Eglises d'Asie – Indonésie
A LA RECHERCHE DU JUSTE DIRIGEANT : LE PERSONNEL POLITIQUE INDONESIEN ET LE MANDAT DU CIEL
Publié le 18/03/2010
Au cours de la première semaine de sa présidence, après avoir succédé à A. Wahid en juillet 2001, Megawati Sukarnoputri est aussi en parti en pèlerinage, sur la tombe de son père, le président fondateur de l’Indonésie, Sukarno, dont elle consulte souvent l’esprit. Elle fut accueillie par de ses partisans qui brandissaient des pancartes « Bienvenue au dirigeant juste ». Cela n’était pas un quelconque slogan politique. Le dirigeant juste, Ratu Adil, est le sauveur annoncé par un ancien récit javanais et il arrivera quand les temps seront prêts pour mettre fin à une longue « ère de folie ».
Tout au long de leurs mandats, et avant ceux-ci, les cinq présidents que l’Indonésie a connu depuis l’indépendance ont tous rendu de fréquentes visites à différents lieux saints : tombes, cryptes, cavernes, sommets de montagnes, vestiges archéologiques. Au moins quatre d’entre eux ont consultés des conseillers spirituels, bien vivants ou vivant dans l’au-delà, avant de prendre des décisions importantes.
Parfois, ils ont ouvertement utilisé ces gestes sur la scène politique. Mais la plupart des experts estiment que, pour ces dirigeants, le mysticisme de l’islam javanais était réel et a, à certaines occasions, influé sur leurs décisions. « Ceci participe d’une pensée baignée dans un univers où l’animisme et la magie sont très présents, d’une conception du monde où le succès ou l’échec sont attribués aux forces spirituelles qui fondamentalement animent la création », explique Paul Stange, de nationalité américaine, expert en mystique indonésienne à l’université Murdoch en Australie.
Ces faits-là se situent à un niveau des comportements politiques qui généralement échappent à la sagacité des analystes de la scène politique indonésienne. De par leur nature, ils demeurent le plus souvent inconnus, voire inconnaissables. En même temps, ces mêmes analystes mettent en garde contre la tentation de surestimer les effets de la mystique sur la politique et la vie quotidienne.
Quoiqu’il en soit, pour les Indonésiens – et plus particulièrement pour les Javanais -, l’existence du monde spirituel est bien réel et constitutif de leur culture – même s’il occupe une part plus réduite qu’autrefois de leur vie. « Les hommes ne sont pas nés tout seul, explique Permadi , un spirituel javanais qui est aussi membre du Parlement. Comme des frères et sœurs, nous sommes en lien avec les animaux et plantes ainsi qu’avec les êtres non-physiques, créés par Dieu, qui peuplent également notre terre. » Ainsi, poursuit-il, de nombreux Indonésiens croient que certains objets tels que de grands arbres, des pierres et des montagnes, détiennent un pouvoir mystique et que Dieu a donné à certaines personnes des dons spéciaux afin de communiquer avec eux.
Dans la tradition javanaise, le pouvoir a une essence en soi, connue sous le nom de wahyu, qui est conférée tel un manteau revêtant certaines personnes élues. Ainsi, un appétit trop ouvertement avoué pour le pouvoir peut être considéré comme brutal et futile. En revanche, les énigmatiques silences si souvent observés par Megawati et par l’ancien président Suharto ont souvent eu un impact profond. « Suharto pensait réellement avoir reçu un mandat du ciel », précise Onghokham, un historien social reconnu. « Un colonel devenant soudainement président. Il croyait que tout lui était permis. » Mais la rumeur n’a jamais cessé de dire que son wahyu n’était pas réellement le sien, qu’il venait de sa femme, Ibu Tien. Lorsque celle-ci décédé au début de l’année 1996, les gens ont commencé à murmurer que le mandat du ciel de Suharto était en train de le quitter. Deux ans plus tard, Suharto était déchu, quittant effectivement le pouvoir.
