Eglises d'Asie – Vietnam
MUTATION PROGRESSIVE DE LA SOCIETE VIETNAMIENNE : REPERES DEMOGRAPHIQUES ET ECONOMIQUES
Publié le 18/03/2010
Deuxième partie : Vers l’édification d’une économie “mixte” ?
MUTATION PROGRESSIVE DE LA SOCIETE VIETNAMIENNE
Première partie :
PRESSION DEMOGRAPHIQUE ET EXODE RURAL
par Lâm Thanh Liêm
Les trois recensements de 1979, 1989 et 1999 ont révélé que, depuis sa réunification, le Vietnam a connu une croissance démographique foudroyante. Les chiffres parlent d’eux mêmes.
I.- Evolution démographique du Vietnam
D’après l’Office général de la statistique de Hanoi, la démographie vietnamienne a suivi l’évolution suivante : 52,5 millions d’habitants en 1979, 64,4 millions en 1989 et 79,5 en 1999. Pour le nombre de ses habitants, le Vietnam se place donc au deuxième rang, parmi les dix pays de l’ASEAN, derrière l’Indonésie (210 millions) et à la 12ème position mondiale (après la Chine, l’Inde, les Etats-Unis, l’Indonésie, le Brésil, la Russie, le Japon, etc.). En l’espace de vingt ans (1979-1999), la population vietnamienne a augmenté de 27 millions d’habitants, soit en moyenne 1,4 million par an.
Or, ce dynamisme démographique ne correspond pas un “boom” des naissances, phénomène bien connu en Europe et en Amérique du Nord au lendemain des première et de deuxième guerres mondiales. En effet, le taux de natalité a subi une baisse rapide et régulière de 42 pour mille en 1975 à 31 pour mille en 1989. Depuis cette dernière date, l’Office général de la statistique de Hanoi n’a fourni aucun autre chiffre relatif aux taux de natalité et de mortalité. Cependant, à l’occasion de la célébration de la “Journée de la population vietnamienne” le 26 décembre 1997, le Comité pour la population et la planification familiale a révélé que “le taux brut de natalité continue de régresser : il est passé de 28,5 pour mille en 1993 à 22,8 pour mille en 1996 (1). Il en est de même pour le taux de croissance qui était évalué à 1,78 %” en 1996-1997 (2). Ces dernières informations ne mentionnent pas le taux de mortalité. Cependant, celui-ci peut être déduit des taux de natalité et de croissance mentionnés ci-dessus : 5 pour mille, équivalent au taux de mortalité de Singapour (3).
De toute évidence, ces données statistiques manquent de précision. Sous-estimées, elles ont un but de propagande et n’expriment pas la réalité démographique du Vietnam actuel. Elles sont d’autant plus susceptibles d’être mises en doute que des études récentes (4), effectuées par les experts onusiens et du CESAP (Comité économique et social de l’Asie-Pacifique) à Bangkok, ont abouti à des résultats fort différents :
Taux de natalité : autour de 31,4 à 31,9 pour mille.
Taux de mortalité : de 9,1 à 9,5 pour mille.
Taux de croissance : autour de 2,3 à 2,4 % par an.
Ces données statistiques sont, semble-t-il, plus proches des réalités concernant la situation démographique du Vietnam actuel. Depuis la fin de la guerre (avril 1975), le taux brut de natalité a chuté de 42 pour mille avant 1975 à 31,4 ou 31,9 pour mille dans les années 1991-1995, taux nettement supérieur au taux officiel (22,8 pour mille). Le taux brut de mortalité bien qu’en forte baisse puisqu’il est passé de 17,6 pour mille durant la guerre du Vietnam (1960-1975) à 9,1 ou 9,4 pour mille au cours de la décennie 1990, est cependant plus élevé que le chiffre officiel (5 pour mille).
Par conséquent, le taux actuel de croissance démographique devrait tourner autour de 2,3 à 2,4 par an (au lieu de 1,7 %). Avec un taux d’expansion démographique élevé, le Vietnam a en moyenne 1,5 million de bouches supplémentaires à nourrir chaque année, ce qui correspond approximativement au dernier recensement de 1999 (estimé à 1,4 million d’habitants en augmentation par an).
II.- Les différentes mesures anti-natalistes adoptées face à l’explosion démographique
L’explosion démographique a obligé l’Etat vietnamien à prendre des mesures anti-natalistes d’urgence, fin 1979-début 1980 (5) :
Avortement officiellement reconnu et encouragé par l’Etat (avec exonération de frais médicaux et d’hospitalisation et primes accordées aux femmes soumises à l’interruption volontaire de grossesse, etc.)
Pose du stérilet obligatoire pour toutes les accouchées à l’hôpital et à la maternité.
2 enfants au maximum par couple.
Des sanctions sont imposées en cas d’infraction à la planification familiale :
Suppression pure et simple des primes de fin d’année et remboursement à l’Etat des primes déjà touchées.
Exclusion du Parti des cadres indisciplinés et relèvement sur-le-champ de leurs fonctions, etc.
Risques d’exclusion ou menace de licenciement des membres du Parti, des fonctionnaires et des ouvriers ne respectant pas la planification familiale.
D’autres mesures anti-natalistes ont été prises à l’issue du VIe congrès (mi-décembre 1986). Ainsi, en vertu de la loi sur la famille (votée par l’Assemblée nationale, fin décembre 1986) :
L’âge du mariage est fixé à 18 ans révolus pour les deux sexes.
Le foyer monogamique est la base de la famille. En cas d’infraction à ce règlement, il est prévu de 6 mois à 1 an de prison ferme.
Une peine de 3 mois à 1 an de prison ferme est infligée aux sages-femmes et aux infirmières qui retirent le stérilet, sans l’autorisation préalable du médecin assermenté. Cette peine est plus lourde, allant de 1 à 2 ans de prison ferme, pour les médecins privés qui commettent la même infraction. En cas de récidive, elle augmente du double.
La politique anti-nataliste a été une réussite dans les grandes villes, où les accouchements se sont passés à l’hôpital ou à la maternité, placés sous le contrôle attentif de l’Etat. La pose du stérilet a été obligatoire pour toutes les accouchées, même si elles en étaient à leur premier enfant. A la suite des difficultés économiques et à l’incertitude de l’avenir dans les années 1976-1986, la population urbaine, riche ou pauvre, s’est plus volontiers pliée à la limitation des naissances. Par ailleurs, les différentes moyens de contrôle des naissances étaient gratuits et accessibles à tous (pose du stérilet et ligature des trompes pour les femmes, vasectomie et préservatifs pour les hommes).
Par contre, la même politique anti-nataliste s’est avérée inefficace à la campagne, pour de multiples raisons :
Les principes moraux et religieux. 90 % de la population sont bouddhistes, 6 % catholiques ayant en majorité un bas niveau d’instruction. L’influence du confucianisme et le culte des ancêtres restent encore vivaces du nord au sud du Vietnam. Leurs habitants restent attachés aux traditions, aux principes moraux et religieux, et sont hostiles à la contraception (considérée comme un péché) et à l’avortement (un crime).
Tous les foyers vietnamiens, en particulier ceux des paysans, préfèrent avoir plusieurs enfants de sexe masculin pour assurer la perpétuation du nom de famille et du culte des ancêtres.
Par ailleurs, les familles nombreuses constituent une source de main-d’œuvre précieuse pour les travaux des champs. Elles assurent aux paysans la sécurité pour leurs vieux jours. Leurs enfants leur succéderont à la direction de l’exploitation familiale.
Enfin, insuffisance de moyens financiers et manque de personnel compétent.
Si Hanoi a réussi à imposer aux citadins (20 % de la population totale) sa politique anti-nataliste, celle-ci s’est révélée, en revanche, inefficace, voire inopérante à la campagne, où les infrastructures sanitaires dans les communes sont quasi-inexistantes. La pose du stérilet, la ligature des trompes et les accouchements difficiles ne peuvent s’effectuer que dans les hôpitaux du chef-lieu de district, et surtout du chef-lieu de province. Le déplacement et le séjour en ces occasions exigent de grands frais, alors que les primes de planification s’avèrent insignifiantes.
