spirituelle chrétienne. Un jeune étudiant qui travaille avec moi à une traduction semble avoir découvert des notions nouvelles pour nourrir sa vie de foi en traduisant un livre de spiritualité que j’avais écrit. Il a réalisé qu’il n’avait jamais rien appris sur la spiritualité, les méthodes de méditation ou comment avoir une vie de prière plus mature. Prêtres et religieux ont une connaissance très étendue sur beaucoup de choses mais peu sur la spiritualité courante. Comme je l’ai écrit, il semble que nos Eglises aient remplacé la spiritualité par des cours de dévotion.

Récemment, un diacre nouvellement ordonné est venu me voir. Il avait lu un livre sur la spiritualité bouddhiste, ce qui est courant chez les séminaristes. Je n’ai pas pu l’aider mais ai été étonné de constater combien l’Evangile lui était familier, l’Ecriture en général et la spiritualité chrétienne. Pourtant je crois que nous avons encore à proposer une spiritualité inculturée dans le contexte asiatique. Nous avons certainement besoin d’auteurs asiatiques spécialistes de la vie spirituelle. En avoir serait, à n’en pas douter, un pas dans la bonne direction. Néanmoins je pense que ce n’est là qu’une réponse partielle. Je pense que trop peu de réflexion et de partage d’Evangile, de spiritualité chrétienne ou de spiritualité de quelque ordre que ce soit ont été présentés et expliqués à nos jeunes, spécialement à nos séminaristes et à nos religieux.

Trop souvent, la spiritualité prend des allures de dévotion, une sorte de douceur spirituelle pour nous sentir bien. Pire encore, nous pouvons même voir dans la spiritualité une sorte d’exercice de stoïcisme ou même une attitude mentale et spirituelle de détachement de la vie quotidienne. Je ne vois pas beaucoup de jeunes suivre les élévations spirituelles qu’ils trouvent dans les livres inspirés du bouddhisme. C’est bien pour eux de les lire, mais mon hypothèse est qu’une telle lecture n’exige que peu ou pas du tout d’engagement de leur part. Je dis cela parce que les jeunes de bien des pays asiatiques sont encore trop préoccupés par ce qui est le premier objectif de leur vie, à savoir se faire de l’argent. Ce n’est pas là une critique du bouddhisme ou d’un système asiatique de pensée mais seulement des observations qui me sont personnelles.

Conclusion

Je n’ai pas les moyens de faire une réelle évaluation des religions ou de la philosophie de chaque société où j’ai exercé mon ministère. Je pense que la plupart de nos sociétés sont dans un état de religiosité relatif. La plupart des gens dans les sociétés urbaines et technologiques naviguent dans une ambiguïté tant morale que spirituelle. Nos Eglises plutôt que d’inspirer ou de clarifier la conviction religieuse semblent seulement vouloir se maintenir. La soif et l’allant pour la mission qui caractérisaient les années juste avant et après Vatican II se sont envolés. Certains parlent d’un Vatican III ! Alors que, jusqu’à maintenant, on n’a fait seulement que parler de Vatican II, sans le mettre en pratique. Je m’étonne d’entendre qu’on espère un Vatican III !

Malgré les grands changements apportés par les avancées technologiques qui ont fait du monde un grand village, proclamer la venue du Royaume et appeler les hommes à la conversion demeure l’urgent devoir. Les gens ne nous attendent plus. Il nous faut du courage et, inspirés par les paroles de l’apôtre Paul, suivre ce qu’il écrit à Timothée dans Tm 4,1-8.

Notes

(1)Cf. Vatican II in Plain English, Volume 1, The Council, Bill Huebsch (Allen, Texas : Thomas More, 1997)

(2)Korean Times, 2 mars 2000

(3)H. G. Creel, Chinese Thought from Confucius to Mao Tse-tung (Chicago : mentor Book, University of Chicago Press, 1960)

(4)Ibid., p. 86

Addenda à propos de la Corée du Sud

Géographie

La Corée est une péninsule. Au nord-est, elle est bordée par la Chine et possède une portion de frontière commune avec la Sibérie russe. A l’ouest, elle est baignée par la Mer jaune et à l’est par la Mer du Japon. Au sud, le détroit de Corée la sépare du Japon. Du nord au sud, la péninsule fait environ 1 000 km de long ; à son point le plus étroit, sa largeur est de 216 km. Y compris les îles, nombreuses, sa surface est de 221 362 km (ce qui représente à peu près la surface du Royaume-Uni). Elle s’étend du 43ème degré de latitude nord au 33ème degré de latitude sud, à l’instar de l’Etat de la Nouvelle Angleterre et la Caroline du Sud aux Etats Unis.

