Eglises d'Asie

LA GUERRE A VENIR : Au sein de l’Asie du Sud-Est, le danger de propagation de l’islamisme radical commence à être pris au sérieux. Les Etats se préparent à prendre des mesures

Publié le 18/03/2010




Le 17 juillet dernier, sept ressortissants afghans atterrissaient à Amboine, capitale des Moluques où ils étaient chaleureusement accueillis par des membres de la police locale et des militants islamiques indonésiens. Quand les fonctionnaires de la police des frontières ont voulu contrôler leurs passeports, les militants du Laskar Jihad les ont écartés sans ménagement avant de disparaître en compagnie de leurs mystérieux invités. Ces hommes rejoignaient en fait un groupe composé d’environ 200 Afghans, Pakistanais et Malaisiens qui, selon des services de renseignements occidentaux, sont arrivés aux Moluques pour épauler le Laskar Jihad dans la campagne de violences qu’il a lancée contre la population chrétienne de cette partie de l’Indonésie.

Deux semaines plus tard, un Malaisien âgé de 26 ans a perdu une jambe dans l’explosion de la bombe qu’il transportait ; l’incident s’est produit dans un centre commercial, en plein Djakarta. L’homme, dont on sait qu’il a séjourné au Pakistan et en Afghanistan au milieu des années 1990, semble avoir fait partie du groupe responsable de la série d’attentats meurtriers contre des cibles chrétiennes en divers lieux de l’Indonésie en décembre et en juillet dernier.

Ces dernières deux années, les Etats-Unis avaient signalé que l’essor du militantisme islamique en Asie du Sud-Est menaçait de produire un vivier de recrues potentielles pour les réseaux aussi bien locaux qu’internationaux de terroristes. De fait, l’ambassade des Etats-Unis à Djakarta avait été mise en état d’alerte depuis qu’en août dernier des informations venues d’Europe indiquaient que des attentats à la bombe étaient en préparation et que l’ambassadeur Robert Gelbard et cinq autres diplomates de l’ambassade américaine avaient fait l’objet d’une surveillance spéciale, apparemment par un réseau formé de Soudanais liés au terroriste saoudien Oussama Ben Laden et son réseau Al-Qaida.

Ce n’est que récemment que l’ASEAN (Association des nations du Sud-Est asiatique), regroupant les gouvernements de 10 pays qui pratiquement tous ont des communautés musulmanes importantes, a vraiment pris la menace terroriste au sérieux. Les attentats meurtriers du 11 septembre sur le sol américain, imputés à Ben Laden, ne feront certainement qu’augmenter la vigilance de ces gouvernements. Selon les services de renseignements américains, l’un de ceux qui ont détourné les avions américains a été brièvement détenu aux Philippines, quelques jours seulement avant les attaques de New York et du Pentagone et un deuxième a été secrètement filmé à Kuala Lumpur. “Les Etats-Unis vont exercer des pressions sur ces gouvernements afin qu’ils mettent de l’ordre chez eux”, prédit un diplomate européen en poste à Djakarta. “Ils devront fournir beaucoup plus d’efforts, fournir du renseignement et faire le ménage chez eux”. Pour la première fois, les Etats-Unis seront amenés à partager des informations avec les services de renseignements des pays d’Asie, tout en tentant d’améliorer la qualité de ces derniers.

Ce n’est que récemment que les dirigeants de ces régions ont com-mencé à s’intéresser aux liens existant entre les groupes extré-mistes musulmans actifs chez eux et les groupes fondamentalistes d’Afghanistan et du Pakistan. “Les Américains ne voient ces questions que de leur point de vue”, déclare un officier de police indonésien de la section anti-terrorisme. “Les choses ont maintenant évolué. Nous en savons davantage sur ces phénomènes et nous les prenons très sérieusement en considération.”

L’extrémisme musulman et les problèmes de terrorisme qui y sont associés ont été l’un des principaux sujets abordés lors de la série de rencontres qui a eu lieu, à la fin du mois d’août dernier, entre la présidente indonésienne Megawati Sukarnoputri, le Premier ministre malaisien Mahathir Mohamad, la présidente philippinne Gloria Macapagal-Arroyo et l’ancien Premier ministre de Singapour Lee Kuan Yew. A cette occasion, le chef des services de renseignements indonésien Hendropriyono a demandé davantage de circulation et d’échanges d’informations entre les pays membres de l’ASEAN. Au mois d’octobre 2001, cela sera même le sujet principal du sommet des chefs de police d’Indonésie, de Malaisie, de Singapour, de Thaïlande et de Birmanie qui doit avoir lieu à Djakarta.

