Eglises d'Asie

Evêques catholiques et oulémas musulmans appellent la présidente des Philippines à ne pas recourir à la force pour résoudre les problèmes de Mindanao

Publié le 18/03/2010




Réagissant aux récents événements qui se sont succédés depuis le 19 novembre dernier dans le sud des Philippines, les évêques catholiques du pays et les oulémas musulmans de Mindanao en appellent à la présidente du pays et lui demandent de ne pas recourir à la force armée pour tenter de résoudre les problèmes de Mindanao. Selon Mgr Antonio Ledesma, évêque d’Ipil, prélature territoriale située sur l’île de Mindanao, la présidente Gloria Macapagal-Arroyo “doit faire progresser le processus de paix, écouter l’autre partie et entendre ses demandes”. Si l’usage de la force militaire “peut être justifié dans certains cas”, Mgr Ledesma, qui est aussi président de la Commission pour le dialogue interreligieux de la Conférence épiscopale, a exprimé son souci pour “les civils innocents et les communautés” pris entre deux feux. Pour Aleem Mahmod Adilao, président de la Ligue des oulémas pour Mindanao, la présidente a été “mal conseillée” lorsqu’elle a décidé d’utiliser “la pleine force militaire” contre le MNLF, le mouvement musulman qui a déclenché les hostilités sur l’île de Jolo le 19 novembre. Selon lui, relancer la guerre ne fera qu’envenimer la situation et ruiner ce qui a été bâtit jusqu’ici. La Ligue des oulémas fait partie du Forum des évêques et des oulémas, instance de dialogue entre chrétiens et musulmans mise en place en 1996.

La crise actuelle a débuté le 19 novembre lorsque, à l’instigation de Nur Misuari, leader historique du MNLF (Front moro de libération nationale) et gouverneur jusqu’ici de l’ARMM, la Région autonome musulmane de Mindanao, des rebelles musulmans ont attaqué des postes militaires sur l’île de Jolo, île voisine de celle de Basilan où le groupe Abu Sayyaf retient en otages un couple de missionnaire américain ainsi que plusieurs Philippins (1). La réaction de l’armée a été très vive et a fait plus d’une centaine de victimes, en grande majorité des rebelles musulmans. Certains commentateurs expliquent la réaction des autorités philippines par leur crainte de voir le scrutin du 26 novembre perturbé. Ce 26 novembre en effet, les habitants de l’ARMM étaient appelés aux urnes afin de désigner les nouveaux dirigeants de cette structure mise en place à la suite des accords de paix entre le MNLF et Manille en 1996. De fait, la participation à ce scrutin a été faible, les habitants craignant pour leur sécurité. Entre temps, les rebelles fidèles à Nur Misuari avaient pris d’assaut un quartier de la ville de Zamboanga, principal port de la façade occidentale de l’île de Mindanao, prenant des civils en otages pour protéger leur fuite. Assiégés par l’armée, ils ont finalement négocié leur liberté contre celle des otages, tout en obtenant de conserver leurs armes. Cette dernière aventure a causé la mort de 27 personnes et fait une quinzaine de blessés.

Selon des observateurs, le bilan de cette semaine d’affrontements sanglants, outre les dommages difficiles à estimer portés au dialogue entre musulmans et chrétiens dans la région, semble être la mise à l’écart de Nur Misuari. Après avoir été déclaré “séditieux” par Manille, l’ancien gouverneur de l’ARMM a été arrêté le 24 novembre en Malaisie où il était parti chercher refuge. Les autorités philippines ont fait savoir qu’elles préféraient qu’il reste en prison en Malaisie mais Kuala Lumpur a laissé entendre que son expulsion vers les Philippines pourrait être rapide. Quoiqu’il en soit, Nur Misuari, âgé de 60 ans, paraît avoir été désavoué par son propre parti, le MNLF, qui a choisi de soutenir un autre candidat, Paufik Hussin, pour diriger l’ARMM (2). Soutenu par une poignée de fidèles seulement, l’action entreprise à Jolo puis à Zamboanga s’apparente au baroud d’honneur d’un leader, chef charismatique lorsqu’il luttait contre Manille mais piètre administrateur lorsqu’il s’est agi de gérer une région où les musulmans ne se sentiraient plus les laissés-pour-compte d’une société déjà très pauvre. Sur les 17 millions de Philippins – dont 2,7 millions de musulmans – habitant la région de Mindanao et des Sulu, plus de 27 % vivent en-dessous du seuil de pauvreté.