Ainsi, peu de paysans se sont portés volontaires pour l’avortement ou pour la restriction des naissances. Des mesures draconiennes ont alors été imposées pour forcer les mères de famille à se soumettre au planning familial. Des équipes sanitaires ont fait des tournées de visites périodiques de village en village. Grâce à la pression des autorités locales (qui connaissent bien la situation matrimoniale de tous les foyers paysans, grâce aux fiches familiales d’état civil dit “hô khâu la pose du stérilet est devenue obligatoire pour toutes les femmes mères de famille en âge de procréer. Effectuées par des sages-femmes ou des infirmières (sans anesthésiants, ni antibiotiques), elles ont parfois provoqué des infections, des hémorragies, voire des complications entraînant la mort de la patiente. Les nouvelles de ces drames se sont répandues rapidement de village en village, se traduisant par des effets négatifs. Les autorités locales ont eu alors du mal à convaincre les mères de familles de se soumettre à la planification familiale. A chaque tournée de visite des équipes sanitaires, elles ont cherché à s’y soustraire à tout prix. Les unes ont quitté fugitivement leur domicile pour se rendre dans une commune voisine, les autres se sont cachées dans le poulailler, dans la porcherie, dans l’étable ou dans la forêt et ne sont rentrées chez elles qu’à la tombée de la nuit. D’ailleurs, selon la tradition villageoise (6), bon nombre de paysannes préfèrent accoucher à domicile, avec l’aide d’une accoucheuse non attitrée. Elles ont donc échappé à la pose obligatoire du stérilet (après leur accouchement). D’autres, forcées de s’y soumettre, se sont entendues avec une sage-femme ou une infirmière de la commune voisine pour faire retirer le stérilet moyennant finances.
En ville, avant l’application de la politique du “renouveau” en 1986, le régime de subventions financières (pour l’achat de produits de première nécessité à bas prix) a été une arme efficace pour forcer les familles pauvres à respecter la planification familiale. Cette faveur était purement et simplement supprimée en cas d’infraction à ce règlement. Ainsi, les masses populaires (représentant environ 90 % des populations urbaines) ont été obligées de s’y conformer. Par contre, la même politique s’est révélée inopérante à la campagne, où les paysans sont autosuffisants en nourriture.
III.- Explosion démographique et exode rural
La politique anti-nataliste exige de lourds investissements pour créer un réseau d’infrastructure sanitaire, support de la planification familiale (hôpitaux, maternités, instruments médicaux, anesthésiants, antibiotiques, médecins spécialistes, etc.). Faute de moyens, le gouvernement a été dans l’impossibilité de réaliser un programme de contrôle des naissances de grande envergure. Sa première tentative de forcer les paysannes, mères de famille nombreuse (ayant deux enfants ou plus), à respecter la planification familiale s’est soldée par un échec en 1983-1985. Dès lors, il a été décidé de mener la campagne anti-nataliste dans les grandes villes pourvues d’infrastructures sanitaires et de corps médical relativement meilleurs. Ainsi, la politique de contrôle des naissances a été essentiellement axée sur les villes. Or, le Vietnam compte 20 % de citadins et 80 % de ruraux.
C’est pourquoi, en dépit de progrès encourageants, les autorités n’ont pas réussi à atteindre les objectifs de taux de croissance démographique qui avaient été fixés à 1,41 % pour 1990-1995 et à 1,26 % pour 1996-2000. Etant encore bien loin de ces objectifs, on a dû les réviser à la hausse : 1,5 ou 1,6 % pour le taux d’expansion démographique, et 2 enfants par femme pour l’indice de fécondité (à titre de comparaison avec la France : 1,8 enfant par femme en 1998).
L’Etat vietnamien a recommandé avec insistance (en vertu de la directive N° 37/TTG du 17 janvier 1997) au Comité national pour la population et la planification familiale de déployer ses efforts pour parvenir aux objectifs fixés en 2005. Ces objectifs, même révisés à la hausse, ne pourront pas être atteints, pour des raisons bien simples :
Manque de moyens financiers et techniques.
Surtout le faible niveau d’instruction et l’opposition généralisée de la population rurale à la politique de contrôle des naissances.
En raison de la croissance démographique galopante depuis la fin de la guerre du Vietnam, la densité moyenne est élevée : 240 habitants/km , ce qui le place à la deuxième position après Singapour, parmi les dix pays de l’ASEAN. Cependant, cette densité humaine n’exprime pas la réalité dramatique du surpeuplement rural de ce pays. Comme la riziculture, base de l’économie vietnamienne, fait vivre directement ou indirectement 80 % de sa population, la densité rurale par km de rizières est intéressante et instructive. Elle fait ressortir les problèmes que pose la population à l’Etat vietnamien actuel.
1°/ Surpeuplement extrême et exode rural
L’opposition est frappante entre les plaines grouillantes de monde et les “moyennes et hautes régions” qui sont encore vides d’hommes. Près de 80 % de la population vivent concentrés dans les plaines, où la densité rurale tourne autour de 800 à 1 000 habitants au km de rizières (cas du delta du Fleuve rouge et des plaines côtières du Centre-Vietnam). Dans le delta du Mékong, elle atteint un niveau alarmant : 400 à 500 habitants au km . Elles battent des records aux alentours des grandes villes comme Hanoi ou Huê (1 000 à 1 300 habitants au km de rizières).
Par contre, les “moyennes” (plateaux) et “hautes régions” (montagnes) n’abritent que 20 % de la population, en majorité des minorités ethniques, qui continuent de maintenir leur mode de vie primitif et vivent dispersées dans des forêts peu accessibles.
La forte concentration humaine dans les plaines a pour conséquence le morcellement extrême des terres cultivées. D’après le ministère de l’Agriculture et du Développement rural, chaque foyer paysan exploite en moyenne 0,27 hectares (soit 2 700 m ). Mais dans le delta du Fleuve rouge et les petites plaines côtières du Centre-Vietnam, il exploite effectivement 1 100 à 1 350 m (c’est-à-dire la moitié de la moyenne nationale). Dans le delta du Mékong, les exploitations de 1 à 2 hectares par foyer paysan sont chose courante, en particulier dans les provinces occidentales encore peu peuplées. En raison de l’exiguïté des terres cultivées aux sols d’ailleurs pauvres, dégradés (cas du delta du Fleuve rouge et des plaines côtières du Centre-Vietnam), les paysans, vivant dans les régions éloignées, disposent de moins de dix dollars de revenu par mois (d’après l’AFP du 25 juin 1996).
Faute de terres cultivées, les jeunes d’âge actif, frappés par le chômage, se voient obligés d’émigrer vers les villes à la recherche d’un emploi. L’exode rural a pris une grande ampleur depuis que Hanoi a décidé de lancer une nouvelle politique dite du “renouveau” économique (dôi moi) en 1986.
Au lendemain de la guerre du Vietnam, la population urbaine est restée quasiment stationnaire dans les années 1975-1985, autour de 10 à 10,3 millions de citadins. Elle a repris sa croissance rapide pour atteindre 15 millions en 1995 (7). En dix ans (1985-1995), elle a augmenté de 4,6 millions d’habitants, soit un taux de croissance appréciable de 4,4 % par an. La progression galopante a continué ensuite (8), avec 16 millions de citadins en 1998, soit un taux annuel de croissance de 6,6 % en trois ans (1995-1998).
La “zone de Hô Chi Minh-Ville” (agglomération de Saigon + quatre districts situés aux alentours) fournit un bel exemple de cette croissance. Après une période de stagnation démographique de 1975 à 1985 (oscillant autour de 3,4 à 3,5 millions de “Saigonnais dont 2,7 millions pour la seule agglomération), on a assisté à une soudaine reprise de croissance à partir de 1986 : 5,5 millions d’habitants en 1997, soit un taux annuel de croissance de 4,8 % (dont la moitié due au phénomène naturel des naissances, et l’autre moitié à l’apport des populations venues des provinces) (9).
