Eglises d'Asie

“LES PAPOUS DEMANDENT LA RECONNAISSANCE DE L’INDEPENDANCE DE LA PAPOUASIE OCCIDENTALE” – UNE INTERVIEW AVEC YOSEPHA ALOMANG, MILITANTE DE LA CAUSE INDEPENDANTISTE PAPOUE

Publié le 18/03/2010




Ucanews : Comment avez-vous débuté votre combat pour les droits de l’homme en Papouasie ?

Yosepha Alomang : Mon premier contact avec l’armée [indonésienne] remonte à l’année 1997 quand les soldats ont pénétré en Papouasie pour assurer la sécurité de la société minière américaine Freeport. L’armée et le gouvernement ont déclaré que la terre, la forêt et l’eau appartenaient à l’Etat. Les militaires tuaient sans distinction les locaux qui, selon eux, appartenaient à l’Organisation de l’indépendance de la Papouasie, le nom sous lequel les militaires plaçaient les Papous qui luttaient pour un Etat indépendant. Les militaires et le gouvernement nous ont tout pris. Nous avons perdu nos droits. Ils ont déversé des produits chimiques toxiques issus des opérations minières dans les rivières. Je n’ai pas pu achever mes études secon-daires mais je savais par moi-même ce qui était juste et ce qui était légitime. En 1994, j’ai demandé à Mgr Herman Munninghoff, l’évêque catholique de Jayapura (aujourd’hui à la retraite) de contribuer à la protection des gens à la base. Les évêques, les prêtres et les séminaristes nous ont protégés. Nous avions confiance en l’Eglise.

Ucanews : Comment l’Eglise a-t-elle protégé les gens ?

Y. Alomang : Nous sommes opprimés et l’Eglise est l’avocate de nos droits. Elle est notre voix. L’Eglise nous accompagne et nous protégeons l’Eglise. Nous savons que nous avons besoin de Dieu. Nous sommes l’Eglise mais les militaires sont en train de détruire nos coutumes.

Ucanews : Voulez-vous dire que les Papous font plus confiance à l’Eglise qu’au gouvernement ?

Y. Alomang : Nos traditions sont semblables à celles de l’Eglise. Les peuples autochtones de Papouasie observent des préceptes qui sont similaires aux Dix commandements. Cependant, les militaires et le gouvernement sont opposés à nos coutumes et traditions. Ils violent nos coutumes, volent nos droits ; ils nous persécutent et nous tuent. Ils détruisent nos forêts, nos rivières et notre terre. Nous demandons la restauration de notre souveraineté. Nous avons le droit de posséder et de jouir de notre souveraineté propre.

Ucanews : La souveraineté est-elle synonyme de séparation d’avec l’Etat indonésien ?

Y. Alomang : Nous demandons la libération par rapport à une situation d’oppression. Nous demandons aussi que le gouvernement indonésien reconnaisse l’indépendance proclamée par la Papouasie occidentale le 1er décembre 1961.

Ucanews : Etes-vous optimiste quant aux chances de voir se réaliser vos souhaits ?

Y. Alomang :Nous croyons que rien n’est impossible et nous ne cesserons jamais de nous battre pour que nos demandes soient reconnues. Un compromis sur ces questions ne peut pas être parce que plus d’un million de Papous ont été tués depuis 1969.

Ucanews : Le gouvernement a récemment offert un régime spécial d’autonomie à la Papouasie.

Y. Alomang :Il ne s’agit là ni plus ni moins que d’une politique de nettoyage ethnique. Il s’agit simplement d’une tactique politique qui vise à l’extermination des Papous. Le mot “autonomie” résonne d’une manière toute particulière aux oreilles de Papous. Mais les Papous vivent dans la crainte et la peur depuis 36 ans. Presque la moitié du peuple papou a été exterminé. Accepter l’autonomie signifierait que dans 36 ans il n’y aurait plus un seul Papou. L’indépendance est un droit, notre droit. Nous nous battons pour cela et nous n’attendrons pas que le gouvernement nous la concède.