Depuis des décennies, des étudiants malaisiens, philippins et indonésiens sont partis étudier dans des écoles religieuses musulmanes à l’étranger. Le problème est qu’un certain nombre de ces étudiants tombe sous la coupe et l’influence d’enseignants musulmans extrémistes – et c’est particulièrement vrai au Pakistan. Ce phénomène apparemment s’accélère et contribue à la propagation rapide d’un islam conservateur en Asie du Sud-Est.

Des centaines de musulmans originaires d’Asie du Sud-Est ont combattus en Afghanistan – d’abord aux côtés des moudjahidin contre les troupes soviétiques de 1979 à 1989, et plus tard avec les Talibans lors des combats qui ont accompagné l’arrivée au pou-voir à Kaboul de ces derniers. Au début des années 1990, les pos-tes de la CIA à Djakarta et au Moyen-Orient ont tenté de suivre la trace des 700 à 1 500 Indonésiens qui partaient chaque année étudier en Egypte, en Syrie ou en Iran. “Nous estimons que 30-40 % d’entre eux ne revenaient pas, rapporte un agent de la CIA aujourd’hui à la retraite. Nous ne savons pas où ils sont allés 

Les Américains ont essayé pendant des années de convaincre l’Indonésie de surveiller les étudiants qui revenaient au pays et qui s’implantaient dans les écoles coraniques. Ils affirmaient qu’une partie d’entre eux, les plus radicaux, pouvaient faire partie de réseaux terroristes transnationaux, des réseaux devenus puissants en Asie du Sud-Est et se nourrissant du ressentiment causé par la politique étrangère des Etats-Unis au Moyen-Orient. Mais Washington ne voulant pas communiquer d’informations sensibles aux gouvernements de ces pays, peu d’efforts ont été fournis sur le terrain pour enquêter sur les groupes suspects.

Les dirigeants malaisiens, en particulier, ont exprimé leur grave préoccupation face au développement de l’influence des groupes extrémistes. Les avertissements lancés par Mahathir et d’autres membres du gouvernement peuvent paraître comme des coups portés contre le PAS, le principal parti de l’opposition, d’obédience musulmane, mais, comme le dit un ministre, “si vous avez un parti faisant campagne pour l’établissement d’un Etat islamique, cela ouvre la voie au développement d’une aile extrémiste Cette perspective inquiète à coup sûr Lee Kuan Yew à Singapour. “Si cela prend racine en Indonésie et remonte par les îles qui sont au sud de Singapour et si cela prend racine en Malaisie et descend jusqu’à Johore, alors nous sommes vulnérables a-t-il déclaré au début du mois de septembre dernier.

Autour de la région du détroit de Malacca, la plupart des Indonésiens musulmans sont adeptes d’un islam modéré, mais ils subissent les pressions des extrémistes qui ont recours à un mélange de ferveur religieuse et d’intimidations pour arriver à leurs fins. “Ce qui est inquiétant, c’est qu’il devient politiquement incorrect de s’opposer à ces militants”, souligne un expert de ces questions, précisant que certains journaux ont cessé d’imprimer des informations sur ces sujets. “C’est une forme de fondamentalisme rampant”.

Prenez l’ex-président indonésien Abdurrahman Wahid, un religieux musulman qui a bâti sa crédibilité sur la tolérance et le pluralisme religieux – et qui a fini par abandonner tout cela pour un profit politique à court terme. Selon d’anciens responsables du palais présidentiel, A. Wahid a sciemment ignoré le Laskar Jihad, et le désastre qu’il a provoqué aux Moluques à partir du milieu de l’année 2000, en échange de la promesse faite par les dirigeants musulmans extrémistes qu’ils ne chercheraient pas à créer de problèmes au président, dont la survie politique était déjà problématique.

Des responsables du Département d’Etat américain admettent qu’ils n’ont pas une vision claire des liens qui existent en Asie du Sud-Est. Les enquêteurs, par exemple, sont toujours incapables de déterminer qui est à l’origine de l’explosion de la voiture qui a grièvement blessé l’ambassadeur des Philippines Leonides Caday, l’année dernière, à Djakarta. Toutefois, ils suspectent des liens entre cette action et le fait qu’un groupe de 700 Indonésiens a été entraîné dans le sud des Philippines, à Mindanao, par le Front moro islamique de libération (MILF) et le groupe Abu Sayyaf à la fin des années 1990.