Depuis 1945, la Corée est divisée en deux : la République populaire démocratique de Corée (DPRK) au nord et la République de Corée (ROK) au sud. La surface administrative de la Corée du Sud est de 99 222 km , soit environ 45 % de la péninsule coréenne et de l’ensemble de ses îles (ce qui représente la même surface que l’Islande ou que le Portugal). Du point de vue ethnique, les Coréens sont un peuple altaïque comme les Turcs et les Mongols. La Corée n’a pas de minorités raciales ni de problèmes ethniques.

Situation politique

Jusqu’à la fin du XIXe siècle, la Corée était politiquement et commercialement isolée du reste du monde. Ses liens les plus étroits étaient la Chine. En 1910, le Japon prit le contrôle politique direct de la Corée. Les intérêts japonais dominèrent tout le commerce et l’industrie coréenne. Le Japon maintint sa domination jusqu’à sa défaite et à son retrait de la péninsule à la fin de la deuxième guerre mondiale. Pendant les 35 ans de la colonisation japonaise, la Corée fut assujettie et exploitée. Les ouvriers coréens étaient sous-payés, médiocrement protégés et les organisations ouvrières locales réprimées. La répression japonaise se durcit après l’invasion de la Mandchourie par les armées impériales en 1931. Un gouvernement constitutionnel vit le jour en 1948, quand les forces américaines d’occupation se retirèrent de la Corée du Sud.

Le concept traditionnel coréen de gouvernement se fondait principalement sur la doctrine socio-politique confucéenne. Cette doctrine confucéenne devint la philosophie officielle au cours de la dernière dynastie royale de Corée, appelée la dynastie Yi (1392-1910). Durant cette période, les Sadaebu ou lettrés – la classe officielle Yangban – assumèrent toutes les fonctions du gouvernement. Dans la tradition confucéenne, le gouvernement est le reflet de Li ou de l’autorité temporelle conférée par le mandat du Ciel. Un bon gouvernement, par conséquent, doit assurer une bonne relation entre l’élite et la masse du peuple dans le cadre d’un ordre social hiérarchique autoritaire et non dans celui d’un accord contractuel ou “autorité de la Loi”. Quand la société agraire se transforma en société industrielle, le concept confucéen traditionnel de gouvernement fut remplacé peu à peu par la philosophie d’une démocratie représentative et par l’autorité de la loi.

Fondée sur une résolution des Nations Unies qui demandait, sous son contrôle, des élections générales pour l’établissement d’un gouvernement coréen, la République de Corée naquit en août 1948. Les gouvernements de l’ère moderne peuvent être classés en plusieurs époques :

1. Le gouvernement Syngman Rhee appartenait au système présidentiel usuellement dénommé Première République (1948-1960). Le régime Syngman Rhee devint de plus en plus dictatorial et fut renversé par la révolution étudiante du 19 avril 1960.

2. Le parti démocratique de John Chang Myon dirigea la Corée d’après un système parlementaire appelé Seconde République (1960-1961). Le gouvernement de Chang Myon avait pratiquement apaisé la nation après le traumatisme de la Révolution étudiante quand les militaires renversèrent son essai démocratique de gouvernement par un coup d’Etat.

3. Le général Park Chung-hee gouverna le pays pendant la période dite de la Troisième (1961-1972) et de la Quatrième République (1972-1980) jusqu’à son assassinat par un de ses subalternes et proche collaborateur en octobre 1979. Le Premier ministre Choi Kyu-ha succéda à Park comme président mais démissionna sous la pression des militaires en août 1980.

4. Le général Chun Doo-hwan gouverna le pays pendant la Cinquième république (1980-1987). Les violentes protestations des étudiants, la montée en puissance des groupes de militants ouvriers et la continuelle pression d’une population mécontente de l’autorité militaire, tout conspirait à dissuader le général Chun d’essayer de se maintenir au pouvoir.

5. Le militaire ami de Chun, Roh Tae-woo, eut raison de la division entre Kim Young-sam et Kim Dae-jung. Roh et son Parti de la justice démocratique gouverna pendant ce qu’on appelle la Sixième république de 1988 à 1993. Durant cette Sixième république, Kim Young-sam se rallia, lui et sa faction d’ancienne opposition démocratique, au gouvernement Roh.

6. Kim Young-sam est élu président et gouverne de 1993 à 1998.

7. Kim Dae-jung est élu à la présidence en décembre 1997 et inaugure son mandat en 1998.

Principaux groupes religieux en en Corée du Sud

ProbablesRevendiquésRecensement 1995

Catholiques 3 804 094 3 804 094

Protestants 9 700 00019 729 132 8 760 336

Bouddhistes 12 000 000

Bouddhistes Won 1 300 000 87 000

Chun Dokyo 1 000 000 28 000

Sectes et autres 800 000

Le recensement national de 1995 indique que 50,7 % des Coréens appartiennent à une religion. Ce qui signifie que 22 000 000 de coréens font partie d’un groupe religieux. Quant au total des croyants que chaque groupe religieux revendique, il atteint un total de 75 726 676, c’est-à-dire près du double de la population actuelle (47 millions d’habitants) !