Eglises d'Asie

LES AFFRONTEMENTS ENTRE CHRETIENS ET MUSULMANS A POSO,DANS L’ILE DE CELEBES :L’INDONESIE SERAIT-ELLE LE TERREAUD’OU SORTIRONT LES TERRORISTES DE DEMAIN ?

Publié le 18/03/2010




De Poso, en Indonésie – Cette ville située en bord de mer, délicieuse à bien des égards, est le genre d’endroit auquel l’administration Bush fait référence lorsqu’elle met en garde contre les régions et les lieux qui pourraient être le terreau sur lequel apparaîtront et croîtront de nouvelles cellules de terroristes. Ces trois dernières années, les musulmans et les chrétiens – qui autrefois vivaient en bonne intelligence et partageaient même les jours fériés liés à leurs deux religions – n’ont eu de cesse de se massacrer mutuellement, de torturer et de décapiter ceux de l’autre camp. Poso et sa région sont ainsi devenues l’un des plus récents et troublants conflits que connaît l’Indonésie.

Parmi ces combattants se trouve Noko, un jeune homme musulman âgé de 20 ans aux cheveux longs et noirs. Il ne cache pas son enthousiasme à être un des soldats du front. Il raconte ainsi comment il a participé récemment à la destruction de huit villages chrétiens. “Nous l’avons fait pour restaurer notre dignité après avoir été opprimé et utilisé [par les chrétiens] », raconte-t-il. Au combat, il s’habille comme pour se préparer à la mort, avec la longue tunique blanche de style arabe, et s’arme d’un coutelas et d’une arme à feu de fabrication artisanale. Ses semblables invoquent Allah ; l’ennemi, affirme-t-il, crie “Alléluia”.

Dans le district de Poso, sur l’île de Célèbes, plus de 10 000 bâtiments ont été détruits. Environ 80 000 personnes ont été contraintes de prendre la fuite. Et, selon certaines estimations, plus de 500 personnes ont trouvé la mort. Du côté musulman, les combattants ont reçu le renfort d’un contingent de peut-être 500 membres du groupe des Laskar Jihad, ces combattants de la guerre sainte qui viennent de Java, l’île principale de l’Indonésie et qui sont aussi impliqués dans un autre des conflits qui sévissent en Indonésie, sur l’archipel des Moluques.

Ces conflits locaux sont une des manifestations de l’état d’agitation et de désordre qui règne en Indonésie depuis que Suharto, l’ancien homme fort du pays, a été déposé en 1998. Un gouvernement central faible et miné par les divisions, des forces militaires démoralisées et nerveuses, un entrelacs du lutte pour le pouvoir et enfin une montée de l’islam militant ont fait de l’Indonésie, un pays dont les 220 millions d’habitants sont majoritairement musulmans, une région dangereuse.

Depuis les attaques du 11 septembre dernier, le contexte s’est soudainement élargi, les Etats-Unis cherchant à désarmer les terroristes partout où ils se trouvent et à neutraliser les conflits qui pourraient servir de terreau nourricier pour d’éventuels terroristes. “Nous estimons qu’il existe une probabilité pour que des musulmans extrémistes et des terroristes musulmans établissent des liens avec ces groupes musulmans actifs en Indonésie et finissent par trouver une terre accueillante dans ce pays qui, par ailleurs, se montre peu disposé au terrorisme”, a déclaré lors d’un entretien le 7 janvier dernier Paul Wolfowitz, secrétaire adjoint à la Défense.

Un responsable local des Laskar Jihad, un certain Roni, décrit la mission de son groupe à Poso comme une mission triple : travail social, enseignement de l’islam et défense – par ce dernier terme, il signifie l’affrontement. De fait, le Laskar Jihad est une armée religieuse au sens plein du terme. Il fournit des médicaments, de la nourriture et de l’aide aux réfugiés, enseigne le Coran et oriente son propos en direction de la seule cause des musulmans. “Je pense que pour les musulmans le désir de se montrer pacifique est aussi grand que leur désir de faire la guerre, déclare Yahya Almari, un religieux musulman respecté qui a servi de négociateur de paix entre les deux parties. Dans l’islam, le jihad dans son expression pacifique consiste à se maîtriser soi-même et à ne pas se faire d’ennemis. Mais, sur un terrain de guerre, le jihad équivaut à prendre les armes et à éliminer votre ennemi.”

Les combats qui se déroulent à Poso et la présence de plus en plus importante du Laskar Jihad montrent combien il est difficile de gérer de tels conflits, même s’ils sont, comme c’est le cas actuellement, étouffés par un important déploiement de forces de sécurité, police et armée confondues. Au petit matin, à mesure que le soleil s’élève dans le ciel de Poso, des colonnes de policiers passent en courant, torses nus, pour leur jogging, le long de rues quasiment désertes, leurs chants montant en cadence dans l’air déjà chaud. Ils passent devant des bâtiments pillés et incendiés et des boutiques aux volets métalliques tirés. Dans les forêts, les affrontements se poursuivent.

