Eglises d'Asie

Aceh : soucieuses de gagner le soutien des oulémas locaux, les autorités indonésiennes font appliquer la loi islamique, la charia, dans cette province musulmane à 98 %

Publié le 18/03/2010




A Aceh, province située à l’extrémité nord-ouest de Sumatra, les autorités indonésiennes ont donné ordre à la police de faire strictement appliquer la loi islamique, la charia. L’ordre est effectif depuis le mois de septembre dernier. Depuis, la police à Banda Aceh, chef-lieu de la province, envoie les femmes qui sortent hors de chez elles non voilées dans un stade de la ville, le stade Merdeka ( Liberté’), où il leur est intimé l’ordre de porter le jilbab, le voile conforme à la loi islamique. A chacune de ces femmes, un voile est remis gratuitement.

Selon le P. Ferdinando Severi, missionnaire franciscain d’origine italienne, curé de la paroisse du Sacré Cœur de Jésus à Banda Aceh et seul prêtre catholique de toute la province, le gouvernement central cherche ainsi à s’attirer le soutien des oulémas de la région. En juillet dernier, la présidente Megawati Sukarnoputri a concédé un accord faisant de la province d’Aceh une province autonome sous le nom de Nanggroe Darusalam. Cette autonomie comprend l’application à la population locale musulmane de la loi islamique. En utilisant la police pour faire appliquer la charia, estime le P. Severi, la présidente cherche à s’attirer les bonnes dispositions des oulémas locaux et ainsi à désarmer les revendications des indépendantistes du GAM, le Mouvement pour Aceh libre, qui mène une lutte sanglante contre l’armée indonésienne depuis de nombreuses années (1). Ces dix dernières années, ce conflit a causé la mort d’au moins 5 500 personnes, les anciens présidents du pays, que ce soient Suharto, Habibie ou Wahid n’ayant pas réussi à ramener la paix dans cette partie de l’Indonésie.

Bien que de nombreux intellectuels et des musulmans locaux désapprouvent l’application de la charia à Aceh, craignant une limitation des libertés de chacun, ils sont obligés de garder le silence, explique encore le P. Severi. Autrement, ajoute-t-il, les oulémas les accusent d’être de mauvais croyants et ils risquent alors de perdre leur poste. Aujourd’hui, dans les rues de Banda Aceh, les femmes portent toutes le voile islamique et celles qui se sont dans un premier temps opposées à l’action de la police ont dû se résoudre à porter le voile. Les responsables religieux musulmans ont mis en garde les éventuelles récalcitrantes qu’elles seraient punies selon le tazir, l’interprétation de la loi islamique, et qu’elles risquaient de se voir couper les cheveux ou arracher leurs vêtements.

Peuplée de 4 millions de personnes, musulmanes à 98 %, Aceh depuis toujours s’est montrée rétive à tout pouvoir imposé de l’extérieur, que ce soit à l’époque de la colonisation hollandaise, sous l’occupation japonaise ou, depuis l’indépendance, vis-à-vis de Djakarta. Dotée d’importants gisements off-shore de pétrole et de gaz, la province est théoriquement riche et présente un intérêt stratégique pour Djakarta. Avec l’accord établissant Aceh en région autonome, il est prévu que 70 % des ressources tirées de l’exploitation des hydrocarbures reviendront au budget du gouvernement local.