Un récent sondage commandé par l’Unicef révèle qu’il n’y a pas que M. Chung qui constate un fossé entre les générations. Des 17 pays d’Asie, l’étude démontre que les jeunes sud-coréens sont les moins respectueux envers les anciens – dans un pays où le fait d’honorer un ancien est l’un des fondements de la vie culturelle. Le résultat de cette enquête a fait l’effet d’une bombe dans le monde politique et les médias. “Saint Confucius ! Les jeunes coréens sont classés derniers a titré un quotidien. “La piété filiale n’est pas une vertu obsolète trompetait un autre, dont l’éditorial déplorait la perte du sens du respect. En réponse, certains critiques ont immédiatement soulignés que l’étude de l’Unicef a été effectuée auprès des enfants les plus jeunes et que par conséquent ces conclusions ne pouvaient être généralisées. D’autres ont critiqué la formulation de la question posée lors du sondage – “Respectez-vous vos aînés ?” -, le respect en Corée du Sud étant une notion recouvrant plusieurs significations que l’enquête de l’Unicef ne prenait pas en compte.
Les plaintes au sujet des jeunes qui n’écoutent pas, s’habillent d’une drôle de manière et se comportent comme s’ils venaient d’une autre planète ne sont pas une exclusivité de la Corée du Sud ; on les entend aux quatre coins du globe. Qui plus est, de nombreux parents de par le monde aimeraient sans doute être confrontés à ce problème de manque de respect qui semble tant préoccuper les Sud-Coréens. En effet, le pays est relativement exempt de crime, délinquance, violence des jeunes et diffusion de la drogue comme nous pouvons le voir dans nombre de pays occidentaux. Mais tout est relatif, et pour les Coréens âgés habitués à une hiérarchie stricte et une grande cohésion sociale, le problème est crucial, rapide et très angoissant.
Pendant que les législateurs débattent des causes, chacun pointe du doigt son coupable. Les enseignants condamnent les parents, les parents condamnent les médias, les sociologues condamnent Internet, les hommes politiques condamnent l’occidentalisation. Ils ont tous un mauvais exemple à condamner. “Le système de valeurs coréen est entré dans une phase de transition très chaotique”, a affirmé Maeng Hyong Kyu, député à l’Assemblée nationale et membre du parti d’opposition, le Grand Parti National.
Certains jeunes, cependant, estiment que tout ceci n’est que beaucoup de bruit pour pas grand chose. Un grand nombre d’entre eux affirment que ce qui est perçu comme un manque de respect est en fait simplement une autre manière de penser les choses. “Je ne manque pas de respect envers les personnes âgées, assure Chung Hae Shik, 26 ans, qui effectue son service militaire dans une société industrielle. C’est comme si nous parlions des langues différentes. Ils vivent simplement en-dehors du monde d’aujourd’hui.”
Universitaires et sociologues tentent de développer un aspect plus philosophique. La Corée du Sud est au milieu d’une transition profonde, affirment-ils, éprouvée en quelques années par une rapide croissance économique puis par la récession, secouée par la dictature puis par une démocratie naissante, la détente avec la Corée du Nord et le développement rapide d’Internet. La rapidité et l’importance des changements ne pouvaient que renforcer la distance entre les générations. “La Corée a autant traversé d’épreuves durant les 30 dernières années que dans les 1 000 précédentes, estime Lee Bu Young, vice-président du Grand Parti National. Les gens ont beaucoup perdu, et un grand nombre idéalise le passé.”
D’aucuns annoncent que les valeurs longtemps associées au confucianisme coréen traditionnel vont disparaître, y compris la notion de famille élargie, les rituels établis de longue date autour des funérailles, la culture ancestrale des villages, l’héritage en faveur des garçons premier-nés et le langage honorifique et hautement formel. Mais, poursuivent-ils, d’autres valeurs vont probablement demeurer, telles la compassion, les règles de base du comportement social et le sens de l’humanité, essentielles pour la vie en société.
Après que les résultats annoncés par l’Unicef aient créé tant de discussions passionnées (20 % des jeunes coréens interrogés disaient ne pas avoir de respect pour les anciens, alors qu’ils ne sont que 2 % dans les autres régions d’Asie du Sud-Est), le Joong Ang Ilbo, un des grands journaux du pays, a mené sa propre enquête. Les résultats de ce second sondage se sont révélés plus satisfaisants mais 49 % des jeunes sondés affirmaient toujours qu’il y a peu d’aînés qu’ils respectent. Ils expliquaient leurs attitudes par le changement des valeurs sociales, le fait que trop d’adultes soient inaccessibles et que leurs agissements soient marqués par la corruption.
“Qui est respectable ?, s’interroge Kim Young Soo, 27 ans, employé dans un restaurant. Le président ? Les hommes politiques ? Les avocats ? Les enseignants ? Les parents ? Ils sont tous hypocrites. Ils prêchent les valeurs confucéennes, mais les évitent et vivent des aventures extraconjugales avec des jeunes femmes et détruisent leur famille.” Même les plus convaincus d’un retour à un système d’éducation confucéen strict avouent que la société adulte n’est pas un bel exemple pour les jeunes générations. Le confucianisme préconise que ceux qui se trouvent au sommet de la hiérarchie gagnent le respect et ne l’exigent pas simplement parce qu’ils sont les plus puissants. Pendant des décennies, des dictateurs ont dirigé la Corée sans légitimité politique. Et les premiers temps de la démocratie ont plutôt été caractérisés par des scandales que par des exemples d’hommes d’Etat.
“Nous n’avons pas été un très bon modèle pour eux, estime S.T. Song, homme d’affaire de 55 ans. Si le courant en amont est trouble, alors en aval l’eau non plus ne sera pas claire.” Choi Chung Ok, sociologue et spécialiste des questions liées à la jeunesse à l’université Kyonggi, ajoute que ce qui est souvent interprété, par les anciens, comme irresponsable, manque de respect et frivolité pourrait bien représenter le salut économique du pays. Les parents exigent fréquemment que leur enfants étudient sans limite, obtiennent un emploi au sein d’un des grands conglomérats du pays, cessent de jouer à des jeux vidéos et d’écouter de la musique pop asiatique. En fait, Choi Chung Ok pense que les jeunes coréens sont en train d’acquérir les éléments nécessaires à la survie alors que la mondialisation touche la Corée et qu’une économie fondée sur des industries de service est en train d’apparaître. “Les jeunes coréens sont bien mieux que ce que la génération de leurs parents peut affirmer”, conclue Choi Chung Ok.