2°/ Les problèmes que pose la pression démographique au gouvernement actuel
Depuis 1976, le pouvoir central a tenté, sans succès, d’adopter diverses solutions pour faire face à la forte pression démographique et freiner l’exode rural.
a – “Désengorgement” des grosses agglomérations du Sud, spécialement Hô Chi Minh-Ville
Pour atteindre cet objectif prioritaire, l’Etat vietnamien a décidé de déplacer, dans les années 1976-1980, 4 millions de travailleurs “improductifs” (dont 3 millions de militaires, fonctionnaires, commerçants, “capitalistes exploiteurs du peuple etc.) marginalisés par les nouveaux maîtres de Saigon :
1,6 million de citadins (dont 1,2 million de “Saigonnais ont dû retourner dans leur province natale pour remettre en culture les terres laissées en friches pendant la guerre, ou bien se rendre dans les “zones d’économie nouvelle” (ZEN), où ils se sont livrés à d’autres activités “effectivement productives” (agriculture, élevage, pêche, artisanat, etc.).
2,6 millions de paysans pauvres sans terres du delta du Fleuve rouge et des plaines côtières du Centre-Vietnam surpeuplées ont dû se rendre dans les ZEN des “moyennes et hautes régions” du Nord, des hauts plateaux du Centre, des provinces orientales et occidentales du delta du Mékong.
Cette politique de “désurbanisation” des villes du Sud s’est heurtée à l’opposition des citadins :
Ils ont refusé de se rendre dans les ZEN considérées comme des “goulags des “camps de déportation où les sols sont en général pauvres, dégradés, stériles ou gorgés de sels, de sulfate d’alumine, impropres à toute culture. Par ailleurs, toutes les ZEN se caractérisent par leur manque d’eau douce à la saison sèche. Les récoltes ont été exposées aux aléas, aux intempéries et autres facteurs (sulfate d’alumine, chlorure de sodium, insectes, rongeurs, etc.). La misère a sévi dans les ZEN, où les personnes âgées et les enfants ont été les premières victimes en proie à toutes sortes de maladies (grippe, bronchite, diarrhées, dysenterie, paludisme et autres maladies endémiques), qui, faute de soins médicaux (ni hôpitaux, ni maternités, ni écoles, ni marchés, ni médecins, etc.) les ont impitoyablement décimés. Ainsi, bon nombre d’implantés ont fui les ZEN pour revenir dans les villes, vivant dans les marchés, sous les ponts, sur les trottoirs. Malgré la pression exercée par l’Etat, les citadins au chômage se sont accrochés aux villes et ont cherché à éviter à tout prix de se rendre dans les ZEN.
D’ailleurs, l’incursion fréquente des troupes de Khmers rouges dans les provinces frontalières occidentales du delta du Mékong et dans les hauts plateaux (zone des trois frontières du Vietnam, du Laos et du Cambodge) en 1978 a provoqué de violents combats, suivis de l’invasion des forces armées vietnamiennes au Cambodge (fin décembre 1978), et de la guerre sino-vietnamienne (février-mars 1979), ce qui a empêché les implantés de s’installer dans les ZEN des provinces frontalières.
De même, le transfert des populations pauvres du delta du Fleuve rouge et des plaines côtières du Centre-Vietnam vers les hauts plateaux a été troublé par les mouvements de la résistance des minorités ethniques (en particulier du FULRO). Ces événements imprévus ont obligé Hanoi à modifier d’urgence son “programme de redéploiement des forces de travail” projetant de déplacer dix millions de personnes en dix ans (1975-1985).
b – Emigration “semi-officielle” des « boat-people »
Ne pouvant accélérer le “désengorgement” des villes du Sud hypertrophiées et déplacer massivement les populations des régions surpeuplées du Nord et du Centre-Vietnam vers les hauts plateaux, Hanoi a alors tablé sur “l’émigration semi-officielle des boat-people” (organisée par l’Etat) pour mener à bien la politique de “désurbanisation” (objectif prioritaire pour lutter contre le chômage qui n’a cessé de s’amplifier dans les villes).
Des vagues d’émigration (semi-officielle et clandestine) se sont succédées sur les côtes de l’ASEAN (de juillet 1978 à fin décembre 1981) : 650 000 “boat-people” sino-vietnamiens ont été accueillis par des pays tiers ; d’après le Haut Commissariat aux réfugiés (HCR), 30 % ont péri dans le Pacifique, victimes des vagues, du soleil, des garde-côtes vietnamiens et malais, des pirates thaïlandais et de l’indifférence des navires marchands sillonnant la mer de Chine méridionale (soit au total près d’un million de “boat-people
La tragédie des “boat-people” a suscité une vive émotion mondiale, amenant le secrétaire général de l’ONU à tenir une conférence internationale à Genève (juillet 1979). Sous la pression de l’opinion internationale, le Vietnam a dû accepter de mettre fin à la politique “d’émigration semi-officielle En contrepartie, l’ONU a élaboré avec Hanoi des programmes de “départs légaux connus sous leurs acronymes anglais ODP (Orderly Departures Program) et HO (Humanitarian Organization). Le premier visait à favoriser le regroupement familial, et le second à permettre aux hauts fonctionnaires et aux officiers supérieurs de l’ancien régime de Saigon de quitter “légalement” le Vietnam pour rejoindre leurs proches à l’étranger ou se réfugier dans un pays d’accueil.
Selon le HCR, 147 000 “départs légaux” ont été dénombrés (originaires en majorité des citadins du Sud) de 1979 à 1988, 500 000 autres ont déposé leur demande. Comme les pays d’accueil (essentiellement les Etats-Unis, le Canada, l’Australie et la France) ont laissé les réfugiés entrer au compte-gouttes pour des raisons humanitaires, politiques et au titre du regroupement familial, Hanoi n’a pu accélérer la “désurbanisation” du Sud. De sources officielles, deux millions de citadins ont quitté les villes (dont 1,3 million implantés dans les ZEN, chiffre gonflé, semble-t-il). D’après nos calculs (10), leur effectif aurait atteint 1,5 million de personnes, dont :
143 000 (essentiellement des “Saigonnais évacués par les forces armées américaines, avant l’effondrement du régime sud-vietnamien en 1975 ;
200 000 citadins (anciens réfugiés de guerre qui sont retournés dans leur province natale après le retour à la paix en 1975-1976, ou ceux qui se sont rendus dans les ZEN) ;
150 000 “capitalistes exploiteurs du peuple” (y compris les membres de leur famille) expulsés vers les ZEN, lors des représailles à leur encontre en 1978 ;
900 000 à 1 million “boat-people” ;
147 000 “départs légaux
C’est donc l’exode massif des citadins à l’étranger (plus de 1,2 million), qui a été le facteur déterminant de la baisse sensible du taux de la population urbaine, ramené de 20,5 % en 1975 à 18,9 % en 1985 (chiffres officiels).
c – Réactivation de la politique de déplacement des populations
Grâce au retour à la paix dans les provinces frontalières durant la décennie 1990, Hanoi a relancé la politique de transfert des populations des régions surpeuplées du Nord et du Centre-Vietnam vers les hauts plateaux, vers les régions occidentale et orientale du delta du Mékong, là où les terres manquaient encore de bras. Jusqu’à fin-décembre 1997, on compte (11) près de deux millions d’émigrés “spontanés Leur nombre n’a cessé de progresser. De sources occidentales (AFP et Reuters en février 2001), plus de 5 millions d’implantés, venus des provinces surpeuplées du delta du Fleuve rouge, se sont installés sur les hauts plateaux riches en terres rouges très fertiles. Celles-ci ont été transformées en plantations privées de caféiers, de théiers, etc., aux dépens des minorités ethniques refoulées vers des régions éloignées et peu accessibles. Exaspérées, elles ont fini par se révolter contre le régime et ont réclamé la restitution de leurs terres ancestrales. La lutte se poursuit de plus belle à l’heure actuelle, gênant “le programme de redéploiement des forces de travail” (pour rééquilibrer la répartition démographique sur l’ensemble du territoire, et mener à bien la politique anti-chômage).
d – Exportation des travailleurs
Parallèlement au programme de déplacement des populations, le pouvoir central a entamé à partir de 1982 une politique d’exportation des travailleurs vers le bloc soviétique (dans le cadre de la lutte contre le chômage et du remboursement de ses dettes aux pays d’accueil). En même temps, il a cherché à acquérir des devises fortes pour importer ce dont il avait besoin.