Ucanews : Cela ne va-t-il pas mener les militaires à opprimer encore plus durement les Papous ?

Y. Alomang :Rien ne subsiste après l’oppression que les militaires exercent. Non seulement les Papous en ont été les victimes mais la terre, les rivières et les forêts ont été détruites. Les militaires oppriment tout et rien, ni personne ne peut plus accepter les militaires.

Ucanews : Pensez-vous que l’Eglise catholique apportera son soutien à l’indépendance pour la Papouasie ?

Y. Alomang :Nous sommes l’Eglise et l’Eglise nous soutient. L’indépendance n’est pas un gros mot. Si les fidèles luttent pour l’obtenir, rien ne s’oppose à ce que l’Eglise soutienne également ce combat. A quoi bon servirait-il que l’Eglise prêche les Dix commandements si elle rejette la lutte de ses fidèles pour la liberté ?

Ucanews : Cela voudrait dire que l’Eglise s’opposerait au gouvernement ?

Y. Alomang : Ce n’est pas la question. Ce qui est en jeu est que la liberté est un droit. Nous n’essayons pas d’arracher notre liberté aux dépens d’un autre peuple. Nous demandons seulement que le gouvernement restaure notre propre liberté et reconnaisse notre indépendance.

Ucanews : Jusqu’à quelle point votre lutte a-t-elle été un succès ?

Y. Alomang : Le nom de la Papouasie a été restauré et remplace désormais celui d’Irian Jaya. Notre hymne national et notre drapeau sont acceptés. La seule chose pour laquelle nous nous battons désormais est la reconnaissance par le gouvernement indonésien de notre indépendance. La présidente de la République indonésienne, Megawati Sukarnoputri, n’a aucun droit à s’ingérer dans les affaires des Papous. En tant que Papoue, j’ai le droit de parler au nom de mon peuple. Le gouvernement indonésien doit respecter les droits de l’homme et nos lois.

Ucanews : Pensez-vous pouvoir gagner une guerre contre l’Indonésie si le gouvernement rejette votre revendication à l’indépendance ?

Y. Alomang : Je crois que je le peux car je suis dans la vérité et je ne prétends jamais prendre la vérité d’autrui. Le gouvernement et les militaires nous ont assassinés et ont pris tout ce que nous avions. Nous n’avons rien d’autre que la vérité et nous sommes prêts à leur faire face. Si la guerre mène à notre destruction, nous l’acceptons. Nous ne nous préparons pas à les affronter physiquement parce que nous avons déjà eu l’expérience de ce genre de combat et trop de gens en ont été victimes. Nous préférons recourir à notre esprit et à notre cœur et lancer une guerre diplomatique.

Ucanews : Comment réagissez-vous aux prix que vous avez reçus en 1999 et en 2001 (Yap Thiam Hien Human Rights Award, attribué par une fondation de Djakarta, et le Goldman Environmental Prize, américain) ?

Y. Alomang : Ces prix sont dédiés aux personnes qui ont été tuées et aux écosystèmes qui ont été détruits.

Ucanews : Qu’avez-vous ressenti au moment de recevoir ces distinctions ?

Y. Alomang : De la fierté à être ainsi reconnue au sein d’une audience internationale. Je me suis aussi sentie honteuse et triste. J’ai pleuré. Je n’ai même pas fini l’école élémentaire. Tant de Papous sont tombés, victimes. J’ai donné l’argent du prix à l’Eglise. J’avais peur d’utiliser cet argent. A cause de l’argent, les Papous ont été tués. J’ai offert cette somme à l’Eglise pour que se poursuive le combat pour les droits de l’homme, la justice et la vérité. En 1999, le gouvernement indonésien par l’intermédiaire de la société Freeport m’a alloué de l’argent mais j’ai refusé. A la place, j’ai demandé la souveraineté pour le peuple, la reconnaissance de l’indépendance, que nous soient rendues notre terre et nos forêts, la vérité et la justice.