Les violences ont débuté par une querelle d’ivrognes sur un marché la veille de Noël 1998. Depuis, les combats se sont intensifiés, ont diminué, ont repris de l’importance – tout cela en dépit de cinq accords de paix, le dernier en date remontant au mois de décembre 2001. Quasiment tous ceux qui ne combattent pas ici, qu’ils soient chrétiens ou musulmans, affirment que ce conflit est plus qu’une guerre de religions. Il a trait à une lutte pour le pouvoir dans laquelle la ferveur religieuse a été instrumentalisé en une arme de guerre. “A l’époque de Suharto, les gens qui agissaient de la sorte auraient immédiatement été arrêtés et l’affaire aurait été terminée, commente S. Pelima, un responsable de communauté chrétien. Aujourd’hui, nous sommes dans une période de transition, d’un pouvoir centralisé à une structure où les provinces ont plus d’autonomie. Du centre, plus rien de bon ne vient, le pouvoir y étant mal exercé. Ainsi une bagarre peut dégénérer en une émeute et une émeute peut mener à un massacre.”

Au cœur de ce conflit, on trouve une rupture dans l’équilibre numérique entre les communautés, les migrants musulmans venus du sud de l’île de Célèbes ou de Java ayant transformé l’équilibre existant à Poso et dans les villages alentours, une région jusqu’à lors majoritairement chrétienne. Dans le système ouvert et en voie de démocratisation qui a succédé à l’étroit contrôle qui caractérisait les années Suharto, des musulmans ont été élus aux trois principaux postes de pouvoir à Poso, y remplaçant des chrétiens. La perte de ces postes de responsabilité a nourri un certain ressentiment qui, à son tour, a débouché sur de la violence. Comme dans d’autres conflits à travers le pays, des éléments liés à l’actualité nationale ont joué un rôle dans les complexes et spécifiques dynamiques locales.

L’histoire récente de Poso est l’histoire des “trois incidents”, qui sont survenus chacun à un an d’intervalle et qui ont été émaillés de ce qu’un officier de police nomme des “bulles” de violence – telles que l’assassinat de neuf musulmans ou la destruction le mois dernier de huit villages chrétiens. Tant les chrétiens que les musulmans rapportent ces deux incidents comme des exemples de provocation, chacun d’eux débouchant sur de nouveaux massacres.

A une occasion, un musulman s’est balafré lui-même et a ensuite affirmé qu’il avait été attaqué par des chrétiens. A une autre, un corps a été jeté dans une zone musulmane et des assaillants chrétiens non identifiés ont été déclarés responsables du meurtre. Bien que des deux côtés, on suspecte l’action de provocateurs, obéissant à un ordre du jour local ou national, personne ne semble capable de dire qui entretient le conflit.

Le responsable des services de renseignement du gouvernement, A. M. Hendropriyono, a récemment déclaré que des terroristes étrangers étaient à l’origine des heurts de Poso mais il n’a avancé aucune preuve pour étayer ses propos et ses déclarations ont été accueillies pour le moins avec scepticisme par les observateurs et d’autres membres du gouvernement. Sur place, des responsables de l’administration et les combattants des deux parties s’accordent également pour dire que le Laskar Jihad ne joue pas un rôle moteur de premier plan du côté musulman. Noko, le jeune combattant musulman, considère presque comme un affront le fait de lui suggérer que des outsiders sont les meneurs des attaques. “Ils combattent, c’est vrai, quand on a besoin d’eux, affirme-t-il, mais l’initiative dépend de nous, les locaux.”

Une chose seule semble recueillir l’assentiment des deux parties : c’est l’autre qui a commencé. “Je tiens à souligner que nous, les musulmans, sommes ceux qui ont été attaqués [les premiers] », déclare Adnan Arsal, âgé de 53 ans, un responsable de communauté musulman à Poso qui affirme détenir un arsenal chez lui et se joindre aux assaillants chaque fois qu’ils partent au contact – “pour encourager les jeunes”, ajoute-t-il. A l’autre bout de la ville, Ronald Hanny Ticoalu, pasteur pentecôtiste, fait écho à ces propos. “Les chrétiens n’attaquent jamais les premiers, se défend-il. Ils combattent uniquement dans les cas d’autodéfense.”

La ville de Poso elle-même, qui comptait autrefois 40 000 habitants, n’abrite plus aujourd’hui que 5 000 personnes, plus un contingent de forces de sécurité de plusieurs centaines de policiers lourdement armés. Les réfugiés de religion chrétienne ont fui principalement vers la ville voisine de Tentena. Les musulmans sont partis à Palu, le chef-lieu de province, à majorité musulmane, là où des bombes ont récemment explosé dans des lieux de culte chrétiens. A Poso, la haine est quasi visible. Dans un des villages chrétiens réduits en cendres, des assaillants ont utilisé des bouts de bois carbonisé pour écrire sur les murs. “Jusqu’au dernier jour, les musulmans ne feront pas la paix avec les chrétiens.” “Mort à tous les chrétiens !”