L’exportation des travailleurs a battu son plein dans les années 1983-1990. Des jeunes en bonne santé ont été envoyés vers les pays de l’Europe de l’Est (Pologne, Roumanie, Hongrie, Tchécoslovaquie, etc.) et vers l’URSS ainsi que vers les pays sympathisants du Vietnam (comme l’Irak par exemple), ou vers d’autres pays du Moyen-Orient (Arabie Saoudite, Koweït, Qatar, etc.). Dans une interview accordée au quotidien Lao Dông ( Travail’) du 18 janvier 1990, le ministre du Travail informait que l’effectif des travailleurs “expatriés” avait atteint 250 000 personnes, dont 240 000 dans le bloc soviétique (81 000 en URSS, 60 000 en République démocratique allemande, 55 000 en Tchécoslovaquie, 24 000 en Bulgarie, etc.) et 10 000 en Irak. Selon les experts suédois (12), un tiers du salaire des travailleurs a été retenu par les pays d’accueil, un tiers transféré à leur famille, le dernier tiers revenant aux intéressés. Ils se sont livrés à toutes sortes de métiers peu rémunérateurs, auxquels répugnaient les autochtones : éboueurs, manœuvres, bonnes à tout faire, mineurs, ouvriers non qualifiés (pour la construction des ponts, des routes, des chemins de fer, des pipe-lines en Sibérie), ouvrières textiles, de l’habillement, etc.
Cependant, après les bouleversements intervenus en Europe de l’Est (1989-1991), les pays concernés (y compris l’Irak à la suite de la guerre du Golfe persique) ont décidé de rapatrier les travailleurs vietnamiens au terme de leur contrat. Mais la majorité de ces Vietnamiens ont préféré rester dans leur pays d’accueil. Le pouvoir vietnamien s’est alors tourné vers les pays dits “capitalistes” (Taiwan, Corée du Sud, Singapour, pays du Moyen-Orient, etc.). L’exportation des travailleurs vietnamiens vers ces pays n’a pas eu beaucoup de succès. Leur effectif a été limité, ne dépassant pas 15 000 par an. D’après l’Office de gestion des travailleurs expatriés (rattaché au ministère du Travail, des Invalides de guerre et des Affaires sociales), environ 250 000 Vietnamiens travaillent actuellement à l’étranger, rapportant à l’Etat des devises fortes, estimées à 1,25 milliard de dollars par an.
e – Ouverture du Vietnam aux pays dits “capitalistes”
L’effondrement du bloc soviétique dans les années 1989-1991 a entraîné de lourdes conséquences sur le plan économique :
Le Vietnam a pratiquement perdu ce marché traditionnel (représentant 85 % de son commerce extérieur).
La perte brutale de l’aide économique soviétique en 1991 (ramenée à 100 millions de dollars (au lieu de deux milliards par an auparavant), dans les années 1986-1990).
Les échanges commerciaux du Vietnam avec la Russie et les autres ex-pays socialistes frères de l’Europe de l’Est se sont faits, depuis 1991, sur la base des prix mondiaux, et ont été facturés en devises fortes. En conséquence, les difficultés de l’économie vietnamienne sont allées s’aggravant, d’autant plus que le retour massif des travailleurs “expatriés arrivés au terme de leur contrat, s’est traduit non seulement par une perte substantielle de devises, mais aussi par une aggravation du chômage. Celui-ci a touché sept millions de travailleurs sans emploi ou sous-employés (sur près de 30 millions d’actifs en 1991), soit plus de 20 %. D’après les études du Bureau international du travail (BIT), avec une croissance naturelle de 1 million d’actifs par an, l’économie vietnamienne devrait créer 1,5 million d’emplois pour maîtriser le chômage déclaré. Or, la capacité d’absorption du secteur primaire a été dépassée. En conséquence, de nouvelles réformes ont été nécessaires. Toujours selon le BIT, “la création des entreprises privées est la meilleure solution pour régénérer les emplois”.
Mis au pied du mur, le Vietnam n’a pas eu d’autres choix que de se convertir à l’économie de marché. Le “renouveau” économique, lancé à l’issue du VIe congrès (1986), a commencé à faire sentir ses effets positifs au début de la décennie 1990. En vertu de la décision N° 10 du Bureau politique (avril 1988), il prône l’économie de marché, encourage les initiatives privées (libre création des entreprises, libre circulation des marchandises, etc.). La libéralisation économique va de pair avec la suppression du régime de subventions. Désormais, les citadins devront s’approvisionner sur le marché “libre En agissant de la sorte, l’Etat vietnamien vise aussi à décourager les masses urbaines pauvres touchées par le chômage, à faire pression sur elles (qui devraient, bon gré mal gré, se rendre dans les ZEN) et en même temps à freiner l’exode rural, en raison du coût élevé de la vie urbaine.
Mais les choses ne sont pas aussi simples que l’Etat les avait imaginées. La libéralisation économique, au lieu d’aider l’Etat à “dégraisser” la population urbaine du Sud, a provoqué des effets contraires. En effet, pour la survie de leur famille, les masses déshéritées se sont livrées à toutes sortes de métiers (marchands ambulants, vendeurs sur les trottoirs, “petits boulots etc.). Les migrants sont déterminés à rester dans les villes, malgré la montée en flèche du coût de la vie. En vertu du code des investissements étrangers (fin-décembre 1987), le Vietnam s’ouvre dorénavant aux pays dits “capitalistes ce qui se traduit par l’afflux de capitaux occidentaux et asiatiques (ASEAN, Japon, Corée du Sud, Taiwan, Singapour, etc.) pour développer sur son territoire des joint-ventures et des entreprises à capitaux 100 % étrangers.
Des zones économiques spéciales, en quelque sorte des zones franches calquées sur le modèle chinois de Shenzen (Chine du Sud), sont implantées à proximité de grandes agglomérations : Hô Chi Minh-Ville, Cân Tho dans le delta du Mékong, Dà Nang, Huê dans les plaines côtières du Centre-Vietnam, Hanoi, Haiphong dans le Nord, etc.). De 1987 à 1995, on compte plus de 1 400 projets d’investissements étrangers pour un montant total de 16 milliards de dollars (13). De grands projets ont été envisagés, à savoir la création d’industries lourdes, d’industries légères de transformation, d’industries agroalimentaires (utilisant sur place les produits agricoles comme matières premières) ; des protocoles d’accord ont été signés, mais très peu ont eu un commencement de réalisation. Les joint-ventures (essentiellement des entreprises de sous-traitance pour le compte de firmes étrangères) et les entreprises à capitaux totalement étrangers (chaînes de montage d’automobiles, d’appareils électroniques, habillement, textiles, chaussures, etc.) ont embauché en 1996 environ 40 000 travailleurs vietnamiens, ce qui est encore bien loin de l’ambition des planificateurs de Hanoi.
Ils avaient escompté que la création des zones économiques spéciales résoudrait d’une part le chômage urbain en augmentation constante dans les grosses agglomérations (comme Hô Chi Minh-Ville par exemple, où le chômage frappe quelque 400 000 travailleurs sans emploi ou sous-employés), et, d’autre part, obtiendrait pour le pays des devises fortes. Sur 16 milliards de dollars de projets d’investissements, plus de deux-tiers ont été consacrés aux secteurs de service. L’implantation des joint-ventures et des entreprises à capitaux 100 % étrangers dans les zones économiques spéciales engendre d’autres industries, ainsi que les activités de services (établissements d’import-export, bureaux de représentation des entreprises, de conseillers juridiques, banques, assurances, publicités, tourisme, hôtellerie, restauration, night-clubs, dancings, transports et communications, etc.).
Après une brève période de prospérité relative (1986-1993), les industries de sous-traitance, le tourisme et autres activités de services (qui leur sont étroitement liées) ont été exposées à la crise (en 1994-1996), en raison de la rude concurrence des pays de l’ASEAN et surtout de la Chine. Puis, la crise financière survenue soudainement en juillet 1997 et transformée en crise économique généralisée en Asie, a provoqué la dévaluation de la monnaie vietnamienne par quatre fois en moins de deux ans (1998-1999). Le dông a perdu 22 % de sa valeur (contre 40 à plus de 50 % pour les devises des autres pays de l’ASEAN), ce qui a rendu plus vulnérable encore l’économie du Vietnam (manque de compétitivité de ses produits devenus trop chers sur le marché extérieur, baisse des capitaux étrangers investis dans le pays). Ainsi, selon le ministère du Plan et de l’Investissement, l’ensemble des projets d’investissements étrangers en 1997 a été évalué à 5,5 milliards de dollars (contre 8,6 milliards en 1996, soit une baisse de 30 % par rapport à l’année précédente).