« Il y a une tradition des rois javanais qui deviennent rois grâce à leurs femmes, précise Onghokham. Quand Suharto a pris le pouvoir, les gens pensaient que sa femme avait le , la matrice ardente, et que quiconque s’unirait à elle aurait le wahyu. Après sa mort, le peuple a commencé à croire que son wahyu l’avait quitté. »
Tant Permadi que Onghokham affirment avoir tenté de dissuader A. Wahid de devenir président, mais lui, A. Wahid, leur a répondu qu’il croyait avoir été choisi, élu pour diriger le pays. « Je lui ai dis : Vous êtes fou, vous êtes stupide’, raconte Onghokham. Deux attaques cardiaques, quasiment aveugle, comment pouvez-vous être président ? Vous ne savez pas dans quoi vous vous engagez’. Et il a répondu : Non, j’ai reçu le mandat du ciel’. »
Etrangement, poursuit Permadi, A. Wahid, connu par les foules sous le nom Gus Dur, pourrait bien avoir eu raison : « Peut-être était-ce la décision de Dieu de le mettre au pouvoir faisait partie de cette période de folie. » Et aujourd’hui, ajoute-t-il : « Je m’inquiète au sujet de Megawati. Si elle est Ratu Adil, elle sauvera la nation, mais si elle ne l’est pas, les choses deviendront encore pire, comme sous Gus Dur. »
A. Wahid, qui, de tous les présidents indonésiens, a été celui qui ouvertement a été le plus mystique, est un religieux musulman qui entre régulièrement en communication avec les saints et avait, en tant que président, des groupes parallèles de conseillers politiques et spirituels. Ses départs soudains, souvent la nuit, vers les tombes de saints étaient devenus une caractéristique de sa présidence. « Si vous allez sur les tombes pour méditer, avec l’encens, l’obscurité, l’odeur de l’ancien, analyse Onghokham, il est facile de croire au destin. »
Durant sa brève présidence de vingt-et-un mois, M. Wahid a multiplié les aventures au sujet de ses aventures mystiques. Une fois, il a tenu à assister une nuit entière à un spectacle de marionnettes pour, selon lui, y trouver l’inspiration spirituelle mais il finit pas s’y endormir. Une autre fois, il a prié, les larmes aux yeux, sur une tombe, avant de réaliser un peu plus tard qu’il s’était épanché sur une autre tombe que celle sur laquelle il pensait se recueillir. Les récits au sujet de fantômes et d’esprits présents dans le palais présidentiel ont proliféré sous sa présidence, l’une de ses filles qualifiant le lieu comme donnant la chair de poule’ et décrivant la télévision qui s’allumait toute seule à des moments bizarres. Sur les conseils des conseillers spirituels, A. Wahid avait fait changer l’agencement de son bureau, ainsi que la couleur de son tapis – du rouge au bleu.
Le père de Megawati, Sukarno, est également connu pour s’être adonné lui-même aux charmes de la magie, s’entourant de nains, d’albinos et d’autres encore qu’il croyait posséder des qualités spirituelles. On rapporte qu’il a déclaré l’indépendance de l’Indonésie en 1945 seulement après avoir visité, par trois fois, le lieu de la mort et de la résurrection d’un ancien dirigeant, le roi Jayabaya, et ce afin de s’attirer sur lui son wahyu. Jayabaya est ce roi qui a écrit la chronique mystique appelée Jayabaya et qui décrit la nature cyclique de l’histoire, avec des temps de folie suivis par l’arrivée d’un dirigeant juste. On dit de Jayabaya qu’il y est prédit l’arrivée des Hollandais et l’occupation des Japonais pendant la deuxième guerre mondiale. Cette histoire est ouverte aux interprétations selon les temps changeants de l’histoire. L’un des passages commence ainsi : « La terre se rétrécira. Chaque centimètre de terre sera taxé. Les chevaux mangeront de la sauce pimentée. Les femmes s’habilleront de vêtements d’homme. Ceci sont les signes que le peuple et sa civilisation sont sans dessus dessous. »
Sukarno se référa à la chronique de Jayabaya dans un célèbre discours à la cours coloniale, en 1930. « Pourquoi, jusqu’à aujourd’hui, Jayabaya donne-t-il de l’espoir au peuple ?, s’interrogeait-il. Tout simplement parce que le peuple en larmes attend dans la foi d’être sauvé, comme une personne placée dans l’obscurité ne cesse jamais d’attendre et d’espérer, chaque heure, chaque minute, chaque seconde : quand le soleil va-t-il se lever ? »
Une grande partie des Indonésiens n’utilisent qu’un seul nom pour se désigner.