Eglises d'Asie

L’épiscopat s’élève contre la vision partiale de l’histoire que l’Etat veut imposer à la jeunesse du pays par le biais des futurs programmes et manuels scolaires

Publié le 18/03/2010




Diverses minorités religieuses avaient vigoureusement réagi à une tentative du gouvernement fédéral profitant d’une réforme éducative en préparation pour imposer une vision partiale de l’histoire indienne à travers les programmes et les manuels scolaires (1). Le 7 décembre dernier, dans un communiqué de presse, les évêques catholiques ont voulu, eux aussi, prendre position dans le débat actuel. Leur attitude a été sans aucune ambiguïté. Ils ont exprimé “leurs sérieuses réserves à propos de la politique de l’éducation suivie par le gouvernement”.

La controverse à laquelle l’Eglise catholique a voulu participer a pour origine la publication d’une directive du Bureau central de l’Education secondaire demandant aux diverses écoles soumises à sa juridiction d’abandonner un certain nombre de passages contenus dans les manuels scolaires. Devait, par exemple, être éliminée des livres d’histoire une phrase affirmant que la communauté des jat (catégories de paysans) dans le nord de l’Inde s’adonnait au pillage, ou un passage rappelant que le neuvième gourou des sikhs avait eu recours au pillage et au viol. Les chapitres les plus censurés du livre d’histoire étaient cependant ceux qui traitaient de l’ordre social hindou et critiquaient les privilèges de naissance des brahmanes ou des kshatriyas et l’oppression exercée par ces derniers sur les basses castes. La directive demandait aussi de supprimer des manuels scolaires les passages mentionnant que les anciens hindous mangeaient de la viande de bœuf, ce qui est un blasphème aujourd’hui, ou ceux suggérant que l’archéologie ne fournit aucune preuve que la divinité hindoue Ram ait vécu à Ayodhya. La controverse s’est encore amplifiée lorsque le Premier ministre en personne, Atal Behari Valpayee, a justifié les changements apportés au contenu des manuels et affirmé que le récit unilatéral des 5 000 années d’histoire de l’Inde devait être révisé.

Le communiqué des évêques catholiques de l’Inde commence par s’étonner de ce que le gouvernement, avant d’introduire des changements de première importance dans le programme d’études, n’ait pas consulté l’Eglise catholique qui “rend des services désintéressés en ce domaine à travers le réseau de ses établissements éducatifs” (plus de 10 000 écoles secondaires et élémentaires). Les autorités doivent prendre en considération les vues de l’Eglise ainsi que celles de tous les organismes éducatifs avant d’effectuer un quelconque changement dans le système éducatif du pays. Plus concrètement, le communiqué fait allusion aux diverses corrections partisanes apportées aux manuels d’histoire lorsqu’il presse le gouvernement de ne pas priver les générations à venir de la possibilité de connaître la vérité dans son intégralité, ce qui est un droit essentiel des membres de la société civile. Commentant le communiqué des évêques de l’Inde, le P. Donald De Souza a ajouté que, dans un pays de pluralisme religieux, il n’était pas acceptable que l’on réécrive l’histoire en glorifiant ou en épurant des événements du passé en fonction des nécessités d’une croyance particulière.

De son côté, le gouvernement considère sa réforme comme une application de l’amendement constitu-tionnel de 1976 réglementant le système éducatif et prévoyant une mise au point des programmes sco-laires par le gouvernement fédéral tous les cinq ans. De plus, selon lui, cette réforme est rendue néces-saire par le fait que les manuels scolaires présentent la croyance principale du pays sous un jour parti-culièrement défavorable. Le 2 décembre 2001, M. Murli Manohar Joshi, ministre du Développement et des Ressources humaines, a défendu l’initiative du gouvernement devant la presse (2), en disant que la Commission chargée de la réforme éducative devait empêcher que l’on introduise dans les manuels des éléments pouvant susciter la répréhension d’une quelconque religion, caste ou région du pays. Le ministre a également promis de corriger tous les passages injustes à l’égard des religions dans les divers manuels afin de faire de l’Inde un modèle de pluralisme religieux pour le monde entier.

Peu de personnes dans l’opposition et dans les milieux indépendants croient à la bonne foi des membres du Bharatiya Janata Party (Parti du peuple indien, BJP), auteurs des corrections en question. L’historien, Romila Thapar, a fait remarquer que les manuels scolaires en question sont utilisés dans les classes depuis 35 ans. “S’ils étaient contestables, cela se saurait depuis longtemps ! a-t-il déclaré. Le Hindustan Times écrit que ceux qui croient “qu’il est nécessaire de déformer l’histoire, de supprimer la vérité ou d’inventer des mensonges font encore plus de tort à l’hindouisme que Mullah Muhammad Omar (le chef du régime Taliban) en a fait à l’islam”. L’historien Bipa Chandra considère que l’actuelle réforme a pour but de ruiner le prestige de la période musulmane de l’histoire de l’Inde et de glorifier la période hindoue.