La situation a encore empiré en 1998, avec un total de 3,5 milliards de projets d’investissements (régression de 36 % par rapport à l’année précédente), 1,5 milliard en 1999 et 1,6 milliard estimé en 2000. Les investissements étrangers ont marqué le pas, semble-t-il au cours de ces deux dernières années. Les grands pays investisseurs considèrent le Vietnam comme un pays à haut risque et préfèrent rapatrier leurs capitaux ou investir dans les autres pays de l’ASEAN (Thaïlande, Malaisie, Indonésie, Philippines, etc.) devenus plus attrayants et plus lucratifs. Face à la rude concurrence étrangère, l’Etat vietnamien s’est hâté de restructurer ses industries.
De sources officielles, 40 % des 12 000 entreprises étatiques ont été déclarés en faillite. Sur 5 760 encore en activité, 61 % sont constamment en difficulté, ainsi que 10 000 petites et moyennes entreprises locales gérées par les autorités régionales. La suppression et la compression du personnel des entreprises en faillite ou en difficulté ont entraîné des licenciements massifs de travailleurs, se traduisant par une baisse sensible du secteur secondaire de 16,2 % en 1996 à 12,5 % en 2000 (chiffres officiels) au profit du tertiaire (passant de 15,2 % à 18,7 % pour la même période). La crise a obligé l’Etat à réduire ses dépenses militaires et dans la fonction publique (démobilisation de 500 000 soldats de l’Armée populaire ramenée de 1,1 million à 600 000 hommes). Selon l’AFP du 29 novembre 1991, plus de 450 000 fonctionnaires ont été licenciés.
D’après une enquête effectuée par le ministère du Travail, des Invalides de guerre et des Affaires sociales, le taux de chômage urbain a progressé de 6 % en 1997 à 6,85 % en 1998 (chiffres sous-estimés, semble-t-il). Ce taux a été particulièrement élevé dans les grosses agglomérations : plus de 9 % à Hanoi, 6,4 % à Haiphong et Dà Nang, 7 % à Hô Chi Minh-Ville, etc. Les actifs ruraux sont sous-employés et réduits au chômage forcé pendant la saison sèche. Leur coefficient d’emploi a été de 70,88 % en 1998. Les travailleurs des entreprises d’Etat sont en excédent (14). Après tant d’années de restructuration pour comprimer leur effectif, on pourrait encore supprimer 450 000 travailleurs (sur environ 1 800 000 travaillant dans les entreprises étatiques).
Réduits au chômage, les ouvriers sont en général reconvertis dans les secteurs de service pour pouvoir rester dans les villes (petits commerçants, commerçants de détail, etc.). En dépit de la crise et de la hausse du chômage urbain, les jeunes provinciaux, attirés par un salaire relativement plus intéressant et un niveau de vie meilleur (700 dollars / tête d’habitant / an à Hô Chi Minh-Ville par exemple, le triple de la moyenne nationale en 1996 évalué à 240 dollars) (15), continuent d’affluer vers les villes. L’exode rural tend à s’accélérer au cours de ces dernières années, faisant grossir démesurément la capitale Hanoi et les métropoles régionales (Hô Chi Minh-Ville, Cân Tho, Mytho, Dà Nang, Huê, etc.).
Le taux actuel de croissance de la population urbaine est fort élevé : 6,6 % par an (plus du double par rapport à la période 1975-1985). A ce rythme de croissance galopant, la population urbaine devrait tripler presque en 2020, passant de 16 millions de citadins à l’heure actuelle à 46 millions dans vingt ans (16).
Conclusion
Face à la hausse du chômage, qui sévit à la ville comme à la campagne, Hanoi semble aujourd’hui dans une impasse. Jusqu’à présent, aucune solution adéquate n’a été trouvée pour résoudre le problème de l’emploi. Pendant ce temps, la population continue de croître (1,5 million d’habitants supplémentaires par an), et l’exode rural s’accentue. Selon l’Office des migrations et du développement des zones d’économie nouvelle (rattachée au Service de l’Agriculture et du Développement rural) (17), l’ex-Saigon, par exemple, a accueilli en moyenne 90 000 à 100 000 immigrants spontanés provinciaux à la recherche d’un emploi. Bon nombre d’entre eux vivent entassés sur les trottoirs, sous les ponts et dans les autres lieux publics (marchés, jardins publics, etc.).
Selon les prévisions de l’Etat, la baisse des actifs ruraux devrait s’accélérer inexorablement pour atteindre 50 % en 2010 (contre 68,8 % actuellement). D’après ses consignes, le taux de chômage urbain ne devrait pas dépasser 7 % et le coefficient d’emploi de la population rurale devrait augmenter de 70,88 à 73 %. Mais selon le ministère du Travail, des Invalides de guerre et des Affaires sociales, ces objectifs seraient difficiles, voire impossibles à atteindre, compte tenu de la récession persistante et de la conjoncture économique morose des pays de l’ASEAN et de la région. Par ailleurs, prisonniers de leur dogmatisme intransigeant, les dirigeants vietnamiens continuent de préserver le marxisme-léninisme, l’accent étant mis sur “la consolidation du capitalisme d’Etat sur “la prédominance et le rôle-clé dirigeant des entreprises publiques dans l’économie nationale Ils campent sur leur position concernant l’étatisation des terres. Ils font la sourde oreille face aux recommandations judicieuses et expresses du BIT et des autres organismes financiers internationaux tels que le FMI, la Banque mondiale, la Banque asiatique de développement, etc. (restructuration, cotation en bourse et privatisation des entreprises publiques là où cela est possible, assainissement bancaire, développement de petites et moyennes entreprises privées, lutte efficace contre la corruption, etc.). Sans l’aide économique précieuse de ces organismes internationaux, ils seraient dans l’impossibilité de sortir le Vietnam du marasme et la récession économique se prolongerait. L’inflation s’accentuerait, ainsi que le chômage.
Notes :
Phu nu Viêt Nam (Femmes vietnamiennes), N° 64 du 25-12-1997, Hanoi, pp. 1 et 10
Thoi bao kinh tê Saigon (Saigon Economic Times), N° 39 du 24-09-1998, p. 6
Singapour, une cité-Etat nouvellement industrialisée, est doté de bonnes conditions sanitaires et du meilleur niveau de vie parmi les 10 pays de l’ASEAN (avec un revenu per capita supérieur à 13 000 US dollars par an), alors que le Vietnam communiste, classé parmi les 10 pays les plus pauvres du monde (avec un revenu estimé à 320-350 US par tête d’habitant en 2000), est en proie à de nombreux problèmes socio-économiques : diverses catégories de la population ne mangent pas à leur faim (avec 40,6 % des enfants souffrant de l’avitaminose et 50 % des populations rurales n’ayant pas encore d’eau potable, selon l’Institut national de nutrition) (Thoi bao kinh tê Saigon, N° 45 du 5 novembre 1998, p. 6). Dans des régions éloignées, en particulier sur les hauts plateaux et les plaines côtières du Centre-Vietnam, ce revenu atteint à peine 10 dollars / foyer paysan / mois. Il serait difficile pour le Vietnam de réaliser de telles performances rivalisant avec Singapour.
ONU, Annuaire démographique de 1990, New York, pp. 312-426
Cf. Lâm Thanh Liêm, “La planification familiale au Vietnam”, Population, 2, Ined, Paris, 1987, pp. 321-326
Résultats de nos enquêtes auprès des femmes réfugiées, arrivées au Centre d’accueil “France-terre d’asile” à Créteil, dans les années 1980-1986.