Le terrorisme international a depuis longtemps des liens avec les rebelles philippins. Le beau-frère de Ben Laden, l’homme d’affaire saoudien Mohamed Jamal Khalifa, a financé un certain nombre d’ONG à Mindanao suspectées de servir à fournir de l’argent à ces groupes rebelles. Khalifa a fuit le pays en 1996. Ramzi Youssef, le Pakistanais aujourd’hui emprisonné et jugé pour être l’organisateur de l’attentat de 1993 contre le World Trade Center, a passé du temps au sein du groupe Abu Sayyaf dans le cadre d’une d’action avortée destinée à faire exploser en vol douze avions de ligne américains, leur apprenant – apparemment – comment fabriquer des bombes. De plus, selon des services de renseignement qui ont eu accès à des documents photographiques, l’armée philippine a tué plusieurs formateurs venus du Moyen-Orient et du Pakistan ainsi que des experts en démolition lors de l’assaut victorieux mené l’an dernier contre le principal camp du MILF à Mindanao l’an dernier.

Comme les Philippines, la Thaïlande est également un avant-poste apprécié des terroristes internationaux, prenant avantage des facilités à entrer dans ce pays du fait de la politique du gouvernement thaïlandais cherchant à encourager le tourisme. Même après une attaque manquée, à l’aide d’un camion-suicide bourré d’explosif, contre l’ambassade d’Israël en 1994, les autorités thaïlandaises ont souvent fermé l’œil sur de tels groupes. “Tous, même les terroristes en lien avec Ben Laden, peuvent pénétrer en Thaïlande aussi longtemps qu’ils ne sont pas inscrits dans nos registres criminels admet Apachit Thienpermpool, enquêteur au Thailand’s International Crime Intelligence Centre. Toutefois, les temps sont peut-être en train de changer. En juin dernier, Ibrahim Ghosheh, un cadre du mouvement palestinien Hamas, a été discrètement expulsé de Thaïlande sans aucune explication officielle. Et après les attaques du 11 septembre, le chef des armées a fait savoir que ses services surveillaient un “petit nombre” de proches de Ben Laden. La Thaïlande aussi a constaté, ces derniers mois, un regain d’activité de la part du terrorisme islamique dans ses quatre provinces du sud à majorité musulmane. Le groupe Bersatu a posé une bombe dans la gare ferroviaire de Hat Yai et dans un hôtel de la province Yala en avril dernier et, plus récemment, s’est lancé dans des entreprises d’enlèvement et d’extorsion de fonds. “Les pays du Moyen-Orient procurent formation, éducation et appui financier aux groupes fondamentalistes du sud”, nous a ainsi déclaré le général Surayud Chulanont. Ces attaques ont encouragé la Malaisie et la Thaïlande à échanger des renseignements.

La police indonésienne affirme que la victime du centre commercial Taufik Abdul Halim et deux autres Malaisiens arrêtés depuis peu sont membres d’une organisation extrémiste qui a créé une branche en Indonésie, à la fin des années 1990, quand le Laskar Jihad a commencé à prendre forme. Tous les trois font partie des centaines d’autres volontaires étrangers envoyés à Amboine et peut-être dans d’autres régions via l’Etat malaisien de Sabah et la province indonésienne du Kalimantan. Les Américains affirment que les disciples de Ben Laden sont présents en Indonésie depuis deux ans. L’administration de la présidente Megawati semble prendre cette information au sérieux. Devant l’ambassade américaine à Djakarta stationnent désormais en permanence des policiers armés de fusils automatiques. Les diplomates soulignent, qu’en raison du retour sur le devant de la scène des éléments nationalistes au sein des forces armées, Megawati pourrait bientôt donner l’ordre d’expulser le Laskar Jihad et ses alliés étrangers d’Amboine. Des observateurs indépendants pensent que c’est la seule façon de mettre un terme aux violences entre musulmans et chrétiens qui en deux ans ont coûté la vie à plus de 9 000 personnes aux Moluques. A la mi-juin, dix-sept militants du Laskar Jihad ont été tués lors d’une intervention des forces spéciales, des unités qui sont largement créditées du retour à un semblant d’ordre depuis quelques mois dans cette partie de l’Indonésie. Lorsque le chef du Laskar Jihad, Ja’far Umar Talib, a cherché à rencontrer le mois dernier le vice-président Hamzah Haz, chef du Parti du développement uni – d’obédience musulmane -, il pouvait espérer de la sympathie. Hamzah Haz cependant lui a lu le texte de loi relatif aux émeutes. “Thalib était choqué, furieux et offensé”, rapporte-t-on. Avec Megawati refusant de prendre en compte les considérations des dirigeants musulmans et ayant maintenu sa visite prévue de longue date aux Etats-Unis, cela pourrait être le signe d’un changement à venir.