Eglises d'Asie

LA REUNION INTERRELIGIEUSE D’ASSISE POUR LA PAIX REFLETE UNE REALITE DE CHAQUE JOUR EN ASIE

Publié le 18/03/2010




Je vis en ce moment dans une chambre que je loue. Cette chambre est située dans un appartement où se trouvent la statue de Bouddha, des bodhisattva et un autel dédié aux ancêtres. Ma logeuse est une dame âgée de 82 ans. Vietnamienne, elle est venue s’installer aux Pays-Bas il y a 15 ans comme réfugiée. Bien que désormais membre de la diaspora, elle continue à être une véritable bouddhiste, pratiquante, et prie chaque jour devant son autel, de 6 à 7 heures du matin puis, de nouveau, de 6 à 7 heures du soir. Lorsqu’elle prie, particulièrement le soir, je m’installe souvent à côté d’elle pour lire un livre et j’observe comment elle récite et chante les sutras. Je prends des notes quant aux poses qu’elle adopte lorsqu’elle s’assied, s’agenouille et se prosterne devant le dieu Bouddha (sic).

Certains peuvent cataloguer ceci comme ressortant du culte des ancêtres ou comme étant de la prière pour de faux dieux ou bien encore comme de l’adoration des idoles. Mais, d’après ce que j’ai pu observer depuis un an, je ne pense pas avoir constaté plus de foi et de sainteté dans ma propre communauté religieuse que j’ai pu en voir chez cette bouddhiste âgée de 82 ans. Je ne peux, ne serait-ce qu’une seconde, imaginer qu’elle vit une “situation sérieusement déficiente” ou que sa pratique religieuse contient “des vides, des insuffisances et des erreurs”, pour citer le document du Vatican Dominus Iesus, publié par la Congrégation pour la doctrine de la Foi.

Je raconte tout ceci car bien des chrétiens ne se sentent pas à l’aise en présence d’une personne appartenant à une autre religion, particulièrement lorsque cette personne pratique sa religion. Certains même ne se sentent pas à l’aise ne serait-ce que lorsqu’ils approchent des temples, lieux qu’ils perçoivent comme autant d’expressions de la superstition et de l’idolâtrie. Cela est vrai en particulier de nombreux catholiques et cela peut s’expliquer du fait de la catéchèse qu’ils ont reçue, une catéchèse qui dans une grande mesure a été développée au sein d’une culture où le pluralisme religieux était totalement absent ou ignoré.

La catéchèse que nous continuons à dispenser est généralement très exclusive. De ce fait, les chrétiens apprennent qu’embrasser le Christ signifie rejeter tout le reste, y compris ce qui fait partie de leurs propres traditions culturelles ou religieuses. Parfois, ce rejet conduit même certains chrétiens à ouvertement dénoncer et condamner les pratiques religieuses de leurs parents, épouses, enfants et proches. Par conséquent, il n’est pas exagéré de dire que de nombreux chrétiens en Asie ne savent pas comment se comporter de façon appropriée avec leurs voisins adeptes d’autres religions.

L’enseignement exclusif qui domine notre théologie chrétienne et nos catéchismes nous mène implicitement à mépriser et à rejeter plutôt qu’à aimer et à respecter. Dominus Iesus semble renforcer le point de vue étroit et bigot de tels enseignements. Mais la réalité est que la plupart des chrétiens en Asie n’ont pas le choix et doivent apprendre à se comporter avec des gens appartenant à d’autres religions. Nous ne pouvons prétendre que ces religions n’existent pas. Nous ne pouvons espérer ou imaginer que ces religions vont un jour se fondre dans le christianisme. Pas plus que nous ne pouvons imposer la croyance selon laquelle ces religions vont trouver la plénitude par le Christ.

Ainsi, lorsque nous nous demandons si les réunions interreligieuses d’Assise en 1986 ou en janvier 2002 signifient quelque chose pour nous, ma première réponse est qu’Assise se produit pour la plupart d’entre nous en Asie chaque jour, au fil de notre vie quotidienne. Bien sûr, Assise est un événement important sur un plan culturel dans un monde où les interactions entre les religions sont si rares. En particulier, pour le Saint-Père et pour d’autres au Vatican, l’événement d’Assise est important dans la mesure où il leur offre la possibilité de rencontrer des gens d’autres religions et de leur faire partager leurs vues.