Tuôi Tre ( Jeunesse’) du 24-1 au 1-2-1995
Thoi bao kinh tê Saigon, N° 13 du 25-3-1999, p. 6
Thoi bao kinh tê Saigon, N° 1 du 1-1-1998, pp. 28-29
Cf. Lâm Thanh Liêm, “Bilan de dix années de redéploiement des forces de travail au Vietnam (1975-1985)”, Reflets d’Asie, N° 4, Institut de l’Asie du Sud-Est, Paris, 1987.
Thoi bao kinh tê Viêt Nam (Vietnamese Economic Times), N° 89 du 7-1-1998, p. 12
Informations obtenues, lors de la conférence internationale tenue à l’université de Sussex, Brighton (Angleterre) du 9 au 12 décembre 1985 sur le thème : “Postwwar Vietnam : Ideology and action
Thoi bao kinh tê Saigon, N° 36 du 31-8 au 6-9-1995, pp. 21-22
Tuôi Tre du 14-1-1999
Thoi bao kinh tê Saigon, N° 19, du 9 au 15-5-1996, p. 8
(16)Thoi bao kinh tê Saigon, N° 13 du 25-3-1999, p. 6
(17)Thoi bao kinh tê Saigon, N° 30 du 20-7-2000, p. 7
(EDA, Lâm Thanh Liêm, octobre 2001)
MUTATION PROGRESSIVE DE LA SOCIETE VIETNAMIENNE
Deuxième partie :
VERS L’EDIFICATION D’UNE ECONOMIE “MIXTE” ?
par Lâm Thanh Liêm
Après l’échec de deux plans quinquennaux consécutifs (1976-1985), le gouvernement a fini par admettre avoir fait fausse route. En décembre 1986, une nouvelle politique dite de “renouveau” (dôi moi) décidée lors du VIe Congrès du Parti communiste vietnamien (PCV) a favorisé une certaine reprise de l’économie vietnamienne. Cependant, malgré les recommandations insistantes des différents organismes financiers internationaux (FMI, Banque mondiale, Banque de développement asiatique etc.), l’Etat vietnamien ne semble pas pressé d’accélérer les réformes pour substituer l’économie de marché à l’économie socialiste.
Après une brève période de croissance appréciable dans les années 1990-1995, l’économie vietnamienne a été à nouveau en difficultés. Celles-ci se sont d’ailleurs aggravées lors de la crise financière et économique qui a frappé l’Asie à partir de juillet 1997.
Pour y faire face, les responsables gouvernementaux se sont hâtés de mettre en œuvre, au cours de ces trois dernières années (1998-2000), une série de réformes dans les domaines de l’agriculture, de l’industrie et du commerce. Dans le même temps ils ont tenté, semble-t-il, de chercher une nouvelle orientation économique, pour intégrer le Vietnam dans l’économie de marché, tout en préservant cependant son régime marxiste-léniniste.
I.- Une nouvelle étape dans les réformes économiques (1998-2000)
A l’issue du IVe plénum (VIIIe Congrès, fin décembre 1997), de très importantes décisions ont été adoptées, marquant une nouvelle étape de réformes pour la relance de l’économie nationale.
1°/ Les réformes de l’agriculture :
Face aux revendications grandissantes des paysans en faveur du droit de propriété privée des terres (1) depuis 1987, le gouvernement vietnamien n’a cessé de chercher des solutions pour amender la loi foncière de 1986. Celle-ci se révèle, dès sa promulgation en 1987, inefficace et inadaptée à l’économie de marché et à une société en pleine mutation. Malgré plusieurs amendements votés par l’Assemblée nationale de 1990 à 1993, elle n’a pas répondu aux aspirations profondes des paysans (2), qui souhaitent le retour au droit de propriété et au faire-valoir direct des terres, comme du temps de la République du Vietnam. Fidèle au marxisme-léninisme intransigeant, l’Etat affiche une ferme volonté de ne faire aucune concession sur ce point (conformément à la Constitution de 1992, chapitre II, articles 17 et 18).
Depuis que la méthode d’exploitation individuelle s’est substituée au mode d’exploitation collective socialiste des terres, la production agricole du Vietnam a progressé régulièrement de 19 millions de tonnes de paddy en 1990 à 29 millions de tonnes en 1999, avec un excédent de 3,5 à plus de 4 millions de tonnes de riz pour l’exportation (deuxième pays exportateur de riz du monde après la Thaïlande).
Cependant, malgré des avancées incontestables, les paysans (12 millions de foyers) n’ont pas profité de la prospérité agricole. Bien au contraire ! Criblés de dettes aux taux usuraires et écrasés d’impôts, ils vivent dans la pauvreté, voire dans la misère et en proie à toutes sortes d’oppression : brimades, corruption, abus d’autorité des potentats locaux.
En effet, selon la décision N° 10 du Bureau politique (avril 1988), toutes les charges d’exploitation et tous les impôts confondus sont fixés à 60 % de la récolte pour la riziculture, 70 % pour les autres cultures. Or, dans la pratique, les charges dépassent ce barème, en raison des taxes “supplémentaires en quelque sorte des impôts locaux, (pour l’usage du réseau hydraulique agricole, pour l’entretien des écoles, des routes, des ponts communaux, etc.) et s’approchent de 80 à 85 % voire davantage de la récolte. Les potentats locaux en subtilisent une partie.
Exaspérés par leurs exactions, en certains lieux, les paysans se sont révoltés contre le régime. Par exemple, la révolte sanglante dans le delta du Mékong en 1987 où l’agitation populaire (avec la participation active de cadres, d’officiers retraités, d’anciens combattants, d’invalides, de mutilés de guerre, de familles “liêt si” – familles dont le père ou la mère a sacrifié sa vie pour la “cause de la Révolution” -) a duré plusieurs mois, de juin à septembre 1997, à Thai Binh (à 80 km au sud-est de Hanoi). D’autres provinces telles que Thanh Hoa, Nghê Tinh, etc., ont été touchées. Progressivement, elle s’est étendue au Sud-Vietnam, où le mouvement contestataire s’est amplifié dans la province de Dông Nai (à 30 km au nord de Hô Chi Minh-Ville). Pour apaiser le peuple, le Parti communiste s’est dépêché d’envoyer sur place Pham Thê Duyêt, alors membre du secrétariat permanent du Bureau politique, pour régler la crise.
Derrière ces protestations contre les potentats locaux se cache un malaise profond au sein de la société rurale vietnamienne. Las de travailler au service d’un régime totalitaire, les paysans souhaitent, outre la baisse d’impôts (devenus si lourds et insupportables) la disparition pure et simple des coopératives agricoles et le retour au faire-valoir direct des terres. En un mot, ils demandent à l’Etat de leur restituer leurs terres, collectivisées par la force dans les années 1978-1979 et 1983-1985.
Face à la contestation paysanne, aggravée par la crise financière asiatique, ainsi que par d’autres mouvements revendicatifs (sur le pluralisme, les libertés de presse, de croyance, d’expression, etc.) des dissidents, des leaders spirituels bouddhiques, catholiques, caodaïstes, etc., encore incarcérés ou assignés à résidence, le pouvoir central s’est vu obligé d’assouplir sa position concernant la gestion des terres.
Ainsi, le Premier ministre a signé le décret N° 17/1999/ND-CP du 23 septembre 1999 reconnaissant “le droit d’usage des terres” (3) :
Le droit d’échange, de concession, de location, de sous-location, etc. ;
Le droit de succession à l’usage des terres ;
Le droit de gage (pour accès au crédit), le droit d’usage des terres comme capital d’investissement, etc.
Certes, le décret N° 17 accorde certains avantages aux paysans. Cependant, pour obtenir le fameux “livret rouge” (attestation du droit d’usage des terres), deux conditions sont requises :
Les bénéficiaires doivent payer à l’Etat une “redevance en quelque sorte un “fermage” pour une période plus ou moins longue (5 ans ou plus) ;
Les terres “louées” doivent être dotées d’infrastructures agricoles.
Des clauses restrictives leur interdisent de se livrer à des spéculations foncières. Ils ne peuvent “céder” leurs terres à un autre, qui les “utilise” pour une activité autre que celle de l’agriculture, en les transformant en terrain à bâtir par exemple.
