Eglises d'Asie

Dans un film de gangsters pas comme les autres, le “boss” des yakuzas est Jésus-Christ

Publié le 18/03/2010




Une minuscule mais quelque peu voyante église surmontée d’une grande croix dans la banlieue Est de Tôkyô ne paraît pas être le meilleur endroit où rencontrer huit ex-gangsters au corps largement couvert de tatouages. Pourtant c’est là le quartier général de l’ancien gangster yakuza, le révérend Hiroyuki Suzuki, 46 ans, qui œuvre dans ce quartier, aidé de sept de ses amis, anciens truands comme lui, convertis comme lui au christianisme et devenus citoyens modèles.

Les huit amis sont les fondateurs de la Mission Barabbas, du nom du bandit libéré par Ponce Pilate à la place de Jésus. Leur conversion au christianisme est racontée dans un film qui vient de sortir, Oyabun wa, Jesu sama, mot à mot Mon boss est Jésus’. Le film, dirigé par Koichi Sato, est sorti au Japon le 1er septembre et sortira en Corée du Sud avant la fin de l’année. “C’est une adaptation de notre livre Irizumi kurisuchan, c’est-à-dire Les chrétiens tatoués’, qui raconte notre passé criminel”, explique Hiroyuki Suzuki. De notre propre chef nous n’aurions jamais osé faire un film sur nous.” Le corps du pasteur témoigne de son passé. Les entrelacements de ses tatouages sont cachés par sa chemise à manches longues. Il lui manque une phalange à trois de ses doigts, mutilations habituelles chez les yakuzas pour racheter leurs “fautes”. “Le film montre combien il est difficile de quitter le monde des yakuzas et ses lois, mais il montre aussi que les yakuzas sont des gens comme nous… Il fait comprendre la complexité de ce milieu qui ne peut être changé que par l’amour”, raconte-t-il.

Il y a seulement onze ans, le pasteur ne savait rien du christianisme. Il gagnait sa vie à Tôkyô, dans le quartier minable de jeux de Kabukicho en proposant des paris illégaux sur les courses de chevaux. D’Osaka, sa ville natale, où il dirigeait une florissante maison de jeu, il avait dû s’enfuir couvert de dettes. Quoique issu d’une famille honorable – son père possédait une société de produits pharmaceutiques -, Suzuki s’engagea dans un gang à l’âge de 17 ans après avoir été expulsé de son école pour racket. En vingt ans, il fit deux fois de la prison. Il raconte que c’est sa femme, d’origine coréenne, Han Kunja, qui, devenue chrétienne en 1980, l’a aidé à rencontrer Dieu. Le couple s’était connu dans une boîte de nuit d’Osaka en 1984, dix jours après sa sortie de prison. Ils se marièrent trois ans plus tard en 1987. Le tournant décisif pour Suzuki a été une prise de conscience de la vacuité d’une vie dissolue ponctuée d’infractions minables. “J’étais à Tôkyô. J’avais quitté ma femme et mon enfant pour une vie de débauche, de drogue et d’alcool, mais sans jamais y trouver d’apaisement… J’ai cherché refuge dans une église. J’y ai entendu les paroles de Dieu qui m’ont fait revenir vers ma femme, laquelle m’a pardonné.”

C’est sa femme qui l’a persuadé également d’entrer au séminaire et, en 1992, il participait à un pèlerinage de six mois organisé par un pasteur protestant. Ce pèlerinage consistait à porter une croix de 40 kilos et de 3 mètres de haut depuis Okinawa, l’île à l’extrême sud du Japon, jusqu’à Hokkaido, à l’extrême nord, soit un périple de 3 700 km. “A cette époque, j’étais un jeune néophyte. Je voulais sentir en direct la présence de Dieu. Je n’ai pas fait ça par défi mais parce que ma femme n’avait plus confiance en moi et que je voulais me rapprocher des gens, des Japonais qui ne vont jamais à l’église.” Suzuki ne croit pas que le shinto, la religion propre au Japon qui, dit-il, “ne protège que ceux qui donnent de l’argent”, ni le bouddhisme, “qui n’est pas une religion qui sauve mais une sagesse”, puissent offrir quelque chose à un yakuza en quête d’une vie nouvelle. “Le christianisme est différent. Dieu veut sauver les pécheurs, c’est-à-dire tous ceux qui reconnaissent leurs méfaits. Il a été jusqu’à sacrifier son propre fils Jésus pour nous sauver. Il est un boss’ idéal.”

La Mission Barabbas a été fondée une année après cette “Marche de la renaissance par la croix” à travers le Japon et, en 1994, s’est faite un nom quand ses membres fondateurs ont traversé les Etats-Unis en chantant et dansant pour la gloire de Dieu, exhibant leurs tatouages. Depuis la Mission a développé ses propres activités pastorales, des concerts pour les enfants de Corée du Nord, l’aide aux sans abris, aux familles désunies et aux gangsters en prison. Suzuki, qui a connu la vie derrière les barreaux, projette de fonder au Japon une branche de Prison Fellowship International, une association américaine qui se consacre au soutien des prisonniers. Mon boss est Jésus’ a été financé par la Mission Barabbas, une société d’articles de sport et des investisseurs sud-coréens émus par le rôle central qu’y ont joué les épouses, originaires de Corée, de plusieurs anciens yakuzas repentis et réintégrés dans la société.