Tandis que le dialogue interreligieux est souvent perçu en Occident comme étant principalement une initiative chrétienne, pour nous, en Asie, la simple notion de “dialogue interreligieux” est perçue comme une initiative non seulement chrétienne mais occidentale. L’intérêt pour le dialogue interreligieux est vu comme ayant grandi en Occident ces dernières cinquante années à mesure que les sociétés occidentales ont connu un certain afflux d’immigrants. Pour la première fois, les peuples des pays occidentaux ont été au contact des problèmes que pose le pluralisme religieux, à mesure qu’ils expérimentaient que le christianisme n’était pas la “seule et unique” religion vivante. Mais pour nous, en Asie, le pluralisme religieux est notre expérience et est inscrit dans notre esprit depuis la nuit des temps.

Ceci étant dit, je voudrais m’attarder sur l’importance du dialogue interreligieux dans le contexte qui est celui de l’Asie et des religions qui s’y trouvent. Premièrement, la perception que même en Asie le dialogue interreligieux semble être principalement une initiative chrétienne doit être comprise dans le contexte qui fait que le christianisme plus que toute autre religion doit dialoguer avec les autres religions. Ceci car pour le christianisme un tel dialogue a à voir avec être accepté par les peuples de l’Asie. En dépit d’une présence en Asie qui remonte à plus de 500 ans, le christianisme est toujours perçu comme une religion étrangère et occidentale ; parfois le christianisme est même défini comme étant “la religion de l’homme blanc”. Ceci est dû au fait que l’Eglise en Asie est pour ainsi dire transplantée d’Occident, avec ses structures, ses doctrines, ses règles et ses pratiques occidentales. Le dialogue interreligieux par conséquent est vu comme un ingrédient nécessaire pour l’Eglise de faire partie complètement de la matrice culturelle de l’Asie et d’être considérée comme étant de l’Asie plutôt que d’être une religion étrangère.

Aujourd’hui, l’Eglise et les gens d’autres religions commencent à comprendre l’importance du dialogue interreligieux au vu des nombreux conflits et des guerres dont beaucoup ont des aspects liés à l’appartenance religieuse, raciale ou ethnique. Les responsables de communautés religieuses commencent à comprendre qu’ils doivent eux-mêmes jouer un rôle plus important dans les relations entre religions et dans l’éducation. Parmi les priorités on trouve l’élimination des craintes ambiantes, des préjugés et des mauvaises compréhensions que les gens nourrissent à l’égard des religions qui ne sont pas la leur.

A la lumière de ceci, pour les Asiatiques le dialogue interreligieux doit aller au-delà de la réunion d’un seul jour à Assise – une occasion sympathique de rencontres, de discussions et de prières. Il doit être un processus continu qui engage les personnes sur les problèmes religieux concrets, cruciaux et difficiles. En plus de promouvoir le respect mutuel et la confiance, le dialogue interreligieux en Asie doit mener à éviter la suspicion et la haine réciproque. On sait que la religion a été utilisée, abusée et manipulée pour nourrir des haines et des tensions interreligieuses pour des buts rien moins qu’avouables. Les conflits et les guerres, qui sont principalement dus à des causes économiques et politiques, ont désormais une connotation religieuse. Les religions sont utilisées et sur-utilisées pour gagner le soutien du plus grand nombre.

C’est dans ce contexte que de nombreux groupes ont redoublé d’efforts pour mettre en œuvre le dialogue interreligieux, même s’ils ne mettent pas l’appellation dialogue interreligieux’ sur leurs initiatives. Par exemple, le “Réseau international des bouddhistes engagés” a été à la pointe pour promouvoir le dialogue entre les traditions religieuses, un dialogue qui mène à une action constructive dans le domaine socio-politique. Le “Réseau musulman asiatique d’action” forme des gens, des jeunes en particulier, à être socialement actifs. Le “Mouvement international pour un monde juste” est une autre ONG d’inspiration musulmane qui agit pour un ordre social plus juste. La plupart de ces organismes bouddhistes ou musulmans ont élargi le cercle de leur recrutement au-delà de leur propre appartenance religieuse. D’une certaine façon, ils sont devenus de réels organismes interreligieux – ils ne se contentent pas uniquement de parler ou d’organiser des réunions interreligieuses. Le “Réseau musulman asiatique d’action” forme ainsi non seulement des musulmans mais des catholiques, des bouddhistes et des hindous. Ces organismes sont certainement allés au-delà des frontières d’une religion en particulier même s’ils continuent d’agir pour des causes au nom de la religion. En d’autres termes, c’est comme s’ils étaient allés au-delà de l’événement Assise pour parvenir à l’engagement d’Assise. L’engagement à aller puiser dans les ressources spirituelles et religieuses des personnes afin d’être capable d’agir ensemble pour le plus grand bénéfice du monde, cet engagement-là se lit dans leurs programmes.