Quoique bénéfique aux paysans, le décret N° 17 ne leur donne pas entière satisfaction. Ils se sentent frustrés, puisque ces terres ne leur appartiennent toujours pas. Ils ne sont que “des fermiers d’Etat” au service du PCV. En culture du fermage, leur revenu net oscille autour de 15 à 20 % de la récolte seulement (pire que du temps de la colonisation française, entre 40 et 60 %). Avant la réunification du Vietnam, presque tous les paysans sud-vietnamiens étaient propriétaires terriens, grâce aux deux réformes agraires du président Ngô Dinh Diêm (en vertu de l’ordonnance N° 57 du 22 octobre 1956) et du président Nguyên van Thiêu (loi dite “la terre aux cultivateurs” N° 003/70 du 26 mars 1970). On comptait au total plus d’un million de fermiers devenus petits propriétaires (de 1 à 5 hectares).
Naguère propriétaires terriens, après la réunification (1976), ils ont été soudainement dépossédés de ce “droit sacré Incorporées dans les coopératives agricoles, leurs terres se sont transformées en biens collectifs (sans aucune indemnisation), ainsi que tous leurs autres moyens de production (cheptel, charrues, barques, etc.). Ils sont attachés à leurs rizières, où leur famille, de père en fils, s’est donnée beaucoup de peine pour les rendre productives. Par ailleurs, ils ont fait beaucoup de sacrifices, pendant les deux guerres du Vietnam, en faveur de la guérilla. Ils n’ont pas hésité à cacher les “can bô” (cadres) et les guérilleros chez eux, au risque de leur vie. Dans ce monde rural, le Front national de libération du Sud-Vietnam a trouvé des ressources humaines et financières inépuisables, lui permettant de mener à bien la lutte acharnée contre le régime de Saigon jusqu’à la victoire finale. Bon nombre de foyers paysans sont de “souche révolutionnaire” depuis 1945, et sont reconnus à juste titre comme “familles liêt si Après tant d’années de sacrifices et d’application au travail, ils estimaient mériter leur récompense, en jouissant du plein droit de propriété sur leurs parcelles de rizières. Cependant, depuis la fin de la guerre, le nouveau régime, au lieu d’élever leurs conditions et leur niveau de vie, les a appauvris. Ruinés et forcés d’entrer dans le cercle coopératif, rien ne les motivait plus pour se dévouer à la collectivité. Le décret N° 17 ramène les paysans sud-vietnamiens à la case de départ de l’époque coloniale.
Cependant le nouveau décret, lui-même, n’est pas sans danger pour les paysans vietnamiens. Il risque fort d’ouvrir la voie vers l’accumulation des terres en faveur des dirigeants. Une nouvelle forme d’exploitations agricoles a fait son apparition au cours de ces cinq dernières années et s’est progressivement étendue du Sud vers le Nord-Vietnam. L’Etat la désigne du nom de “l’économie de fermes” (traduction littérale de kinh tê trang trai).
A vrai dire, ce type d’économie agricole n’est pas nouveau. Il a existé à l’époque coloniale. A l’ouest du delta du Mékong, il avait prospéré dans la “zone des vergers” (Miêt vuon), située entre le Fleuve antérieur et le Bassac. C’est surtout après la guerre d’Indépendance (1945-1954) qu’il a pris un essor rapide, grâce à l’œuvre du président Ngô Dinh Diêm (1954-1963). En un court laps de temps, il a réussi à réaliser simultanément la réforme agraire, la politique dite de “dinh diên” (centre de développement agricole) et de “khu trù mât” (agroville). (4) L’un et l’autre des systèmes est fondé sur la propriété privée, les familles détenant des exploitations agricoles plus ou moins grandes.
Lors de la collectivisation des terres, après la réunification, les fermes ont été épargnées, étant donné que le Nord-Vietnam n’avait pas ce type d’économie agricole. Assimilés à des “moyens propriétaires de catégorie supérieure” ou des “paysans riches” (phu nông), leurs propriétaires ont continué de gérer leurs vergers, moyennant une redevance annuelle à l’Etat.
Après une période de stagnation du développement (1975-1990), on a vu apparaître de nouvelles exploitations de quelques hectares par ferme à l’ouest du delta du Mékong, en particulier dans la péninsule de Cà Mau (à Minh Hai), où les paysans nord-vietnamiens pauvres, venus des provinces surpeuplées (Nam Dinh, Hai Hung, Thai Binh, etc.) se sont solidement implantés dans les zones de mangroves depuis les années 1980. Ce mouvement migratoire du Nord vers le Sud a été encouragé par Hanoi dans le cadre de redéploiement des forces de travail après la guerre (5). La superficie des fermes varie de 1 à 3 hectares et la main-d’œuvre est essentiellement familiale.
Par contre, la région orientale encore peu peuplée, célèbre pour ses terres rouges et recouvertes de forêts tropicales denses, attire les citadins aisés de Hô Chi Minh-Ville, ainsi que les émigrants nord-vietnamiens. Ceux-ci sont venus s’y établir dans les années 1980-1990. La taille moyenne des fermes créées dans les provinces avoisinantes de la métropole du Sud est supérieure à 6,50 hectares à Binh Phuoc, 11 hectares à Binh Duong. Ces exploitations ont besoin de salariés agricoles et embauchent occasionnellement des travailleurs saisonniers au moment de la récolte. La superficie de certaines exploitations privées peut atteindre quelques dizaines, voire quelques centaines d’hectares (à Sông Bé et Dông Nai par exemple).
Dans les hauts plateaux riches en terres rouges et bénéficiant de conditions climatiques propices aux cultures des plantes industrielles, des milliers d’exploitations (de 2 à 5 hectares consacrés à la culture des caféiers) sont nouvellement conquis sur les forêts vierges par les populations indigènes et surtout par les émigrés nord-vietnamiens. Nombre de fermes ont une superficie supérieure à 200 ou 300 hectares, d’après le ministère de l’Agriculture et du Développement rural.
Dans les plaines côtières du Centre-Vietnam, on compte près de 800 fermes privées (de 10 à 100 hectares / exploitation) destinées à l’élevage des bovins, chacune ayant de 100 à 1 000 têtes (soit en moyenne 10 têtes de bovins / hectares de prairies naturelles).
Au Nord-Vietnam, ce type d’économie, qui n’existait pas auparavant, se développe à merveille et de “manière spontanée” (sic) dans les “moyennes régions Les données statistiques et les activités relatives aux fermes sont rares. La province de Yên Bai par exemple (à proximité de la frontière du nord-est) compte quelque 3 200 fermes, chacune ayant de 6 à 10 hectares et occupant de 20 à 25 travailleurs saisonniers.
De sources officielles (7), 113 000 fermes ont été dénombrées pour une superficie totale de 300 000 hectares (y compris les anciennes exploitations créées dans le Sud-Vietnam avant 1975). Une enquête, effectuée par le Service de l’Agriculture et du Développement rural de Lâm Dông (8), révèle que 70 % des exploitants sont des paysans, et 30 %, des cadres et des officiers retraités, des fonctionnaires, etc. La main-d’œuvre familiale suffit pour une exploitation de quelques hectares. Cependant l’embauche de travailleurs saisonniers (pour les soins aux jeunes plantes ou au moment de la récolte) est indispensable. Les exploitations plus importantes nécessitent l’emploi de salariés agricoles. Exception faite des plantations d’hévéas employant un ouvrier pour 2,50 hectares, les autres types de fermes exigent une main-d’œuvre nombreuse : deux ouvriers / hectare pour les plantations de manguiers, cinq salariés / hectare pour les plantations de caféiers par exemple. Selon le président du Club des fermes de Hô Chi Minh-Ville (9), on utilise en moyenne un ouvrier agricole / hectare, un contremaître pour dix ouvriers, et un ingénieur (ou à défaut un technicien) responsable des techniques culturales pour une ferme supérieure à 20 hectares.
Le salaire mensuel d’un ingénieur débutant est de 1 million de dông (500 F, 1 F = 2 000 dôngs), celui d’un ouvrier agricole, de 500 000 à 600 000 dôngs. Pour les exploitations de quelques hectares d’hévéas, les capitaux investis sont estimés autour de 300 à 500 millions de dôngs. Elles coûtent plusieurs milliards pour les autres types de fermes supérieures à 10 hectares (caféiers, théiers, etc.). Equipées de moyens techniques modernes (tracteurs, motoculteurs, groupes électrogènes, pompes à eau, etc.), les grandes exploitations, côtoyant les petites fermes “familiales couvrent chacune plusieurs centaines d’hectares.
Une question se pose : à qui appartiennent ces exploitations modernes ? On sait que les salaires mensuels sont modestes, n’excédant pas 1 million de dôngs pour les hauts fonctionnaires, entre 350 000 et 450 000 dôngs pour les cadres moyens et entre 200 000 et 250 000 dôngs pour les cadres de base (à peine suffisants pour subvenir aux besoins en nourriture pour les petits fonctionnaires pendant 10 jours, 2 ou 3 semaines pour les cadres). Selon nos informations (10), elles appartiendraient “en majorité aux membres de la nomenklatura (civils ou militaires, actifs ou retraités) ou à leurs proches, la plupart de ces derniers n’étant que leurs prête-noms Ce sont de “nouveaux parvenus multimillionnaires en dollars américains, que les “Saigonais” désignent du nom de “capitalistes rouges” (tu san do). Presque tous sont venus du Nord-Vietnam. Affectés au Sud, où ils exercent de hautes fonctions et profitent de leurs relations, ils ont obtenu des concessions gratuites de terres en friches, qu’ils transforment en “fermes Celles-ci se développent, s’agrandissent à “l’insu de l’Etat” (sic). De toute évidence, leur immense fortune est liée à la corruption, aux malversations, aux affaires douteuses (la contrebande par exemple). Une nouvelle classe sociale aisée apparaît.
Ces “nouveaux riches” étendent sans vergogne leur domaine, en détruisant les forêts vierges sans respecter l’environnement. Ils creusent des puits et utilisent au maximum les nappes phréatiques pour arroser leurs champs pendant la saison sèche. A Daklak par exemple, un plan a été approuvé par le Premier ministre (11) pour le développement des fermes, qui devraient atteindre 100 000 hectares plantés en caféiers (12) en l’an 2005. Cet objectif a été largement dépassé en 1998. Plus de 9 000 exploitations de caféiers ont été créées sur 140 000 hectares de terres rouges ! Les mêmes abus d’extension illégale de fermes ont été commis à Lâm Dông, où plus de 25 000 hectares de terres rouges, recouvertes de forêts vierges, ont été défrichés et transformés en fermes de théiers et de caféiers. La destruction excessive des forêts, la surexploitation des nappes phréatiques accélèrent l’érosion des sols, provoquent des éboulements, des glissements de terrains, des inondations catastrophiques. Les fermes établies sur les terres rouges rapportent aux exploitants (13) des bénéfices intéressants, et dans le même temps leur donnent l’opportunité de “laver de l’argent sale” (sic).
Qualifiées naguère “d’exploitations de type capitaliste, incompatibles avec le socialisme les fermes font l’objet d’une attention particulière de l’Etat depuis quelques années :
Reconnues officiellement par le IVe plénum (VIIIe Congrès, fin-décembre 1997), les fermes jouent désormais un rôle économique important au plan national. Elles occupent une main-d’œuvre abondante : 500 000 employés, d’après le ministère de l’Agriculture et du Développement rural (dont plus de 300 000 travailleurs “familiaux” et plus de 150 000 salariés), sans prendre en compte la main-d’œuvre saisonnière.
Une conférence sur le thème “Etudes sur l’économie de fermes” a été tenue à Binh Duong, en plein cœur de ce type d’économie agricole (en juillet 1998). Le chef du Département de l’économie du Comité central, représentant le Bureau politique, a réaffirmé dans son discours de clôture que “l’Etat apporte son soutien ferme et crée des conditions favorables pour son développement
A l’issue du VIe plénum, VIIIe Congrès (décembre 1998), une décision du Bureau politique “reconnaît et encourage le développement des différents types d’exploitations” (14) : les fermes “familiales les fermes “privées” (y compris “celles appartenant aux citadins et aux particuliers venus des autres régions etc. Les exploitants sont autorisés à embaucher des travailleurs sans aucune restriction, et l’Etat se porte garant de leur fortune et des capitaux investis, sans nationalisation, ni confiscation par mesure administrative, etc.
Le décret gouvernemental N° 04/2000/ND-CP du 11 février 2000 modifie et amende la loi foncière de 1986, avec des clauses (15) facilitant l’application du décret N° 17 du 23 septembre 1999 cité ci-dessus (qui constitue la pièce-maîtresse concernant “le droit d’usage des terres – rurales et urbaines : le lopin individuel est fixé à 300 m dans les plaines (au lieu de moins de 100 m auparavant dans le Nord-Vietnam avant 1975), 400 m dans “les moyennes et les hautes régions dans les îles (pour la construction d’une maison et ses dépendances : cuisine, poulailler, porcherie, étable, etc.). Il est “confié” par l’Etat, sans perception de taxes d’usage des terres. Dans certaines régions dotées de vieilles traditions (avec plusieurs générations vivant sous le même toit par exemple), la superficie du lopin individuel est plus grande, mais elle ne doit pas dépasser le double de la limite mentionnée ci-dessus.
Toutes les entreprises (publiques ou privées), ayant payé à l’Etat les frais de location pour usage des terres, ont le droit de les utiliser comme capitaux d’investissement pour créer avec les entreprises étrangères des joint-ventures, pour accéder au crédit, etc.
2°/ Les réformes de l’industrie et du commerce :
Parallèlement aux réformes de l’agriculture, l’Etat vietnamien a promulgué une série d’amendements et de décrets d’application au code des investissements étrangers et à la loi sur l’encouragement à l’investissement local.
Le décret gouvernemental N° 10/1998/ND-CP du 21 janvier 1998 institue des mesures incitatives en faveur des industries privilégiées pour attirer les investisseurs étrangers. Telles sont les principales (16) :
Exonération d’impôt sur les bénéfices de l’entreprise pendant quatre ans et de 50 % pendant les quatre années suivantes.
Exonération des taxes sur les matières premières importées pour les industries d’exportation.
Libéralisation du commerce extérieur. Toutes les composantes économiques sont dorénavant autorisées à créer, entre autres, des établissements d’import-export, alors qu’auparavant ce domaine était réservé au secteur étatique.
-Le décret gouvernemental N° 7/1999/ND-CP du 15 janvier 1998 concernant la loi sur l’encouragement à l’investissement local apporte les nouveautés suivantes :
Le droit d’usage des terres : L’Etat “confie” ou “loue” les terres aux entreprises. Dans le premier cas, elles ne paient aucun droit d’usage. Dans le second cas, elles sont exonérées de frais de location pendant les 5 premières années, et ces frais sont réduits de 50 % pendant les 5 années suivantes.
Toutes les entreprises locales sont autorisées à exporter directement les produits vietnamiens.
Exonération de taxes sur les machines-outils, les biens d’équipement, ainsi que sur les moyens de transport, les accessoires, les matières premières et autres produits (selon le cas).
Facilité de crédits, etc.
-Une bourse des valeurs a été créée. Reportée d’année en année, la bourse des valeurs a enfin vu le jour, en juillet 2000. Dans le cadre de la restructuration des entreprises d’Etat, elle devrait faciliter la mise en œuvre du programme de privatisation. En déficit constant, les entreprises étatiques devraient être vendues ou cotées en bourse, la plupart se transformant en entreprises “mixtes Le rapport socio-économique de fin d’année du Premier ministre adressé à l’Assemblée nationale (le 21 novembre 1997) se révèle pessimiste pour le secteur industriel. Selon lui, du fait “des faiblesses accumulées et des difficultés imprévisibles” dues à la crise financière en chaîne des pays asiatiques, des réformes impératives du secteur industriel s’imposent pour “remettre de l’ordre et élever l’efficacité et la compétitivité des entreprises publiques
En effet, la mise en place d’une économie de marché entraîne la faillite de nombreuses entreprises publiques. La vétusté des machines-outils, les incompétences et la corruption du personnel politique, technique et administratif en sont la cause. Les subventions de l’Etat ont été réd